13 novembre 2005

Pierre Feuga, René Guénon et l’Hindouisme, (note de lectura)

Paru chez www.religioperennis.com
Paru aussi dans Connaissance des Religions, 65-66.
René Guénon considérait la tradition de l’Inde comme « l’héritage le plus direct de la Tradition Primordiale ». La référence à l’Inde est dans son œuvre considérée comme absolue.
On peut se poser le problème pourquoi Guénon ne s’est-il converti à l’hindouisme plutôt qu’à l’islam. Les réponses de Paul Chacornac sont:
a) l’impossibilité formelle de devenir hindou à cause de l’institution des castes;
b) l’incompatibilité entre les rituels hindous et la vie occidentale.
On peut répondre que:
a) certaines initiations hindoues n’ont pas de liaison avec la notion de caste (le cas du samnyâsin);
b) tout comme il a vécu en Egypte comme musulman, Guénon aurait pu vivre comme hindoue en Inde.
« La véritable raison du « choix » d’une forme traditionnelle (choisit-on, est-on choisi ?) relève de l’intimité mystérieuse de chaque être et n’est pas comparable à une stratégie militaire ou à un mariage de raison. »
Autre question: a-t-il eu des maître hindous à Paris? « Quels que fussent ses dons intellectuels, il est difficile de croire qu’il ait pu parvenir seul ou juste avec l’aide de quelques livres à cette compréhension lumineuse du Vêdânta qu’il manifeste dès l’âge de vingt-trois ans, lors de ses premiers articles publiés sous le nom de Palingenius dans la Gnose. »
L’Hollandais Frans Vreede a dit que Guénon a eu un maître hindou, et qu’il a été affilié à une branche régulière de l’hindouisme qui rémonte à Shankarâchârya.
Des pandits orthodoxes ont considéré que de tous les Occidentaux qui se sont occupés de l’hindouisme, Guénon est le seul qui a vraiment compris le sens.
L’Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues est une introduction générale à tout le grand œuvre guénonien.
Louis Renou a été un des orientalistea français qui ont dénigré L’Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues.
« Tout simplement les idées de Guénon étaient trop nouvelles – en dépit ou à cause de leur référence à une Tradition immémoriale – pour être entendues de ces bons docteurs nourris aux mamelles du scientisme et du positivisme, ces orientalistes « officiels » qui, en réalité, pour leur mode de pensée, ne différaient guère de leurs collègues latinistes ou hellénistes. »
Sur les qualités de l’Introduction générale…: « La première qualité qui éclatait dans ces pages, c’est ce génie de la « discrimination », au sens védantique du terme, cette lucidité suraiguë – qu’aucun auteur du siècle dernier n’a poussée à ce degré –, cet art de discerner, de démêler le vrai du faux et parfois de trancher l’erreur d’un coup d’épée vigoureux, sans souci de la peine ou du plaisir que l’on causera à l’un ou à l’autre. »
Sur René Guénon: « Un brâhmane oui, mais un brâhmane militant (comme son maître Shankara ou comme, dans la Chrétienté, saint Bernard), affable et délicat dans la vie privée mais pugnace et inflexible quand il s’agissait de défendre la vérité. »
Guénon semble ignorer qu’il existe deux traditions en Inde: celle védique et celle âgamique. A la fois ouverte et « secrète » (rahasya) – ouverte socialement et secrète pour des raisons techniques –, la deuxième tradition n’en est pas moins, en tout cas, « orthodoxe » et il ne viendrait jamais à l’esprit d’un brâhmane intelligent de traiter d’ « hétérodoxe » le maître incontesté de cette école Trika, Abhinavagupta, qui était d’ailleurs aussi un brâhmane très respecté et dont le génie métaphysique n’a rien à envier à celui de Shankara.
Guénon n’a jamais parlé de Trika.
« […] en dépit d’un certain côté « guerrier » de sa nature, Guénon n’avait pas vraiment un « tempérament tantrique », il n’envisageait pas que le « remède » pût se trouver là même où était le « poison » et que, pour redresser un monde déchu, il fût parfois nécessaire de descendre à son niveau, pénétrer dans le camp de l’adversaire pour mieux le détruire ou encore « pousser à la Roue ».
Malheureusement, l’idée de réincarnation est devenue aujourd’hui partie du bagage intellectuel de l’Occident.
« Qu’on le déplore ou non, la croyance en la réincarnation, entendue au sens le plus littéral (retour dans un corps humain, animal ou végétal), n’est pas simplement le fait de basses castes, elle est répandue dans toutes les couches de la population hindouiste (et partagée par les jaïns, les bouddhistes, les Sikhs). »
L’antitraditionnalisme hindou: Râm Mohun Roy (1772-1833), l’Arya Samaj, la Hindu Mahasabhâ, le RSS.
Autre Hindou occidentalisé dont Guénon supportait mal la tendance au prosélytisme et à la vulgarisation : Vivekânanda (1863-1902).
Guénon a perçu l’autenticité de Ramana Maharshi. Il a estimé Tilak, mais détesté Krishnamurti. Pour Sri Aurobindo, l’appréciation de Guénon, très favorable au début, a été en continuelle dégradation. L’individualisme et l’évolutionnisme de l’Indien ne pouvaient pas être admirés par le stricte Guénon.
L’Homme et son devenir selon le Vêdanta est l’exposé le plus profond, le plus inspiré, êcrit en Occident sur l’Identité suprême.
Sur le style de Guénon: « Le « déroulement » de la pensée guénonienne, majestueux et minutieux à la fois, avec ses longues phrases balancées, droites dans l’intention et sinueuses dans le parcours, avec ses parenthèses riches de sens, ses notes qui sont comme autant d’ « écrins » pleins de joyaux en bas de page – formant presque un « second livre » encore plus ésotérique –, cette parole qui prend tout son temps mais ne se laisse jamais distraire exige aussi du lecteur une attention sans faille, capable d’arrêts, de retours, d’interrogations et de silence (la « part de l’inexprimable », disait-il), attention ferme et souple, totalement à rebours de notre époque avide et dispersée ; elle est, dans son essence comme dans sa forme, « initiatique » (« écouter » le maître puis « méditer » ce qu’il a dit sont d’ailleurs les deux premiers paliers de l’apprentissage védantique). »
Sur l’apport de Guénon à la connaissance métaphysique: « Toute une certaine façon d’interpréter le Vêdânta à travers des catégories philosophiques occidentales – panthéisme, idéalisme, monisme spiritualiste, etc. – semble aujourd’hui obsolète, du moins à ceux qui ont des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. Toute une certaine rhétorique hindouisante – qui va des attendrissements de Schopenhauer aux trémolos délirants d’André Malraux en passant par l’ascétisme théâtral de Lanza del Vasto et les sucreries de Romain Rolland – paraît désormais insupportable à qui a goûté un pain plus amer mais plus substantiel. Grâce à Guénon les masques tombent et les marionnettes ont les fils coupés. On sait que la « Délivrance » métaphysique est beaucoup plus que le « salut » religieux. On sait – et qui l’avait montré avant lui, nous disons bien montré et pas seulement rêvé ou pressenti ? – que la doctrine hindoue de la non-dualité trouve des équivalents exacts dans le taoïsme, dans la kabbale, dans le soufisme et peut-être dans certains courants ésotériques chrétiens ; que l’on croie ou non à une « Tradition primordiale » (et c’est là une pierre d’achoppement pour beaucoup), les ressemblances sont trop éclatantes, trop troublantes pour que l’on se contente des sempiternelles explications par les « influences » historiques ou un vague « fonds commun » de l’humanité. Enfin, et toujours grâce à Guénon (on serait tenté de dire au seul Guénon), on dispose d’une connaissance suffisante des cycles cosmiques – même si l’on ne connaît pas « le jour et l’heure » – pour se repérer dans un monde en décomposition accélérée. »
Guénon a déprécié une composante majeure de la tradition hindoue: le bhakti.
Ramana Maharshi : « La réincarnation existe aussi longtemps que l’ignorance existe. »
René Allar a écrit assez justement : « Il y a réincarnation du point de vue empirique, transmigration du point de vue théologique et ni l’une ni l’autre du point de vue métaphysique. »

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