08 août 2006

W. Montgomery Watt, Muhammad à La Mecque, (note de lectura)

Traduction de F. Dourveil, S.-M. Guillemin et F. Vaudou, 1958-1959, Editions Payot. Titre original: Muhammad at Mecca. (Oxford University Press, Londres), 1957-1958.

Introduction
1. Point de vue d’ensemble
Le livre s’adresse aux histories, aux musulmans et aux chrétiens. Sur les questions théologiques débattues entre la Chrétienté et l’Islam, l’auteur a préféré une position de neutralité.
« Tout en restant fidèle aux données de l’enseignement historique consacré en Occident, je me suis imposé de ne rien déclarer qui puisse être en contradiction avec l’une ou l’autre des doctrines fondamentales de l’Islam. Point n’est besoin d’abîme infranchissable entre la science de l’Occident et la foi de l’Islam. » (p. 11)

2. Note sur les sources
D’abord le Qur’ân.
a) la Sîrah ou vie de Muhammad par Ibn Hishâm (m. 833/218);
b) la partie des Annales d’ath-Thabarî (m. 922/310) traitant la vie de Muhammad;
c) les Maghâzî ou Histoire des campagnes de Muhammad par al-Wâqidî (m. 822/207);
d) la Thabaqât d’Ibn Sa’d, secrétaire d’al-Wâqidî, énorme compilation contenant, à côté de beaucoup de choses sur Muhammad, des biographies sur ses principaux compagnons.
Il faut ajouter d’autre recueils de traditions:
- Çahîh d’al-Bukhârî;
- Mumad d’Ahmad ben Hanbal;
- Usd al-Ghâbah par Ibn al-Athîr (1234/631);
- Içâbah d’Ibn Hadjar (1447/851).
Il se peut très bien que la Sîrah d’Ibn Hishâm soit ni plus ni moins qu’une répétition de la Sîrah d’Ibn Ishâq (m. 768/151).
L’étude non-islamique le plus détaillée sur le Prophète est celle de Caetani dans ses Annali dell’Islam. « […] il n’est pas difficile de corriger ses excès occasionnels de scepticisme. » (p. 14)
Question de méthode: « Traitant donc l’arrière-plan de la carrière de Muhammad et son époque mecquoise, j’ai avancé dans l’idée que les traditions doivent être en général acceptées, accueillies avec précautions, redressées aussi loin que possible sur tous les points où il y a lieu de soupçonner l’arrangement tendancieux, mais ne doivent être rejetées carrément que là où il y a une contradiction interne.” (p. 16)

Chapitre premier. Le cadre arabe
On évoquera la région entourant La Mecque et Médine (le Hidjâz au sens large), et le pays steppique adjacent du Nadjd.

1. Les données économiques
A vrai dire, le désert n’a joué aucun rôle déterminant dans le développement du monothéisme de Muhammad, mais il n’en reste pas moins que le désert a eu un rôle de première importance dans l’ensemble du phénomène de l’Islam.
La vie nomade est fondee sur la fréquentation de deux types de paysages: les pâturages saisonniers pour les chameaux et les contrées où les arbres réussissent à se maintenir.
Le lait et les dattes constituent les éléments essentiels de l’alimentation du nomade. Les céréales sont un luxe réservé aux puissants et aux riches.
Le nomade aime dérober les oisis et les caravanes. Comme il est bon guerrier, les marchands et les agriculteurs sont disposés à lui payer un tribut pour la protection de leurs foyers, de leurs troupeaux et pour le libre passage de leurs caravanes.
Yathrib (connu plus tard sous le nom de Médine) était un grand et florissant oisis à l’époque de Muhammad.
A La Mecque l’agriculture n’était pas pratiquable.
Le Yémen, ou l’Arabie Heureuse, était une région agricole fertile où l’irigation se pratiquait depuis les temps les plus anciens.
La Mecque était une cité commerciale, assise au milieu de rocailles dénudées. Il y avait un haram (sanctuaire où les gens pouvaient se rendre sans redouter d’être molestés).
A la fin du VIe siècle, la Mecque avait pris en main la plus grande partie du commerce entre le Yémen et la Syrie (route par laquelle l’Occident se procurait les marchandises de l’Inde aussi bien que l’encens de l’Arabie du Sud).
Ath-Thâ’if, était la rivale de La Mecque sur le plan commercial.
La Mecque était aussi centre financier. « Les dirigeants de la ville à l’époque de Muhammad étaient surtout des financiers, très expérimentés dans le maniement du crédit, extrêmement habiles dans leurs spéculations, et attentifs à toute opportunité de placement lucratif d’Aden à Gaza ou Damas. » (p. 21-22)
« Le Qur’ân ne fit pas son apparition dans l’atmosphère du désert, mais dans celle de la haute finance. » (p. 22)
On a invoqué comme cause économique de l’expansion de l’Islam quelque changement économic profond. Il n’y a pas de preuve certaine d’une détérioration significative des conditions climatiques dans la steppe. Par contre, l’impression générale qu’on retire est que les nomades ne s’y trouvaient pas moins bien que dans le passé.

2. La politique à La Mecque
Lutte continuelle pour le pouvoir.

a) Groupements politiques chez les Koréishites
Le sanctuaire de La Mecque remontait à une haute antiquité. Après avoir été tenu pendant longtemps par la tribu de Djurhum, il passa à celle des Khuzâ’ah auxquels étaient associés les Banû Bakr ben ‘Abd Manât ben Kinânah. Les Khuzâ’ah et leurs alliés cédèrent le pouvoir à Quçayy qui tira sa force en partie d’une alliance avec certains membres des Kinânah et des Qudhâ’ah, en partie pour avoir réuni divers groupes de Koréishites jusqu’alors désunis et sans influence.
Quçayy doit probablement être considéré comme le fondateur de la cité de La Mecque devenue autre chose qu’un simple campement autour du sanctuaire.

b) La direction des affaires à La Mecque
Il n’existait qu’un seul organe de gouvernement à La Mecque: le sénat (mala’). C’était une assemblée des chefs et dirigeants des divers clans, sans pouvoir executif propre.
Chaque clan était théoriquement indépendant et avait toute liberté d’agir.
Quelques fonctions traditionnelles à La Mecque:
- nasî (privilège de décider quand un mois devait être intercalé dans le calendrier lunaire pour l’aligner sur le calendrier solaire);
- siqâyah (la surveillance des approvisionnements d’eau particulièrement en vue des besoins des pèlerins);
- rifâdah (approvisionnement des pèlerins);
- liwâ’ (porter l’étendard à la guerre).
L’influence d’un individu dans les affaires de La Mecque dépendait de son clan et de ses qualités personnelles. Un riche héritage et des relations d’affaires pouvaient servir de tremplin, mais en fin de compte ce sont les qualités personnelles qui lancent l’individu. « La démocratie exercée par la politique mecquoise par Abû Sufyân pendant les débuts de Muhammad ne résultaient aucunement d’une charge, mais de l’importance et de la prospérité de son clan, ‘Abd Shams ou Umayyah, et de la possession de ces qualités [énoncées antérieurement: sagacité commerciale et financière, tact dans les relations avec les autres clans et tribus, aptitude à persuader ses pairs du clan et dans de plus larges cercles de se ranger à sa conduite]. » (p. 29)
Si on compare la position d’Abû Sufyân à La Mecque avec celle de Périclès à Athènes, on constate que la démocratie arabe était moins égalitaire que celle d’Athènes.
« Le mala’ mecquois était un corps beaucoup plus sage et plus responsible que l’ekklesia d’Athènes, par voie de conséquence, ses décisions étaient beaucoup plus souvent fondées sur de réels mérites des hommes, et non sur une rhétorique spécieuse toujours susceptible de présenter le pire sous l’apparence du mieux. D’un autre côté, tandis que les Athéniens donnaient la primauté aux principes moraux et tehnaient à honorer un homme parce qu’il était honnête et droit, les Mecquois se montraient plus sensibles à ce qu’un homme ait avant tout de l’esprit pratique et se montre dirigeant avisé. » (p. 29)

c) Les Koréishites et les tribus arabes
Chez les Arabes du désert, noblesse et prestige étaient en grande mesure une affaire de puissance militaire.
Les Koréishites étaient reconnus comme ayant la prééminence sur toutes les tribus de l’ouest et du centre-ouest de l’Arabie. En quoi consistait cette prépondérance? La théorie conformément à laquelle cette prépondérance était basée sur une armée mercenaire d’esclaves noirs est sans fondement. Le secret de leur prestige était la puissance militaire qu’ils pouvaient mobiliser en face de n’importe quel adversaire. C’était le pouvoir militaire d’une confédération édifiée sur une vaste entreprise commerciale.
« En soutenant une confédération de cette nature, l’argent jouait un rôle important, mais à lui seul insuffisant. Des hommes d’un caractère irascible et obstiné aussi marqué ne pouvaient être gagné que par beaucoup de tact, rendant lui-même nécessaire un réel contrôle de soi. Ce fut cette habileté d’homme d’Etat, prudente et patiente, le hilm des Koréishites, qui les rendit capables de maintenir leur confédération. » (p. 31)

d) La politique étrangère de La Mecque
La Mecque était dans la sphère d’intérêts de deux grandes puissances: l’Empire byzantin et la Perse, et d’une autre de moinde importance, le royaume d’Abyssinie (l’Ethiopie).
Il semble que entre les gigants, La Mecque avait une tradition de bonne entente avec Byzance (Ibn Qutaybah dit que « César » avait aidé Quçayy contre les Khuzâ’ah).
La conquête du Yêmen par les Abyssins aurait dû faciliter les choses aux Mecquois, à cause des bonnes relations entre Byzantins et Abyssins.
Dans les conflits qui l’entouraient, La Mecque a préféré une politique de neutralité, conforme à ses intérêts.

3. Le terrain social et moral
a) Solidarité tribale et individualisme
L’importance de la solidarité tribale est augmentée par les conditions de la vie au désert. Les tribus ne constituent pas des entités permanentes, mais se trouvent en voie d’accroissement ou de division ou de quelque sorte de dépérissement.
L’appelation arabe commune d’une tribu, d’un clan ou d’une famille est Banû (par exemple: Banû Fulâni’ signifie « les fils de Fûlan’).
La vengeance du sang illustre la solidarité tribale. La tribu d’un meurtrier este tenue responsable de cet acte, et la sanction est « une vie pour une vie ».
La tribu este fondée sur la parenté en ligne paternelle.
Il existait aussi une « solidarité artificielle » produite par hlif (confédération, serments mutuels) et par djiwar (garantie définie de protection).
Les Arabes constituaient une unité basée sur la langue, la tradition poétique commune, certaines conventions et une ascendance commune. La langue fut la base originelle de la distinction entre Arabes et « étrangers », ‘Arab et ‘Adjan, analogue à celle entre Grecs et barbaroi. Le mot ‘Arab veut souvent dire « nomade ». L’ascendance commune remontait à l’un ou l’autre de deux ancêtres: ‘Adnan ou Qahthân.
La solidarité tribale n’était cependant jamais absolue, étant donné le penchant vers l’individualisme des membres de la tribu. Les gens vivant en marge de la tribu, gens bons à semer le trouble, s’appelaient khalî’.

b) L’idéal moral
L’idéal moral des Arabes du désert peut être appelé murûwah (virilité). Décrit ainsi par R. A. Nicholson: « Bravoure au combat, patience dans l’adversité, ténacité dans la vengeance, protection des faibles, défiance envers les forts. »
L’Arabe n’appréciait pas de prendre des risques sans nécessité. La ténacité dans la vengeance est prise pour une vertu. Le fort est engagé à protégér le faible lorsque le faible reconnaît la supériorité du fort.
La générosité et l’hospitalité étaient grandement en honneur au désert et sont encore des vertus dominantes chez les Arabes. « La générosité était admirée même quand elle frisait la prodigalité la plus imprévouante, ainsi par exemple quand une pauvre femme tuait le chameau qui représentait son seul moyen de subsistance pour offrir un repas à l’étranger de passage. Peut-être trouverait-on dans cette manière d’utiliser avec largesse et prodigalité des choses tout à fait rares, quelque chose d’analogue aux extravagantes libations dont se vantaient les poètes. Verrions-nous en cela des aspects de la vertu de « ne pas se préoccuper du lendemain »? Probablement si l’on s’avisait au désert de songer à toutes les redoutables possibilités du désastre et si l’on essayait de se garantir contre toutes, on ne tarderait pas à s’exposer à la dépression nerveuse et à périr ou à s’en aller ailleurs, où à se placer sous la dépendance d’une tribu plus forte. Il y a beaucoup de choses au désert auxquelles on ne peut faire face par la circonspection, car les conditions sont souvent incertaines, imprévisibles et totalement variables. Un certain degré d’insouciance au centre des précautions représente la sagesse, et c’est sans doute pour cette raison qu’elle était si fort considérée. » (p. 42)
La loyauté et la fidélité n’avaient pas moins d’importance.
Bien qu’on n’eût guère de scrupules à s’approprier le bien d’une autre tribu, on apportait souvent la plus grande conscience à garder les choses confiées en dépôt.
« Ni avant l’Islam ni ensuite on ne vit se développer chez les Arabes l’idée abstraite de loi; même les influences grecques ne purent l’introduire dans la théologie islamique. Au lieu d’une loi suprême de l’univers, le Musulman croit en la volonté du Maître Divin de l’univers, exprimée dans Ses comandements révélées. » (p. 43)
L’homme était ce qui remplaçait l’idée abstraite de loi. Pratiquer l’hospitalité, garder les dépôts confiés, étaient les signes d’une condition honorable. Le manque de générosité ou de courage était une marque de déshonneur. Le gardien de l’honneur était l’opinion publique.
L’autorité de l’homme dépendait largement du degré de son murûwah.
Il n’existait pas de règle de succession par droit d’aînesse chez les Arabes pour des raisons évidentes.
« Compte tenu de cette reconnaissance de vertus morales et de leur aptitude à les discerner, les Arabes avaient accompli une sorte de combinaison d’aristocratie et d’égalitarisme, le règne du meilleur et le plus qualifié avec la confirmation de l’égalité de toute personne par rapport à une autre. » (p. 44)

4. Le terrain religieux et intellectuel
a) La décadence de la religion archaïque
Pierres et arbres étaient parmi les objets vénérés. Ils étaient considérés comme les demeures des divinités. La pratique du pèlerinage aux lieux sacrés dans et autour de La Mecque persistait.
Durat la crise de l’Etat mecquois, Abû Sufyân emporta les déesses al-Lât et Al-‘Uzzâ dans la bataille contre les Musulmans à Uhud.

b) « L’humanisme tribal »
« L’humanisme tribal » est une mentalité illustrée par les poètes de Djâhilîyah. Ce qui donne un sens à la vie c’est d’appartenir à une capable de se prévaloir d’exploits de bravoure et de générosité. La réalisation en actes des meilleurs qualités humaines est une fin en soi, tout en contribuant en même temps à la pérénité de la tribu.
Si le Qur’ân s’abstient dans ses premiers passages d’attaquer l’ancien paganisme, il s’oppose à cet humanisme dans son aspect religieux.
Les quatre points principaux pour lesquels la vie humaine était contenue dans d’étroites limites par le Destin était: rizq (soutien de l’homme), adjal (terme de sa vie), sexe de l’enfant, le bonheur ou le malheur. Il ne s’agit pas de religion, mais plutôt d’une forme de science. Ainsi, l’accomplissement de l’idéal de murûwah prenait place dans un cadre fixe.

c) L’apparition des tendances monothéistes
Le terme arabe pour Dieu, Allâh, est une contraction de al-ilâh, qui comme le ho theos des Grecs signifie simplement « le dieu », mais était communément pris dans le sens de « le dieu suprême » ou « Dieu ».
Il est possible qu’antérieurement à l’époque de Muhammad les Mecquois païens aient usé de « Allâh » pour désigner la principale divinité de Ka’bah, d’une manière analogue à l’usage selon lequel la divinité vénérée à ath-Thâ’if était connue sous le nom d’al-Lât, « la déesse ».
Hypothèse très probable: « […] alors que certains Mecquois reconnaissaient Dieu, il ne leur venait pas à l’idée que leurs vieilles croyances polythéistes étaient incompatibles avec la croyance en Dieu et ils ne les rejetaient pas. » (p. 49)
Les Arabes avaient de nombreuses occasions de contact avec des Chrétiens et des Juifs. L’empire byzantin et l’Abyssinie étaient deux pays chrétiens. Al-Hîrah, Etat vassal de la Perse, était un avant-poste de l’Eglise de Syrie orientale ou nestorienne. Il y avait des Chrétiens à La Mecque (commerçants, esclaves).
A Médine, il y avaient des Juifs qui vivaient côte à côte avec les Arabes. Il n’y avait pratiquement pas de Juifs à La Mecque.
Il est possible qu’il y ait eu des communautés professant un monothéisme basé principalement sur la philosophie grecque, les Sabéens par exemple.

Chapitre II. Première période de la vie de Muhammad et appel à sa vocation
1. Généalogie de Muhammad
Muhammad était le fils de ‘Abdallâh, fils de ‘Abd al-Muththalib, fils de Hâshim, fils de ‘Abd Manâf, fils de Quçayy, fils de Kilâb etc.
Plus tard, la dynastie des Abbâssides s’est flattée de descendre de Hâshim tandis que la dynastie qu’elle était parvenue à évincer, les Omeyyades, faisait remonter son origine à son frère, ‘Abd Shams.
Les quatre principaux fils de ‘Abd Manâf ont beaucoup fait pour le développement du commerce de La Mecque: ‘Abd Shams se rendit au Yémen, Hawfal en Perse, al-Muththalib en Abyssinie et Hâshim en Syrie.
Selon la tradition, ‘Abd Shams a cédé à Hâshim ses droits de fournir eau et vivres aux pèlerins parce que Hâshim était moins absorbé par des voyages d’affaires.
Hâshim se meurt à Gaza. Son frère, al-Muththalib, se retrouve à la tête du groupe entier.
Les fils de Hâshim, ‘Abd al-Muththalibm élevé à Médine, gagne La Mecque sur l’ordre de son oncle. Il creuse le puits de Zamzam à côté de la Ka’bah.
Pendant une courte période, la conduite des affaires passe des mains de Banû Hâshim à celles d’az-Zubayr ben al-Muththalib. C’est l’époque de la guerre de Fidjâr et de l’Hilf al-Fudhûl.
Le frère d’az-Zubayr, Abû Thâlib, est moins effacé. Respecté comme chef de clan, même si les affaires ne sont pas prospères. Muhammad prendra son fils, ‘Alî, pour vivre avec lui.
Le père de Muhammad, ‘Abdallâh, était un frère d’az-Zubayr et d’Abû Thâlib. Il mourut à un âge relativement jeune à Médine, au retour d’un voyage à Gaza, probablement peu de temps avant la naissance de Muhammad.
La mère de Muhammad était Aminah bint Wahb du clan de Zuhrah des Koréishites. Sa mère était du clan de ‘Abd ad-Dâr et sa grand-mère maternelle de celui de ‘Asad. Ainsi Muhammad était allié à plusieurs des principales familles de La Mecque.
« Dans l’ensemble, l’impression que nous avons est que le clan de Muhammad s’était trouvé autrefois à la pointe des affaires à La Mecque, mais qu’un tiers de siècle avant la mission de Muhammad son influence s’était réduite, si bien qu’il n’était plus alors qu’un membre en vue du groupe des clans plus pauvres et plus faibles. » (p. 56)

2. Naissance et enfance de Muhammad
Muhammad naquit l’année de l’Eléphant, l’année de l’entreprise manquée contre La Mecque (vers 570). Enfant posthume, il a été placé sous la garde de son grand-père ‘Abd al-Muthathalib. Confié à une nourrice appartenant à une tribu nomade, pour qu’il grandisse à l’air pur du désert.
Sa mère se meurt avant qu’il ait six ans, son grand-père deux ans après. Il tombe à la charge de son oncle Abû Thâlib.
La guerre de Fidjâr eut lieu quand Muhammad avait entre quinze et vingt ans. Il participa quelque peu au combat à côté de ses oncles.

3. Le mariage de Muhammad avec Khadîdjah
Khadîdjah bint Khuwaylid ben Asad engage Muhammad comme agent pour une caravane en Syrie. Auparavant, elle avait eu deux maris. Satisfaite des services commerciaux de Muhammad, elle lui fait une proposition de mariage. Elle avait quarante ans et Muhammad vingt-cinq.
Les mariés ont eu sept enfants: al-Qâsim, Ruqayyah, Zaynab, Umm Khultûm, Fâthimah, ‘Abdallâh (ath-Thayyib) et ath-Thâlim. Les garçons moururent tous jeunes.
Muhammad disposait désormais d’un capital sufisant pour prendre une part modérée dans des entreprises commerciales.

4. La vocation de prophète
a) Relation donnée par az-Zuhrî
D’après les récits traditionnels, à quarante ans Muhammad fut appelé par Dieu à être un prophète et commença à recevoir de lui ses révélations. Le début de la révélation fut pour le Messager de Dieu une vision véridique (ar-ru’yâ’ç-çâdiqah). Cela se fit en lui comme l’aurore.
Muhammad se rendait à une grotte à Hirâ’ pour se consacrer au tahannuth (exercices de dévotion).
Az-Zuhrî a été également connu sous le nom d’Ibn Shihâb.

b) Les visions de Muhammad
On ne trouve aucune mention de Gabriel dans le Qur’ân jusqu’à la période médinoise.
Il existe une contradiction, au moins apparente, entre la thèse soutenue par l’exégèse habituelle islamique de la Sourate an-Nadjm (53/1-8), qui affirme que Muhammad a vu l’ange Gabriel, et un fragment qui laisse suggérer que l’objet de sa vision était Dieu lui-même: « J’entendis une voix qui m’appelait, et regardant tout autour de moi, ne vis personne, alors, je levai la tête et il était là, assis sur un thrône.” (Bukhârî, 65, 74, I). Or, le Qur’ân est ici formel: « les regards (des hommes) ne L’atteignent pas. » (6/103)
L’explication est la suivante: ce que Muhammad avait vu était un signe, ou symbole, de la gloire et de la majesté de Dieu. Or, tandis que les yeux perceivent le signe ou symbole, le cœur perçoit la chose symbolisée d’une manière « directe ».

c) La visite à Hirâ’: tahannuth
Le sens précis et dérivé de tahannuth est incertain, bien qu’il s’agisse de façon évidente de certaines pratiques de dévotion. Le terme n’est pas sans relation peut-être avec l’hébreu tehinnôth ou tehinnoth (prières pour la grâce de Dieu).

d) « Tu es le Messager de Dieu »
Ces mots reviennent quatre fois dans les passages d’az-Zuhrî. Dans les deux derniers, c’est l’ange Gabriel qui parle, dans le premier: « la Vérité », dans le second, simplement « lui ».
La description de la première vision dans la Sourate an-Nadjm intervient dans un passage réfutant certaines des objections soulevées par les Mecquois sur l’authenticité des révélations communiquées par Muhammad.

e) « Récite »
Les mots mâ aqra’u par lesquels Muhammad répons à l’iqra’ de l’ange doivent être traduits: « Je ne puis lire » (ou « réciter »); ceci est mis en lumière par l’existence d’une variante mâ anâ bi-qârin (« Je ne suis pas lecteur ou récitant », Bukhârî, 65), et par la distinction dans Ibn Hishâm entre mâ aqra’u et mâthâ aqra’u où la seconde expression ne peut signifier que: « Que réciterai-je? ». « C’est aussi le sens le plus naturel de mâ aqra’u. » (p. 71)
Les mots qara’a et qur’ân apartiennent à ce vocabulaire religieux que le christianisme a introduit en Arabie. Qara’a signifie « lire, ou réciter solennellement des textes sacrés », tandis que qur’ân est le qeryâna syrien employé pour désigner la « lecture » ou leçon de l’Ecriture.
« A qui et en quelles occasions Muhammad eut à réciter? Cette question n’est pas clairement discutée dans les traditions. L’interprétation la plus naturelle est que Muhammad eut à réciter ce qui suivait en tant que part du culte formel de Dieu. Cela s’accorde à l’usage syriaque et au fait en outre que les Musulmans appellent encore la récitation d’une sûrah ou de plusieurs sourates dans leur çalât ou Culte la qurâ’ah. » (p. 71)
Le Qur’ân commence avec l’ordre d’adoration exprimé dans la Sourate al-‘Alaq.

f) La sourate al-Muddaththir, la Fatrah
Selon Djâbir ben ‘Abdullâh al-Ançâri, les versets de préambule de la sourate al-Muddaththir, ceux qui contiennent les mots: « Lève-toi et veille » semblent un ordre d’agir désormais en apôtre ou messager, mais ne sauraient cependant représenter la première révélation qu’au cas où Muhammad se serait aussitôt engagé dans son ministère public, snas aucune période de préparation.
La tradition islamique dit qu’avant les dix années à La Mecque, quand la révélation fut faite à Muhammad par Gabriel, il se passa trois ans où elle fut communiquée par Asrâfil. Le début de ces trois années est souvent décrit comme période de venue de la nubûwah ou mandat d’être prophète, et le début des dix ans comme période de venue de la risâlat ou mandat d’être un messager ou apôtre.
Il y a une fatrah ou trou dans la révélation.
Le mot muddaththir est communément donné pour signifier « enveloppé dans un dithâr », autrement dit, dans « un manteau ».
« Il y eut dans la carrière de Muhammad prophète ce que nous pourrions appeler un stage préparatoire, durant trois ans. Il commença alors à recevoir des révélations d’un certain genre. Il est dit dans les traditions d’Asrâfil que Muhammad « entendait sa voix mais ne voyait pas son visage ». La première partie de la Sourate al-‘Alaq et la Sourate adh-Dhulâ peuvent aussi en révéler. Peut-être y eut-il également des révélations d’un caractère plus intime que Muhammad n’aurait pas jugées comme faisant partie du Qor’ân. Vers la fin de ces trois années, aurait pris place la fatrah. Le passage du ministère non-public au ministère public se placerait au moment le plus naturel de ces visions, celui où aurait été énoncé le titre de « Messager de Dieu » et aussi de la Sourate al-Muddaththir […]. » (p. 74)

g) Crainte et désespoir de Muhammad
Muhammad a vécu la crainte en raison de la présence divine, et aussi de la détresse jusqu’à lui inspirer des idées de suicide. La crainte de l’approche divine prochaine a de profondes racines dans la mentalité sémitique, ainsi qu’en témoinge l’Ancien Testament.
« Il serait toutefois difficile de prêter des idées de suicide à Muhammad, à moins qu’il eût déclaré quelque chose d’assez explicite pour y donner aliment. » (p. 75)

h) Encouragements de Khadîdjah et de Waraqah
Comme Muhammad manque de confiance en lui, il est rassuré par Khadîdjah et Waraqah. Le dernier nomme les révélations de Muhammad avec le terme nâmûs, communément donné comme dérivant du nomos grec et désignant donc la loi, les écritures des Juifs et des Chrétiens.
Des hommes avec lesquels Muhammad avait été en contact étroit, Waraqah émerge en raison de sa connaissance des Ecritures des Chrétiens.
« Il est ainsi plus simple de supposer que Muhammad avait entretenu des relations fréquentes avec Waraqah de bonne heure et beaucoup appris. Les conceptions islamiques postérieures ont pu être largement imprégnées des idées de Waraqah, ce qui revient à poser le rapport de la révélation de Muhammad avec les révélations antérieures. » (p. 77)

5. Forme de la conscience prophétique de Muhammad
Depuis l’étude de Carlyle sur Muhammad dans Heroes and Heroworship, l’Occident s’est rendu compte qu’il existait de bons arguments pour être convaincu de la sincérité de Muhammad.
« Sa volonté de supporter d’être persécuté pour sa foi, le caractère élevé des hommes qui croyaient en lui et pour qui il était un chef, enfin la grandeur de son œuvre dans ses dernières réalisations, tout témoigne de sa foncière droiture. Soupçonner Muhammad d’être un imposteur soulève plus de problèmes que cela ne résout. Aucune des grandes figures de l’histoire n’a pourtant été appréciée de façon aussi indigente en Occident que Muhammad. Les écrivains occidentaux se sont montrés surtout enclins à croire le pire de Muhammad et chaque fois que la moinde interprétation critique d’un fait pouvait passer pour plausible, ont tendu à l’accepter pour monnaie comptant. » (p. 77)
Il faut distinguer le Qur’ân de la conscience normale de Muhammad, puisque la distinction était pour lui fondamentale. « Il a dû dès le début distinguer soigneusement lui-même ce qui, comme il le croyait, l’atteignait d’une source surnaturelle et ce qui provenait de ses propres pensées. Comment il fit au juste la distinction ne ressort pas très clairement, mais le fait qu’il le fit est aussi certain que les événements les plus historiques. Nous ne saurions d’aucune manière l’imaginer insérant des vers de sa composition parmi ceux l’ayant touché d’une source indépendante de sa conscience (aussi qu’il le croyait). » (p. 78)
Une partie de la théorie islamique orthodoxe considère que certaines révélations ont été abrogées par d’autres.
Trois points de vue:
- Les Musulmans orthodoxes soutiennent que le Qur’ân est dans son origine totalement surnaturel. C’est la Parole incréée de Dieu (bien que le véhicule matériel – les sons, les signes sur le papier, etc., soient créés).
- Le séculariste occidental soutient que le Qur’ân est l’œuvre d’une part de Muhammad autre que son esprit conscient.
- Le Qur’ân est l’œuvre de l’activité divine mais produite à travers de la personnalité de Muhammad et de telle manière que certains traits du Qur’ân doivent être attribués avant tout à la nature humaine de Muhammad (c’est l’opinion des Chrétiens qui admettent une certaine part de vérité divine dans l’Islam).
L’auteur du présent étude n’a choisi aucun des trois points de vue, les considérant « extérieurs au domaine de l’histoirien » (p. 78).
Pour décrire les visions évoquées dans la Sourate An-Nadjm, il est outile de recourir à quelques termes techniques, tels qu’ils ont été employés par A. Poulain dans The Graces of Interior Prayer. Poulain distingue entre types de visions intérieures et visions extérieures. « Les locutions extérieures consistent en paroles saisies par l’oreille bien que n’ayant pas été émises naturellement; et de même les visions extérieures (ou oculaires) sont des visions d’objets matériels, ou qui semblent tels, perçus par les yeux. » (p. 79)
Les visions de la Sourate an-Nadjm sont des visions extérieures.
Les locutions intérieures sont divisées par Poulain en visions imaginatives et intellectuelles.
Les visions imaginatives sont reçues directement sans l’assistance de l’ouïe. Les visions intellectuelles sont une communication de pensée sans mots et par conséquent sans aucune forme de langage défini.
Les « manières » (kayfîyât) de révélation ont constitué un sujet de discussion chez les docteurs de l’Islam. Dans l’Itqân, as-Suyûthî en mentionne cinq différentes; les savants en ont dénombré jusqu’à dix. Les principales sont celles mentionnées dans la Sourate ash-Shûrâ: « Il n’est point donné à l’homme qu’Allah lui parle directement. Il le fait seulement par inspiration (wahyan) ou derrière un voile ou par l’envoi d’un Apôtre qui révèle (fayûhiya) avec sa permission ce qu’Il veut… C’est ainsi que Nous t’avons inspiré par un Esprit à notre ordre (awhyanâ). » (42/50-52)
La première « manière » est où Dieu parle par wahy. Richard Bell en dit: « en tout cas dans les premiers morceaux du Qur’ân, wahy ne veut pas dire communication verbale du texte d’une révélation, mais est: « suggestion », « souffle » ou « inspiration » survenant à l’esprit de quelqu’un et venant du dehors ».
La seconde « manière » s’observe quand Dieu lui parle de derrière un voile. Les mots « de derrière un voile » suggèrent qu’il ne s’agit pas d’une vision de celui qui parle, mais se fait ajouté à la mention de paroles prononcées semble impliquer que les paroles furent entendues et qu’il s’agit par conséquent d’une locution imaginaire (ou même d’une locution extérieure).
La troisième « manière » s’observe là où Dieu envoye un messager pour suggérer (fa-yûhiya) une communication au prophète. Certains savants islamiques ont adopté l’opinion que le messager était Gabriel. Quand même, les savants occidentaux ont noté que Gabriel n’est pas nommément cité dans le Qur’ân avant la période médinoise.
« Affirmer que les visions et les locutions de Muhammad sont des hallucinations comme l’ont avancé certains, c’est tenir un jugement théologique sans être pleinement informé de ce qui s’est produit, et par conséquent afficher une affligeante ignorance de la science et du bon sens d’auteurs comme Poulain et de la discipline de la théologie mystique qu’ils représentent. » (p. 82-83)
Des adversaires de l’Islam ont souvent affirmé que Muhammad était épileptique et que par conséquent ses expériences religieuses n’étaient pas valables. « En fait, les symptômes décrits ne sont pas identiques à ceux de l’épilepsie, cette infirmité conduisant à un délabrement physique et mental, tandis que Muhammad n’a jamais cessé jusqu’au bout d’être en pleine possession de ses facultés. Puis, même si l’allégation pouvait se soutenir, l’argument serait absolument contraire à tout bon sens, sans aucun fondement que celui de l’ignorance et du préjugé. Des manifestations physiques concomitantes n’ont jamais consacré ni discrédité en soi une expérience religieuse. » (p. 32)

6. Chronologie de la période mecquoise
La question des dates exactes n’est pas d’une réelle importance pour une bonne compréhension de la vie de Muhammad, et l’on n’aura guère à gagner en entreprenant d’aller plus loin que le tableau inscrit dans les œuvres des écrivains musulmans sur ce sujet.
Les écrivains musulmans sont d’accord sur quatre points:
- pendant 3 ans Muhammad a exposé secrètement son message à des amis intimes et n’a commencé à prêcher publiquement qu’à la fin de cette période;
- la cinquième année prend place l’émigration en Abyssinie, autrement dit, la deuxième année après le début de la prédication publique;
- le boycott du clan de Hâshim commença après l’émigration en Abyssinie et dura de deux à trois ans;
- Abû Thâlib et Khadîdjah sont morts après la fin du boycott et trois ans avant l’Hégire (622 ap. J.-C.).
Dans ses Annales, Caetani adopte, non sans réserves, le tableau suivant:
610 – première révélation;
613 – débuts de la prédication publique;
614 – entrée dans la Maison d’al-Arqam;
615 – émigration en Abyssinie;
616 – débuts du boycott de Hâshim;
619 – fin du boycott; morts de Khadîdjah et Abû Thâlib; voyage à ath-Tha’if;
620 – premiers convertis médinois;
621 – première convention d’ ‘Aqabah;
622 – seconde convention d’ ‘Aqabah; Hégire.
Le but principal de ce tableau est de nous faire comprendre que le développement de l’Islam à La Mecque fut un processus lent.

Chapitre III. Le message initial
1. Datation du Qur’ân
Le problème du message original est celui des premiers fragments.
Les docteurs de l’Islam sont parvenus à un certain accord sur le point de savoir quels avaient été les sourates et versets révélés à La Mecque et ceux révélés à Médine.
Le savant allemand Théodore Nöldeke, dans son Histoire du Qur’ân publiée en 19860, a avancé un critère: il trouva que si l’on étudiait la longueur des versets et si on en faisait la comparaison avec les données de la tradition sur les circonstances, les premières sourates réputées telles, avaient des versets courts et les sourates réputées postérieures avaient des versets longs. Il avança dès lors l’hypothèse que les passages étaient plus anciens ou plus récents selon que leurs lignes étaient plus courtes ou plus longues. S’appuyant sur ce critère, Nöldeke rangea les sourates en quatre périodes, trois mecquoises et une médinoise.
Le principal progrès réalisé depuis Nöldeke ressort du travail de Richard Bell contenu dans sa Traduction du Qur’ân, publicée en 1937-1939. Il entreprend de rendre aux sourates leur stricte composition originelle et de donner une date aux passages séparés (autrement dit, il prétend « réorganiser » al-Qur’ân).
Objection sur la méthode de Richard Bell: « En considérant le message original du Qur’ân, il faut être très prudent sur l’emploi du critère du contenu. Si l’on en est à dire: « les sourates X, Y, Z,… ne peuvent pas être au nombre des premières parce qu’elles contiennent l’idée du jugement après la mort » et qu’on en vienne à ajouter: « l’idée du jugement après la mort n’est pas au nombre des premières parce qu’on ne la trouve dans aucune des premières sourates » on est dans un cercle vicieux. » (p. 87)
Aparemment les premiers messages coraniques sont contenus dans les versets: 96/1-8; 74/1-10; 106; 90/1-11; 93; 86/1-10; 80/1-32 (23 omis?); 87/1-9, 14-15; 84/1-2; 38/17-20; 51/1-6; 52, fragments; 55. Ceux-ci constituent le message initial du Qur’ân, le kerygma prophétique originelle.

2. Contenu des premiers passages
a) Bonté et puissance de Dieu
Le thème de 96/1-5, passage communément considéré comme le tout premier, est la création de l’homme par Dieu.
Le thème de la création est développé dans 80/17-22.
La Sourate 55/1-3, associe également création et conduite.
88/17-20 parle toujours de Dieu Créateur, tandis que les premières parties de 55 font mention des corpes célestes et des mers.
Ainsi, l’aspect le plus important des premiers passages est celui du nombre important des versets exposant le thème de la bonté et de la puissance de Dieu.
Il est surprenant le fait que dans ces passages il n’y a aucune mention de l’unité de Dieu. Rien n’intervient pour mettre l’accent sur cette doctrine ni rien pour dénoncer l’idôlatrie.

b) Le retour à Dieu pour le Jugement
Sourate al-‘Alaq, verset 8: « En vérité, c’est au Seigneur qu’apartient le retour. » Ceci implique qu’il s’agit d’un « jugement après la mort ».
Une description complète du Jugement Dernier se trouve dans 84/1-12.
D’autres allusions directes au Jugement Dernier se trouvent à 51/5 et 52/7.
Nous pouvons rejeter sans hésitation toute opinion telle que celle de Frants Buhl et de Tor Andras qui voient dans la craitne des tourments du damné le propos primordial de la vie religieuse de Muhammad au cours de la première période mecquoise.

c) La réponse de l’homme – gratitude et culte
Devant la bonté de Dieu, l’homme a le devoir de Lui être reconnaissant et de L’adorer. La gratitude est le sentiment intérieur de l’homme qui lui fait convenir de sa confiance en l’Unique puissant et bon. L’adoration est l’expression formelle de cette confiance, de la bonté et de la puissance de Dieu.
Le passage 80/16 fait allusion à l’ingratitude de l’homme par rapport à la bonté et à la puissance de Dieu.
Kâfir signifie incroyant, l’ingrat envers Dieu, qui a repoussé son messager.
L’attitude opposée à la gratitude est définie par les mots thaghâ (présomption) et istaghnâ (indépendance), comme dans 96/6.
« Le sens fondamental de thaghâ semble être: il (c’est-à-dire un torrent ou une masse d’eau) s’est enflé jusqu’à dépasser la limite ordinaire de l’abondance. Il en est alors venu à vouloir dire, par métaphore, insolent, dépassant les brnes, l’idée apparaît d’un homme allant de l’avant sans égards pour les obstacles et en particulier sans égards pour les considérations morales et religieuses, qui ne se laisse arrêter par rien et nourrit une confiance sans bornes en sa propre puissance. » (p. 93-94)
C’était l’attitude à laquelle les Mecquois fortunés étaient sujets – la confiance dans la richesse.
Le mot istaghnâ est difficile à traduire, parce qu’il implique à la fois richesse et indépendance. Le sens fondamental surpris dans sa racine est « libre de besoins ».
La gratitude trouve son expression dans l’adoration. D’où les divers commandements d’adoration dans les premiers passages.
« L’adoration fut dès le début un trait distinctif de la communauté de Muhammad. Il s’astreignait lui-même à des exercices de dévotion même avant la première révélation, et les premiers Musulmans observèrent un certain temps la pratique de la prière de nuit. » (p. 95)
« Nous devons dant tout cela essayer de faire table rase de l’idée d’adoration fréquemment trouvée en Occident, qui en considère l’essence comme inhérente à un sentiment subjectif, peut-être décrit comme un sens de la présence de Dieu. Les Arabes retiennent beaucoup plus les aspects objectifs de l’adoration, et tout spécialement sa signification. » (p. 95)

d) La réponse de l’homme à Dieu – générosité, purification
Le Qur’ân inculque une morale qui découle de la gratitude envers Dieu.
D’un bout à l’autre du Qur’ân ath-thazakkî signifie islâm. Autrement dit, « se purifier soi-même » est équivalent à « se livrer à Dieu » ou « devenir un Musulman ».
Tazakkâ dans les passages mecquois se rapporte à l’emploi similaire de la racine en hébreu, araméen et syriaque. Il désigne la pureté morale, fait penser aux vertus de vie grâce auxquelles un homme s’assure de recevoir une récompense éternelle. C’est aussi ce que nous voulons dire par droiture.
« Nous sommes alors en présence d’une donnée surprenante et troublante, et d’une extrême importance pour al compréhension de la nature de la kerygma coranique. La part éthique du Décalogue est presque entièrement ignorée. Il n’y a aucune mention de respect envers les parents, envers la vie, le mariage et la propriété, ni de véracité dans le témoignage, on n’y trouve d’approchant que l’injonction de s’abstenir de cupidité, et même il y a encore des différences. La première éthique coranique est entièrement limitée à des questions de générosité, de pingrerie et d’avarice, à ce qu’en un mot l’Occident tend à nommer œuvres de surérogation. » (p. 98)

e) Vocation propre de Muhammad
Versets adressés à Muhammad: « Lève-toi et veille. » (andhir) 74/2. « Et souviens-toi, car en vérité, le souvenir est utile. » (dhakkir) 87/9.

3. Relations de message avec l’époque
Ce message s’appliquait spécialement à La Mecque de l’époque.

a) Social
La tendance de l’époque était un affaiblissement de la solidarité sociale et un développement de l’individualisme. Le souci d’amasser des fortunes est un signe de cet individualisme.
S’il ne semble pas qu’une très grande pauvreté soit alors développé à La Mecque, il est probable par contre que le fossé entre riches et pauvres s’était élargi dans les dernières cinquante ans. Tout ceci a dû signifier une perte du sens de la communauté.
Selon le Qur’ân, il fallait que l’argent cessât d’être un facteur de division sociale, et il fallait d’amener les riches à reconnaître qu’ils étaient gérants plutôt que propriétaires absolus de leurs fortunes.
Chez l’homme, la conscience de soi en tant qu’individu avait pris naissance, et devait dès lors être acceptée et prise en considération.

b) Moral
L’idéal nomade de murûwah n’a plus de sens dans une communauté mercantile.
La vertu de générosité, qui a pour opposé le vice d’avarice, est un élément du vieil idéal arabe. Or, le comportement des riches Mecquois aurait passé pour contraire à l’honneur au désert, mais il n’existait rien dans l’atmosphère de la cité pour leur en faire éprouver de la honte. Le Qur’ân, en insistant sur les actes de générosité, faisait revivre un aspect de l’ancien idéal arabe, et bâtissait sur des fondations déjà présentes à l’esprit des Arabes.
L’idéal moral est un ordre de Dieu.
Le mot tazakkî était appliqué à un homme quand il reconnaissait le principe suivant lequel le destin éternel de quelqu’un repose sur la valeur éthique de sa vie. Ce concept sera remplacé plus tard par celui d’islâm ou soumission totale à Dieu.

c) Intellectuel
Les Mecquois en venaient à nourrir une opinion exagérée des pouvoirs de l’homme et à oublier le caractère précaire de la créature.
Même pendant la Djâhilîyah, quatre choses étaient soustraites au contrôle de l’homme: sa subsistance, l’heure de sa mort, son bonheur ou son malheur et le sexe d’un enfant. Cela constituait un cadre fixe de la vie d’un homme à l’intérieur duquel il demeurait libre de pratiquer le murûwah.
Les dirigeants mecquois, ceux qui détenaient le pouvoir politique et n’étaient pas précisément des exemples remarquables de murûwah, ont dû éprouver des doutes intellectuels sur la destination finale de la murûwah en tant qu’idéal et peut-être aussi sur l’influence de l’hérédité et son aptitude à transmettre la murûwah.
Les actes de la vie humaine que les païens mettent au compte du Destin ou du Temps (dahr) sont mis au compte de Dieu. La puissance et la bonté de Dieu sont montrées propres à jeter des semences qui grandiront. C’est Dieu qui décide de la mort de l’homme et au Dernier Jour décide de sa félicité ou de sa misère définitives.

d) Religieux
La vieille religion nomade puisait le sens de la vie dans l’honneur et dans la perpétuité de la tribu puisque c’était dans la tribu que l’honneur s’incarnait.
« Cette attitude religieuse s’était brisée à La Mecque en raison de l’individualisme croissant, en raison de l’affaiblissement de l’opinion publique tenant lieu, en quelque sorte, de registre de l’honneur, et enfin de l’inopportunité de l’idéal de murûwah qui était la base de l’honneur. Il s’était formé à La Mecque un nouvel idéal, la primauté donnée à la fortune plutôt qu’à l’honneur, et bien d’autres que les riches y souscrivaient aussi. » (p. 106)
Le Qur’ân voit dans la confiance en l’argent le pêché dominant des Koréishites. La confiance en l’argent porte avec elle un excès d’égoïsme et conduit l’homme à oublier sa dépendance envers Dieu. Les exhortations coraniques à la gratitude, à l’adoration, sont des exhortations à reconnaître et confesser la dépendance de l’homme envers Dieu, et donc à abandonner toute confiance excessive en la richesse.
Même si les actes de générosité avaient des suites sociales et économiques, cela ne constituait pas l’aspect le plus important du problème.
« Quoi qu’il en soit, l’enseignement des premiers passages du Qur’ân trouve son point culminant dans l’enseignement de la bonté et de la puissance de Dieu (en tant que Créateur et Juge) et dans l’exhortation faite à l’homme de reconnaître et exprime sa dépendance envers Dieu. » (p. 108)

4. Autres reflexions
a) Conditions économiques et religion
Les troubles de l’époque mecquoise furent avant tout de caractère religieux.
Selon une thèse, la naissance de l’Islam n’est pas sans rapports avec le paysage d’une économie nomade à une économie de négoce.
Le changement économique ne se produit pas in vacuo, mais dans une communauté déjà dotée d’une certaine constitution sociale, morale, intellectuelle et religieuse. Le trouble est la conséquence d’une incapacité de l’homme à s’ajuster au changement économique à cause de certaines attitudes antérieures. « Les nouvelles circonstances économiques conduisent l’homme à un accroissement de sa confiance en lui sans la compensation du sentiment de sa nature d’être créé, à un individualisme dans les affaires sociales sans la compensation d’un nouvel idéal moral ni d’une nouvelle vision religieuse pour donner une signification à l’individu. » (p. 108-109)
Dans une catastrophe spirituelle, le Qur’ân fournit une analyse de la situation et une guide pour l’action.
« Le Qur’ân considère donc les troubles de l’époque sont d’abord dus à des causes religieuses en dépit de sous-courants économiques, sociaux et moraux et ne sauraient être redressés que par l’intervention de mouens avant tout religieux. Considérant la réussite des efforts de Muhammad, hardi serait celui qui mettrait en doute la sagesse du Qur’ân. » (p. 109)

b) Originalité du Qur’ân
Il faut considérer la kerygme coranique comme une irruption créatrice dans la situation mecquoise.
« Le kerygme coranique résout certes des problèmes sociaux, moraux, intellectuels, mais pas tous à la fois ni tous de manière évidente. Un historien séculier dirait que ce fut par pure chance et pour des raisons secondaires que Muhammad trébucha sur des idées qui étaient la clé de la solution des problèmes fondamentaux de son temps; et cela n’est pas plausible. Ni un tâtonnement empirique ni une pensée pénétrante et acharnée ne rendent compte comme il faut de la kerygme coranique. » (p. 110)
L’irruption créatrice coranique est d’une forme littéraire typiquement arabe, bein qu’il n’existe pas d’autres littérature arabe tout à fait comparable.
Tout réformateur, et Muhammad n’y fait pas exception, s’adresse aux gens tels qu’ils sont. Les sourates mecquoises ne contiennent aucune critique de l’usure, l’ordre de ne pas la pratiquer ne pouvait se concevoir comme règle mise en pratique que du jour où une nouvelle communauté se constituerait sur la base du commandements divins énoncés dans le Qur’ân.
« Il est clair qu’il existe un certain contraste entre la prédication de Muhammad, sur la base du Qur’ân, et les anciens modes de pensée arabes. S’il n’en avait pas été ainsi, il n’y aurait pas eu une opposition violente contre lui. On peut toutefois distinguer entre l’aspect religieux et l’aspect strictement moral de murûwah. L’aspect religieux est ce que j’ai appelé humanisme; il consiste en une fierté de l’homme, de ses accomplissements et le sentiment que le sens de la vie doit être trouvé dans l’excellence humaine; cela, le Qur’ân l’attaque sans équivoque et avec force. L’aspect purement éthique (ce que j’ai à l’esprit en général en parlant de murûwah), c’est l’idéal moral incluant bravoure, patience, générosité, fidélité et autres vertus comparables. C’est ce que le Qur’ân se garde toujours d’attaquer et qu’il reproche même aux Mecquois de ne pas observer. » (p. 111)
Contre le devoir de la vengeance, Muhammad a prêché le pardon.
L’Islam a imposé des limitations à la liberté personnelle, par exemple par rapport au vin et aux femmes.
L’Islam a institué un mode de prière impliquant une attitude incompatible avec l’amour de l’indépendance des nomades.
« Le Qur’an est une irruption créatrice dans la vie mecquoise. Discuter de ses « sources », c’est à peu près la même chose que discuter des « sources » de l’Hamlet de Shakespeare. » (p. 112)
On peut se poser la question jusqu’à quel point les parallèles entre Qur’ân et conceptions judéo-chrétiennes comportaient de rapports avec les idées présentes à l’esprit de ces gens avant que le Qur’ân leur fût révélé.
En ce qui concerne les idées fondamentales telles que la conception de Dieu et du jugement, le Qur’ân et la science occidentale soutiennent ensemble que les conceptions coraniques sont en gros identiques à celles du judaïsme et du christianisme. « Cela doit-il signifier que le Qur’ân n’est pas une œuvre originale, n’est pas une irruption créatrice? Pas du tout. L’identité, pour autant qu’il y ait identité, découle du fait que le Qur’ân est destiné à des gens (Muhammad inclus) dont certains étaient déjà familiarisés avec ces idées, bien que de manière peut-être asses vague ou obscure. Ici comme ailleurs le Qur’ân s’adresse aux gens tels qu’ils sont. Aucun Juif ni Chrétien de langue arabe n’eût pu parvenir au succès de Muhammad en paraissant à La Mecque pour y prêcher ses idées juives ou chrétiennes, l’expression en eût été trop étrangères. Le Qur’ân avance ces idées judéo-chrétiennes dans la forme « arabisée » sous laquelle elles étaient déjà présentes dans l’esprit des Mecquois les plus éclairés. Son originalité consiste en ce qu’il leur donna plus de précision et de détail, les présenta avec plus de force et, en mettant l’accent sur telle ou telle chose, en fit une synthèse plus ou moins cohérente, par dessus tout enfin, il a tout concentré sur la personne de Muhammad et sur sa vocation particulière de messager de Dieu. La révélation et le prophétisme sont certainement des idées judéo-chrétiennes. Dire « Dieu se révèle Lui-même par la personne de Muhammad » n’est pas une répétition pure et simple du passé, mais une part d’une irruption créatrice. » (p. 113)
Il est d’étroites analogies entre le Qur’ân et les documents judéo-chrétiens non point d’ordinaire les livres canoniques de la Bible, mais les œuvres rabbiniques et les apocryphes non orthodoxes du Nouveau Testament. Dans ces cas-là, le savant occidental résiste difficilement à conclure que le Qur’ân est l’œuvre de Muhammad et qu’il répète des histoires déjà entendues.
Le point de vue musulman admet que Muhammad a pu avoir ainsi connaissance des faits nus, mais que les significations le dépassaient largement.

Chapitre IV. Les premiers musulmans
1. Récit de tradition des premiers convertis
Il est unanimement admis que Khadîdjah fut la première à croire en son mari et à son message.
On n’est pas sûr quant au premier musulman mâle: ‘Alî, Abû Bakr ou Zayd ben Hârithah. ‘Alî avait à l’époque neuf ou dix ans. A l’époque de l’affaire d’Abyssinie, Abû Bakr était le musulman le plus important. C’est peut-être Zayd ben Hârithah qui aurait les meilleures titres à être considéré comme le premier Musulman masculin, puisqu’il était un affranchi de Muhammad et il y avait un fort attachement mutuel.
Selon ath-Thabarî, après ces trois les convertis sont: ‘Uthmân ben Affân, az-Zubayr ben al-‘Awwân, ‘Abd ar-Râhman ben ‘Awf, Sa’d ben Abî Waqqâç, Talhab ben ‘Ubaydallâh.
La liste des premiers Musulmans fournie par Ibn Ishâq peut être acceptée comme exacte en gros. « Il est à noter que cette liste contient les noms d’un certain nombre de personnes n’ayant pas joué de rôle éminent plus tard bien qu’ayant apparemment tenu le devant de la scène au cours de la période initiale. » (p. 116)
Il faut citer:
- Khâlid ben Sa’îd ben al-‘Âç, dont le père était à l’époque le financier le plus influent à La Mecque;
- Sa’îd ben Zayd ben ‘Amr, dont le père avait été un « chercheur de religion » avant la prédication de Muhammad;
- Nu’aym an-Nahhâm qui était peut-être le chef du clan de ‘Adî mais ne se rendit à Médine qu’en 6 après l’Hégire.

2. Les premiers Musulmans
Hâshim. Sous la direction d’Abû Thâlib, le clan perdiat du terrain. A part Muhammad et sa maison, les principaux premiers convertis furent Dja’far ben Abî Thâlib et Hamzah ben ‘Abd al-Muththalib. Leurs positions dans le clan semblent être inférieures.
Al-Muththalib. Ce clan faible et dépendant beaucoup du précédent. Un des premiers convertis, ‘Ubaydah ben al-Hârith, avait dix enfants mais tous nés d’esclaves concubines.
Taym. Un autre clan qui ne comptait guère dans les affaires de La Mecque. Au cours de la jeunesse de Muhammad, son dirigeant fut ‘Abdallah ben Yud’ân. Parmi les convertis il faut citer: Abû Bakr, Thalhah et Çuhayb ben Sinân.
Zuhrah. Ce clan semble avoir été beaucoup plus prospère que ceux de Taym et al-Muththalib. Certaines branches étaient en relation d’affaires avec ‘Abd Shams. Le principal personnage converti fut ‘Abd ar-Rahmân ben ‘Awf, âgé de 43 ans à Hégire et qui avait la réputation d’être un homme d’affaires fort astucieux. Un autre converti fut Sa’d ben Abî Waqqâç, âgé de 17 ans seulement au moment de sa conversion. Il est à noter qu’un de ses frères, ‘Utbah ben Abî Waqqâç, fut l’un des quatre personnages qui, devant Uhud, avaient juré de tuer Muhammad ou de mourir.
‘Adî. Ce clan avait antérieurement dépendu d’Ahlaf, mais il était maintenant rapproché de Makhzûm et d’Ahlâf. Mamar ben ‘Abdallâh a été son premier converti. Un autre converti fut Nu’aym ben ‘Abdallâh, qui tous les mois distribuait de la nourriture aux pauvres du clan.
Al-Hârith ben Fihr. Clan à la limite entre Koréishites al-Bithâh et Koréishites az-Zawâhir. Les principaux premiers convertis furent ‘Abd ‘Ubaydah ben al-Djarrâh et Suhayl ben Baydhâ’.
‘Âmir. Autre clan à la limite entre Koréishites al-Bithâh et Koréishites az-Zawâhir. Le principal membre qui se rendit à Badr fut Suhayl ben ‘Amr. Les deux représentants du clan dans la liste des Musulmans de la première heure furent ses frères, Hathib et Salîth.
Asad. Ce clan fonctionnait dans la sphère des « grosses affaires ». Zam’ah ben al-Aswad, Abû ‘l-Bakhtarî, Nawfal ben Khuwaylid et Hakîm ben Hizâm jouaient un rôle de premier plan parmi les païens de La Mecque. Az-Zubayr y fut apparemment le premier converti à l’Islam.
Nawfal. Peu nombreux, c’était quand même un des plus influents clans à La Mecque. Le seul Musulman cité par Ibn Sa’d parmi eux – et non l’un des premiers – fut un confédéré du clan et son affranchi.
‘Abd Shams. – Celui-ci disputait à celui de Makhzûm la première place à La Mecque. Après Badr, Abû Sufyân ben Harb devint le premier citoyen de La Mecque, plusieurs des principaux personnages de Makhzûm ayant été tués. Les premiers convertis de ce clan furent ‘Uthmân ben ‘Affân, Abû Hudhaufah ben ‘Utbah ben Rabî’ah, Khâlid ben Sa’îd et la famille des confédérés Djahsh.
Makhzûm. Apparemment le groupe politique dominant à La Mecque. Le clan était nombreux. Les deux principaux convertis de la première heure étaient Abû Salamah et al-Arqam.
Sahm. Un des plus puissants clans. Al-‘Âç ben Wâ’il et al-Hârith ben Qays sont cités parmi les principaux ennemis de Muhammad. Le seul converti de première heure cité fut Khunays ben Hudhâfah ben Qays.
Djumah. Egalement puissant, mais pas autant que Sahm. ‘Uthmân ben Maz’ûn fut l’un des plus importants Musulmans de la première heure. ‘Uthmân paraît avoir incliné au monothéisme et à l’ascétisme avant même d’avoir rencontré Muhammad.
‘Abd ad-Dâr. Ce clan avait le privilège de porter l’étendard, mais ne comptait plus pour grand-chose dans les affaires à La Mecque. Muç’ab (al-Khayr) ben ‘Umayr ne fut pas un converti au nombre de tout premiers.
Les principaux « Musulmans de la première heure » peuvent être divisés en trois catégories:
- Jeunes gens des meilleures familles. « Il importe de noter qu’à Badr, il y eut des exemples de frères, de père et de fils, d’oncle et de neveu, combattant dans les rangs des deux partis. » (p. 125)
- Hommes, principalement jeunes, d’autres familles. Sauf peu d’exemples, la majorité des convertis n’avait probablement pas la trentaine au moment de devenir musulmans et un ou deux seulement dépassaient trente-cinq ans.
- Hommes détachés de tout clan. Il s’agit surtout d’hommes absolument en dehors du système de clan, bien que nominalement rattachés à l’un ou l’autre. Il était aussi possible que le clan soit trop faible pour assurer une protection efficace: comme dans le cas des esclaves affranchis d’Abû Bakr.
Les confédérés (hulafâ’) ne constituent pas une classe à part. Le principe de la confédération (hilf, tahaluf) exclut l’inférieurité de tout membre, impliquant avant tout assistance et protection.
Ainsi que l’a bien vu l’écrivain égyptien ‘Abd al-Muta’âl aç-Ça’îdî, le jeune Islam fut essentiellement un mouvement de jeunes hommes. Ce ne fut pas un mouvement de « gens de classe inférieure et en marge », de la lie de la population, de « parasites » sans affinités tribales franches, échoués à La Mecque. Par contre, il tira sa force de ceux qui se situant à peu près au milieu, ayant pris conscience de l’écart entre eux-mêmes et les privilégiés du sommet, avaient commencé à se convaincre qu’ils étaient des sous-privilégiés. « Ce fut bien moins une lutte entre « possédants » et « non-possédants » qu’entre « possédants » et « presque-possédants ». » (p. 127)

3. Accueil du message de Muhammad
Dans un passage bien connu, Ibn Ishâq parle de quatre hommes à la recherche de Hanîfîyah, la « religion d’Abraham ». Un de ces quatre hommes, ‘Ubaydallâh ben Djahsh, se fit musulman et participa à l’émigration en Abyssinie (même s’il préféra le christianisme par la suite).
« Muhammad ne fut, en aucune manière, on n’insistera jamais trop là-dessus, un réformateur socialiste mais le fondateur d’une nouvelle religion. Nous pouvons définir la situation selon nos propres termes en disant que si Muhammad fut pleinement informé des maux d’ordre économique, social, politique et religieux de son temps et de son pays, il n’en tenait pas moins l’aspect religieux comme absolument fondamental et il se concentra sur cet aspect. C’est cela qui détermina l’éthos de la jeune communauté. » (p. 130)

Chapitre V. Le développement de l’opposition
1. Les débuts de l’opposition; les « versets sataniques »
Si, aux premiers monuments de sa mission, Muhammad obtint un certain succès, l’opposition ne tarda pas à se manifester et fut considérable.

a) La lettre de ‘Urwah
Ce document a été gardé par ath-Thabarî. Ainsi, nous apprenons que la première opposition a été soulevée par la mention des idoles. Deuxièmement, certains Koréishites bien nantis à ath-Thâ’if furent les instigateurs du mouvement contre Muhammad. Troisièmement, tout cela précéda l’émigration en Abyssinie.

b) Les versets sataniques; les faits
La mention d’idoles la plus notable dans la partie mecquoise du Qur’ân se trouve dans la Sourate an-Nadjm. Mais quand Muhammad en vint aux versets: « Avez-vous considéré al-Lât et al-‘Uzzâ, et Manât, la troisième autre idole?” alors, poursuit la tradition, comme il se le disait à lui-même, ardent à la communiquer à son peuple, Satan lui glissa sur la langue: « Voici les cygnes exaltés, espère leur intercession. » En entendant cela, les Mecquois furent enchantés et quand à la fin Muhammad se prosterna, tous firent de même. Alors Gabriel survint auprès de Muhammad et lui montra son erreur. Pour sa sauvegarde, Dieu lui révéla 22/51 et abrogea les versets sataniques en lui dévoilant la suite véritable de la sourate.
« Si nous comparons les différentes versions et essayons de faire la distinction entre les faits externes avec lesquels elles sont en accord et les mobiles retenus par l’histoirien afin d’expliquer les faits, nous notons deux faits dont nous pouvons nous estimer certains. Tout d’abord, Muhammad a dû réciter publiquement à un moment les versets sataniques comme faisant partie du Qur’ân. Il serait impensable que l’histoire ait été inventée par des Musulmans par la suite où frauduleusement insinuée par des non-Musulmans. En second lieu, Muhammad déclara quelque temps plus tard que ces versets ne devaient pas être pris comme partie véridique du Qur’ân et y devaient être remplacés par d’autres d’une teneur considérablement différente. Les toutes premières versions ne spécifient pas combien de temps après ceci se produisit. Le plus probable est qu’il s’agit de quelques semaines, ou mois peut-être. » (p. 134)
La déesse al-‘Uzzâ était vénérée à Nakhlah, près de La Mecque. Le sanctuaire de la déesse Manât se trouvait entre La Mecque et Médine. Avec l’ascension de Muhammad, ces sanctuaires furent tous détruits.

c) Les versets sataniques: motifs, explications
Les savants musulmans ont considéré Muhammad comme ayant été informé en toute connaissance de cause, dès le début, de la teneur entière du dogme orthodoxe. Il est donc difficile d’expliquer comment il avait pu ne pas voir l’hétérodoxie des versets sataniques.
Quand même, il est à supposer que Muhammad tenait al-Lât, al-‘Uzzâ, Manât pour des êtres célestes d’un rang inférieur à Dieu, un peu comme des djinns. « Cela étant, il est peut-être à peine nécessaire de découvrir un motif spécial aux versets sataniques. Ils ne témoigneraient d’aucun recul conscient du monothéisme, mais seraient simplement l’expression de vues que Muhammad avait toujours soutenues. » (p. 136)
La tradition d’après Abû ‘l-‘Âliyah indique que les Koréishites firent des propositions à Muhammad pour l’admettre dans leur cercle s’il acceptait de mentionner leurs divinités.
La promulgation des versets sataniques peut être mise en relation avec un compromis échoué. Muhammad a compris que la reconnaissance des Banât Allâh, comme on appelait les trois idoles, signifiait une réduction de Dieu à leur niveau.
La reconnaissance des anges est absolument compatible avec le monothéisme, non seulement dans le Judaïsme et le Christianisme, mais dans l’Islam le plus orthodoxe.
Si un culte similaire à celui pratiqué à la Ka’bah était pratiqué en plusieurs sanctuaires, le peuple du Hidjâz aurait inévitablement supposé que c’étaient plusieurs divinités sensiblement égales qui y étaient vénérées.
Selon toutes les apparences, il y avait un certain nombre de dirigeants mecquois intéressés au commerce à ath-Thâ’if qui avaient réussi à attirer les activités commerciales de ce centre à la sphère d’influence financière de La Mecque. La révocation de la reconnaissance du sanctuaire d’al-Lât dut menacer de manière ou d’autre leurs entreprise, et excita leur colère contre Muhammad.
La Sourate al-Kâfirîn (109) est celle qui constitue la rupture totale avec le polythéisme et rend tout compromis impossible à l’avenir.
« Muhammad avait dû obtenir assez de succès auprès des chefs koréishites pour être pris au sérieux. Des pressions se firent jour pour l’obliger à reconnaître de manière ou d’autre le culte des sanctuaires voisins. D’abord disposé à le faire, à la fois en vue des avantages matériels ainsi offerts, et parce qu’il avait l’impression de mener plus facilement à la bonne fin sa mission. Peu à peu, cependant, à ses yeux pas le conseil divin, il vint à constater que ce serait un compromis fatal, et il forma aussitôt alors le projet d’améliorer plutôt ses moyens en se conformant à la vérité telle qu’elle lui apparaissait. Le rejet du polythéisme fut énoncé en termes vigoureux, qui fermaient la porte à tout compromis. » (p. 140-141)
« Les Occidentaux tendent toujours à croire que les Musulmans confondent religion et politique d’un manière peu souhaitable (bien que ceci ne soit pas réservé an propre aux Musulmans; les Chrétiens orientaux et d’autres font de même). Il serait peut-être plus vrai de dire que les Musulmans saisissent plus clairement que les Occidentaux le support religieux des questions politiques. Muhammad s’intéressait aux conditions sociales, politiques et religieuses à La Mecque, mais jugeait l’aspect religieux fondamental. Cependant, parce que les conséquences étaient vitales, ses décisions religieuses comportaient des implications politiques. » (p. 141)
Même si Muhammad n’a envisagé pour soi que le rôle de l’homme mettant en garde, rôle purement religieux, il a dû comprendre plus tard que le divorce entre la vocation prophétique et la fonction de dirigeant politique ne pouvait durer.

2. L’affaire d’Abyssinie
Il faut penser que l’hidjrah ou « émigration » en Abyssinie se situe après la récitation publique de la Sourate al-Kâfirîn.

a) Le récit traditionnel
Les histoiriens musulmans disent, à partir du récit fourni par Ibn Hishâm, qu’il y eut deux hégires en Abyssinie et que certains firent les deux. Un petit nombre retourna à La Mecque et prit part à l’hégire à Médine. Les autres restèrent jusqu’en l’an 7 de l’Hégire, époque à laquelle ils rejoignirent alors le Messager de Dieu à Khaybar.

b) Interprétation des deux listes
Selon Caetani, il n’y eut pas deux émigrations séparées distinctes en Abyssinie, parce qu’Ibn Ishâq ne le déclare pas explicitement. Il n’y a aucune mention d’un premier contingent retourné pour repartir une seconde fois.
En l’an 7, Muhammad a envoyé un messager pour promettre l’accueil le plus chaleureux au petit groupe encore en Abyssinie. Ce fut probablement à ce moment que le nom de hidjrah fut accolé à l’aventure d’Abyssinie, et les musulmans qui y ont participé devenaient dignes d’être traités en muhâdjirûn (imigrés).

c) Les motifs de l’émigration
Question: pourquoi tant de Musulmans prirent-ils le chemin de l’exil en Abyssinie? La première réponse est qu’ils s’y seraient rendus pour se soustraire à la persécution et aux peines qu’ils enduraient à La Mecque.
Question: Si les Musulmans ne s’étaient rendus en Abyssinie que pour se soustraire à des persécutions, pourquoi certains y seraient-ils donc restés jusqu’en 7 après l’Hégire, alors qu’ils auraient pu rejoindre Muhammad en toute sûreté à Médine? « Toute réponse à cette contre-question implique que les émigrants obéissaient pour agir comme ils agissaient, à quelque autre raison que celle de se soustraire à des persécutions, et sans doute plus importante. » (p. 146)
Selon les savants occidentaux, vu que la proposition de cette émigration vient de Muhammad, le but a été de détourner ces Musulmans du danger d’apostasie.
Une troisième raison possible est qu’ils seraient partis pour aller faire tout bonnement du commerce. Il est évident qu’ils durent avoir des moyens d’existence et qu’il s’agissait presque certainement d’activités commerciales.
Quatrièmement, aurait-il été possible que cela fit partie d’un plan subtil de Muhammad? Nourissait-il l’espoir d’une aide militare des Abyssins? Ou bien Muhammad espérait-il faire de l’Abyssinie une base d’assaut contre le négoce mecquois, comme il le fit en fait plus tard à Médine?
L’histoire d’après laquelle les Mecquois auraient dépêché deux hommes comme envoyés auprès du Négus (le roi d’Abyssinie) est plausible et intervient à l’appui de l’idée que l’émigration avait des implications économiques et politiques. Mais la nature exacte de cette mission et ses résultats demeurent du domaine des hypothèses.
La cinquième raison de cette émigration serait celle d’une forte division d’opinion dans la communauté embryonnaire de l’Islam. Apparemment, il y eut une rivalité entre ‘Uthmân ben Maz’ûn et le groupe d’Abû Bakr et de ‘Umar.
Selon l’auteur du présent étude, en supposant que les émigrants eussent tous obéi à la même raison, la plus plausible reste la cinquième. Les émigrants en Abyssinie étaient visiblement des hommes animés de convinctions religieuses authentiques.
« L’indication que Muhammad prit l’initiative peut être une tentative de dissimuler d’assez vils mobiles parmi ceux qui l’abandonnaient dans La Mecque. Il n’est toutefois pas indispensable d’interpréter les données dans ce sens. Il aurait été tout à fait dans le caractère de Muhammad de s’apercevoir très vite de l’apparition d’un schisme et de le couper à la racine en suggérant un voyage en Abyssinie à l’appui d’un plan pour sauvegarder les intérêts de l’Islam, plan dont nous ne connaissons toujours pas clairement la véritable nature puisque dans ses buts apparents son succès fut maigre. La reconciliation relativement rapide entre ‘Uthmân et les autres revenus à La Mecque avant l’hidjrah à Médine suggère du moins qu’il n’y eut jamais rupture complète entre eux et Muhammad. Ils en vinrent certainement en fin de compte à accepter l’autorité de Muhammad ainsi que la position privilégiée d’Abû Bakr et combatirrent avec courage comme Musulmans à Badr. » (p. 150)

3. Les manœuvres de l’opposition
Les détails fournis par Ibn Hishâm et ath-Thabarî pour le reste de la période mecquoise sont assez maigres.

a) Persécution des Musulmans
Les persécutions des Musulmans par Abû Djahl étaient: des attaques verbales contre les personnes influentes, des pressions économiques sur des gens de moindre importance et des violences corporelles à l’égard de ceux n’en ayant aucune.
« Comme la plupart des clans Koréishites demeuraient suffisamment forts pour causer de sérieux ennemis, sinon davantage, à quiconque eût maltraité un membre ou un confédérés, il est à présumer que le nombre des malheureux exposés à des violences physiques dut être très faible et ne devait guère comprendre que des esclaves ou des gens sans aucun lien défini avec un clan (tels que Khabbâb ben al-Aratt). » (p. 151)
Ce sont des actes comme ceux d’Abû Djahl que les sources évoquent quand parlent de la séduction ou des épreuves (fitnah, yaftinâ) auxquelles étaient soumis les Musulmans. Les biographies d’Ibn Hishâm, d’ath-Thabarî et d’Ibn Sa’d contribuent à convaincre que la persécution fut légère.
Muhammad fut attaqué verbalement, exposé à des injures telles que de voir les ordures de ses voisins amassées devant sa porte, ces désagréments s’étant peut-être accrus après la mort d’Abû Thâlib.
Les exemples les plus notables de violences physiques furent les traitement infligés à des esclaves comme Bilâl et ‘Âmir ben Fuhyrah.
Un autre genre de persécution: pressions exercées même sur des membres de familles et clans influents par des pères, des oncles, des frères aînés (ex: al-Walid ben al-Walid, Salamah ben Hishâm, ‘Âyyâsh ben Abû Rabî’ah).
« La persécution des Musulmans fut donc d’un caractère assez mitigé. Le système de sécurité en vigueur à La Mecque – la protection par les clans de leurs membres respectifs – impliquait qu’un Musulman ne pouvait jamais être sérieusement molesté par un membre d’un autre clan, même si son propre clan n’avait aucun penchant pour l’Islam. S’abstenir de défendre un collègue de clan en butte à un homme d’un autre clan aurait été une atteinte à l’honneur du clan. Cette persécution fut limitée:
1. à des cas ne portant pas atteinte aux rapports claniques comme lorsque les persécuteurs étaient membres du même clan ou comme lorsque la victime ne disposait de la protection d’ucun clan existant,
2. à des actes non prévus au code traditionnel de l’honneur, tels que mesures économiques, peut-être aussi injures verbales et autres outrages mineurs n’atteignant que la personne et non le clan. Cette persécution en vérité très limitée fut peut-être suffisante en elle-même pour donner un petit coup de fouet à l’Islam naissant, mais certainement impropre à détourner le moindre croyant sérieux. » (p. 153)

b) Pressions sur les Banû Hâshim
Muhammad a pu prêcher à La Mecque jusqu’en 622 grâce à la protection du chef de son clan, Hâshim: Abu Thâlib. Celui ci, bien que non Musulman, était décidé de réserver à Muhammad la protection pleine et entière due à tout membre du clan. Le maintien de l’honneur du clan aurait été un soi un motif suffisant pour agir de cette manière.
Abû Lahab, jeune frère d’Abû Thâlib, avait épousé une sœur d’Abû Sufyân, le principal dirigeant de La Mecque. Quand l’opposition à Muhammad se durcit, il se rallia à l’attitude du clan de sa femme contre son neveu.
Peu à peu, les opposants à Muhammad entreprirent de monter une coalition de presque tous les clans Koréishites contre Hâshim (avec al-Muththalib). Une vaste alliance à institué un boycott des clans de Hâshim et d’al-Muththalib. Aucune des autres ne devait plus avoir de rapports d’affaires avec eux, et il ne devait plus y avoir d’alliances matrimoniales.
Ce boycott fut maintenu plus de deux ans. Quand même les clans boycottés avaient des liaisons de parenté avec d’autres clans, ce qui rendait la décision difficile à maintenir.
A l’ensemble des Koréishites, Zuhayr a intérompu le boycott le premier. Sa mère était ‘Atikah bint al-Muththalib et son oncle maternel était Abû Thâlib.

c) Proposition de compromis à Muhammad
Après le début du boycott, certains dirigeants mecquois ont tenté d’amener Muhammad à convenir d’un compromis.
L’identité de ceux qui ont proposé le compromis est: al-Walîd ben al-Mughîrah (Makhzûm), al-‘Âç ben Wâ’îl (Sahm), al-Aswad ben al-Muththalib (Asad) et Umayyah ben Khalaf (Djumah).
Le motif de l’action a été la convinction que le prophétisme de Muhammad allait, pour peu qu’il réussît, le porter inévitablement à la direction politique.

4. Le témoignage du Qur’ân
Le Qur’ân confirme l’impression des premiers histoiriens d’après laquelle la persécution des Musulmans n’avait pas été très rigoureuse.

a) Critiques verbales du message
Dans les passages mecquois il est fait allusion à la critique de la résurrection. Les Mecquois ne concevaient pas comment un corps humain aurait pu revenir à la vie après avoir été enterré dans une tombe.
Le Qur’ân ne traite pas de la résurection dans l’abstrait, mais en parle comme d’un fait implicitement lié au Jugement Dernier et à la récompense ou à la punition éternelles.
Le problème des corps tombant en poussière semblait aux adversaires de Muhammad une objection contre l’ensemble de la doctrine eschatologique. Cette ligne de pensée se résume toute entière dans le mot takdhîb (« incroyance », au sens de « compter faux »), distinct de kufr (qui est l’« incroyance » opposée à îmân « foi »).
Les histoiriens des prophètes qui tiennent tant de place dans le Qur’ân ont eu partie pour but de réfuter cette prétention de marcher sur les traces des ancêtres. « Les histoires des prophètes devaient les aider à comprendre qu’en tant qu’adeptes d’un prophète, ils accédaient à un lignage spirituel privilégié. » (p. 161)

b) Critiques verbales de la vocation prophétique de Muhammad
La croyance que les paroles lui parvenant étaient une révélation de Dieu a dû s’emparer très tôt de Muhammad, mais certains des tout premiers passages du Qur’ân retracent les efforts des opposants pour décourager Muhammad, en insinuant d’autres explications à ses expériences que le fait qu’elles « lui venaient » de Dieu.
L’allégation la plus commune à son encontre fut qu’il était madjnûn, fou, ou plus précisément, possédé par les djinn.
D’autres insinuations: kâhin (devin), sâhir (sorcier-magicien), enfin shâ’ir (poète). Ceux qui se livraient à des allégations ne mettaient pas en doute que les expériences de Muhammad fussent à un certain égard d’origine surnaturelle, mais ils avançaient qu’il s’agissait ou d’une créature démoniaque ou d’une puissance surnaturelle de degré inférieur, toutes différentes de la Puissance qui régit l’univers.
L’affirmation que Muhammad était un poète fait encore allusion au surnaturel, car pour ses contemporains un poète était un homme possédé d’un génie familier ou djinn.
« Ces insinuations sur l’origine des révélations obéissaient à l’intention de faire croire qu’il ne fallait pas prendre au sérieux les mises en garde et autres sujets contenus dans ces révélations. Elles n’avaient rien de nécessairement véritable. La pensée sous-jacente était sans doute guidée par l’idée que les créatures surnaturelles qui produisent ou communiquent les révélations peuvent parfaitement être animés par la malveillance ou manquer de connaissances. Ces allégations ont pu avoir pour seul but de discréditer Muhammad et sans que les gens qui les soutenaient y aient dans l’ensemble jugées comme fondées. » (p. 163)
Une seconde tentative des adversaires pour donner une explication des révélations fut l’affirmation qu’elles étaient une création totalement humaine, œuvre soit de Muhammad lui-même soit d’un aide.
Une troisième ligne d’attaque consistait à dire que Muhammad n’était pas le genre de personnage à qui des révélations auraient pu survenir (à cause du manque d’importance). « Une fois de plus, des remarques de cette nature ne doivent être prises pour des exposés impartiaux des faits. » (p. 164)
Il y eut des opposants qui attendaient de la révélation qu’elle s’accompagnât de signes constatés aux yeux de tous. Selon eux, la Divinité ne saurait se manifester que dans l’appareil d’un bouleversement de l’ordre naturel.
Une autre critique: pourquoi la révélation ne s’est-elle pas manifestée à Muhammad en une seule fois?
Une critique d’un autre genre est celle des mobiles de Muhammad, insinuant qu’il voulait acquérir fortune et position en vue. Mais les faits rendent très improbable que l’ambition politique ait été à la source de ses actes. L’insistance du Qur’ân à préciser que Muhammad, comme les autres prophètes, n’attend aucune récompense des hommes mais de Dieu seul, est une réfutation de cette accusation d’ambition purement personnelle.

c) L’activité des adversaires de Muhammad
Les critiques et controverses verbales jouent le principal rôle dans le tableau de l’opposition dans le Qur’ân.
Muhammad a supporté avec patience leurs critiques verbales, et la patience était bien le parti le plus sage à prendre à La Mecque.
Un exemple plus particulier d’hostilité active est celui de l’empêchement fait à un abd de prier.
« D’une manière générale, le Qur’ân tend à confirmer le tableau dérivé du matériel historique traditionnel. Les critiques verbales et les controverses semblent avoir été surtout le fait de l’opposition. La principale activité hostile est définie comme kayd et makr, mots qui suggèrent l’idée de subtilité et peut-être de danger, néanmoins toujours en conformité avec les termes de la loi. Il est possible que les critiques aient inclus des affirmations erronées, que les complots aient été de nature à mener au désastre, mais nous n’avons aucune preuve d’une persécution rigoureuse, ni quoi que ce soit susceptible du nom d’oppression. » (p. 169)

5. Les chefs de l’opposition et leurs mobiles
Il est clair que l’opposition était dirigée par les hommes les plus influents des principales familles Koréishites. Les noms des opposés mecquois se trouvent surtout dans les listes des hommes tués ou faits prisonniers à Badr.
L’opposant le plus en vut fut Abû Djahl du clan de Makhzûm. C’est lui qui a organisé la ligue des clans contre Hashîm et al-Muththalib.
Il a été suggéré que le motif le plus déterminant de l’opposition fut la crainte que, si les Mecquois adoptaient l’Islam et abandonnaient l’idolâtrie, les nomades cesseraient de se rendre au sanctuaire qu’ainsi le commerce mecquois serait ruiné. Or, cette raison n’est pas satisfaisante, vu que dans le Qur’ân il ne se trouve aucune attaque contre le culte à la Ka’bah. Cette théorie de motifs économiques inspirés de la crainte de l’attaque contre l’idolâtrie doit être laissé de côté.
Ce qui est certain est que les individus dont les intérêts étaient liés au culte aux sanctuaires particuliers pris sous le feu de l’attaque contre l’idolâtrie furent très contrariés.
« Mais le principal motif de l’opposition n’en fut pas moins presque à coup sûr le fait que les dirigeants koréishites s’aperçurent que la convinction de Muhammad d’être un prophète, allait avoir, pour peu qu’elle fût prise au sérieux, des conséquences politiques. La vieille tradition arabe disposait que le gouvernement dans la tribu ou le clan devait aller à l’homme le plus doué, en sagesse, en prudence et jugement. Si les Mecquois se mettaient à donner créance aux avertissements de Muhammad et donc à s’informer de la manière dont leurs affaires devraient alors être menées, qui serait le plus qualifié pour les conseiller, sinon Muhammad lui-même? » (p. 171)
Les attaques du Qur’ân contre l’idolâtrie rencontrèrent la résistance du caractère consérvateur des Arabes. Cette tendance conservatrice s’est même perpétuée dans l’Islam postérieur, et « innovation » (bid’ah) est le mot normal pour l’hérésie.
« Les motifs de l’opposition à l’Islam furent donc ainsi, tout intérêt personnel mis à part, la crainte de ses conséquences politiques et économiques, ainsi qu’un conservatisme pur et simple. La conjoncture qu’affronta Muhammad était un malaise ayant des symptômes sociaux, économiques, politiques et intellectuels. Son message fut essentiellement religieux en ce qu’il tendit à remédier aux causes religieuses sous-jacentes du malaise, mais il atteignit également les autres aspects, si bien que l’opposition elle-même revêtit aussi divers aspects. » (p. 173)

Chapitre IV. L’élargissement des horizons
1. Aggravation de la situation de Muhammad
Muhammad perd son oncle et protecteur Abû Thâlib, et sa fidèle épouse Khadîdjah, probablement en 619.
Il se remarie avec Sawdah bint Zam’ah, une des toutes premières adeptes et devenue veuve. « Mais nous savons fort peu de chose au sujet de Sawdah et pouvons supposer que ses relations avec Muhammad furent principalement de caractère domestique. » (p. 174)
Le successeur d’Abû Thâlib à la tête de Banû Hâshim semble avoir été son frère, Abû Lahab. Bien qu’Abû Lahab se fût associé à la « grande alliance » contre Hâshim pendant le boycott, il s’était engagé d’abord à protéger Muhammad comme Abû Thâlib l’avait fait, selon la conduite traditionnelle d’un sayyid arabe.
Cependant, quelque temps après Abû Lahab refusa formellement sa protection à Muhammad sur le motif que Muhammad avait prétendu que ‘Abd al-Muththalib était en enfer. Ainsi, du fait que Muhammad faisait ces remarques sur leur ancêtre commun, Abû Lahab pouvait l’abandonner sans perte de dignité.
Pour Muhammad, la perte de sa sécurité fut en apparence un désastre. Même si les Musulmans pouvaient encore se maintenir à La Mecque – ce qui n’était nullement certain – ils n’avaient pratiquement plus de chances de voir d’autres adeptes à se rallier à eux.

2. La visite à ath-Thâ’if
Dans un certain sens, ath-Thâ’if était une petite réplique de La Mecque. Il y avait deux principaux groupes politiques, les Banû Mâlik et les Ahlaf. La garde du sanctuaire de la déesse leur était confiée.
Ce fut vers ath-Thâ’if que Muhammad se tourna apparemment tout d’abord dans sa recherche de nouveaux adhérents à l’Islam. Les sources le montrent animé de l’espoir de faire des convertis.
Malheureusement, à ath-Thâ’if Muhammad n’obtint rien. Il continue son parcours à Hirâ, un faubourg, où il commença à négocier pour obtenir la protection (djiwar) du chef de l’un des clans. Al-Muth’im ben ‘Âdî, chef des Banû Nawfal, accepta de prendre Muhammad sous sa protection. « Il est à noter qu’aucun des Musulmans, pas même ‘Umar, n’avait assez de pouvoir pour accorder sa protection à Muhammad. » (p. 178)

3. Démarches auprès des tribus nomades
Muhammad commence à prêcher à des tribus nomades (Banû Kindah, Banû Kalb, Banû Hanîfah, Banû ‘Âmir ben Ça’ça’ah). Il rencontra un refus tout net.

4. Négociations avec Médine
a) L’état de choses existant à Médine
Médine est la forme française usuelle de al-Madînah, la ville; on dit que c’est une abréviation de Madinât an-Nabî, la ville du Prophète. Avant le rôle joué avec Muhammad, elle s’appelait Yathrib.
« C’était moins une ville à proprement parler qu’un ensemble de hameaux, de fermes et de points forts dispersés à travers une oisis, sur une bande de terrain fertile d’une trentaine de kilomètres carrés, entourée de collines, de rochers et de terrains caillouteux incultivables. » (p. 179)
La population était composée surtout de Banû Qaylah, connus plus tard sous le nom d’Ançâr (ou Secoureurs).
Dans le oasis il y avaient aussi deux groupes puisants et riches, branches hébraïques ou Arabe judaïsés: Banû Qurayzah et Banû ‘n-Kadhir. Une troisième tribu juive, moins influente: les Banû Qaynuqâ’.
Tout comme La Mecque, Médine souffrait de l’incompatibilité entre les conceptions, us et coutumes nomades et la vie sédentaire. Yathrib était avant l’Hégire le théâtre de petites guerres locales, pendant lesquelles le principe de la vie au désert « garde ce que tu es armé pour garder » était en train de s’appliquer au sol cultivé.
A la Mecque, les intérêts commerciaux tendaient à rapprocher les divers groupes et à soutenir un certain sens de l’unité souhaitable. Il ne s’exerçait pas de facteur comparable à Médine où la population était moins homogène.
Médine était très divisée: dans les biographies de ceux qui combattirent à Badr dans les rangs musulmans, Ibn Sa’d range les Koréishites en quinze « clans » tandis qu’il en compte trente-trois pour les Aws et les Khazradj de Médine.
« Un prophète, avec une autorité ne reposant pas sur le sang mais sur la religion, était capable de se tenir au-dessus des groupes rivaux et tenir le rôle d’arbitre. Les sources parlent des Ançâr imaginant que Muhammad était le Messie attendu par les Juifs et pressés de se mettre en bons termes avec lui. S’il y a un fond de vérité dans cette histoire, c’est que la conception d’un Messie avait contribué à familiariser les Ançâr avec l’idée d’une communauté dont le centre d’intégration serait un personnage doué de qualités spéciales de caractère religieux. » (p. 182)
Les Ançâr avaient de solides raisons d’accepter Muhammad comme prophète. En plus l’Islam apportait une solution à leurs petites guerres sans fin.

b) Les Serments d’al- ‘Aqabah
Les premiers convertis médinois reconnus furent six hommes de Khazradj venus vers Muhammad en 620. Au pèlerinage de 621, cinq d’entre eux retournèrent en emmenant sept autres, dont deux hommes des Aws. Ces douze-là sont réportés avoir fait le serment d’éviter divers péchés et d’obéir à Muhammad. L’acte est connu sous l’expression de Serment des Femmes, bay’at an-nisâ’.
Au pèlerinage de 622 un groupe de Musulmans, soixante-treize hommes et deux femmes, vinrent à La Mecque, rencontrèrent secrètement Muhammad une nuit à al- ‘Aqabah et prirent l’engagement non seulement de lui obeir mais même de combattre pour lui: le Serment de la Guerre, bay’at al-harb.
Muhammad encourage ses adeptes à aller à Médine. C’est l’Hidjrah (Hégire) ou migration du Prophète. « Hégire » est une translitération, et « fuite » une traduction imprécise.
Le premier jour de l’année arabe durant laquelle l’Hégire eut lieu, le 16 juillet 622, fut choisi plus tard pour marquer le début de l’ère islamique.
Les Médinois ont donné leur agrément à l’accueil des Muhâdjirûn ou émigrants de La Mecque.
Question: Quels plans avait Muhammad pour ses compagnons après leur venue à Médine? Il n’a pas pu avoir le dessein d’en faire des invités à perpétuité des Médinois, et n’avait sûrement pas songé à les installer comme cultivateurs.
Muhammad dut se rendre compte que cette migration à Médine conduirait tôt ou tard à une lutte ouverte avec les Mecquois.
Caetani a exprimé le point de vue que les Médinois acceptèrent Muhammad comme un devin parce qu’ils avaient en vue la paix intérieure de Médine et non point parce qu’ils se montraient empressés à accepter l’enseignement du Qur’ân. Seule, une poignée furent d’authentiques adeptes.
Il faut tout de même estimer que la masse des Médinois qui soutenaient Muhammad comprenaient et acceptaient les principes essentiels de l’Islam: Dieu Créateur et Souverain maître du monde, juge au Dernier Juge, Muhammad médiateur et interprète du message de Dieu aux Arabes.

5. L’Hégire
Muhammad donne ordre à ses adeptes de La Mecque de quitter la ville et de se rendre ensemble à Médine.
Certains, tels que Nu’aym an-Nahhâm, Musulman éminent, ne quittèrent pas La Mecque et ils ne furent jamais accusés d’apostasie.
Soixante-dix personnes émigrèrent à Médine au cours d’une première vague et y arrivèrent sains et saufs. ‘Alî et Abû Bakr étaient restés à La Mecque avec Muhammad.
Les chefs koréishites tinrent une réunion et donnèrent leur accord à un plan d’Abû Djahl, à savoir qu’un groupe de jeunes hommes, un de chaque tribu, attaqueraient ensemble Muhammad à coups d’épée, de telle sorte que la faute du sang versé serait partagée sur eux tous. A ce conseil, le clan de Nawfal se trouvait représenté par Thu’aymah ben ‘Adî et Djubayr ben Muth’im, frère et fils de l’homme qui avait donné protection à Muhammad. L’imminence de ce danger précipita le départ de Muhammad.
Apparemment, Muhammad et Abû Bakr couraient plus de dangers sur la route qu’à La Mecque.
Selon le récit d’Ibn Ishâq, quand Muhammad eut compris qu’il lui fallait quitter La Mecque, il pria ‘Alî de se mettre à sa place dans son lit pour faire croire aux Mecquois qu’il dormait tranquillement, puis s’éclipsa sans être vu et accompagné d’Abû Bakr fit route secrètement vers une grotte à peu de distance au sud de La Mecque et s’y tint caché un jour ou deux jusqu’à ce que le fils d’Abû Bakr vint leur rapporter que les recherches pour le retrouver s’étaient relâchées. Tous deux repartirent alors montés sur des chameaux, accompagnés par un affranchi et un guide. Ils arrivèrent, après avoir suivi des pistes détournées, sains et saufs à Qubâ’, aux lisières de l’oisis de Médine, le 12 de Rabî’ I (24 septembre 622).
Avec l’arrivée de Muhammad à Qubâ, commence la phase médinoise de sa carrière.

6. Les réalisations à La Mecque
L’Islam était définitivement arrêté dans ses grandes lignes à l’époque de l’Hégire. La prière et le culte formels ne sont pas complètement définis, bien que les bases en soient jetées.
Les autres « piliers de l’Islam »: le jeûne, l’aumône, la confession de la foi et le pèlerinage, s’étaient moins encore dégagés.
Toutes les idées fondamentales: Dieu unique, le Dernier Jour, le Paradis et l’Enfer, l’envoi de prophètes, étaient pleinement en lumière.
« Il est probablement exacte qu’il y eut peu de conversions et peu de véritable piété au sens où on le comprend en Occident, mais c’est parce que les conceptions occidentales ne sont pas strictement applicables aux manifestations de la religion au Proche-Orient. Au regard des données du Proche-Orient, les conversions et la piété étaient probablement authentiques. Faire une déclaration de foi publique avait probablement beaucoup plus de sens pour un Arabe de cette époque que cela en aurait pour un Occidental aujourd’hui. » (p. 191)
L’Islam était susceptible d’apporter la solution aux problèmes rencontrés par les nouvelles communautés sédentaires: à La Mecque, le principal défaut était l’individualisme égoïste; à Médine, le besoin d’un arbitre suprême.
La grande œuvre de l’Islam a été en un sens de modifier la morale nomade à l’usage des conditions de vie sédentaire et la clé de cette transformation fut un nouveau principe d’organisation de la société.
Le nouveau principe a en centre le prophète comme foyer d’intégration. L’union sociale est cimentée par le fait qu’un prophète a été envoyé à tous ensemble. Les membres de la communauté ont pour devoir commun d’obéir aux commandements de Dieu qui leur ont été révélés par le prophète.
Les derniers passages du Qur’ân se remarquent par l’emploi croissant du mot ummah, communauté.

Appendice A. Les Ahâbîsh
Lammens, dans Les “Ahabis” et l’organisation militaire de La Mecque au siècle de l’hégire, avance que les Mecquois opposants de Muhammad avaient perdu toute vertu guerrière, et pour les affaires militaires s’en remettaient principalement à une force de « Ahâbîsh », composés d’Abyssins et autres esclaves nègres. Ce point de vue n’est pas confirmé par les sources. La manière désinvolte avec laquelle Lammens traite les sources n’est pas scientifique. « Il rejette ceci, accepte tel avis selon ses propres idées et préjugés, sans égard pour l’objectivité. » (p. 195)
Des passages se rapportant aux Ahâbîsh se trouvent dans Ibn Hishâm, al-Wâqidî et ath-Thabarî. En fait, selon les sources, rien n’autorise à penser que les Ahâbîsh ne sont pas des arabes.
Les Ahâbîsh étaient apparemment organisés en tribu, mais certaines des expressions employées suggèrent qu’ils ne devaient pas constituer une tribu ou groupe de tribus ordinaire.
« Quoi qu’il en soit – et il demeure quelque chose de mystérieux à leur sujet – ils n’ont pas joué de rôle de première importance dans les campagnes signalées, bien que leur nombre ait pu ajouter aux difficultés des Musulmans. La supposition méchante de Lammens, suivant laquelle la puissance de La Mecque était basée sur une armée d’esclaves noirs est sans fondement. Les princes marchands n’étaient pas des amateurs de faits d’armes et essayaient de les éviter, mais ils étaient capables de livrer beaucoup d’eux-mêmes en cas de nécessité. » (p. 198-199)

Appendice B. Le monothéisme arabe et les influences judéo-chrétiennes
La question jusqu’à quel point des influences juives et chrétiennes s’étaient exercées sur Muhammad recouvre en fait l’affirmation que, sauf quelques exceptions, le monothéisme était inconnu des Arabes. Cette affirmation ne repose sur rien de certain.
« Les tout premiers passages du Qur’ân présupposent au contraire chez ceux auxquels ils étaient d’abord destinés, une familiarité établie avec la conception d’un Etre suprême et sa reconnaissance; d’autres traits enfin tendent à confirmer que l’atmosphère intellectuelle de l’Arabie en général et de La Mecque en particulier avait été impregnée de monothéisme. » (p. 199)
C. C. Torrey, presque à contre-cœur, doit admettre dans The Jewish Fondations of Islam que tous les termes religieux coraniques étaient familiers à La Mecque. Comme l’existence des mots signale l’existence des idées, nous devons accepter au moins la présence d’un monothéisme vague, « autrement dit un monothéisme ne s’exprimant pas de lui-même en actes de culte définis et non pleinement conscient de ses différences avec le paganisme ». (p. 200)
Ainsi, l’histoire doit se poser la question essentielle de l’extension des influences juives et chrétiennes à La Mecque en l’an 600, et non sur Muhammad ou sur le Qur’ân.
Torrey note, à partir de la Sourate an-Nahl (16/105) que Muhammad ne nie nullement avoir eu « un maître humain, mais insiste seulement sur le fait que l’enseignement venait d’en-Haut ». La plupart des critiques occidentaux ont eu du mal a résister à l’envie de conclure que Muhammad a été instruit par une personne, ou des personnes.
Un Musulman orthodoxe, s’il admet que le Prophète a pu se familiariser avec les histoires judéo-chrétiennes, soutient néanmoins que Dieu a révélé « l’enseignement » y étant contenu. Quand même, le verset coranique 11/51 plaide pour la révélation concernant le fonds, mais aussi la forme.
Si nous voulons soutenir la sincérité de Muhammad et admettre le développement de son information à partir de sources humaines, nous avons trois possibilités:
- nous pouvons supposer que Muhammad ne faisait pas de distinction entre l’histoire et « l’enseignement » qui y est implicitement contenu, et le second étant compris par la vertu de la révélation, considérait le tout comme révélé;
- les histoires ont pu parvenir à sa conscience par la vertu de quelque faculté de caractère télépathique;
- la traduction n’est peut-être pas très fidèle, en particulier le mot nûhî, « produit par inspiration » peut signifier quelque chose comme « disposant à comprendre l’enseignement implicite en, ou la signification de ».
« Il n’y a guère de difficulté à prétendre que la forme précise, le motif, la signification plus lointaine enfin des histoires ont été communiqués à Muhammad par voie de révélation et non par un prétendu informateur. » (p. 202)

Appendice C. Les hanîf
Ibn Ishâq cite quatre hommes d’une génération avant Muhammad qui avaient abandonné les pratiques païennes pour rechercher la hanîfîyah, la religion d’Abraham.
Ibn Quraybah cite une demi-douzaine de personnes auxquelles s’appliquaient le terme de hanîf.
Question: Impliquent-elles ces allusions l’existence d’une secte de monothéistes d’Arabie qui n’auraient été ni juifs ni chrétiens?
Dans le Qur’ân, les hanîf étaient les gens qui suivaient les données idéales d’origine de la religion arabe. Muhammad proclame à Médine que les Arabes maintenaient la religion d’Abraham dans sa purete, alors que Juifs et Chrétiens l’avaient laissée se corrompre.

Appendice D. Tazakkâ, etc.
La traduction de tazakkâ et autres dérivés de zakâ dans le Qur’ân pose un problème (« se purifier par l’aumône »). Indépendamment du mot zakât, la racine survient environ vingt-six fois dans le Qur’ân. Quatre groupes sont à analyser.
Le premier groupe (2/162, 3/71, 4/52, 53/33), véhicule un sens clair. Zakkâ est employé avec le sens « justifier » ou « juste compte ». Le sens est celui de la pensée: Ne vous justifiez pas vous-mêmes, Dieu justifie qui Il lui plaît.
Dans le second groupe (2/123, 2/146, 3/158, 62/2), il est déclaré qu’un messager est envoyé pour « purifier » (yuzakkî) un peuple.
L’emploi de tazakkâ et at-tazakkî qui constituent le troisième groupe (20/78, 35/19, 79/18, 80/3, 87/14, 92/18) est légèrement différent. Dans 80/3 et 7 le but de Muhammad dans sa prédication est visiblement de conduire un homme au tazakkî, donc au conversion. Ainsi, tazakkî semblerait signifier l’excellence morale qui est partie du but suprême de la vie.
La racine arabe zaka signifie croître, prospérer, être florissant. Suite à un rapprochement de la racine syriaque thakâ, le terme tazakkâ signifie « pureté », « droiture ».
Il y a un quatrième groupe où la signification en arabe original de la racine est dominante (2/232, 18/18, 18/73, 19/19, 24/28, 24/30).
Le mot zakât est fréquemment employé dans le sens technique, accouplé d’ordinaire avec çalât.
Dans 9/104, le sens moral de la racine zakâ semble s’allier à la pureté rituelle de thahara.
Le commentateur Ibn Zayd, cité par ath-Thabarî, va jusqu’à identifier tazakkî avec l’islâm.
Le mot zakât est probablement dérivé de l’araméen zakât, signifiant pureté et non don d’aumônes.
« L’idée de faire le sacrifice de quelque chose de très précieux, d’un fils premier-né au besoin, était une idée profondément enracinée dans la pensée sémitique, sur la convinction sans doute qu’un acte de cette nature tendait à se rendre propice une divinté jalouse et à s’assurer une jouissance sans coups du sort du reste des biens. Pour des gens pénétrés de cette pensée, il devenait naturel de considérer l’aumône, le don d’une part de son argent, de ses biens, comme une forme de sacrifice propitiatoire. » (p. 209)

Appendice E. Les traditions d’après ‘Urwah
Les données tirées de ‘Urwah ben az-Zubayr pour la période mecquoise de la vie de Muhammad ont une importance considérable. Le père d’Urwah, az-Zubayr ben al-‘Awwâm, était un des Musulmans de la première heure, ami intime d’Abû Bakr. En plus, ‘Âishah était sa tante maternelle.
On dit qu’il a été le premier à réunir des éléments épars pour la biographie de Muhammad.

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