26 janvier 2014

Mircea Eliade : Le Mythe de l’éternel retour. Archétypes et répétition (fragment)

Voir René Guénon, Formes traditionnelles et cycles cosmiques (texte intégral)

Le titre de ce petit volume, qui d’ailleurs ne répond pas exactement à son contenu, ne nous paraît pas très heureux, car il fait inévitablement penser aux conceptions modernes auxquelles s’applique habituellement ce nom d’ « éternel retour », et qui, outre la confusion de l’éternité avec la durée indéfinie, impliquent l’existence d’une répétition impossible, et nettement contraire à la véritable notion traditionnelle des cycles, suivant laquelle il y a seulement correspondance et non pas identité ; il y a là en somme, dans l’ordre macrocosmique, une différence comparable à celle qui existe, dans l’ordre microcosmique, entre l’idée de la réincarnation et celle du passage de l’être à travers les états multiples de la manifestation. En fait, ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans le livre de M. Eliade et ce qu’il entend par « répétition » n’est pas autre chose que la reproduction ou plutôt l’imitation rituelle de « ce qui fut fait au commencement ». Dans une civilisation intégralement traditionnelle, tout procède d’ « archétypes célestes » : Ainsi, les villes, les temples et les demeures sont toujours édifiés suivant un modèle cosmique ; une autre question connexe, et que même, au fond, diffère beaucoup moins de celle-là que l’auteur ne semble le penser, est celle de l’identification symbolique avec le « Centre ». Ce sont là des choses dont nous avons eu nous-même à parler bien souvent ; M. Eliade a réuni de nombreux exemples se référant aux traditions les plus diverses, ce qui montre bien l’universalité et pourrions-nous le dire, la « normalité » de ces conceptions. Il passe ensuite à l’étude des rites proprement dits, toujours au même point de vue ; mais il est un point sur lequel nous devons faire une sérieuse réserve : il parle d’ « archétypes des activités profanes », alors que précisément, tant qu’une civilisation garde un caractère intégralement traditionnel, il n’y a pas d’activités profanes : nous croyons comprendre que ce qu’il désigne ainsi, c’est ce qui devenu profane par suite d’une certaine dégénérescence, ce qui est bien différent, car alors, et par là même, il ne peut plus être question d’ « archétypes », le profane n’étant tel que parce que n’est plus relié à aucun  principe transcendant d’ailleurs, il n’y a certainement rien de profane dans les exemples qu’il donne (danses rituelles, sacre d’un roi, médecine traditionnelle).


Dans la suite, il est plus particulièrement question du cycle annuel et des rites qui y sont liés ; naturellement, en vertu de la correspondance qui existe entre tous les cycles, l’année elle-même peut être prise comme une image réduite des grands cycles de la manifestation universelle, et c’est ce qui explique notamment que son commencement soit considéré comme ayant un caractère « cosmogonique » ; l’idée d’une « régénération du temps », que l’auteur fait intervenir ici, n’est pas très claire, mais il semble qu’il faille entendre par là l’oeuvre divine de conservation du monde manifesté, à laquelle l’action rituelle est une véritable collaboration, en vertu des relations qui existent entre l’ordre cosmique et l’ordre humain. Ce qui est regrettable, c’est que, pour tout cela, on s’estime obligé de parler de « croyances », alors qu’il s’agit de l’application de connaissances très réelles, et de sciences traditionnelles qui ont une tout autre valeur que les sciences profanes ; et pourquoi faut-il aussi, par une autre concession aux préjugés modernes, s’excuser d’avoir « évité toute interprétation sociologique ou ethnographique », alors que nous ne saurions au contraire trop louer l’auteur de cette
abstention, surtout quand nous nous rappelons à quel point d’autres travaux sont gâtés par de semblables interprétations ?

Les derniers chapitres sont moins intéressants à notre point de vue, et ce sont en tout cas les plus contestables, car ce qu’ils contiennent n’est plus un exposé de données traditionnelles, mais plutôt des réflexions qui appartiennent en propre à M. Eliade et dont il essaie de tirer une sorte de « philosophie de l’histoire » ; nous ne voyons d’ailleurs pas comment les conceptions cycliques s’opposeraient en quelque façon à l’histoire (il emploie même l’expression de « refus de l’histoire »), et, à vrai dire, celle-ci ne peut au contraire avoir réellement un sens qu’en tant qu’elle exprime le déroulement des évènements dans le cours du cycle humain, quoique les historiens profanes ne soient assurément guère capables de s’en rendre compte. Si l’idée de « malheur » peut en un sens s’attacher à l’ « existence historique », c’est justement parce que la marche du cycle s’effectue suivant un mouvement descendant ; et faut-il ajouter que les considérations finales, sur la « terreur de l’histoire », nous paraissent vraiment un peu trop inspirées par des préoccupations d’ « actualité » ?

Voir René Guénon, Formes traditionnelles et cycles cosmiques (texte intégral)

1 commentaire:

100 fiches de lecture a dit…

Bonjour,
J'ai mis en ligne sur mon blog une fiche de lecture consacrée à l'ouvrage de Mircea Eliade Le sacré et le profane : http://100fichesdelecture.blogspot.fr/2015/04/mircea-eliade-le-sacre-et-le-profane.html