Sous la direction de Renaud
Escande
Les Editions du Cerf, Paris,
2008
Première partie. Les faits
I. La sécularisation des bien d’Eglise:
signification politique et conséquences économiques (par Pierre Chaunu)
Talleyrand a proposé la
confiscation des biens du clergé au profit des créanciers de l’Etat. La
question qui dérangait était celle du droit de propriété, déclaré inviolable et
sacré. C’est toujours Talleyrand qui a fourni la couverture juridique: seule
est sacrée la propriété individuelle, la nation a souveraineté sur les corps existant
en son sein.
Après le vote démocratique, les
biens dits du clergé (en fait, de l’Eglise) sont confisqué par l’Etat, qui se
charge de subvenir aux frais du culte et aux services publics assumés jusque-là
par l’Eglise.
La confiscation des biens du
clergé est à la fois un expédient financier, une manifestation
d’anticléricalisme et une opération destinée à la destruction définitive des
ordres.
La masse des biens confisqués
(accumulation de mille ans) excède le volume du numéraire en circulation.
Comme l’Etat révolutionnaire ne
perçait pas d’impôts, il fallait désigner une catégorie très étroite pour la
spolier. On a choisi les riches et les clercs. Mais
les biens volés étaient très insuffisants, et après vînt l’inflation, le plus
injuste des impôts.
II. Le 14 juillet 1789:
spontanéité avec préméditation (par Jean-Pierre et Isabelle Brancourt)
La foule qui a envahit la
Bastille a bu le sang de la garnison. Cet acte va se généraliser durant
les années suivantes pour les victimes de marque.
Contrairement à une légende
tenace, la Bastille n’a pas été prise d’assaut par les émeutiers, elle s’est
rendue.
Une thèse favorable à la
Révolution parle de la spontanéité révolutionnaire dans la prise de la
Bastille. L’historien Michelet, romantique, parle de l’intuition
infaillible qui pousse le peuple irrémédiablement à son bien.
Une première hypothèse considère
que la foule avait été poussé par la crise économique et la famine. Une
deuxième hypothèse décrit le 14 juillet comme une insurrection contre «
l’arbitraire monarchique ». Mais la Bastille ne contenait pas de victuailles
(seulement deux sacs de farine!), et elle n’est devenu un symbole de la
monarchie qu’après. Il n’y avait à l’époque que sept détenus: quatre
faussaires, deux fous et le comte de Solages, seul à pouvoir être considéré
comme « victime de l’arbitraire ».
La dernière hypothèse avancée par
les tenants de la spontanéité du mouvement est celle d’une réaction de peur et
d’autodéfense.
Parmi les thèses contre
révolutionnaires on compte celle du complot orléaniste: le duc d’Orléans
apparaît comme le centre d’un vaste complot tendant, non pas à la destruction
de la royauté elle-même, mais à l’élévation du duc d’Orléans sur le trône, en
remplacement de Louis XVI, dans le cadre d’institutions libérales à l’anglaise.
On parle aussi d’un complot de la franc-maçonnerie contre la royauté de Louis
XVI, vu que le duc d’Orléans était Grand Maître du Grand Orient de France.
Trois points frappent
l’observateur:
a)
la démission des autorités;
b)
la responsabilité de l’Assemblée
nationale née de l’insurrection politique du tiers état contre la monarchie et
de la subversion des traditionnels états généraux;
c)
en juillet 1789 se met au
point une véritable technique insurrectionnelle, celle
des fameuses « journées révolutionnaires », une technique qui implique le
recours à la peur comme ressort principal de l’action. Chaque fois que la
légalité sera un obstacle à sa volonté, le peuple aura recours à
l’insurrection, d’abord contre le roi, et, celui-ci éliminé, contre l’Assemblée
elle-même.
III. Massacres du 10 août (par
Ghislain de Diesbach)
Louis XVI a compris rapidement
qu’il est condamné en tant que roi et bientôt comme simple citoyen. Il a refusé
se défendre par faiblesse, mais n’a rien fait pour épargner un sort semblable à
ceux qui lui étaient fidèles.
La garde suisse est massacré
horriblement par la populace. Elle était censée protéger le roi, mais
celui-ci contribue largement à leur triste sort. Il s’agit de presque 900
hommes (officiers et soldats). Cela a produit en Suisse un déplorable
effet, inspirant aux familles des victimes une invincible répugnance à l’égard
de la République française, issue d’une bain de sang, répugnance accrue par
l’invasion de la Suisse en 1798.
IV. La révolution intermittente.
Fragments intempestifs d’historiographie postrévolutionnaire (par Grégory
Woimbée)
La Révolution « jacobine » fut le
mythe d'une égalité censée produire, par la vertu généralisée, liberté et
société et, voulant une réalité qui les produisit toutes (les libertés
individuelles et collectives), elle célébra leur divorce. Le communisme estime
que le
bonheur social légitime une trannie
« de transition» et finit par préférer sa tyrannie au bonheur lui-même qu'elle
est censée édifier; le libéralisme juge, au contraire, que le bonheur est
médiatisé par une liberté d'indifférence et lui aussi finit par préférer le moyen
à la fin.
L'épisode de la Terreur est la
grande rugosité de la Révolution française. Pour les uns, elle est un dommage
collatéral, un dérapage, une dérive, un accident intolérable dû à des
circonstances elles-mêmes intolérables, une subversion de l'idéal ... pour les
autres, elle
est le vrai visage de 1789, le
mouvement de sa logique interne, une subversion par l'idéal.
V. Louis XVI et la Révolution de
la Souveraineté – 1787-1789 (par Jean-Christian Petitfils)
Louis XVI n'a pas été seulement
victime de la guillotine. Sa mémoire elle-même a été odieusement piétinée et
son oeuvre assez largement travestie par les historiens. Des générations de
manuels scolaires, en effet, se sont plu à dépeindre le dernier roi de l'Ancien
Régime sous les traits d'un homme
imprévoyant, à l'intelligence bornée, prisonnier d'une éducation
traditionaliste, passant son temps à chasser ou à forger des serrures. La
Révolution aurait surpris ce benêt couronné, l'aurait bousculé dans ses
certitudes d'un autre âge, le rendant incapable jusqu'aux dernières marches de
l'échafaud de comprendre l'ampleur des bouleversements politiques et sociaux affectant
son royaume.
Le dernier roi de l'Ancien
Régime était un homme beaucoup plus complexe qu'on ne l'a présenté, difficile à
saisir. On ne saurait pourtant nier son intelligence, sa vaste culture, son
excellente mémoire, sa connaissance des langues étrangères, particulièrement de
l'anglais. Passionné par la marine, la cartographie, les grandes découvertes,
ce fut aussi un grand roi
scientifique.
L'homme avait ses défauts.
Sans doute était-il desservi par une timidité maladive, un manque d'aisance en
société. Il était susceptible, méfiant, secret. Ses silences déconcertants
impressionnaient son entourage. Capable de bien comprendre une situation, il se
révélait la plupart du temps inapte à arrêter une décision, tant il en mesurait
et appréhendait les conséquences. D'où son caractère hésitant, influençable,
faible pour tout dire. Paralysé dans l'action, il était enclin - malgré une opiniâtreté
qui ne le rendait pas toujours facile à manoeuvrer – à subir l'influence de son
entourage.
Tout au long de son règne, Louis
tenta de mettre en place des réformes. Avec Turgot, il essaya une sorte
d'absolutisme éclairé, se caractérisant par la libéralisation du commerce des
grains, la sppression des corporations et des jurandes, le remplacement de la
corvée par un impôt payable par tous. Avec le banquier genevois Jacques Necker,
plus conservateur par certains côtés, il tenta de pratiquer un libéralisme aristocratique,
fondé sur des économies budgétaires et la réforme des
dépenses de la cour.
Louis XVI, avant la Révolution, voulait introduire une
réforme fiscale basée sur le principe de l’égalité devant la loi. Il voulait
fiscaliser aussi la noblesse. Il a fait l’erreur de convoquer le
Parlement, institution exilée par Louis XV. Son projet de révolution royale et
sociale, qui ambitionnait de
moderniser l'État et le royaume, se heurta immédiatement à une vigoureuse
opposition des privilégiés, crispés sur leurs droits acquis, déclenchant de la
part des milieux aristocratiques et
ecclésiastiques une contre-révolution, qui prit la forme d'une fronde
nobiliaire. C'est de cette vigoureuse contre-révolution qu'est née directement
- la crise économique et financière aidant – la Révolution française.
Globalement, le peuple
souhaitait une alliance entre la Couronne et le tiers état, contre les
aristocrates. On peut penser que l'Ancien Régime aurait pu évoluer en douceur vers un nouveau régime, conduisant à la disparition de la société d'ordres. Au
vieil absolutisme monarchique se serait substituée une monarchie
constitutionnelle dotée d'une représentation permanente des peuples. De là sans
doute serait née progressivement une monarchie parlementaire, qui aurait maintenu
dans son principe - et c'est ce qui était important pour la stabilité de
l'ordre public - la souveraineté royale. C'est ce qui était advenu à
l'Angleterre
après sa Glorious Revolution de 1688.
Dans la passivité du pouvoir, incapable
de proposer des réformes, le tiers état se proclame Assemblée nationale, au nom
de la souveraineté du peuple. C’est ce décret qui constitue la véritable
Révolution. À l'absolutisme monarchique, qui dans la réalité n'était qu'une
fiction, compte tenu de la multitude des corps intermédiaires de l'Ancien
Régime, se substituait l'absolutisme populaire, pouvoir fort, redoutable,
détenteur de toute autorité, exécutive, législative et judiciaire, enclin par
son origine comme par sa nature à la toute-puissance. Cette assemblée est prête
à tout assumer, y compris des lois dans le domaine religieux, au point de se
prendre parfois pour un concile œcuménique.
Roi réformateur, ayant accepté la fin de
la société d'ordres, les droits de l'homme et à peu près toutes les
transformations de la société civile, il aurait pu être le meilleur roi
possible pour la Révolution naissante, mais c'est elle finalement qui, par son
intransigeance dogmatique, n'a pas voulu de lui.
VI. La mort de Louis XVI (par Henri
Beausoleil)
La mort du roi Louis XVI, le 21 janvier
1793, représente un moment clé de la Révolution française. Il est généralement
admis que l'événement accéléra considérablement le développement de la violence
politique institutionnalisée, dont elle fut comme le tout premier acte, et
qu'il sépare nettement ce qu'on a coutume d'appeler la première Révolution,
bourgeoise et libérale, de 1789-1791, et la seconde Révolution, populaire et
violente, qui est celle de la Terreur. Ce simple constat révèle, en la personne
de Louis XVI, une dimension insoupçonnée, comme s'il organisait par sa présence
et son absence alternées la grande dramaturgie de la Révolution.
Le régicide révolutionnaire ne se réduit
pas à la seule mise à mort d'un homme, mais frappe aussi sa famille, la famille
royale, et, à travers eux, un régime, la monarchie de droit: divin, un type de
société, la France catholique et royale du XVIIIe siècle, une civilisation, la
civilisation chrétienne de style constantinien, et finalement un principe, la
royauté sacerdotale du Christ comme pierre d'angle de l'édifice social et
religieux de l'Ancien Régime.
Dans la théologie politique chrétienne
traditionnelle, datant de l'époque constantinienne, toute souveraineté et toute
légitimité politiques viennent de Dieu, et plus précisément de Jésus-Christ,
lui-même à la fois roi et prêtre, roi en tant que représentant son peuple auprès
du Père, et prêtre en tant que lui offrant son sacrifice parfait, car divin, en
réparation des péchés de l'humanité déchue.
En écho à la christologie paulinienne,
où le Christ est l'époux et la tête de l'Église, la théologie et le droit
faisaient du roi l'époux de la nation, le mari de la République, cette dernière
étant traditionnellement symbolisée par une figure féminine. Cette relation
sponsale, conçue juridiquement comme un contrat synallagmatique, imposait au
roi et à la nation un certain nombre d'obligations. Plus généralement, le
rapport entre le roi et ses sujets était conçu sur un modèle familial dont
Louis XVI lui-même se réclamait, affirmant que « tout ce que le père doit à ses
enfants, le frère à ses frères, l'ami à son ami, le prince le doit à ses
sujets» ; ou encore: « Le roi, le berger, le père, c'est une seule et même
chose. »
D'une façon générale,
le roi de France était la clef de voûte de l'ordre juridique et social tout
entier; il se devait d'être aussi, par son sacre, le protecteur de l'Église.
Dans ce contexte, le régicide - au sens de la destruction du principe royal -
visait à détruire le lien entre le roi et la République, et, donc, entre le
Christ - ou l'Église - et la France, et, par conséquent, à détruire toute une
civilisation qui s'était peu à peu épanouie en Europe occidentale, voire le
christianisme lui-même. C'est évidemment à l'esprit de la Révolution que l'on
doit imputer ce régicide.
La proclamation de la République ne se fit pas dans le climat serein et
enthousiaste qu'on lui prête généralement, mais avec précipitation et
fébrilité, sous le regard des galeries et de la Commune, par des députés élus
selon des procédures illégales.
Le roi sera condamné à mort pour « conspiration contre la liberté de la
nation ». La reine Marie-Antoinette a été condamné pour une fausse accusation
d’inceste contre son fils. Leur fils, Louis XVII, âgé de huit ans, enfermé et
abdandonné dans une tour pendant six mois, meurt de tuberculose (régicide par
négligence).
Le régicide, en fait, ne s'arrêta pas là, mais prit une tournure délibérément
systématique, frappant les monuments et les reliques de la dynastie royale:
après un rapport de Barère du 1er août 1793, un décret de la Convention ordonna
ainsi la destruction des tombes et des gisants de la nécropole royale de
Saint-Denis. La destruction eut lieu du 6 au 8 août 1793, frappant 51
monuments; comme put l'écrire dom Poirier, responsable du lieu, « en trois jours,
on a détruit l'ouvrage de douze siècles ». Le 14 août fut opérée la « destruction immédiate
des monuments, restes de la féodalité existant encore dans les temples et
autres lieux publics ». Du 12 au 25 octobre, ce sont les tombeaux de la
nécropole qui furent eux-mêmes détruits.
Les corps des rois et des reines, souvent embaumés et momifiés, furent exhumés pour être mis
dans une fosse commune, sous de la chaux vive, après avoir été parfois soumis à
de macabres mises en scène.
A mesure que l'ancien monde disparaît, la religion nouvelle, éminemment
antichrétienne, apparaît au grand jour, imprimant sa marque sur toutes les
sphères de la vie sociale, et notamment, pour prendre un exemple précis, sur le
calendrier. La révolution est
conçue comme un retour aux origines du paganisme, par-delà le passé chrétien,
voire une création nouvelle.
Il serait trop long de rappeler en détail les persécutions anticatholiques qui
accompagnèrent l'instauration de ce nouvel ordre « religieux ». Peu après
l'instauration de la République, le républicain Fouché, arrivé en Vendée, prit
une série de mesures qui furent ensuite adoptées par la Commune de Paris. Le 7
octobre, la sainte Ampoule fut (en partie) brisée à Reims. De nombreuses
églises furent pillées, leurs ornements et tableaux brûlés en autodafés ; on conseillait vivement aux prêtres, moines et moniales d'abjurer leurs voeux.
À Paris, le mot « saint» était retiré des noms de rue ; des bustes de Marat
remplaçaient les statues religieuses. Les habits religieux étaient interdits.
Les massacres de Vendée sont également à comprendre dans cette perspective.
Pendant ce temps, la nouvelle religion s'installait. Le 10 août 1793,
anniversaire de l'assaut des Tuileries, eut lieu le « Festival de la
Régénération », ou « Festival de l'Unité et de l'Indivisibilité de la République ». Sur les ruines de la
Bastille, David avait représenté Mère Nature: une figure féminine assise, des
deux seins de laquelle coulaient deux jets d'eau. Trois mois après, lors du «
Festival de la Raison », une actrice d'opéra joua la déesse Raison en plein
milieu de la cathédrale Notre-Dame, devenue« Temple de la Raison », avec le
bonnet rouge de la liberté sur la tête, un crucifix attaché sous un de ses
pieds. Le 7 mai 1794, par le décret du 18 floréal, Robespierre met en place le
culte paramaçonnique de l'Être suprême, fondateur de la nouvelle religion civique.
Telles sont par ailleurs d'autres conséquences de la mort de Louis XVI:
-
la faiblesse drastique de l'exécutif en
France de 1792 à 1958, ayant beaucoup de difficulté à réinventer sa légitimité;
-
les conséquences désastreuses de cette
faiblesse dans la conduite des guerres, notamment dans la prévention de la
montée du nazisme et du génocide juif;
-
la perte d'influence internationale
progressive de la France, qui peine de plus en plus à jouer son pôle
pacificateur anti-hégémonique traditionnel dans les relations internationales;
-
le paradoxal repliement de la France sur
elle-même;
-
le poids exagéré de Paris, devenue
nouvelle « tête» du pays après la mort du roi;
-
l'évacuation progressive et radicale du
spirituel dans la vie collective;
-
la perte du repère masculin,
structurateur, dans la psyché collective française, le roi représentant
traditionnellement la figure du père;
-
la perte du véritable sens de la liberté;
-
la dépersonnalisation des rapports
sociaux ;
-
la survalorisation du conflit comme mode
de résolution des problèmes de société;
-
la présence intempestive d'une sorte
d'ésotérisme égyptianisant dans certaines constructions propres au nouveau
régime (pyramide du Louvre, pyramide de la Tour du Crédit lyonnais à Lyon,
etc.) ;
-
le triomphe de la nouvelle religion et
la prolifération de l'occultisme et de formes subtiles d'oppression sous
couvert paradoxal et hypocrite d'humanisme, d'athéisme, de laïcité et de
rationalisme.
VII. Je m’appelais Marie-Antoinette Lorraine d’Autriche (par Jacques-Charles
Gaffiot)
La reine Marie-Antoinette a été accusée d’avoir trahi les intérêts de la
France, d’avoir cherché à provoquer la guerre civile.
Contrairement à l'idée reçue, la France d'Ancien Régime n'est pas
assujettie à l'arbitraire du souverain ni réduite à obéir à l'unique caprice du
bon plaisir dont le sens, de nos jours, a été dévoyé. (Étymologiquement, l'expression
signifie «bonne décision ». Elle émane du verbe latin placere qui signifie «
décider ». Le « bon plaisir» est donc une décision sage prise par le roi, en
son conseil. Il n'est pas le produit d'une volonté aussi fantaisiste que
contraignante.)
Des dépenses qui, pour
être considérables aux yeux des particuliers, ne ruinaient pas l'État, le
renvoi de deux ministres dont le premier montrait beaucoup d'incompétence et le
sort du second était déjà scellé, une influence inexistante en matière de
politique étrangère, tel apparaît le bilan bien maigre de l'action de
MarieAntoinette jusqu'au début de la Révolution.
VIII. Passion et
calvaire d’un enfant roi de France (par Père Jean-Charles Roux)
L’ordre concernant le
sort de Louis XVIII: « Ne pas le tuer. Ne pas l’empoisonner. Mais s’en
débarrasser. »
IX. Saint-Just
fasciste? (par Frédéric Rouvillois)
Les passerelles entre
la Révolution française et les totalitarismes du xxe siècle sautent aux yeux -
d'autant plus violemment que le régime soviétique, ses satellites et ses
historiens se sont toujours réclamés des grands ancêtres, la Révolution
bolchevique se concevant, dans la
continuité du modèle,
comme une Révolution française qui aurait échappé à Thermidor, à
l'embourgeoisement du Directoire et au coup d'État de Brumaire, une révolution
qui se serait glorieusement maintenue sur la ligne de crête établie par
l'Incorruptible. il est encore plus curieux de constater que l'autre grand courant
totalitaire du siècle, le fascisme, a pu éprouver, quoique sur un mode plus
discret, une semblable attirance pour les figures héroïques de la Révolution.
Si Saint-Just« annonce
les fascistes », s'il a pu les séduire, c'est parce que extérieurement, il leur
ressemble, ou plutôt parce qu'il correspond à ce que la mythologie fasciste
décrit comme le type humain idéal.
Fulgurance:
né le 25 août 1767, élu
à la Convention en septembre 1792, nommé en mai 1793 au Comité de salut public pour
établir un nouveau projet de Constitution, chargé, en octobre,
de réorganiser les
armées de l'Est, puis, à Paris, d'animer le gouvernement révolutionnaire au
côté de Maximilien Robespierre, SaintJust, à vingt-six ans à peine, est
tout-puissant, à la fois obéi, craint et admiré. Mais la chute du jeune chef
sera aussi rapide que son ascension:
victime d'un
retournement d'alliance, il meurt guillotiné le 10 thermidor an II, un mois
avant son 27e anniversaire.
Saint-Just: « ce qui
constitue une république, c'est la destruction totale de ce qui lui est opposé
». Il développe une logique de l’épuration.
Saint-Just: «Vous avez
à punir non seulement les traîtres, mais les indifférents même ; vous avez à
punir quiconque est passif dans la République et ne fait rien pour elle: car,
depuis que le peuple français a manifesté sa volonté, tout ce qui lui est
opposé est hors le souverain; tout ce qui est hors le souverain est ennemi. »
Selon Saint-Just,
contrairement à la monarchie qui peut se contenter d'investir la sphère
publique sans empiéter sur l'ordre privé, « dans une république, il y a de plus
des institutions, soit pour comprimer les moeurs, soit pour arrêter la
corruption des lois et des hommes. Un État où ces institutions manquent n'est
qu'une république illusoire, et comme chacun y entend par sa liberté
l'indépendance de ses passions et de son avarice, l'esprit de conquête et
l'égoïsme s'établissent entre les citoyens, et l'idée particulière que chacun
se fait de sa liberté, selon son intérêt, produit l'esclavage de tous. »
Pessimisme, vision tragique de la vie, rejet formel des dogmes du progrès
et de la raison, anti-individualisme : de toute évidence, Saint-Just n'est pas
un moderne ordinaire.
La pensée de Saint-Just est dominée par la figure du héros, l’antithèse du
bourgeois. Le héros patriote a le culte de l’énergie, il déteste la mollesse,
la paresse, l’indulgence. Dans la République, l’héroïsme n’est pas facultatif,
mais de rigueur.
Saint-Just a compris que la haine est un ressort capital pour éveiller un
peuple assoupi. Le droit, les formes, les procédures sont des luxes dont il
faut savoir se passer en temps de crise.
Saint-Just affirme que, pour remédier à l'anarchie des pouvoirs et des volontés,
au désordre politique et législatif, il n'est au fond qu'« un moyen de salut:
ce moyen, c'est la concentration du pouvoir, c'est l'unité des mesures du
gouvernement, c'est l'énergie attachée aux institutions politiques dont les
anciens firent un si utile usage ».
Tout est bon, y compris le recours à la terreur, dont Saint-Just sera l'un
des soutiens les plus actifs, ou au mensonge, qu'il pratiquera sans états
d'âme: au regard du triomphe de la Révolution, la vérité n'importe pas plus que
la justice ou la pitié. Marie Lenéru observe ainsi avec quelle légèreté il
présente, dans ses réquisitoires, « les preuves et les pièces dont il s'appuie,
généralement fausses ». Jamais personne, s'exclamera Taine, « parlant à la
France et à la postérité», n'a « si impudemment menti ».
XI. La persécution antireligieuse (Jean de Viguerie)
Pendant la Révolution, une grande persécution, inattendue, surprenante et
d’une extrême cruauté, sévit contre le christianisme. Depuis l’édit de
Constantin, c’est la première persécution en Occident contre cette religion.
Victimes: 8000 de prêtres, religieux et religieuses, plusieurs milliers de
laïcs. La violence dépasse ces crimes: le serment exigé des prêtres contre leur
conscience, la déchristianisation systématique, l’instauration des cultes
sacrilèges.
La suppression de l’ordre du clergé et la confiscation de ses biens placent
les ministres du culte dans la dépendence entière de l’Etat. Les intérêts de la
religion ne seront plus défendus.
Huit mois après le commencement de la Révolution, un décret interdit de
prononcer des vœux solennels, supprime les ordres monastiques et jette tous les
moines dans la vie du siècle. Une loi nommée « Constitution civile du clergé »
veut créer une nouvelle Eglise, dont les évêques et les curés soient choisis
par le peuple. Le nouvelle Eglise est une Eglise d’Etat, qui n’a aucune liaison
avec Rome. C’est une schisme prévue par la loi.
Plus que toute autre confession religieuse, le catholicisme est vulnérable
dans ses ministres. Car le prêtre catholique n'est pas un ministre ordinaire.
Il est un autre Christ, et sans lui fait défaut l'acte essentiel du Sacrifice,
et sans lui manque le pain du Ciel. Qui donc supprime ce ministre atteint
profondément cette religion, exposant ses fidèles au péril de famine et de
mort. D'où la persécution des prêtres.
Tout le terrorisme révolutionnaire
est dans cette logique: celui qui n'accepte pas la Révolution et le nouveau
patriotisme est un être exécrable. Il mérite donc la mort.
Les prêtres sont forcés à se marier. Pendant des mois et des mois, les
églises ont été fermées. La plupart ont été dépouillées de leur contenu,
certaines ont été transformées en magasins à fourrage, d’autres en poudrières.
Beaucoup ont été démolies ou vendues. Plusieurs ont été transformées en temples
des cultes de la Raison et de l’Etre suprême.
La déchristianisation du paysage: les cloches sont dépendues, les calvaires
abattus, les petites vierges des niches au coin des rues sont mutilées ou
jetées à terre. La déchristianisation du temps: l’instauration du calendrier
républicain, avec sa semaine de dix jours, ses jours numérotés, ses saints qui
sont des légumes ou des instruments agricoles, son « décadi » qui remplace le dimanche,
ses quatorze fêtes nationales qui remplacent les fêtes chrétiennes.
En 1799 y a-t-il encore une religion en France? Oui, il y a une religion,
mais c'est une religion séculière. C'est la religion de la nation, de la loi,
de la liberté, de la nature, de la raison, et
autres abstractions divinisées.
Ce que veulent les hébertistes, premiers auteurs de la déchristianisation
de 1793, et ce que veulent les Fructidoriens, c'est abolir toute religion,
c'est remplacer le christianisme par l'État et par la nouvelle patrie. Si le « fanatisme» - ils
appellent ainsi le catholicisme - est haïssable, c'est parce qu'il est selon,
leur langage, « antisocial ». Si les prêtres doivent être proscrits, c'est
parce qu'ils sont, dit une circulaire du Directoire du département du Nord, des
«êtres farouches, exclusifs, insociables ». Le district de Beaumont-Grenade en
Haute-Garonne déclare vouloir poursuivre « la destruction d'une caste si
malfaisante et si dangereuse ».
Les premiers chrétiens étaient
contraints de rendre un culte au «Génie» de l'empereur. Les chrétiens des temps
révolutionnaires sont invités à adorer la loi, sous peine de terribles
châtiments.
Combien sont-ils ces martyrs chrétiens? Déjà l'Église a tiré de l'oubli
plusieurs d'entre eux, et les a proposés à la vénération des fidèles. 870 ont
été reconnus par la Congrégation romaine pour les causes des saints et
béatifiés. Parmi eux se trouvent les 16 carmélites de Compiègne, les 13
ursulines de Valenciennes, les 191 martyrs de septembre 1792, assassinés dans
les prisons des Carmes, de Saint Firmin et de l'Abbaye, les 19 martyrs de
Laval, les 99 martyrs d'Avrillé près d'Angers (dont 84 laïques), et le P. Adrien Toulorge, religieux
prémontré âgé de trente-six ans, guillotiné à Coutances le 13 octobre 1793. D'autres
causes sont en cours d'examen, dont celle de 110 enfants de moins de sept ans,
massacrés aux Lucs-sur-Boulogne en Vendée par la « colonne infernale » du général
Cordellier, et celle de 64 prêtres et religieux déportés à Rochefort, et
enfermés pendant des mois sur deux navires négriers ancrés en rade et
transformés en geôles flottantes. Le martyrologe de la Révolution française est
long, riche et divers. Il rappelle celui des premiers temps du christianisme.
XII. La guerre de Vendée. Guerre civile, génocide, mémoricide (par Reynald
Secher)
Il s'agit de distinguer trois grandes phases:
- La guerre proprement dite qui va de mars 1793 à décembre de la même année
et qui s'achève avec la défaite de Savenay: c'est une guerre civile, atroce
certes, mais guerre civile avant tout;
- l'énonciation, la conception, la planification et la réalisation d'un
système d'anéantissement et de dépopulation, d'un populicide comme disent les
révolutionnaires, de la Vendée et des Vendéens, que nous, contemporains,
assimilons à un génocide selon la définition de Nuremberg, qui commence en
avril 1793 et se termine avec la chute de Robespierre ;
- la manipulation de la mémoire qui se traduit par un mémoricide.
Après des victoires militaires, les Vendéens perdent l’offensive parce que
leurs généraux ne tombent plus d’accord quant aux cibles et divisent l’armée en
plusieurs corps indépendants.
L'idée d'exterminer la
population vendéenne est pour la première fois énoncée le 4 avril 1793 par
certains politiques et officiers supérieurs. La Convention vote la
destruction de la Vendée: forêts, bois, futaies doivent être abattus, les
bestiaux saisis, l'habitat confisqué, les récoltes coupées. Les rapports
politiques et militaires sont d'une précision éloquente; il faut
prioritairement éliminer les femmes « sillons reproducteurs » et les enfants «
car en passe de devenir de futurs brigands ». Disparaît également le risque des
représailles et de la vengeance. On crée même des camps d'extermination qui
leur sont réservés comme à Noirmoutier. À Bourgneuf et à Nantes, on organise
des noyades spéciales pour les enfants.
Le bilan s'impose: la
Vendée militaire, sur une population estimée à 815000 personnes, a perdu au
moins 117000 membres dont une grande partie du fait du système de dépopulation
dénoncé à l'époque par Gracchus Babeuf, père du communisme, qui parle d'ailleurs
de populicide. Qui plus est, au moins 10 300 maisons sur 53 273 recensées dans
les seuls départements de la Loire-Inférieure, des Deux-Sèvres et du tiers de
la Vendée ont été détruites. Certaines zones, pour diverses raisons, ont été
plus touchées que d'autres. C'est ainsi que Bressuire perd 80 % de son habitat;
Cholet 40 % de sa population, etc.
Il va falloir attendre
la chute de Robespierre pour que l'opinion publique: locale, nationale,
internationale prenne conscience de « l'énormité de l'acte » commis en Vendée.
À la stupeur générale, suit très vite la colère. Cinq grandes questions sont
posées: qui est coupable? Qui est responsable? Comment sanctionner ce crime
contre l'humanité? Comment mémoriser ce crime d'État? Comment
l'appeler? Cette dernière question est l'objet de longs débats en raison même
de la spécificité première de cette politique d'anéantissement et
d'extermination. Faute de mot, Gracchus Babeuf va recourir à un néologisme : le
populicide.
Bonaparte est le
premier agent de la mémoire nationale. Lorsqu'il prend le pouvoir en 1799,
l'une de ses premières préoccupations est le rétablissement de la paix en
Vendée. Outre l'évidente finalité politique, le général a aussi un réflexe
humanitaire. Il est, et le dira à maintes reprises, scandalisé par ce qui a été
fait.
Avec le règne de
Louis-Philippe commence la révision de l'histoire et le travail de manipulation
de la mémoire au nom de l'intérêt supérieur de la nation et des principes «
fondateurs » de la Révolution comme l'a si bien expliqué le grand historien du
XIXe siècle, Hippolyte Taine, dans
l'introduction de son ouvrage, Les Origines de la France contemporaine, paru en
1884: « Ce volume, comme les précédents, dit-il, n'est écrit que pour les
amateurs de zoologie morale, pour les naturalistes de l'esprit, pour les
chercheurs de vérités, de textes et de preuves, pour eux seulement et non pour
le public qui, sur la révolution, a son parti pris, son opinion faite. Cette
opinion a commencé à se former en 1825-1830 après la retraite ou la mort des témoins
oculaires: eux disparus, on a pu persuader le bon public que les crocodiles
étaient des philanthropes, que plusieurs d'entre eux avaient du génie, qu'ils
n'ont guère mangé que des coupables et que si parfois ils en ont trop mangé,
c'est à leur insu, malgré eux ou par dévouement, sacrifice d'eux-mêmes au bien
commun. » L'opération consiste à laver la Révolution de toute souillure, à ôter
la tache de sang vendéenne. Comme on est incapable d'expliquer le crime commis,
on préfère le nier, le relativiser, le justifier, le banaliser, méthode la plus
répandue chez les historiens « négationnistes », méthode: toujours utilisée de
nos jours.
XIII. Le vandalisme
révolutionnaire (par Alexandre Gady)
La Révolution a été
vandale.
La Révolution n'est pas
un bloc. Et le vandalisme qui a alors opéré en France ne l'est pas non plus,
tant par sa chronologie que par sa nature.
C'est là que gît la
clef de lecture du vandalisme révolutionnaire. Plutôt que de la bêtise ou une
ruse politique, il faut voir dans cette attitude schizophrénique la
contradiction fondamentale de la Révolution: elle n'a cessé d'être fondée sur
le règne des théories et de l'abstraction, et d'être aux prises avec les faits
et l'incarnation. Il n'était pas possible de détruire toute la France et de la
purger de tous ses monuments et oeuvres d'art. Mais il n'était pas non plus possible
aux nouveaux maîtres du pays de conserver intact le décor du passé, qui constituait
un rappel permanent de l'ancien temps: les fleurs de lys embaumaient toujours
la monarchie, les clochers gothiques chantaient partout la louange de Dieu.
Alors on opéra par à-coups, sans logique, tantôt avec excès, parfois avec
faiblesse, décrétant ou laissant faire. Et après quelques années, le résultat fut
un grand bouleversement du paysage monumental des villes, des châteaux et des
églises. Immense désastre pour la France, dont Chateaubriand a été l'un des
peintres les plus touchants, en même temps qu'immense succès de la Révolution.
Le vandalisme
révolutionnaire couvre le territoire entier de la Nation. Pas une église, un
château, une ville, en effet, qui ne porte un stigmate de l'événement
refondateur.
la vente d'une église
ou d'un grand domaine ne pouvait pas être autre chose que sa mort. Soit une
mort immédiate, par une destruction qui procurait des matériaux, puis un
terrain à lotir: la Révolution fournissait là une riche matière au vandalisme le
plus courant, celui de la spéculation J. Ou une mort lente, par la
transformation en un usage contraire à sa bonne conservation : combien
d'églises devenues salle de spectacle, usine de salpêtre, écuries, voire
habitation ... ? Ainsi ont disparu de grandes abbayes (Jumièges, Cluny,
Chaalis, OrvaL .. ), de grands châteaux royaux ou princiers (Marly, Meudon,
Chantilly, Choisy, Madrid au bois de Boulogne ... ).
L'aspect le plus
spectaculaire fut la destruction des effigies royales, pourchassées partout.
Des centaines de tableaux, surtout des portraits, furent anéantis. Pire, car il
subsiste malgré tout des effigies royales peintes, fut le sort réservé aux
statues, équestres ou pédestres, et aux bas-reliefs monumentaux, oeuvres
admirables dues aux meilleurs sculpteurs italiens et français qui ornaient les places
royales et les édifices publics, tant à Paris qu'en province. Il n'en reste pas
une seule sur tout le territoire français, à l'exception d'une statue en pied
de Louis XIV, précieuse figure de bronze de Coysevox (musée Carnavalet), qui
fut inexplicablement épargnée.
À l'extérieur des
édifices, plusieurs milliers de statues, datant de l'époque médiévale, de la
Renaissance et de l'âge moderne, furent abattues, brisées, décapitées ... , des
bas-reliefs grattés. Très peu de ces mutilations furent le fruit d'une «
fureur» populaire, tolérée par les autorités de fait. Il fallut s'organiser,
donner des ordres, monter des échafaudages, payer à la tâche, système où
l'administration déploya son énergie et laissa en conséquence des archives ...
XIII. Bibliothèques et
Révolution française (par Jean Dumaine)
Force est de constater
que la constitution de bibliothèques et leur mise à la disposition du public
cultivé n'ont nullement été le fait de la Révolution, qui a plutôt joué le rôle
d'un frein en ce domaine, dont les conséquences se sont fait sentir jusqu'au
milieu du XIXe siècle. Ainsi le décret de 1794 organisant l'existence des bibliothèques
publiques ne prit réellement corps qu'après 1830 à l'initiative des
municipalités elles-mêmes.
La Révolution a, en peu
d'années, mis la main sur un nombre considérable de livres. Elle est à
l'origine d'un processus d'appropriation brutal et généralisé, qui s'est
déroulé en trois vagues: confiscation des biens du clergé (novembre 1789),
séquestre des biens des émigrés (février 1792), saisie des bibliothèques des
universités, des académies et sociétés savantes, après leur suppression au
cours de l'été 1793.
XIV. Et la Royale fut
détruite! (par Tancrède Josseran)
Effectivement, après
les déboires de la guerre de Sept Ans (1756-1762), la monarchie française a
entrepris un formidable effort de redressement maritime, la « Royale» devient à
la veille de 1789 la plus grande marine d'Europe derrière l'Angleterre. Cela en
grande partie grâce à l'impulsion donnée par Louis XVI, souverain féru de
géographie et d' explorations. Solidement alliée à la
maison d'Autriche, à l'Espagne et à Naples par le pacte de famille, le
Royaume-Uni étant isolé depuis l'indépendance de l'Amérique, la France n'a plus
ses frontières continentales menacées par les invasions. La monarchie est
l'arbitre de l'Europe. La France est durant cette décennie pré-révolutionnaire à
la croisée des chemins. Elle est alors apte à devenir ce à quoi la géographie
la prédestine naturellement, une grande puissance continentale à vocation
océanique.
Napoléon, qui dans bien
d'autres domaines a pu bénéficier de l'héritage de la France de Louis XVI, ne
pourra jamais reconstituer une flotte digne de ce nom.
La France a
laissé échapper au profit du Royaume-Uni la possibilité de pouvoir devenir la
première puissance maritime, et donc commerciale et industrielle d'Europe.
Cette catastrophe est la conséquence directe de la Révolution.
L'enthousiasme,
la supériorité numérique ne peuvent sur mer se substituer à un corps d'élite
formé de militaires qui sont en premier lieu des techniciens et des
scientifiques. On ne manoeuvre pas une escadre comme une colonne de fantassins.
Le courage et le sens du sacrifice ne peuvent pallier que jusqu'à une certaine
mesure la désorganisation et l'incompétence. La guerre sur mer exige un solide
bagage technique, une accoutumance aux éléments, une attention constante au
matériel, la discipline des équipages, un encadrement de valeur. En d'autres
termes, tout ce qui faisait la force et la renommée de la Marine: royale en
1789.
Désorganisée, découragée,
désarticulée, en proie à la subversion, la Marine devait à partir de février
1793 faire face une nouvelle fois à la Royal Navy. Au moment où la France
entame la phase décisive de ce que l'on pourrait appeler« la seconde guerre de
Cent Ans », la Révolution a brisé le seul instrument qui aurait pu permettre de
frapper au coeur l'âme des coalitions antifrançaises. Aussi brillantes soient-elles,
les victoires sur le continent de la Révolution puis de l'Empire ne furent
jamais que des dérivatifs à l'incapacité stratégique à pouvoir en finir une
fois pour toutes avec Albion.
XV. La question du
droit révolutionnaire (par Xavier Martin)
Le thème du droit privé sous
la Révolution est un thème politique. Il l'est tout d'abord superficiellement,
en ce sens que des points majeurs du droit privé sont des enjeux entre
factions. Il l'est plus encore fondamentalement, en cet autre sens que
son équipement philosophique est rattachable à des principes, il est tributaire
de problématiques, qui sont celles des fondements politiques des Lumières.
Deux illusions:
l'illusion, d'une part, qu'il sera facile de simplifier le droit; et puis
celle, d'autre part, qu'il est profitable politiquement de desserrer les liens
de famille.
À tout le moins sans doute
l'univers politique, dont fait partie le droit, peut-il être réduit - en tout
cas le rêve-t-on - à un principe unique, et un principe unique promu
précisément par la littérature du siècle des Lumières: l'intérêt égoïste, un
intérêt, du moins, assez sophistiqué pour se faire altruiste en ne songeant
qu'à lui ; c'est la clé du social.
Un droit dépouillé ... donc
tout simplement une société révolutionnaire dépouillée du droit. Élection des
juges; extrême faveur pour l'arbitrage, qui devient la règle, la voie
judiciaire étant l'exception; anéantissement de la science du droit; donc fin
des juristes, ces parasites du corps social, « cette vermine des États », comme
l'auront pu dire alors des avocats. Voilà en vrac l'esprit nouveau. Il est typique des utopies: la société parfaite n'a
pas besoin de droit. Et bientôt, logiquement, réduction à néant des facultés de
droit, « où l'on n'enseignait que du radotage » : mesure de septembre 1793.
C'est avec entrain que
la Révolution desserre les liens sociaux: suppression des corps, des ordres,
des communautés de métier, de ce qui reste des lignages - et relâchement des
liens dans la famille étroite.
Danton et Robespierre
dénoncent identiquement l'effet rétrécissant du cadre familial sur l'esprit des
enfants. Les cellules familiales sont en quelque manière des retenues
d'affection, comme on dirait d'une retenue d'eau. Elles contrarient donc, dans
le corps social, la circulation des influx civiques. Elles sont comme des
caillots, qu'il faut fluidifier. La famille est trop dense, trop « ficelée ».
Ses noeuds sont donc à desserrer. Ajoutons à tout cela l'abaissement -
théorique - du pouvoir marital; et par-dessus tout l'anéantissement du pouvoir
des pères.
Quant à la famille,
deux questions cruciales: le divorce facile et le dépérissement du pouvoir
paternel. Le divorce d'abord. Il est tenu pour un rongeur du lien
social. Mais aux freins déjà dits s'en ajoute en l'affaire un troisième:
l'image du divorce en tant que symbole antireligieux.
Une inflation
législative apparemment inexorable. 15000 lois en cinq ans? Le chiffre court
dans les débuts du
Directoire. Il est question de 40 000 quatre ans plus tard. Quoi qu'il en soit,
c'est un grand choc. Joseph de Maistre ironisera sur cette étrangeté entièrement
nouvelle: des centaines de gens payés à temps plein pour produire des lois.
XVI. Le découpage
révolutionnaire du territoire, entre utopie et technocratie (Christophe Boutin)
La passion de l'égalité: non pas
l'engouement pour cette égalité « mâle » que décrira Alexis de
Tocqueville, qui pousse
l'homme à tenter d'égaler ceux qui lui sont supérieurs, mais cette passion
qu'évoque aussi le penseur normand, que nous nommerions égalitarisme, celle qui
pousse à tout rabaisser au niveau d'un plus petit dénominateur commun.
On pense que la Révolution,
ayant fait disparaître le despotisme, aura rendu inutiles les contre-pouvoirs
des libertés locales. Curieusement, personne ne semble alors se méfier du
danger que feraient courir aux libertés individuelles une assemblée ou
l'administration centrale. Dans une acception très rousseauiste, l'élection est
censée garantir l'arrivée au pouvoir - au moins majoritairement - d'individus
préoccupés par le seul bien commun, et, faite par les représentants de la
nation, la loi ne saurait qu'être profitable à tous.
Il faut donc mettre en place
une organisation « régulière, raisonnable, et commode, soit à l'administrateur, soit à toutes les parties du
territoire administré », et deux discours sous-tendent ces propos: une volonté
de démocratisation, avec des institutions plus lisibles et un pouvoir plus
proche, mais aussi, parallèlement, un pouvoir central plus efficace et plus
présent localement. C'est ce que résument assez bien les célèbres arguments sur
la taille optimale de la circonscription départementale: suffisante pour
permettre à tout citoyen de se rendre à son administration centrale, au
chef-lieu, en une journée de marche, et à son administrateur de faire l'aller
et retour avec ses points les plus éloignés en une journée de cheval.
La part utopique de la
régénération n'est donc pas négligeable, qu'elle se traduise par un nouveau
calendrier, une nouvelle langue (foin de la politesse et des titres), de
nouveaux poids et mesures ou de nouveaux noms. On le sait, le stade ultime du
ridicule sera atteint quand la Révolution se radicalisera et que 3 100 communes
changeront de nom, les unes pour rappeler un ancêtre illustre, quand Compiègne
devient Marat-sur-Oise, Ris-Orangis, Brutus ou Sainte-Maxime Cassius, les
autres pour effacer un souvenir contrerévolutionnaire, Versailles devenant Berceau-de-Ia-Liberté, ou Chantilly
Égalité-sur-Nonette, Marseille, coupable de soulèvement, Ville-sans-nom et
Lyon, Commune-affranchie, d'autres enfin pour écarter un terme connoté,
Bourg-la-Reine devenant Bourg-Égalité et, surtout, Grenoble ... Grelibre !
Quelles furent les
conséquences de ces découpages ? La perte d'un sentiment de solidarité, car,
sauf exception, le département n'est jamais devenu une sphère d'appartenance.
Sondage après sondage, lorsqu'on leur demande leur cadre privilégié
d'enracinement, les Français continuent d'évoquer la nation, les
régions/provinces et les communes, et bien qu'implantés depuis deux cents ans
les départements font toujours figure de structure artificielle. En dépossédant
les provinces, ils ont contribué à permettre leur effacement: en résulta la perte du
sentiment de continuité historique et des limites aux possibilités d'ériger des
contre-pouvoirs locaux. Car si l'échelon départemental n'est pas toujours apparu
comme étant le mieux adapté à la mise en oeuvre de la décentralisation, il l'a été dès le début à une déconcentration efficace,
renforçant le pouvoir de cet agent de l'État tout-puissant que fut longtemps –
et qu'est encore largement -le préfet. Bref, le département a joué son rôle
dans le développement d'une unité égalisatrice et a contribué au renforcement
du poids de la technocratie. Les bureaux auraient été contents.
XVII. Révolution,
météorologie, subsistances (1787-1789) (par Emanuel Le Roy Ladurie)
La récolte de 1788 fut
éprouvée par la météo. Les récoltes des trois céréales de base (froment,
seigle, méteil - du froment mélangé au seigle), en 1788, sont à l'indice 7
(minimal) ce qui n'était jamais survenu au cours des treize années intermédiaires
de 1775 à 1787.
XVIII. L’iconographie
contre-révolutionnaire (par Bruno Centorame)
Il faut attendre
l'époque thermidorienne pour assister à une large publication de gravures
détaillant noyades, fusillades, canonnades et décapitations, telle l' « Histoire
générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la
Révolution française ».
Au gré des régimes
politiques et de l'évolution du goût artistique, le pathos romantique alterne
donc avec les scènes réalistes, le souci du détail précis avec l'exaltation du
mythe, religion et
politique étant très
souvent associées. Le XIXe siècle, « siècle de l'histoire» et du renouveau
catholique, sa conséquence réactive, ne pouvait que trouver dans les drames de
la Révolution une source d'inspiration contrastée et éclairante.
XIX. Bonaparte et la
Révolution Française (par Jean Tulard)
Pour le courant
républicain du XIXe siècle, Napoléon est le liberticide qui mit fin à la
Révolution. Pour le courant royaliste, il fut l’adversaire de la monarchie.
Napoléon a longtemps
considéré que la nature de son pouvoir pouvait se comparer à une dictature de
salut public à la romaine. Il dira: « Lorsque je me suis mis à la tête des
affaires, la France se trouvait dans le même état que Rome lorsqu'on déclarait
qu'un dictateur était nécessaire pour sauver la République. Tous les peuples
les plus puissants de l'Europe s'étaient coalisés contre elle. Pour résister
avec succès, il fallait que le chef de l'État pût disposer de toute la force et
de toutes les ressources de la nation. »
XX. L’héritage de la
Terreur au XIXe siècle (par Marc Crapez)
La terreur s'assortit
d'une insouciance sarcastique, laquelle se manifeste également tant dans la
mentalité stalinienne ou maoïste que dans la logique bolchevique.
Sous la Révolution
française, la terreur fut pratiquée par le jacobinisme, mais elle a pu être
revendiquée (et paradoxalement subie) par trois autres factions différentes
qu'il convient de soigneusement distinguer: les hébertistes, les Enragés et les
babouvistes.
Les hébertistes
(autrement appelés Exagérés, Exaltés, Cordeliers ou sans-culottes) tiennent le
haut du pavé de septembre 1793 à mars 1794 au sein de la Commune de Paris, du
ministère de la Guerre, voire du Comité de sûreté générale. Leurs descendants auront
partie liée avec la Commune de 1871.
Les Enragés (Dolivier,
Roux, Varlet, Leclerc) sont une faction active de février à septembre 1793. On
peut y voir l'amorce d'une sorte d'extrême gauche anarchiste qui fera parler
d'elle dans les années 1890, d'une part, par une série d'attentats sanglants
comme celui de Vaillant, d'autre part, par des actions crapuleuses résultant d'une
corruption de l'anarchisme traditionnel par une phraséologie du droit à la
paresse et au vol baptisé « reprise individuelle» ou
« illégalisme ».
À maints égards, les
babouvistes, sont les précurseurs des communistes collectivistes qui
deviendront un important courant du socialisme français à partir des années
1890. Cela étant, Babeuf s'élève contre le «populicide» infligé aux Vendéens.
Et l'on ne peut attribuer aux néo-babouvistes le climat de fureur anticléricale
des Trois Glorieuses, qui culmine avec la mise à sac de l'archevêché de Paris
en février 1831. Ce vandalisme s'effectue sur le thème de « l'alliance du trône
et de l'autel ». Du reste, les néo-babouvistes sont plutôt déistes comme
Buonarroti qu'athées avec Théodore Dézamy.
L'ultra-révolutionnaire
peut osciller entre la catégorie (jamais négligeable) du physiquement courageux
qui s'abstient de profiter de sa position pour menacer la vie de ses ennemis,
et inversement celle (trop répandue) du couard qui s'adonne à la délation des suspects.
XXI. Les retombées de
la Révolution Française. Un réquisitoire (par Dominique Paoli)
Ernest Renan, în 1868,
écrivait: « Avec leur mesquine conception de la famille et de la propriété,
ceux qui liquidèrent si tristement la banqueroute de la Révolution dans les
dernières années du XVIIIe siècle préparaient un monde de pygmées et de
révoltés. Ce n'est jamais impunément qu'on manque de philosophie, de science et
de religion. Comment des juristes, quelque habiles qu'on les suppose, comment
de médiocres hommes politiques, échappés par leur lâcheté aux massacres de la
Terreur, comment des esprits sans haute culture, comme la plupart de ceux qui
composaient la tête de la France, en ces dernières années décisives,
crurent-ils résolu le problème qu'aucun génie n'a pu résoudre: créer
artificiellement et par la réflexion l'atmosphère où une société peut vivre et
porter tous ses fruits. »
Parmi les excités de
1848 se trouvent beaucoup d'ouvriers. Cette nouvelle classe sociale connaît un
sort peu enviable. Lorsque l'économie est florissante, elle ploie sous un
travail très dur, à la cadence forcenée. Lorsque l'économie est en crise, elle
est réduite au chômage et à la misère.
XXII. De la Révolution
Française à la Révolution d’Octobre (par Stéphane Courtois)
La Révolution française
a été pendant plus d'un siècle l'événement fondateur, la référence pour tous
ceux qui s'opposaient à une monarchie dite « absolue », et plus encore à une
dictature personnelle ou à une autocratie telle qu'en connaissait la Russie
tsariste. Elle offrait, en effet, l'exemple d'un cycle politique qui engageait un
processus constitutionnaliste, qui proclamait l'abolition des privilèges et
établissait les droits de l'homme et du citoyen, puis présidait à l'élection
d'une Assemblée constituante, bifurquait vers une République qui tourna bientôt
en dictature terroriste d'un clan et enfin d'un homme qui finit par chuter en
Thermidor. Ce processus connut même un codicille: en 1795-1796, Gracchus Babeuf
et ses amis ont tenté d'articuler la dictature politique révolutionnaire avec une
révolution sociale reposant sur l'abolition de la propriété privée et
l'instauration de l'égalité « réelle ». Et même si la conjuration des Égaux a
fait long feu, elle est devenue, tant pour Marx que pour Lénine, l'événement
précurseur du communisme moderne.
En incitant
véhémentement, dès septembre 1917, ses camarades à préparer une insurrection et
un coup d'État, et en s'emparant, le 7 novembre, du palais d'Hiver - où siègent
les ministres du gouvernement provisoire - avec l'appui de la populace, Lénine
réédite l'attaque des Tuileries le 10 août 1792, placée pour la première fois sous
le signe du drapeau rouge.
En instaurant, le 7
novembre, un double pouvoir - celui, légal, de l'Assemblée constituante en
cours d'élection, et celui, qu'il tient seul pour légitime, des activistes
révolutionnaires et de la rue -, Lénine plagie les Jacobins et la Commune de Paris
de 1792.
En fondant sa
légitimité sur une surenchère permanente dans le cadre d'une féroce compétition
pour le pouvoir entre révolutionnaires, et en clouant au pilori ses
concurrents, Lénine s'inspire de la lutte acharnée entre Jacobins, Girondins, Enragés
et Indulgents.
L'historien Guglielmo
Ferrero, dans Les Deux Révolutions françaises (1951), dit: « Par esprit révolutionnaire, il faut entendre le désir et l'espoir de s'emparer du pouvoir
en dehors de tout principe de légitimité, de s'en emparer par la force et de
l'exercer par la terreur. »
L'un des premiers
réflexes de Lénine après le 7 novembre 1917 est d'assimiler à la Vendée de 1793
les cosaques du Don qui se sont organisés de manière démocratique et autonome.
En juillet 1918, Lénine
fait mettre à mort le tsar, sa famille et ses parents. Et, comme en France,
l'assassinat du souverain est un élément majeur du déclenchement de la guerre
civile nationale.
XXIII. Les Juifs et la
Révolution française (par Michael Bar Zvi)
Comte de Clermont-Tonnerre:
« Il faut tout refuser aux juifs comme nation, et accorder tout
aux juifs comme
individus. Il faut qu'ils ne fassent dans l'État ni un corps politique ni un
ordre; il faut qu'ils soient individuellement citoyens. »
L'abbé Grégoire décrit durement
les défauts des juifs: déchéance physique, corruption du sang, pratique de
l'usure, haine des autres peuples, etc. Le remède proposé n'est pas un retour à
la gloire passée de ce peuple mais son intégration dans la « famille
universelle qui doit établir la fraternité entre tous les peuples ». La
régénération du juif est sa dissolution dans une totalité abstraite.
Le processus de
déchristianisation commencé en France avec la Révolution devient aussi celui de
la déjudaïsation progressive, à la seule différence que l'octroi de certains
droits dont les juifs avaient été privés depuis des siècles de persécution et
de brimades le rend plus acceptable et par là même plus rapide.
La Révolution française
n'a pas anéanti la haine des juifs, mais engendre une nouvelle forme de ce
fléau, qui prendra à la fin du XIXe siècle le nom d'antisémitisme. Venant aussi
bien des milieux de droite que de gauche, cette judéophobie n'était plus
centrée sur la culpabilité dans la mort du Christ mais sur la responsabilité du
juif dans l'avènement du monde moderne et de ses maux. L'anticapitalisme
rejoint la nostalgie de l'univers traditionnel pour dénoncer la manipulation
des juifs, méconnaissables aujourd'hui car ayant perdu leurs attributs
extérieurs.
C'est au XIXe siècle
que l'idée d'extermination du peuple juif est formulée de façon précise.
Proudhon l'énonce dans ses Carnets: « Le juif est l'ennemi du genre humain. Il
faut renvoyer cette race en Asie ou l'exterminer. » Baudelaire s'en fait aussi
l'écho: « Belle conspiration à organiser pour l'extermination de la race juive.
»
XXIV. « Liberté,
égalité, fraternité » ou l’impossibilité d’être fils (par Fr. Jean-Michel
Potin)
Deux cents ans plus
tard, le bilan politique de la devise républicaine n'est pas bon: il est faux
pour la liberté, catastrophique sur l'égalité et mensonger sur la fraternité.
Que s'est-il donc passé? y a-t-il seulement eu retard dans l'application de ce
programme, comme le soulignent les républicains qui semblent de bonne foi? ou
bien la perversion des valeurs chrétiennes était -elle inhérente à l'anthropologie
des révolutionnaires?
Une liberté qui n'est
pas donnée par un Père est un mouvement incohérent; une égalité qui
ne reconnaît pas le
choix préférentiel d'un amour est mensongère et une fraternité qui s' autoproclame
sans référence à une origine commune est fausse, tout simplement.
À partir de la
Révolution, nous ne sommes plus les fils de nos pères, nous sommes de-la-même-génération.
Nous tentons de nous trouver des raisons d'exister dans le fait d'être nés en
même temps. Le temps nous engendre plus que nos pères. La première de ces générations
fut la génération romantique, la dernière fut la génération 68 (entre elles,
s'alternent deux types de génération, une génération des fondateurs et une
génération sacrifiée).
Poser, comme le fait
Simone de Beauvoir, la liberté comme source de toute morale, c'est proposer que
la vie humaine ressemble à ces vis sans début ni fin qui tournent indéfiniment
et dont la vue même provoque le vertige puisque le regard ne peut s'arrêter sur
rien, la courbe étant continue mais ne conduisant nulle part.
En décrétant
législativement que les hommes naissaient libres par nature et par droit, les
révolutionnaires ont fantasmé la nature et attribué au droit ce qu'il ne peut
pas faire. Si les hommes naissaient libres, c'est que cela se ferait
naturellement et il est donc contradictoire de
le décréter par écrit. Ce qui est écrit est justement ce qui n'est pas
naturel et a besoin de cet écrit pour exister. C'est l'un des premiers penseurs
contre-révolutionnaires, Joseph de Maistre, qui a tout de suite vu que le
problème de la Révolution était le problème de l'écrit.
La grave erreur de la
théorie de la liberté républicaine est d'avoir fait croire qu'un régime de
libertés publiques (qui ressemble fort à ce programme: « Nous nous occupons de
tout, y compris de votre liberté» ) puisse instaurer la liberté.
L'idée selon laquelle
un régime de libertés publiques protège la liberté individuelle est un leurre,
il ne peut éventuellement que garantir des contrats qui lient les hommes entre
eux. Une liberté se conquiert, c'est ce qui fait son essence même. Prétendre
protéger la liberté individuelle, c'est l'annihiler.
Le roi n'était pas le
garant de la liberté de l'homme (il n'avait pas cette toute-puissance)
mais il garantissait les libertés publiques, celles qui permettaient le
vivre-ensemble dans une négociation constante entre les sujets.
Qui dit fraternité dit
forcément parentalité commune. Il faut bien qu'il y ait origine commune (ou du
moins commencement commun) pour qu'il y ait lien fraternel. Or, la République
française ayant nié le Père des cieux, ayant guillotiné le père de la nation,
devra aller trouver une origine commune ailleurs, quitte à l'inventer. Ce sera une
mère, la patrie ou mieux dit la matrie, qui enfante et nourrit ses rejetons.
Alors que la nation existait en la personne du père qui lui donnait sa
cohérence, la patrie existe en fonction de ses enfants, mère possessive qui les
enfante et les étouffe. Eux-mêmes devront être prêts à mourir pour la défendre.
Or on ne donne sa vie que par amour et l'on ne peut aimer qu'une personne.
Commence alors la personnification de la matrie, son anthropomorphisme: elle prend
les traits d'une femme généreuse à qui l'on donne le nom de Marianne, une
invasion du sol devient le viol de la mère-patrie qui devra être vengée selon
les lois du sang. Mais en fait de vivre, il s'agit plutôt de mourir: la seule
fraternité proposée se scelle dans la levée en masse, dans la conscription. Les
enfants (« Allons, enfants de la patrie ») n'existent que parce qu'ils partent
à la guerre. La fraternité n'est possible qu'en fraternité d'armes.
En effet, toutes ces
fraternités particulières (corporations de métiers, compagnonnages, confréries
pieuses, fraternités caritatives, ordres religieux ... ) fonctionnaient selon
des statuts politiques très précis et rigoureux, ayant fait souvent leurs
preuves de réelle démocratie (avec élections comme modus operandi mais qui
n'oubliait pas la source principale) durant des siècles. « Avoir voix au
chapitre » est une expression du plus élémentaire et du plus efficace
fonctionnement démocratique. En diluant les fraternités particulières dans une
fraternité universelle, plus personne ne peut « avoir voix au chapitre » car il
n'existe pas de « chapitre »
universel. Les seules
voix que la fraternité universelle autorise sont celles que l'on compte dans
les urnes. Ainsi une voix ne se fait plus entendre, un homme ne parle plus, on
compte sa voix. Nous ne sommes plus dans l'acte de parole, nous sommes dans le
langage mathématique. À une démocratie basée sur la parole comme acte s'est
substituée une démocratie basée sur le comptage des codes (les sondages n'étant
que des tentatives désespérées de savoir ce que ces codes veulent dire).
XXV. Fêtera-t-on le
tricentenaire de la Révolution? (par Jean Sevillia)
Au cas des Français
contemporains, l'opinion dominante reflète la version édulcorée des
faits qui se dégage des
manuels scolaires: si la Révolution passe pour le moment qui a vu naître le
citoyen doté de droits, la Terreur doit apparaître, dans ce processus
historique, comme un épiphénomène.
Conduite au nom du
peuple, la Révolution s'est effectuée sans le consentement du peuple, et
souvent même contre le peuple.
Or les Européens, non
sans sagesse, définissent la Révolution française comme une séquence large,
située entre 1789 et 1815. Et qu'en retiennent-ils? Les Britanniques, tous fils
de Burke, considèrent que les droits de l'homme n'ont pas été inventés par la
Révolution de France, cette agitation sanglante, et ajoutent qu'ils ne
regrettent pas d'avoir relégué Napoléon à Sainte-Hélène. Les Allemands et les Autrichiens
se souviennent de la France révolutionnaire comme de la « Grande Nation»
orgueilleuse qui, au prétexte de leur apporter la libelté, leur a fait la
guerre. Les Italiens n'oublient pas la captivité du pape et le pillage organisé
de la Péninsule par Bonaparte, et les Espagnols vibrent encore à l'évocation du
Dos de Mayo. Est-ce qu'une Europe intégrée, en 2089, incitera les Français à
fêter 1789 ?
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