06 février 2005

René Guénon, Aperçus sur l’initiation (note de lectura)




Editions traditionnelles, 1986.

Avant-propos
Les initiations occidentales sont dégénérées et fausses.
„L’essence et le but de l’initiation sont, en effet, toujours et partout les mêmes; les modalités seules diffèrent, par adaptation aux temps et aux lieux; et nous ajouterons tout de suite, pour que nul ne puisse s’y méprendre, que cette adaptation elle-même, pour être légitime, ne doit jamais être une «innovation», c’est-à-dire le produit d’une fantaisie individuelle quelconque, mais que, comme celle des formes traditionnelles en général, elle doit toujours procéder en définitive d’une origine «non-humaine», sans laquelle il ne saurait y avoir réellement ni tradition ni initiation, mais seulement quelqu’une de ces «parodies» que nous rencontrons si fréquemment dans le monde moderne, qui ne viennent de rien et ne conduisent à rien, et qui ainsi ne représentent véritablement, si l’on peut dire, que le néant pur et simple, quand elles ne sont pas les instruments inconscients de quelque chose de pire encore.” (p. 11)

Chapitre premier. Voie initiatique et voie mystique
Il existe une forte confusion en occident entre l’initiation et la mystique. D’ailleurs, certaines doctrines orientales sont qualifiées de mystique, même s’il n’y a aucun élément extérieur qui puisse faire une connexion avec la mystique.
L’orientaliste anglais Nicholson a traduit taçawwuf par mysticism.
Il existe une deuxième tendance, qui vise à considérer les doctrines orientales comme philosophies.
L’initiation est, par sa nature même, incompatible avec le mysticisme.
Il y a peut-être un parallélisme entre l’initiation et le mysticisme du même type que celui établi entre la voie sèche et la voie humide des achimistes.
„[…] le mysticisme proprement dit est quelque chose d’exclusivement occidental et, au fond, de spécifiquement chrétient.” (p. 15)
On ne peut trouver de mysticisme judaïque proprement dit que dans le Hassidisme, c’est-à-dire à une époque très récente.
Le mysticisme est „passif”, pendant que l’initiation est „active”. Le fait que le mystique soit „ouvert” et sans préparation doctrinale, la plupart des fois, le fait vulnérable à toutes sortes d’influences.

Chapitre II. Magie et mysticisme
Il y a fortes essais de réduire l’idée d’initiation à d’autres choses, comme la magie.
La magie présente des danger spécialement graves pour les Occidentaux modernes, à cause surtout de leur tendance à attribuer une importance démésurée à tout ce qui est „phénomène”.
Il n’y a rien de transcendent ou de supérieur dans la magie. Ce n’est qu’une application inférieure, qui peut être sauvé par le rattachement à un ordre supérieur, mais qui n’est aucunément tenue en honneur.
Dans les civilisations traditionnelles, la magie est abandonnée à ceux incapables à s’élever spirituellement.
Ceux qui veulent découvrir d’une façon empirique la magie s’exposent à de nombreux déséquilibres, conséquence de la communication avec ce que certains ont appelé le «plan vital».
Les visions de la mystique Anne-Catherine Emmerich.

Chapitre III. Erreurs diverses concernant l’initiation
Une première considérations fausse est que l’initiation concerne le domaine social ou moral (erreur des maçons actuels).
Une erreur plus subtile est celle qui considère l’initiation comme une communication avec des états supérieurs ou des mondes spirituels. Elle est basée sur la confusion entre le „psychique” et le „spirituel”.
Il existe une confusion entre „spirituel” et „invisible”. En réalité, tout ce qui est invisible n’est pas forcément spirituel. Certains écoles pseudo-initiatiques de l’Occident se donnent pour but le développement des pouvoirs psychiques latents dans l’homme. Dans ce cas, il ne s’agit pas de spiritualité.
„[…] l’ésotérisme est essentiellement autre chose que la religion, et non pas la partie «intérieure» d’une religion comme telle, même quand il prend sa base et son point d’appui dans celle-ci comme il arrive dans certaines formes traditionnelles, dans l’Islamisme par exemple; et l’initiation n’est pas non plus une sorte de religion spéciale réservée à une minorité, comme semblent se l’imaginer, par exemple, ceux qui parlent des mystères antiques en les qualifiant de «religieux». […] il suffira, pour ce que nous envisageons présentement, de préciser que la religion considère l’être uniquement dans l’état individuel humain et ne vise aucunement à l’en faire sortir, mais au contraire à lui assurer les conditions les plus favorables dans cet état même, tandis que l’initiation a essentiellement pour but de dépasser les possibilités de cet état et de rendre effectivement possible le passage aux états supérieurs, et même, finalement, de conduire l’être au delà de tout état conditionné quel qu’il soit.” (p. 27)
„Toute réalisation initiatique est donc essentiellement et purement «intérieure», au contraire de cette «sortie de soi» qui constitue l’«extase» au sens propre et étymologique de ce mot; et là est, non pas certes la seule différence, mais du moins une des grandes différences qui existent entre les états mystiques, lesquels appartiennent entièrement au domaine religieux, et les états initiatiques.” (p. 28)

Chapitre IV. Des conditions de l’initiation
La première condition de l’initiation est une certaine aptitude, ou disposition naturelle.
A cause de son caractère „actif”, l’initiation suppose un travail qui est une conditions non moins strictement nécessaire que la première.
La compréhension théorique offerte par les connaissances d’ordre doctrinal est pour l’initié une condition préalable de toute «réalisation».
Une autre condition est le rattachement à une organisation traditionnelle régulière.
Initium (lat.) = entrée, commencement.
L’initiation est, selon toutes les traditions, une seconde naissance.
Dans la tradition hindoue, le mot Hamsa désigne la caste unique qui existait à l’origine, et les hommes vivaient dans un état nommé ativarna, c’est-à-dire au delà de la distinction des castes actuelles.
„Nous sommes dans le Kali-Yuga, c’est-à-dire dans un temps où la connaissance spirituelle est devenue cachée, et où quelques-uns seulement peuvent encore l’atteindre, pourvu qu’ils se placent dans les conditions voulues pour l’obtenir; or, une de ces conditions est précisément celle dont nous parlons, comme une autre condition est un effort dont les hommes des premiers âges n’avaient non plus nul besoin, puisque le développement spirituel s’accomplissait en eux tout aussi naturellement que le développement corporel.” (p. 32)
L’enseignement initiatique ne peut pas être communiqué, étant incommunicable. Mais les méthodes préparatoires peuvent être enseignées.
La transmission initiatique est la transmission d’une influence spirituelle.
Le Grand Œuvre des alchimistes est une expression symbolique de l’initiation aussi. Selon son langage, les aptitudes incluses dans la nature individuelle ne sont qu’une materia prima, une pure potentialité. Pour que cet état de chaos commence à prendre forme, il faut qu’une vibration initiale lui soit communiquée. Dès lors, les possibilités spirituelles de l’être ne sont plus la simple potentialité, mais une virtualité prête à se développer en acte.
Pour resumer, l’initiation suppose:
ê la potentialité, la qualification constituée par certaines possibilités inhérentes à la nature propre de l’individu;
ê la virtualité, la transmission par le moyen du rattachement à une organisation traditionnelle;
ê l’actualité, le travail intérieur qui fait passer l’être d’échelon en échelon, à travers les différents degrés de la hiérarchie initiatique, pour le conduire au but final de la «Délivrance» ou de l’«Identité Suprême».

Chapitre V. De la régularité initiatique
Le rattachement à une organisation initiatique traditionnelle est le commencement de l’initiation même. Ce rattachement doit être réel et effect, et non „idéal”.
L’initiation n’est pas la lecture des Ecritures saintes d’une tradition orthodoxe.
Personne ne peut être son propre initiateur.
Pour pouvoir transmettre quelque chose, une organisation doit être dépositaire d’une influence spirituelle. Ceci exclut toutes les formations pseudo-initiatiques occidentales. A défaut de filiation régulière, la transmission de l’influence spirituelle est impossible et inexistante.
La plupart des organisations pseudo-initiatiques occidentales (rosicruciens, occultistes, néo-spiritualistes) sont des reconstructions hypothétiques ou purement imaginaires de formes traditionnelles disparues depuis un temps plus ou moins reculé.
A part quelques groupes d’hérmetisme chrétien, il reste en Occident uniquement deux organisations initiatiques: le Compagnonnage et la Maçonnerie, encombrées de beaucoup de confusions de la part de leurs mêmbres mêmes.
Toutes les initiatives individuelles sont nulles quant à la constitution des organisations initiatiques.

Chapitre VI. Synthèse et syncrétisme
Il est inutile, et parfois dangereux, de mélanger des formes rituelles appartenant à des traditions différentes.
L’histoire des religions, sous une prétention de connaissance désintéressée, dissimule une intention nettement anti-traditionnelle. Sa „critique” détruit toute tradition, en n’y voyant qu’un esemble de faits psychologiques, sociaux et autres, mais en tout cas purement humains.
„Le «syncrétisme», entendu dans son vrai sens, n’est rien de plus qu’une simple juxtaposition d’éléments de provenances diverses, rassemblés «du dehors», pour ainsi dire, sans qu’aucun principe d’ordre plus profond vienne les unifier.” (p. 44) Exemples: l’occultisme et le théosophisme.
„Le syncrétisme, dans tous les cas, est toujours un procédé essentiellement profane, par son «extériorité» même; et non seulement il n’est point une synthèse, mais, en un certain sens, il en est même tout le contraire. En effet, la synthèse, par définition, part des principes […].” (p. 44)
Le caractère du syncrétisme et tout analytique.
La théorie des emprunts: quand on constate l’existence d’éléments similaires dans deux formes doctrinales différentes, on s’empresse de supposer que l’une d’elles doit les avoir empruntés à l’autre, selon la technique du plagiat.
La théorie de l’unité de l’esprit humain justifie les ressemblances entre les doctrines spirituelles par la présupposition de cette unité psychologique.
„[…] il suffit, pour réfuter la conception syncrétiste, de rappeler que toute doctrine traditionnelle a nécessairement pour centre et pour point de départ la connaissance des principes métaphysiques, et que tout ce qu’elle comporte en outre, à titre plus ou moins secondaire, n’est en définitive que l’application de ces principes à différents domaines; cela revient à dire qu’elle est essentiellement synthétique, et, […] la synthèse, par sa nature même, exclut tout syncrétisme.” (p. 47)
L’initié et le chercheur scientifique: „D’un côté, l’unité centrale et principielle éclaire et domine tout; de l’autre, cette unité étant absente ou, pour mieux dire, cachée aux regards du «chercheur» profane, celui-ci ne peut que tâtonner dans les «ténèbres extérieurs», s’agitant vainement au milieu d’un chaos que pourrait seul ordonner le Fiat Lux initiatique qui, faute de «qualification», ne sera jamais proféré pour lui.” (p. 47)

Chapitre VII. Contre le mélange des formes traditionnelles
Suivant la tradition hindoue, il y a deux façons d’être en dehors des castes:
í avarna, au-dessous des castes, dans le sens privatif – c’est le cas de l’homme sans religion;
í ativarna, au-dessus des castes, incomparablement plus rare que le premier – c’est le cas de l’initié (c’est un cas exceptionnel.
L’initié peut s’efforcer de comprendre les formes traditionnelles d’autres religions, mais il ne doit pratiquer qu’une seule.
Les formes traditionnelles peuvent être comparées à des voies qui conduisent toutes à un même but, à la seule condition qu’elles soient complètes, qu’elles comportent non seulement la partie exotérique, mais aussi la partie ésotérique et initiatique. „[…] il est évident qu’on ne peut suivre plusieurs à la fois, et que, lorsqu’on s’est engagé dans l’une d’elles, il convient de la suivre jusqu’au bout et sans s’en écarter, car vouloir passer de l’une à l’autre serait bien le meilleur moyen de ne pas avancer en réalité, sinon même de risquer de s’égarer tout à fait. Il n’y a que celui qui est parvenu au terme qui, par là même, domine toutes les voies, et cela parce qu’il n’a plus à les suivre; il pourra donc, s’il y a lieu, pratiquer indistinctement toutes les formes, mais précisément parce qu’il les a dépassées et que, pour lui, elles sont désormais unifiées dans leur principe commun.” (p. 49)
Chaque tradition est une voie vers la cime de la montagne.

Chapitre VIII. De la transmission initiatique
La chaîne initiatique est une succession assurant d’une façon ininterrompue la transmission dont il s’agit.
Le mot chaîne se retrouve en hébreu (shelsheleth), en arabe (silsilah) et en sanscrit (paramparâ).
Les rites initiatiques, pour atteindre leur but, doivent être accomplis par ceux qui ont la qualité pour les accomplir. D’ailleurs, c’est valable pour les rites exotériques aussi (par exemple, les rites qui requierent une ordination sacerdotale ne peuvent pas être accomplis par quelqu’un qui ne pas étant prêtre, ne peut pas être porteur de l’influence spirituelle qui doit opérer en prenant ces formes rituéliques comme support).
La condition de la transmission se retrouve même dans la sorcellerie de campagne.
Les organisations ouvertes à tous indistinctement sont „exotériques”. Celles qui visent une élite sont „ésotériques”. Ces dernières sont proprement dit les organisations „initiatiques”.
Toute religion a une origine «non-humaine» et conserve un dépôt d’un élément également «non-humain». De la même manière, tout rite initiatique, tout symbole traditionnel n’est pas une invention. „[…] il n’y a pas d’origine «historique», puisque l’origine réelle se situe dans un monde auquel ne s’appliquent pas les conditions de temps et de lieu qui définissent les faits historiques comme tels; […].” (p. 58)
L’individu qui confère l’initiation est un transmetteur, un support de la tradition. Le rite accompli par l’individu est indépendent de la valeur propre de l’individu.
Un rite qui n’a pas été appris dans les conditions régulières, est entièrement dépourvu de toute valeur effective.

Chapitre IX. Tradition et transmission
La „tradition”, dans son acception étymologique, est une transmission.
„[…] il n’y a pas proprement un domaine profane, auquel un certain ordre de choses appartiendrait par sa nature même; il y a seulement, en réalité, un point de vue profane, qui n’est que la conséquence et le produit d’une certaine dégénérescence, résultant elle-même de la marche descendante du cycle humain et de son éloignement graduel de l’état principiel.” (p. 61)
„[…] en hébreu, le mot qabbalah, qui a exactement le même sens de transmission, est pareillement réservé à la désignation de la tradition telle que nous l’entendons, et même d’ordinaire, plus strictement encore, de sa partie ésotérique et initiatique, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus «intérieur» et de plus élevé dans cette tradition, de ce qui en constitue en quelque sorte l’esprit même […].” (p. 62)
La tranmission initiatique est double: verticale (transcedentale, intemporelle) et horizontale (chronologique, par la chaîne initiatique). Elle a un caractère permanent.

Chapitre X. Des centres initiatiques
Les centres initiatiques sont des centres secondaires rattachés au centre suprême qui conserve le dépôt immuable de la Tradition primordiale.
„[…] il importe de remarquer qu’une organisation initiatique peut procéder du centre suprême, non pas directement, mais par l’intermédiaire de centres secondaires et subordonnés, ce qui est même le cas le plus habituel; comme il y a dans chaque organisation une hiérarchie de degrés, il y a ainsi, parmi les organisations elles-mêmes, ce qu’on pourrait appeler des degrés d’«intériorité» et d’«extériorité» relative; […].” (p. 67)
Au sein d’une même organisation „il peut exister en quelque sorte une double hiérarchie, et ceci plus spécialement dans le cas où les chefs apparents ne sont pas conscients eux-mêmes du rattachement à un centre spirituel; il pourra y avoir alors, en dehors de la hiérarchie visible qu’ils constituent, une autre hiérarchie invisible, dont les membres, sans remplir aucune fonction «officielle», seront cependant ceux qui assureront réellement, par leur seule présence, la liaison effective avec ce centre.” (p. 68)
Les chefs spirituels inconnus ont été désignés par la Rose-Croix et la Maçonnerie du XVIIIe siècle comme les Supérieurs Inconnus.
„[…] mais ce qu’il est essentiel de retenir, c’est que, même s’il arrive qu’un individu apparemment isolé parvienne à une initiation réelle, cette initiation ne pourra jamais être spontanée qu’en apparence, et que, en fait, elle impliquera toujours le rattachement, par un moyen quelconque, à un centre existant effectivement; en dehors d’un tel rattachement, il ne saurait en aucun cas être question d’initiation.” (p. 70)
Il est à prendre en considération Jacob Bohme.

Chapitre XI. Organisations initiatiques et sectes religieuses
Une erreur répandue accorde aux organisations initiatiques le nom de „sectes”.
Fabre d’Olivet, dans Examens des Vers Dorés de Pythagore: „Le nom de « païen » est un terme injurieux et ignoble, dérivé du latin paganus, qui signifie un rustre, un paysan. Quand le Christianisme eut entièrement triomphé du polythéisme grec et romain et que, par l’ordre de l’empereur Théodose, on eut abattu dans les villes les derniers temples dédiés aux Dieux des Nations, il se trouva que les peuples de la campagne persistèrent encore assez longtemps dans l’ancien culte, ce qui fit appeler par dérision pagani ceux qui les imitèrent. Cette dénomination, qui pouvait convenir, dans le Ve siècle, aux Grecs et aux Romains, qui refusaient de se soumettre à la religion dominante de l’Empire, est fausse et ridicule quand on l’étend à d’autres temps et à d’autres peuples.” (apud p. 72)
Le mot arabe corespondant au terme „secte” est firqah, qui signifie „division”.
L’initiation ne tient pas de la religion, mais de la „science sacrée”. Mais l’initiation n’entre ni en opposition ni en concurrence avec la religion. Les organisations initiatiques ne peuvent pas faire concurrence à la religion, surtout à cause de leur recrutement aussi restreint que possible.
Si l’ésotérisme initiatique unifie toutes les traditions, les sectes en sont des éloignements qui tiennent du régime de la multiplicité. La religion est le support de l’ésotérisme, qui provient de la Tradition primordiale.
Il est encore plus grave de considérer que l’initiation provient d’une philosophie, aspect plus extérieur encore que la religion.
„[…] lorsqu’une religion a perdu tout point de contact avec l’ésotérisme, il n’y reste plus que «lettre morte» et formalisme incompris, car ce qui la vivifiait, c’était la communication effective avec le centre spirituel du monde, et celle-ci ne peut être établie et maintenue consciemment que par l’ésotérisme et par la présence d’une organisation initiatique véritable et régulière.” (p. 75)
„[…] les «sectes» ont aussi leur rôle à jouer dans l’histoire de l’humanité, même si ce n’est qu’un rôle inférieur, et il ne faut pas oublier que tout désordre apparent n’est en réalité qu’un élément de l’ordre total du monde. Les querelles du monde extérieur perdent d’ailleurs assurément beaucoup de leur importance quand on les envisage d’un point de vue où sont conciliées toutes les oppositions qui les suscitent, ce qui est le cas dès qu’on se place au point de vue strictement ésotérique et initiatique; mais, précisément pour cela, ce ne saurait être en aucune façon le rôle des organisations initiatiques de se mêler à ces querelles ou, comme on dit communément, d’y «prendre parti», tandis que les «sectes», au contraire, s’y trouvent engagées inévitablement par leur propre nature, et que là est peut-être même, au fond, ce qui fait toute leur raison d’être. ” (p. 76)

Chapitre XII. Organisations initiatiques et sociétés secrètes
Les organisations initiatiques n’ont rien en commun avec ce qu’on appelle de nos jours „sociétés” ou „associations”. Les organisations initiatiques ne sont pas des „sociétés secrètes”.
„[…] une organisation, qu’elle revête ou non les formes particulières, et d’ailleurs tout extérieures, permettant de la définir comme une société, pourra être qualifiée de secrète, au sens le plus large de ce mot, et sans qu’il s’y attache la moindre intention défavorable, lorsque cette organisation possèdera un secret, de quelque nature qu’il soit, et que d’ailleurs il soit tel par la force même des choses ou seulement en vertu d’une convention plus ou moins artificielle ou plus ou moins expresse.” (p. 79)
La seule possibilité de transmettre l’initiation est la voie orale. Les écrits ne sont que des aide-mémoires.
D’une société profane on peut en sortir comme on y est entré. On ne peut en échange jamais, par aucun moyen, se séparé d’une organisation initiatique. L’initiation possède un caractère ineffaçable.
Une société, même secrète, pourrait être dissoute par une décision politique. Par contre, aucune force extérieure ne peut supprimer une organisation initiatique. Tant que ses membres sont vivants, son existence effective est préservée; seule la mort du dernier entraînera sa disparition.
Encore, toute organisation initiatique est insaisissable au point de vue de son secret.
Les Illuminés de Bavière sont une société secrète typique, à fondateurs connus et à buts clairement sociaux. C’est l’œuvre artificielle de quelques individus, dont la forme est une parodie d’initiation, un simulacre.
Les Carbonari n’ont pas une origine connue, et présente beaucoup de ressemblances avec l’initiation de métier de la Maçonnerie. Mais, suffoqués par des préoccupations sociales, ils représentent une déviation par rapport à une véritable organisation initiatique.
Par sa définition même toute organisation initiatique est contraire à l’idée démocratique ou égalitaire.
Il existe une autre catégorie: celle des organisations qui relèvent de la contre-initiation, très importantes dans le monde contemporain.

Chapitre XIII. Du secret initiatique
„[…] un secret quelconque autre que le secret proprement initiatique a toujours un caractère conventionnel; nous voulons dire par là qu’il n’est tel qu’en vertu d’une convention plus ou moins expresse, et non par la nature même des choses.” (p. 89)
Le secret initiatique consiste de l’inexprimable, de l’incommunicable. Si tout secret ordinaire peut être trahi, le secret initiatique ne peut être l’jamais en aucune façon.
„A proprement parler, ce qui est transmis par l’initiation n’est pas le secret lui-même, puisqu’il est incommunicable, mais l’influence spirituelle qui a les rites pour véhicule, et qui rend possible le travail intérieur au moyen duquel, en prenant les symboles comme base et comme support, chacun atteindra ce secret et le pénétrera plus ou moins complètement, plus ou moins profondément, selon la mesure de ses propres possibilités de compréhension et de réalisation.” (p. 90)
Une organisation initiatique ne peut être trop ouverte sans risquer la dégénérescence.
Toute organisation initiatique, à part le secret spirituel, possède aussi des secrets secondaires, plus ou moins contingents. Parmi eux il faut ranger les sciences et les arts traditionnels.
Certains mots et signes servent de moyens de reconnaissance entre les membres des organisations initiatiques.
„L’existence d’un tel secret extérieur et secondaire dans les organisations initiatiques les plus répandues se justifie d’ailleurs encore par d’autres raisons; certains lui attribuent surtout un rôle « pédagogique », s’il est permis de s’exprimer ainsi; en d’autres termes, la «discipline du secret » constituerait une sorte d’«entraînement» ou d’exercice faisant partie des méthodes propres à ces organisations; et l’on pourrait y voir en quelque sorte, à cet égard, comme une forme atténuée et restreinte de la «discipline du silence» qui était en usage dans certaines écoles ésotériques anciennes, notamment chez les Pythagoriciens.” (p. 94)

Chapitre XIV. Des qualifications initiatiques
„Tout d’abord, il doit être bien entendu que ces qualifications sont exclusivement du domaine de l’individualité; en effet, s’il n’y avait à envisager que la personnalité ou le «Soi», il n’y aurait aucune différence à faire à cet égard entre les êtres, et tous seraient également qualifiés, sans qu’il y ait lieu de faire la moindre exception; mais la question se présente tout autrement par le fait que l’individualité doit nécessairement être prise comme moyen et comme support de la réalisation initiatique; il faut par conséquent qu’elle possède les aptitudes requises pour jouer ce rôle, et tel n’est pas toujours le cas.” (p. 96)
La qualification initiatique doit être prise comme condition de départ à laquelle il est impossible de se soustraire.
L’individualité doit être prise avec tous ses éléments constitutifs. Il peut y avoir des qualifications concernant chaque élément.
„[…] les éléments multiples de l’individualité, quelle que soit d’ailleurs la façon dont on voudra les classer, ne sont point ainsi isolés les uns des autres, mais forment un ensemble dans lequel il ne saurait y avoir d’hétérogénéité radicale et irréductible; et tous, le corps aussi bien que les autres, sont, au même titre, des manifestations ou des expressions de l’être dans les diverses modalités du domaine individuel.” (p. 97)
Le dualisme cartésien est faux et sans fondement.
La qualification essentielle, qui domine, est celle de l’«horizon intellectuel». Il existe aussi des qualifications secondaires, tout aussi importantes. La diversité des modes d’initiation a pour but de répondre à celle des aptitudes individuelles. „Là où il existe une organisation sociale traditionnelle, même dans l’ordre extérieur, chacun, étant à la place qui convient à sa propre nature individuelle, doit par là même pouvoir trouver aussi plus facilement, s’il est qualifié, le mode d’initiation qui correspond à ses possibilités. Ainsi, si l’on envisage à ce point de vue l’organisation des castes, l’initiation des Kshatriyas ne saurait être identique à celle des Brâhmanes, et ainsi de suite […].” (p. 99)
Dans la société occidentale moderne il est beaucoup plus difficile de savoir quelle est l’initiation dont l’individu a besoin, vu l’état de désordre où se trouvent les individus.
„[…] quiconque est qualifié pour l’initiation, d’une façon générale, ne l’est pas par là même indifféremment pour toute forme initiatique quelle qu’elle soit.” (p. 102)
Certains défauts peuvent empêcher l’initiation, soit parce qu’ils font directement obstacle à l’accomplissement des rites, soit en tant que signe extérieur de défauts correspondants dans les éléments subtils de l’être.
„[…] en d’autres termes, tout ce qu’un être subit, aussi bien que tout ce qu’il fait, constituant une «modification» de lui-même, doit nécessairement correspondre à quelqu’une des possibilités qui sont dans sa nature, de telle sorte qu’il ne peut rien y avoir qui soit purement accidentel, si l’on entend ce mot au sens d’«extrinséque» comme on le fait communément.” (p. 106)
„[…] au fond, un être ne peut recevoir du dehors que de simples «occasions» pour la réalisation, en mode manifesté, des virtualités qu’il porte tout d’abord en lui-même.” (p. 106)
„[…] toutes les anomalies corporelles qui sont des marques d’un déséquilibre plus ou moins accentué, si elles ne sont pas forcément toujours des empêchements absolus (car il y a évidemment là bien des degrés à observer), sont tout au moins des indices défavorables chez un candidat à l’initiation.” (p. 107)
Les dissymétries notables du visages et des membres trahissent les déséquilibres intérieurs et peuvent constituer aussi une disqualification pour l’initiation.
Certaines disqualifications peuvent constituer par contre des qualifications à l’égard de la contre-initiation.
Certaines déviations de la colonne vertébrale nuisent à la circulation des courants subtils dans l’organisme. Le rôle des ces courants est très important, tant que les possibilités individuelles ne sont pas dépassées.

Chapitre XV. Les rites initiatiques
Il n’y a pas d’initiation sans rite. La présence des rites est la caractéristique de toute institution traditionnelle, exotérique ou ésotérique. „[…] les rites ont toujours pour but de mettre l’être humain en rapport, directement ou indirectement, avec quelque chose qui dépasse son individualité et qui appartient à d’autre états d’existence […]” (p. 109)
Le rite est efficace en lui-même, à la seule condition qu’il soit exécuté selon les règles. Cette efficacité est entièrement indépendante de ce que vaut en lui-même l’individu qui accomplit le rite.
Il faut faire la différence entre le rite (traditionnel) et les cérémonies publiques, qui en sont la parodie.
„L’initiation, en effet, n’est pas, comme les réalisations mystiques, quelque chose qui tombe d’au-delà des nuages, si l’on peut dire, sans qu’on sache comment ni pourquoi; elle repose au contraire sur des lois scientifiques positives et sur des règles techniques rigoureuses; on ne saurait trop insister là-dessus, chaque fois que l’occasion s’en présente, pour écarter toute possibilité de malentendu sur sa véritable nature.” (p. 111)
Les ethnologues et les sociologues désignent comme „rites d’initiation” certaines pratiques d’agrégation de l’individu à l’organisation sociale extérieure, pour lesquelles l’âge est la seule qualification requise.
Les rites exotériques envisagent le „salut”. Les rites initiatiques – la „Délivrance”.
Les rites initiatiques confèrent un caractère définitif et ineffaçable. Les rites religieux qui sont irépétables ressemblent beaucoup à l’initiation (par exemple, les rites catholiques: baptême, confirmation et ordre).
„[…] la qualité initiatique, une fois qu’elle a été reçue, n’est nullement attachée au fait d’être membre actif de telle ou telle organisation; dès lors que le rattachement à une organisation traditionnelle a été effectué, il ne peut être rompu par quoi que ce soit, et il subsiste alors même que l’individu n’a plus avec cette organisation aucune relation apparente, ce qui n’a qu’une importance tout à fait secondaire à cet égard.” (p. 113)

XVI. Le rite et le symbole
Tout rite comporte nécessairement un sens symbolique. Tout symbole produit, pour celui qui y médite avec les aptitudes requises, des effets comparables à ceux des rites.
Quand il s’agit de symboles et de rites traditionnels, leur origine est pareillement „non-humaine”.
Le symbole, entendu comme figuration „graphique”, n’est que la fixation d’un geste rituel. Les yantras de la tradition hindoue en sont un exemple frappant. Mais il ne faut pas oublier les symboles sonores – les mantras de la tradition hindoue.
Les symboles visuels se rapportent à la tradition des peuples sédentaires, les symboles sonores – à la tradition des peuples nomades.
Toute écriture, quant à ses origines tout au moins, est une figuration essentiellement symbolique.
Tout rite est constitué par un ensemble de symboles. Tout rite est un symbole „agi”. Les gestes rituels sont nommés en hindouisme mudrâs.
Rite et symbole sont deux aspects de la même réalité.

Chapitre XVII. Mythes, mystères et symboles
Le symbole est un mode graphique d’expression, le mythe un mode verbal. Le symbole est le genre, le mythe est une des espèces.
Les mythes sont des récits symboliques, de même que les paraboles.
On réduit, à tort, la notion de mythe à celle de fable, à titre de fiction quelconque. Dans la Grèce antique le conte hiératique a été détourné dans la direction du plaisir, chose qui a été une altération profonde et une déviation du sens primitif. La plupart des productions sont dépourvues de signification réelle et profonde. Le mythe était devenu un symbole incompris, ce qu’il est d’ailleurs pour les modernes aussi.
Si fable signifie en latin un récit (de fabula, fari, parler), le mot grec muthos (mythe) vient de la racine mu (qui se retrouve dans le latin mutus, muet), et celle-ci représente la bouche fermée, donc le silence. Le verbe muein signifie fermer la bouche, se taire.
„C’est que cette idée de «silence» doit être rapportée ici aux choses qui, en raison de leur nature même, sont inexprimables, tout au moins directement et par le langage ordinairel une des fonctions générales du symbolisme est effectivement de suggérer l’inexprimable, de le faire pressentir, ou mieux «assentir», par les transpositions qu’il permet d’effectuer d’un ordre à un autre, de l’inférieur au supérieur, de ce qui est le plus immédiatement saisissable à ce qui ne l’est que beaucoup plus difficilement; et telle est précisément la destination première des mythes.” (p. 124)
Allégorie vient de allo agoreuein – dire autre chose.
Raconter un mythe c’est garder le silence tout en parlant.
Il existe une parenté étymologique certe entre mythe et mystère. Mustêrion se rattache lui aussi à la silence.
Le sens principal du mot mystère est celui qui se refère à l’initiation. Mustikos est l’adjectif de mustês, initié. Curieusement, le mot mystique désigne aujourd’hui quelque chose qui n’a rien en commun avec l’initiation.
La conception vulgaire des „mystères” implique une confusion manifeste entre „inexprimable” et „incompréhensible”.
L’enseignement concernant l’inexprimable ne peut évidemment que le suggérer à l’aide des images appropriées, qui seront comme les supports de la contemplation. Cet enseignement prend nécessairement la forme symbolique.

Chapitre XVIII. Symbolisme et philosophie
Le symbolisme est inhérent à tout ce qui présente un caractère traditionnel.
Les philosophes, qui sont les représentants par excellence de la pensée profane, ont émis toutes sortes de théories bien étranges, en voulant constituer même une psychologie du symbolisme.
Il y a chez les modernes une confusion entre le symbolisme sacré et le pséudo-symbolisme de certains littérateurs, qui n’est qu’un emploi tout à fait abusif et détourné.
Le symbolisme est une forme de la pensée.
„Que les philosophes ne soient point de cet avis, cela ne prouve rien; pour mettre les choses à leur juste place, il faut avant tout les envisager avec impartialité, ce qu’ils ne peuvent faire en l’occurence; et, quant à nous, nous sommes bien persuadés que, en tant que philosophes, ils n’arriveront jamais à pénétrer le sens profond du moindre symbole, parce qu’il y a là quelque chose qui est entièrement en dehors de leur façon de penser et qui dépasse inévitablement leur compréhension.” (p. 130)
La philosophie est essentiellement analytique, pendant que le symbolisme est essentiellement synthétique. Le langage est discursif, pendant que le symbole est intuitif. „[…] le symbolisme, en tant que support de l’intuition transcendente, ouvre des possibilités véritablement illimitées.” (p. 131)
Le supra-rationnel n’est aucunement synonyme d’irrationnel: ce qui est au-dessus de la raison ne lui est point contraire, mais lui échappe purement et simplement.
Le symbolisme a pour fonction essentielle de faire «assentir» l’inexprimable, de fournir le support qui permettra à l’intuition intellectuelle de l’atteindre effectivement.
Le monde est comme un langage divin pour ceux qui savent le comprendre: „Coeli enarrant gloriam Dei” (Psaume XIX, 2).
L’origine du symbolisme se confond véritablement avec l’origine du temps.
„La philosophie est donc, si l’on veut, et pour mettre les choses au mieux, la «sagesse humaine», ou une de ses formes, mais elle n’est en tout cas que cela, et c’est pourquoi nous disons qu’elle est bien peu de chose au fond; et elle n’est que cela parce qu’elle est une spéculation toute rationnelle, et que la raison est une faculté purement humaine, celle même par laquelle se définit essentiellement la nature individuelle humaine comme telle.” (p. 134)
„[…] la philosophie n’est proprement que du «savoir profane» et ne peut prétendre à rien de plus, tandis que le symbolisme, entendu dans son vrai sens, fait essentiellement partie de la «science sacrée», qui même ne saurait véritablement exister ou du moins s’extérioriser sans lui, car tout moyen d’expression approprié lui ferait alors défaut.” (p. 135)

Chapitre XIX. Rites et cérémonies
Les rites sont véhicules indispensables d’influences spirituelles sans lesquells il ne saurait être question du moindre contact effectif avec des réalités d’ordre supérieur.
Le sens actuel du mot cérémonie est celui de manifestation comportant un plus ou moins grand déploiement de pompe extérieure. Il existe à notre époque une multitude de cérémonies à caractère purement profane.
Certains rites peuvent être entourés d’un caractère cérémonial, mais ce n’est que le côté accidentel et superficiel.
Il existe des cérémonies sans rites, tout comme des rites sans cérémonies.
Dans une civilisation traditionnelle tout a un caractère rituel, y compris les actions de la vie courante.
Le rite n’est pas autre chose que ce qui est conforme à l’ordre, suivant l’acceptation du terme sanscrit rita.
„Toute cérémonie a un caractère artificiel, conventionnel même pour ainsi dire, parce qu’elle n’est, en définitive, que le produit d’une élaboration tout humaine; même si elle est destinée à accompagner un rite, ce caractère s’oppose à celui du rite lui-même, qui, au contraire, comporte essentiellement un élément «non-humain».” (p. 138-139)
Certains rites bénéficient de l’aide des cérémonies parce que les hommes en ont besoin, et non point les rites. Il s’agit de préparer les individus en les mettant dans un état émotif et mental.
Le cérémonialisme n’est point l’observance du rituel, il est plutôt l’oubli de sa valeur profonde et de sa signification réelle, la matérialisation plus ou moins grossière des conception qu’on se fait de sa nature et de son rôle.

Chapitre XX. A propos de la „magie cérémonielle”
Le mot „magie” est appliqué aujourd’hui pour tout ce qui sort de l’ordinaire, tout ce qui semble plus ou moins bizarre.
La poésie, avant de dégénérer en littérature, avait un caractère sacré. Elle peut être rattachée directement à mantras.
Les seuls vestiges de poésie magique que l’on puisse rencontrer maintenant en Occident font partie de la sorcellerie de campagne.
La magie est proprement dit une science physique, parce qu’il s’agit de la production de certains phénomènes. Les forces qui y interviennent appartiennent à l’ordre subtil. Le moyen d’action de cette science est le rite magique.
Etant donné que la magie est une science traditionnelle, toute action accomplie selon les règles traditionnelles a un caractère rituel.
Parmi les sciences traditionnelles, la magie est une de celles qui appartiennent à l’ordre le plus inférieur. Certaines civilisations traditionnelles sont mortes de l’envahissement de la magie, comme la civilisation moderne risque de mourir de celui de la science profane.

Chapitre XXI. Des prétendus „pouvoirs” psychiques
Beaucoup de fausses organisations initiatiques promettent le développement des pouvoirs psychiques latents dans l’homme. Il s’agit de la faculté de produire des phénomènes. C’est d’ailleurs une hantise pour les adhérents, au point de les prendre pour le signe du développement spirituel. Même quand il ne s’agit pas d’un simple mirage de l’imagination, ils relèvent uniquement du domaine psychique qui n’a en réalité rien à voir avec le spirituel.
A vrai dire, il n’y a pas de pouvoirs magiques, mais des connaissances d’ordre inférieur qui agissent dans le monde psychique, sans aucun élément transcendent. Certains individus ont des disponibilités naturelles développées d’elles-mêmes qui vont dans la même direction. Mais ces „pouvoirs” peuvent être entraînées artificiellement, ce qui ne va pas sans déséquilibre.
Celui qui possède ces „pouvoirs” n’est pas plus avancé dans la réalisation de son être propre, réalisation qui ne fait qu’un avec la connaissance effective elle-même. Ce mot (pouvoirs) implique à tort le sens d’une supériorité, quand il s’agit en effet de possibilités en rien supérieures de l’être.

Chapitre XXII. Le rejet des „pouvoirs”
Les „pouvoirs” ne sont pas indifférent et inutiles, mais nuisibles dans la plupart des cas. Il s’agit d’une „distraction” au sens étymologique du mot.
„[…] l’homme qui se laisse absorber par les multiples activités du monde corporel n’arrivera jamais à «centrer» sa conscience sur des réalités supérieures, ni par conséquent à développer en lui-même les possibilités correspondantes à celles-ci; à plus forte raison en sera-t-il de même de celui qui s’égarera et se «dispersera» dans la multiplicité, incomparablement plus vaste et plus variée, du monde psychique avec ses indéfinies modalités, et sauf des circonstances exceptionnelles, il est fort probable qu’il ne parviendra jamais à s’en libérer, surtout si, par surcroît, il se fait sur la valeur de ces choses des illusions que du moins l’exercice des activités corporelles ne comporte pas.” (p. 153)
„En effet, s’il est recommandé de restreindre le plus possible l’usage des sens corporels, du moins pendant certaines périodes de travail plus ou moins prolongées, afin de n’en être pas distrait, la même chose est également vraie de ces facultés psychiques; et de plus, tandis que l’homme ne pourrait pas vivre s’il arrêtait complètement et indéfiniment l’exercice de ses sens, il n’y a évidemment rien de tel dans l’autre cas, et aucun inconvénient grave ne peut résulter de cette «inhibition»; tout au contraire, l’être ne peut même qu’y gagner quant à son équilibre organique et mental, et se trouve par suite dans de meilleures conditions pour entreprendre, sans risquer d’être gêné par un état plus ou moins pathologique et anormal, le développement de ses possibilités d’ordre supérieur.” (p. 154)
„Il va de soi que les dangers dont nous venons de parler n’existent plus pour celui qui est parvenu à un certain degré de réalisation initiatique; et l’on peut même dire que celui-là possède implicitement tous les «pouvoirs» sans avoir à les développer spécialement d’une façon quelconque, par là même qu’il domine «par en haut» les forces du monde psychique; mais, en général, il ne les exerce pas, parce qu’ils ne peuvent plus avoir aucun intérêt pour lui.” (p. 155)
„[…] ainsi, il est aisément concevable que l’être qui possède un haut degré spirituel, s’il a à provoquer occasionnellement un phénomène quelconque, n’agira pas en cela de la même façon que celui qui en a acquis la faculté à la suite d’«entraînements» psychiques, et que son action s’exercera selon de tout autres modalités; la comparaison de la «théurgie» et de la «magie», qu’il serait hors de propos d’entreprendre ici, donnerait lieu aussi à la même remarque.” (p. 156)
En soi, les pouvoirs psychiques ne garantissent rien: si de nombreux cas de lévitation ou de bilocation peuvent être relevés dans l’histoire des saints, il s’en trouve tout autant dans celle des sorciers.
„[…] nous pourrions dire, en nous plaçant naturellement à un autre point de vue, qu’un fait sera un miracle s’il est dû à l’action d’une influence spirituelle, et qu’il ne le sera pas s’il n’est dû qu’à celle d’une influence psychique. C’est ce qu’illustre notamment, d’une façon très nette, la lutte de Moïse et des magiciens de Pharaon, qui, au surplus, représente aussi celle des puissances respectives de l’initiation et de la contre-initiation, du moins dans la mesure et sur le terrain où une telle lutte est effectivement possible […]” (p. 157)
„[…] il ne s’agit point, pour l’homme en voie de développement spirituel, de se rattacher encore plus fortement à celle-ci par de nouveaux liens, mais, tout au contraire, de parvenir à s’en libérer entièrement; et cette libération ne peut être obtenue que par la pure connaissance, à la condition, bien entendu, que celle-ci ne demeure pas simplement théorique, mais qu’elle puisse au contraire devenir pleinement effective, puisque c’est en cela seul que consiste la «réalisation» même de l’être à tous ses degrés.” (p. 157)

Chapitre XXIII. Sacrements et rites initiatiques
Upanayana – rite par lequel l’individu est rattaché effectivement à l’une des trois castes supérieures à laquelle il n’appartenait que d’une façon toute potentielle.
Samskâra – traduit en Occident par sacrement.
„Un samskâra est essentiellement un rite d’«agrégation» à une communauté traditionnelle […].” (p. 159)
L’agrégation implique une assimilation qu’on pourrait dire «organique», une «transmutation» (abhisambhava).
Ananda K. Coormaraswamy a proposé pour samskâra la traduction „intégration”.
Dîkshâ – rites initiatiques, initiation;
Les sociologues et les ethnologues qui emploient le terme d’«initiation» pour l’appliquer à des rites auxquels ont accès, à tel ou tel moment de leur existence tous les membres d’un peuple ou d’une tribu, font la confusion entre les rites initiatiques et les samskâra.
Le cordon brâhmanique (pavitra ou upavîta) donne accès à l’étude des Ecritures sacrées.
Le milieu social n’impose pas à ses membres qu’ils entrent dans une organisation initiatique.
Upanayana confère la qualité de dwija ou „deux fois né”; on sait que cette expression s’applique aussi en en sens très précis à l’initiation. Le baptême chrétien est considéré lui-aussi une seconde naissance, mais il n’est pas une initiation pour autant.
Certains rites exotériques sont calqués sur des rites esotériques: l’ordination religieuse représente une „extériorisation” de l’initiation sacerdotale, et le sacre des rois une „extériorisation” de l’initiation royale.

Chapitre XXIV. La prière et l’incantation
Parfois il n’est pas possible de trancher la délimitation entre l’exotérisme et l’ésotérisme.
La prière est spécifique à l’exotérisme, tandis que l’incantation est à l’esotérisme.
„On peut donc regarder chaque collectivité comme disposant, en outre des moyens d’actions purement matériels de l’ordre corporel, d’une force d’ordre subtil constituée en quelque façon par les apports de tous ses membres passés et présents, et qui, par conséquent, est d’autant plus considérable et susceptible de produire des effets d’autant plus intenses que la collectivité est plus ancienne et se compose d’un plus grand nombre de membres; […].” (p. 166)
Au cas des communautés traditionnelles qui suivent les rites sacrés, l’intervention d’un élément non-humain descend dans le domaine individuel et s’exerce par le moyen de la force collective dans laquelle prend son point d’appui.
L’influence spirituelle peut se concentrer sur un «support» d’ordre corporel, tel un lieu ou un objet déterminé, qui joue le rôle d’un véritable condensateur (par exemple: l’Arche de l’Aliance ou le Temple de Salomon, les lieux de pélérinage).
La distinction entre croyance et connaissance correspond à celle d’entre l’exotérisme et l’ésotérisme.
„Les avantages qui peuvent être obtenus par la prière et par la pratique des rites d’une collectivité sociale ou religieuse (rites communs à tous ses membres sans exception, donc d’ordre purement exotérique et n’ayant évidemment aucun caractère initiatique, et en tant qu’ils ne sont pas considérés par ailleurs comme pouvant servir de base à une «réalisation» spirituelle) sont essentiellement relatifs et contingents, mais ne sont pourtant nullement négligeables pour l’individu, qui, comme tel, est lui-même relatif et contingent; celui-ci aurait donc tort de s’en priver volontairement, s’il est rattaché à quelque organisation capable de les lui procurer.” (p. 168)
Carmen (lat.) = poésie sacrée.
„L’incantation […] contrairement à la prière, n’est point une demande, et même elle ne suppose l’existence d’aucune chose extérieure (ce que toute demande suppose forcément), parce que l’extériorité ne peut se comprendre que par rapport à l’individu, que précisément il s’agit ici de dépasser; elle est une aspiration de l’être vers l’Universel, afin d’obtenir ce que nous pourrions appler, das un langage d’apparence quelque peu „théologique”, une grâce spirituelle, c’est-à-dire, au fond, une illumination intérieure qui, naturellement, pourra être plus ou moins complète suivant les cas. Ici, l’action de l’influence spirituelle, doit être envisagée à l’état pur, si l’on peut s’exprimer ainsi; […].” (p. 169)
L’incantation (nommée mantra en hindouisme et dhikr en islam), détermine des vibrations rythmiques qui ont une répercussion à travers un domaine plus ou moins étendu dans la sétendu dans la série indéfinie des états de l’être.
Au bas de l’hiérarchie se trouvent les simples croyants, qui ne peuvent obtenir rien que par rapport à leur individualité corporelle, et dans les limites de cette portion.
Une marche plus haut sont les mystiques, ceux qui perçoivent indirectement certaines réalités d’ordre supérieur, non pas telles qu’elles sont en elle-même, mais traduites symboliquement et revêtues de formes psychiques ou mentales. Cela encore s’obtient par la prière et l’accomplissement des œuvres prescrites, parce que tout cela ne sort pas du domaine de l’exotérisme.
A un degré plus élevé se trouvent ceux qui, ayant étendu leur conscience jusqu’aux extrêmes limites de leur individualité, arrivent à percevoir directement les états supérieurs de leur être sans cependant y participer effectivement.
Dans la tradition islamique, le premier niveau, celui de la connaissance qui vient de l’extérieur par la voie exotérique s’appelle ilmul-yaqîn. Le deuxième niveau, de perception de la connaissance par reflèt – aynul-yaqîn; le troisième, qui perçoit la vérité et s’identifie avec elle (l’Homme Universel) – haqqul-yaqîn.
L’Homme Universel correspond à „la plénitude de l’initiation réelle et effective, c’est-à-dire à la prise de possession consciente et volontaire de la totalité des états de l’être, selon les deux sens que nous avons indiqués; c’est là le résultat complet et final de l’incantation […].” (p. 171)
„ […] le Yogî de la tradition hindoue, ou le Çûfî de la tradition islamique, si l’on entend ces termes dans leur sens strict et véritable, est celui qui est parvenu à ce degré suprême, et qui a ainsi réalisé dans son être la totale possibilité de l’«Homme Universel».” (p. 171)

Chapitre XXV. Des épreuves initiatiques
L’idée vulgaire des „épreuves de la vie” existe, même si elle ne correspond à rien de vrai.
„Le symbole doit toujours être d’un ordre inférieur à ce qui est symbolisé […].” (p. 173)
„[…] il n’y a rien d’impossible à ce que la souffrance soit, dans certains cas particuliers, l’occasion ou le point de départ d’un développement de possibilités latentes, mais exactement comme n’importe quoi d’autre peut l’être dans d’autres cas; l’occasion, disons-nous, et rien de plus; et cela ne saurait autoriser à attribuer à la souffrance en elle-même aucune vertu spéciale et privilégiée, en dépit de toutes les déclamations accoutumées sur ce sujet.” (p. 173)
Mais il arrive assez fréquemment que ceux qui suivent une voie initiatique voient les circonstances pénibles se multiplier d’une façon inaccoutumée. Il s’agit d’obstacles suscités par des forces adverses, et non point, d’«épreuves» voulues et imposées par les puissances qui président à l’initiation.
Ce qu’on appelle „les épreuves initiatiques” sont essentiellement des rites. Ces épreuves constituent un enseignement donné sous forme symbolique et destiné à être médité ultérieurement.
La raison d’être essentielle du rite est l’efficacité qui lui est inhérente.
Les épreuves sont des rites préliminaires ou préparatoires. Elles sont aussi des rites de purification. Le sens du mot „épreuve” est alchimique, et non pas le sens vulgaire accordé récemment. Cette purification se fait par „éléments” (qui dit élément dit simple, et qui dit simple dit incorruptible). L’eau joue un rôle prépondérent, mais non pas exclusiv (d’ailleurs, dans toutes les traditions l’eau est la „substances universelle”).
„Il s’agit de ramener l’être à un état de simplicité indifférenciée, comparable, comme nous l’avons dit précédemment, à celui de la materia prima (entendue naturellement ici en un sens relatif), afin qu’il soit apte à recevoir la vibration du Fiat Lux initiatique; il faut que l’influence spirituelle dont la transmission va lui donner cette «illumination» première ne rencontre en lui aucun obstacle dû à des «préformations» inharmoniques provenant du monde profane.” (p. 177)

Chapitre XXVI. De la mort initiatique
La mort initiatique a été nommée à tort „mort fictive”. Or, cette „mort” est plus réelle même que la mort entendue au sens ordinaire du mot.
„[…] toutes les traditions insistent sur la différence essentielle qui existe dans les états posthumes de l’être humain selon qu’il s’agit du profane ou de l’initié; si les conséquences de la mort, prise dans son acception habituelle, sont ainsi conditionnées par cette distinction, c’est donc que le changement qui donne accès à l’ordre initiatique correspond à un degré supérieur de réalité.” (p. 178)
La mort initiatique est un changement d’état: mort par rapport à l’état antécédent, naissance par rapport à l’état conséquent. C’est donc la mort au monde profane, la seule qui permet une seconde naissance.
„Il y a lieu de remarquer notamment, à ce sujet, que tout changement d’état doit être considéré comme s’accomplissant dans les ténébres, ce qui donne l’explication du symbolisme de la couleur noire en rapport avec ce dont il s’agit: le candidat à l’initiation doit passer par l’obscurité complète avant d’accéder à la «vraie lumière».” (p. 179)
La seconde naissance est au cas de l’initiation première une régénération psychique – dans cet ordre a lieu la première phase du développement initiatique. Après cela, il y a un passage de l’ordre psychique à l’ordre spirituel – c’est la seconde mort et la troisième naissance.
La seconde mort est la mort psychique
Sur la contre-initiation: „celle-ci, en effet, imite dans ses phases l’initiation véritable, mais ses résultats sont en quelque sorte au rebours de celle-ci, et, évidemment, elle ne peut en aucun cas conduire au domaine spirituel, puisqu’elle ne fait au contraire qu’en éloigner l’être de plus en plus.” (p. 181)

Chapitre XXVII. Noms profanes et noms initiatiques
Les noms initiatiques des maîtres sont la plupart des fois entourés de secret.
Après la seconde naissance, l’initié reçoit un nouveaux nom, différent de son nom profane, qui doit correspondre à une modalité également différente de son être. La même pratique existe aussi dans certains ordre religieux.
Un nom est d’autant plus vrai qu’il correpond à une modalité d’ordre plus profond, parce qu’il exprime quelque chose qui est plus proche de la véritable essence de l’être. Donc, contrairement à l’opinion vulgaire, le nom profane, étant attaché à la modalité la plus extérieure et à la manifestation la plus superficielle, est le moins vrai de tous.
Le nom initiatique n’a pas à être connu dans le monde profane. Inversement, le nom profane n’est pour l’initié qu’un simple rôle qu’il joue à l’extérieur.
Quand l’être passe aux „grands mystères”, à la réalisation des états supra-individuels, il passe par là même au delà du nom et de la forme (nâma-rûpa dans la doctrine hindoue) il devient l’expression de l’essence et de la substance de l’individualité. Un tel être n’a plus de nom, parce que c’est une limitation dont il n’a plus besoin.
„[…] mais il n’était pas inutile de souligner encore, à cette occasion, le rôle del’esprit antitraditionnel, caractéristique de l’époque moderne, comme cause principale de l’incompréhension des réalités initiatiques et de la tendance à les réduire aux points de vue profanes. C’est cet esprit qui, sous des noms tels que ceux d’«humanisme» et de «ratonalisme», s’efforce constamment, depuis plusieurs siècles, de tout ramener aux proportions de l’individualité humaine vulgaire, nous voulons dire de la portion restreinte qu’en connaissent les profanes, et de nier tout ce qui dépasse ce domaine étroitement borné, donc en particulier tout ce qui relève de l’initiation, à quelque degré que ce soit.” (p. 186-187)

Chapitre XXVIII. Le symbolisme du théâtre
„[…] le théâtre est un symbole de la manifestation, dont il exprime aussi parfaitement que possible le caractère illusoire. […] L’acteur est un symbole du „Soi” ou de la personnalité se manifestant par une série indéfinie d’états et de modalités, qui peuvent être considérés comme autant de rôles différents; et il faut noter l’importance qu’avait l’usage antique du masque pour la parfaite exactitude de ce symbolisme.” (p. 188)
Sous les masques l’acteur demeure lui-même dans tous ses rôles, comme la personnalité est «non-affectée» par toutes ses manifestations.
Le théâtre n’est d’une image du monde, parce que l’un et l’autre sont des „représentations”. En arabe le théâtre est désigné par le mot tamthîl, dérivé de la racine mathl (ressemblance, comparaison, image ou figure).
Le théâtre n’est pas forcément borné à représenter le monde humain, il peut aussi représenter les mondes supérieurs et inférieurs. „Dans les «mystères» du moyen âge, la scène était, […] divisée en plusieurs étages correspondant aux différents mondes, généralement répartis suivant la division ternaire: ciel, terre, enfer; et l’action se jouant simultanément dans ces différentes divisions représentait bien la simultanéité essentielle des états de l’être. Les modernes, ne comprenant plus rien de ce symbolisme, en sont arrivés à regarder comme une «naïveté», pour ne pas dire comme une maladresse, ce qui avait précisément ici le sens le plus profondl et ce qui est étonnant, c’est la rapidité avec laquelle est venue cette incompréhension, si frappante chez les écrivains du XVIIe siècle; cette coupure radicale entre la mentalité du moyen âge et celle des temps modernes n’est certes pas une des moindres énigmes de l’histoire.” (p. 189-190)
Les pièces théâtrales à inspiration religieuse faisaient partie de la célébration des fêtes religieuses.
„Nous avons d’ailleurs assez souvent, en d’autres occasions, à signaler l’importance, comme procédé du langage symbolique, des assimilations phonétiques entre des mots philologiquement distincts; il y a là quelque chose qui, à la vérité, n’a rien d’arbitraire, quoi qu’en puissent penser la plupart de nos contemporains, et qui s’apparente assez directement aux modes d’interprétation relevant du nirukta hindou; mais les secrets de la constitution intime du langage sont si complètement perdus aujourd’hui qu’il est à peine possible d’y faire allusion sans que chacun s’imagine qu’il s’agit de «fausses étymologies», voire même de vulgaire «jeux de mots», et Platon lui-même, qui a parfois eu recours à ce genre d’interprétation, comme nous l’avons noté incidemment à propos des «mythes», ne trouve pas grâce devant la «critique» pseudo-scientifique des esprits bornés par les préjugés modernes.” (p. 190-191)
L’auteur dramatique a une fonction véritablement „démiurgique”, puisqu’il produit un monde qu’il tire tout entier de lui-même; il est le symbole même de l’Etre produisant la manifestation universelle.

Chapitre XXIX. „Opératif” et „spéculatif”
Il existe de nos jours une forte confusion sur les termes „opératif” et „spéculatif”. Ce sont deux termes concernant la Maçonnerie. En principe, si au commencement ceux qui participaient à l’initiation maçonnique étaient pratiquants du métier, on les appelle maçons opératifs. Plus tard, l’organisation s’est ouvert à non-pratiquants, appelés „spéculatifs”.
„[…] le passage de l’«opératif» au «spéculatif», bien loin de constituer un «progrès» comme le voudraient les modernes qui n’en comprennent pas la signification, est exactement tout le contraire au point de vue initiatique; il implique, non pas forcément une déviation à proprement parler, mais du moins une dégénérescence au sens d’un amoindrissement; et, comme nous venons de le dire, cet amoindrissement consiste dans la négligence et l’oubli de tout ce qui est «réalisation», car c’est là ce qui est véritablement «opératif», pour ne plus laisser subsister qu’une vue purement théorique de l’initiation.” (p. 195)
„Spéculation” vient de speculum (lat.), qui signifie „miroir”. La connaissance apportée par la spéculation est indirecte, par opposition à celle apportée par la connaissance effective.
Il existe entre „opératif” et „spéculatif” presque les mêmes différences qui sont entre praxis et poêsis.
„Il est dès lors facile de se rendre compte de ce qui reste dans le cas d’une initiation qui n’est plus que «spéculative»: la transmission initiatique subsiste bien toujours, puisque la «chaîne» traditionnelle n’a pas été interrompue; mais, au lieu de la possibilité d’une initiation effective toutes les fois que quelque défaut individuel ne vient pas y faire obstacle, on n’a plus qu’une initiation virtuelle, et condamnée à demeurer telle par la force même des choses, puisque la limitation «spéculative» signifie proprement que ce stade ne peut plus être dépassé, tout ce qui va plus loin étant de l’ordre «opératif» par définition même.” (p. 195) Dans ce cas les rites sont toujours effectifs, mais le résultat reste en état d’éclosion.
La „pensée” cultivée pour elle-même n’est pas le lot des organisations initiatiques, qui ne sont pas des rassemblements pour „philosophers” ou pour des discussions „académiques”.

Chapitre XXX. Initiation effective et initiation virtuelle
„[…] le rattachement à une organisation traditionnelle régulière (présupposant naturellement la qualification) suffit pour l’initiation virtuelle, tandis que le travail intérieur qui vient ensuite concerne proprement l’initiation effective, qui est en somme, à tous ses degrés, le développement «en acte» des possibilités auxquelles l’initiation virtuelle donne accès.” (p. 198)
Entrer dans la voie, c’est l’initiation virtuelle; suivre la voie, c’est l’initiation effective.
L’initiation est essentiellement une transmission: d’une part d’une influence spirituelle, de l’autre d’un enseignement traditionnel. L’influence spirituelle constitue elle seule l’initiation virtuelle, mais l’enseignement traditionnel est l’aide extérieure apportée au travail intérieur de réalisation. Ces deux types de transmission ne peuvent jamais être séparés l’un de l’autre.
Les rites sont essentiellement un véhicule de l’influence spirituelle. Ils sont aussi un enseignement par les symboles véhiculés. Les symboles sont essentiellement un moyen d’enseignement, surtout en tant que supports à la méditation. Mais, à cause de leur caractère non-humain, les symboles sont des supports de l’influence spirituelle aussi.
„[…] tant on ne fait que «spéculer», même en se tenant au point de vue initiatique et sans en dévier d’une façon ou d’une autre, on se trouve en quelque sorte enfermé dans une impasse, car on ne saurait en rien dépasser par là l’initiation virtuelle […].” (p. 201)

Chapitre XXXI. De l’enseignement initiatique
On commet deux erreurs quant à l’enseignement initiatique: de le considèrer comme un complément de l’enseignement profane ou comme une opposition à l’enseignement profane.
„Maintenant, si l’enseignement initiatique n’est ni le prolongement de l’enseignement profane, comme le voudraient les uns, ni son antithèse, comme le soutiennent les autres, s’il ne constitue ni un système philosophique ni une science spécialisée, c’est qu’il est en réalité d’un ordre totalement différent […].” (p. 203)
Si les conceptions intiatiques sont essentiellement autres que les conceptions profanes, c’est qu’elles procèdent avant tout d’une autre mentalité que celles-ci.
„[…] ce symbole est moins l’expression d’une idée nettement définie et délimitée (à la façon des idées «claires et distinctes» de la philosophie cartésienne, supposées entièrement exprimables par des mots) que la représentation synthétique et schématique de tout un ensemble d’idées et de conceptions que chacun pourra saisir selon ses aptitudes intellectuelles propres et dans la mesure où il est préparé à leur compréhension.” (p. 205)
Le symbole est le seul moyen de transmettre, autant qu’il peut, tout cet inexprimable qui constitue le domaine de l’initiation. Il suffit que les symboles soient maintenus intacts pour qu’ils soient toujours susceptibles d’éveiller, en celui qui en est capable, toutes les conceptions dont ils figurent la synthèse.
„Au fond, si tout processus d’initiation présente en ses différentes phases une correspondance, soit avec la vie humaine individuelle, soit même avec l’ensemble de la vie terrestre, c’est que le développement de la manifestation vitale elle-même, particulière ou générale, «microcosmique» ou «macrocosmique», s’effectue suivant un plan analogue à celui que l’initié doit réaliser en lui-même, pour se réaliser lui-même dans la complète expansion de toutes les puissances de son être.” (p. 206)
Si les principes de l’initiation sont immuables, ses modalités peuvent et doivent varier de façon à s’adapter aux conditions multiples et relatives de l’existence manifestée, de sorte que l’on peut dire qu’il n’y a pas, pour deux individus différents, deux initiations exactement semblables.
A la fin, l’enseignement initiatique n’est qu’une préparation de l’individu à acquérir la véritable connaissance initiatique par l’effet de son travail personnel. „On peut ainsi lui indiquer la voie à suivre, le plan à réaliser, et le disposer à prendre l’attitude mentale et intellectuelle nécessaire pour parvenir à une compréhension effective et non pas simplement théorique; on peut encore l’assister et le guider en contrôlant son travail d’une façon constante, mais c’est tout, car nul autre, fût-il un „Maître” dans l’acception la plus complète du mot, ne peut faire ce travail pour lui.” (p. 208)

Chapitre XXXII. Les limites du mental
La mentalité nécessaire pour l’initiation, différente de la mentalité profane, n’est pas néanmoins un stade préliminaire, qui ne doit pas être confondu avec l’initiation même. En fait, le mental est incapable de toute connaissance métaphysique et initiatique.
Manas (sanscr.) = mental.
Le mintal est „l’ensemble des facultés de connaissance qui sont spécifiquement caractéristiques de l’individu humain […] et dont la principale est la raison.” (p. 210)
La raison est une faculté d’ordre purement individuel, pendant que l’intellect pur est d’ordre supra-individuel.
„[…] la connaissance métaphysique, au vrai sens de ce mot, étant d’ordre universel, serait impossible s’il n’y avait dans l’être une faculté du même ordre, donc transcendante par rapport à l’individu: cette faculté est proprement l’intuition intellectuelle.” (p. 210)
L’être, qui apparaît dans ce monde comme un homme, est tout autre chose par le principe permanent et immuable qui constitue son essence profonde.
Toute connaissance initiatique constitue une communication avec les états supérieurs de l’être. Cette connaissance d’ordre transcendent est incommunicable et inexprimable.
Les symboles, par leur caractère essentiellement synthétique, sont aptes à servir de point d’appui à l’intuition intellectuelle, pendant que le langage, essentiellement analytique, est l’instrument de la pensée discursive et rationnelle.
„Cet usage supérieur du langage est surtout possible quand il s’agit des langues sacrées, qui précisément sont telles parce qu’elles sont constituées de telle sorte qu’elles portent en elles-mêmes ce caractère proprement symbolique; il est naturellement beaucoup plus difficile avec les langues ordinaires, surtout lorsque celles-ci ne sont employées habituellement que pour exprimer des points de vue profanes comme c’est le cas pour les langues modernes.” (note, p. 212)
L’enseignement initiatique ne peut jamais prendre une forme systématique, mais doit s’ouvrir sur des possibilités illimitées, de façon à réserver la part de l’inexprimable.
La connaissance théorique se fait par le mental, pendant que la connaissance effective se fapt „par l’esprit et par l’âme”, donc par l’être tout entier. Les mystiques sont donc supérieurs aux philosophes et même aux théologiens, car la moindre parcelle de connaissance effective vaut plus que les raisonnements.
L’intiation implique la renonciation au mental, donc à toute faculté discursive. Selon le symbolisme traditionnel fondé sur des correspondances organiques, le centre de la conscience se transfère du „cerveau” au „cœur”.
„Celui qui s’attache au raisonnement et ne s’en affranchit pas au moment voulu demeure prisonnier de la forme, qui est la limitation par laquelle se définit l’état individuel; il ne dépassera donc jamais celui-ci, et il n’ira jamais plus loin que l’«extérieur», c’est-à-dire qu’il demeurera lié au cycle indéfini de la manifestation. Le passage de l’«extérieur» à l’«intérieur», c’est aussi le passage de la multiplicité à l’unité, de la circonférence au centre, au point unique d’où il est possible à l’être humain, restauré dans les prérogatives de l’«état primordial», de s’élever aux états supérieurs et, par la réalisation totale de sa véritable essence, d’être enfin effectivement et actuellement ce qu’il est potentiellement de toute éternité.” (p. 214)

Chapitre XXXIII. Connaissance initiatique et „culture” profane
L’instruction profane purement extérieure n’a rien en commun avec la connaissance doctrinale initiatique. Ce que l’on appelle „culture” au sens mondain et profane ne constitue pas une préparation pour l’initiation, parce qu’il y a une absence de rapport entre les deux.
„[…] mais le danger est de se laisser prendre à l’apparence trompeuse d’une prétendue «intellectualité» qui n’a absolument rien à voir avec l’intellectualité pure et véritable, et l’abus constant qui est fait précisément du mot «intellectuel» par nos contemporains suffit à prouver que ce danger n’est que trop réel.” (pp. 215-216)
„Certains vont même, en ce sens, jusqu’à prétendre trouver dans la première [la science expériementale moderne – n.n] des «confirmations» de la seconde [la science sacrée de l’initiation – n.n.], comme si celle-ci, qui repose sur les principes immuables, pouvait tirer le moindre bénéfice d’une conformité accidentelle et tout extérieure avec quelques-uns des résultats hypothétiques et sans cesse changeants de cette recherche incertaine et tâtonnante que les modernes se plaisent à décorer du nom de «science»!” (p. 216)
L’instruction moderne peut constituer un obstacle à l’acquisition de la véritable connaissance, à cause de plusieurs faits:
ê l’éducation profane impose certaines habitudes mentales dont il est assez difficile de se défaire ultérieurement; l’instruction universitaire spécialisée attire une étroitesse de vues, pendant que l’érudition cultivée pour elle-même attire inévitablement la myopie intellectuelle; „[…] si la connaissance profane en elle-même est simplement indifférente, les méthodes par lesquelles elle est inculquée sont en réalité la négation même de celles qui ouvrent accès à la connaissance initiatique.” (p. 217)
ê l’éducation profane attire une sorte d’infatuation fréquemment causée par un prétendu savoir; „[…] de deux ignorants, celui qui se rend compte qu’il ne sait rien est dans une disposition beaucoup plus favorable à l’acquisition de la connaissance que celui qui croit savoir quelque chose […].” (p. 217)
Ce qui signifie „gens cultivés”: „il ne s’agit même pas là d’une instruction tant soit peu solide, si limitée et si inférieure qu’en soit la portée, mais d’une «teinture» superficielle de toute sorte de choses, d’une éducation surtout «littéraire», en tout cas purement livresque et verbale, permettant de parler avec assurance de tout, y compris ce qu’on ignore le plus complétement, et susceptible de faire illusion à ceux qui, séduits par ces brilliantes apparences, ne s’aperçoivent pas qu’elles ne recouvrent que le néant.” (p. 217)
„[…] mais nous n’exagérons rien en disant que, en dehors de ces exceptions, la grande majorité des gens «cultivés» doivent être comptés parmi ceux dont l’état mintal est le plus défavorable à la réception de la véritable connaissance.” (p. 218)
Le souci de l’«opinion publique» en général est une attitude aussi «anti-initiatique» que possible.
Toute connaissance exclusivement „livresque” n’a rien de commun avec la connaissance initiatique, même envisagée à son stade simplement théorique. Le fait d’entasser dans sa mémoire des notions verbales n’apporte aucune connaissance réelle.

Chapitre XXXIV. Mentalité scolaire et pseudo-initiation
Les sociétés pseudo-initiatiques abusent de la comparation avec la vie profane – marque caractéristique. Malheureusement le résultat est la plupart des fois une assimilation des réalités spirituelles à des formes d’activités qui sont opposées de toute spiritualité.
Les occultistes conçoivent la spiritualité sous la forme des „dettes à payer”. La théosophie surtout sous la forme des „leçons à apprendre”.
L’instruction profane est conçue d’une manière profondément antitraditionnelle. „[…] on peut même dire qu’elle n’est faite en quelque sorte que pour cela, ou du moins que c’est dans ce caractère que réside sa première et principale raison d’être, car il est évident que c’est là un des instruments les plus puissants dont on puisse disposer pour parvenir à la destruction de l’esprit traditionnel.” (p. 221)
Même sans la déviation profane, un enseignement traditionnel utilise des représentations „scolaires” qui ne sont pas appropriées à l’enseignement initiatique.
On ne peut pas transmettre à d’autres quelque chose qu’on ne possède pas soi-même.
„[…] les Universités occidentales ayant été, dans les temps modernes, complètement détournées de leur esprit originel, et ne pouvant plus dès lors avoir le moindre lien avec un principe supérieur capable de les légitimer, les grades qui y ont été conservés, au lieu d’être comme une image extérieure de grades initiatiques, n’en sont plus qu’une simple parodie, de même qu’une cérémonie profane est la parodie ou la contrefaçon d’un rite, et que les sciences profanes elles-mêmes sont, sous plus d’un rapport, une parodie des sciences traditionnelles […].” (p. 223)
Les examens sont le seul critère dont on dispose pour apprécier les „réussites” de l’enseignement extérieur. Ils sont complétement inutiles dans une organisation initiatique. Les sciences traditionnelles font leur travail à la place des examens.
„[…] tandis que les organisations initiatiques, tant qu’elles n’ont subi aucune déviation, sont constituées à l’image du véritable monde spirituel, la caricature de celui-ci se trouve, inversement, être à l’image des organisations pseudo-initiatiques, qui, elles-mêmes, en voulant copier certaines organisations initiatiques pour s’en donner les apparences, n’en ont pris en réalité que les côtés déformés par des emprunts au monde profane.” (p. 224)

Chapitre XXXV. Initiation et „passivité”
L’enseignement initiatique demande une attitude réceptive, mais non passive. Il exige de la part de celui qui le reçoit un effort constant d’assimilation.
En réalité, c’est l’enseignement profane qui exige la passivité, puisqu’il se propose de fournir des données qui doivent être „apprises”.
„Il est doublement avantageux pour la contre-initiation, quand elle ne peut réussir à dissimuler entièrement ses procédés et ses buts, de faire attribuer les uns et les autres à l’initiation véritable, puisque par là elle nuit incontestablement à celle-ci, et que, en même temps, elle détourne le danger qui la menace elle-même en égarant les esprits qui pourraient se trouver sur la voie de certaines découvertes.” (p. 227)
L’idée de l’éveil et de l’ascension de la force subtile appelée Kundalinî est propre uniquement à certaines formes d’initiation, et pas à toutes.
„[…] l’initié n’est pas un «sujet», il est même exactement le contraire; toute tendance à la passivité ne peut être qu’un obstacle à l’initiation, et, où elle est prédominante, elle constitue une «disqualification» irrémédiable.” (p. 230)
Les pratiques hypnotiques sont illégitimes et strictement interdites dans une vraie organisation initiatique.
Le véritable guru est intérieur, il n’est l’autre que le „Soi” de l’être lui-même, le guru extérieur ne fait que le réprésenter tant que l’être ne peut pas se mettre en contact conscient avec ce „Soi”.

Chapitre XXXVI. Initiation et „service”
Les organisations pseudo-initiatiques attribuent une valeur ésotérique à des valeurs qui sont purement exotériques. D’ailleurs, ces organisations ne suivent que les déviations et les influences du monde profane. Il s’agit de parodies d’ésotérisme.
Dans la phraséologie des organisations pseudo-initiatiques reviennent les mots „serviteur” et „service”. Il y a une confusion due à la prépondérance attribuée par les modernes à l’action et au point de vue social, qu’ils veulent faire intervenir jusque dans un domaine où cela n’a rien à faire. Par un renversement étrange, les activités extérieures sont considérées comme des conditions essentielles de l’initiation.
Le sentimentalisme dispose toujours à une certaine „passivité”. „En effet, à force de répéter à quelqu’un qu’il doit «servir» n’importe quoi, fût-ce de vagues entités «idéales», on finit par le mettre dans de telles dispositions qu’il sera prêt à «servir» effectivement, quand l’occasion s’en offrira à lui, tout ce qui prétendra incarner ces entités ou les représenter de façon plus positive; et les ordres qu’il pourra en recevoir, quel qu’en soit le caractère, et même s’ils vont jusqu’aux pires extravagances, trouveront alors en lui l’obéissance d’un véritable «serviteur».” (p. 234)
En principe, le „service” se veut une voie hindoue de bhakti. Sauf que la dernière implique la dévotion pour Dieu, et pas pour tout le monde.
„[…] l’initié n’a pas à être un «serviteur», ou, du moins, il ne doit l’être que de la Vérité.” (p. 235)

Chapitre XXXVII. Le don des langues
Le «don des langues» est mentionné comme un des signes caractéristiques des véritables Rose-Croix.
La possession de certaines clefs du langage peut fournir, pour comprendre et parler les langues les plus diverses, des moyens tout autres que ceux dont on dispose d’ordinaire. Il existe une philologie sacrée, entièrement différente de la philologie profane de nos jours.
„[…] on peut dire que celui qui possède véritablement le «don des langues», c’est celui qui parle à chacun son propre langage, en ce sens qu’il s’exprime toujours sous une forme appropriée aux façons de penser des hommes auxquels il s’adresse.” (p. 236)
Les Rose-Croix pouvaient adopter le costume et les habitudes des pays où ils se trouvaient, parfois un nouveau nom chaque fois qu’ils changeaient de pays, parce qu’ils n’étaient liés à aucune forme définie, non plus aux conditions spéciales d’aucun lieu déterminé.
Mohyid din ibn Arabi: „le vrai sage ne se lie à aucune croyance”.
Celui qui a atteint par une connaissance directe et profonde (et non pas seulement théorique ou verbale), le fond identique de toutes les doctrines traditionnelles, celui-là a trouvé la vérité une qui s’y cache sous la diversité et la multiplicité des formes extérieures.
Et-tawhîdu wâhidun – la doctrine de l’Unité est unique.
Celui qui s’arrête à la forme voit surtout les différences, au point où il peut les prendre pour des oppositions.
Ce qui s’appelle dans ce cas „langues”, ce sont toutes les formes traditionnelles, religieuses ou autres, qui ne sont en effet que des adaptations de la grande Tradition primordiale et universelle, des vêtements divers de l’unique vérité.
„Ceux qui ont dépassé toutes les formes particulières et sont parvenus à l’universalité, et qui «savent» ainsi ce que les autres ne font que «croire» simplement, sont nécessairement «orthodoxes» au regard de toute tradition régulière; et, en même temps, ils sont les seuls qui puissent se dire pleinement et effectivement «catholiques», au sens rigoureusement étymologique de ce mot, tandis que les autres ne peuvent jamais l’être que virtuellement, par une sorte d’aspiration qui n’a pas encore réalisé son objet, ou de mouvement qui, tout en étant dirigé vers le centre, n’est pas parvenu à l’atteindre réellement.” (p. 238)
L’influence de Rose-Croix s’exerce surtout par une action de présence qu’à une activité extérieure quelconque.

Chapitre XXXVIII. Rose-Croix et Rosicruciens
Il faut établir une distinction nette entre Rose-Croix et Rosicruciens, le dernier terme ayant une extension que le premier.
Les vrais Rose-Croix n’ont jamais constitué une organisation avec des formes extérieures définies. Tout de même, à partir le début du XVIIe siècle, plusieurs associations furent qualifiées de rosicruciennes.
Rose-Croix est proprement la désignation d’un degré initiatique effectif, donc un état spirituel. Il représente la perfection de l’état humain. Son symbole figure „la réintégration de l’être au centre de cet état et la pleine expansion de ses possibilités individuelles à partir de ce centre” (p. 242).
Le nom tiré de ce symbole n’a été appliqué à un degré initiatique qu’à partir du XIVe siècle, par rapport à l’ésotérisme chrétien. Il a été mis en relation avec le nom de Christian Rosenkreutz – nom purement symbolique, qui ne devrait pas être connecté à une personnalité historique quelconque.
Il semble que, après la destruction de l’Ordre du Temple, les initiés à l’ésotérisme chrétien se réorganisèrent, d’accord avec les initiés à l’ésotérisme islamique, pour maintenir, dans la mesure du possible, le lien qui avait été rompu par cette destruction. Les vrais Rose-Croix furent les inspirateurs de cette réorganisation.
Les traités de Westphalie mirent fin à ce qui subsistait encore de la «Chrétienté» médiévale pour y substituer une organisation purement „politique” au sens moderne et profane du mot.
Les Rose-Croix ont dû rester anonymes, parce que, tout comme les Çûfî, ils ne pouvaient pas se prévalori de ce titre.
Il n’est pas sans intérêt d’indiquer que le mot Çûfî, par la valeur des lettres qui le composent, équivaut numériquement à el-hikmah el-ilahiyah, c’est-à-dire la „sagesse divine”.
Celui qui s’affirme Rose-Croix ou Çûfî ne l’est pas en réalité.
Si quelqu’un est connu comme ayant été membre d’une organisation extérieure, il n’était pas un véritable Rose-Croix. Aucune des organisations pseudo-initiatiques contemporaines n’est autre chose qu’une simple usurpation par rapport à la Rose-Croix.

Chapitre XXXIX. Grands mystères et petits mystères
„Grands mystères” et „petits mystères” sont des désignations empruntées de l’antiquité grecque. Il ne s’agit pas d’initiations différentes, mais de stades ou de degrés de la même initiation. „[…] en principe, les «petits mystères» ne sont donc qu’une préparation aux «grands mystères», puisque leur terme lui-même n’est encore qu’une étape de la voie initiatique.” (p. 248)
Mais, comme chaque être ne peut aller que jusqu’à l’épuisement de ses possibilités, il est bien envisageable que certains s’arrêtent après les „petits mystères”.
Les „petits mystères” comprennent tout ce qui se rapporte au développement des possibilités de l’état humain envisagé dans son intégralité. Ils aboutissent à la restauration de l’«état primordial».
Les «grands mystères» concernent l’état supra-humain. Ils conduisent l’homme jusqu’à l’état suprême, qui s’appelle la „Délivrance finale” ou l’«Identité Suprême».
Pour caractériser ces deux états, on peut parler de la réalisation horizontale et de la réalisation verticale. La première sert de base à la deuxième, ou, comme disait Dante, le „Paradis terrestre” est une étape sur la voie qui mène au „Paradis céleste”.
Dans la tradition islamique, les deux états sont appelés l’homme primordial (el-insân el-qadîm) et l’homme universel (el-insân el-kâmil). Dans le Taoïsme on parle de l’homme véritable et l’homme transcendant.
Les „grands mystères” sont en relation directe avec l’initiation sacerdotale, et les „petits mystères” avec l’initiation royale. Les premiers peuvent être regardé de point de vue hindou comme les Brâhmanes, et les seconds comme les Kshatriyas.
Les «petits mystères» visent la connaissance de la nature. Les «grands mystères» visent la connaissance de la métaphysique.
Les Vaishyas sont aussi qualifiés pour l’initiation par les métiers.
„Si nous envisageons l’histoire de l’humanité telle que l’enseignent les doctrines traditionnelles, en conformité avec les lois cycliques, nous devons dire que, à l’origine, l’homme, ayant la pleine possession de son état d’existence, avait naturellement par là même les possibilités correspondant à toutes les fonctions, antérieurement à toute distinction de celles-ci. La division de ces fonctions se produisit dans un stade ultérieur, représentant un état déjà inférieur à l’«état primordial», mais dans lequel chaque être humain, tout en n’ayant plus que certaines possibilités déterminées, avait encore spontanément la conscience effective de ces possibilités. C’est seulement dans une période de plus grande obscuration que cette conscience vint à se perdre; et, dès lors, l’initiation devint nécessaire pour permettre à l’homme de retrouver, avec cette conscience, l’état antérieur auquel elle est inhérente; tel est en effet le premier de ses buts, celui qu’elle se propose le plus immédiatement.” (p. 251)
Etant donné que les „grands mystères” visent la science métaphysique, c’est seulement dans le domaine des „petits mystères” que le déviations peuvent se produire. La déviation consiste dans une rupture entre les petits et les „grands mystères”, de sorte que les premiers sont pris comme un but en soi. C’est toujours dans le domaine des „petits mystères” que la contre-initiation est susceptible de s’opposer à l’initiation véritable.
On peut dire que celui qui est parvenu dans l’état primordial est déjà virtuellement délivré (ce qui dans la terminologie bouddhique s’appelle anâgami).

Chapitre XL. Initiation sacerdotale et initiation royale
Il existe plusieurs confusions entre l’initiation sacerdotale et l’initiation royale. La première considère qu’il s’agit de deux initiation complètement différentes, chacune suffisante à elle-même. Une autre confusion considère que l’initiation orientale est de type sacerdotal, pendant que l’initiation occidentale serait de type royal (généralement, la deuxième est présentée comme supérieure à la première).
„En réalité, à l’origine, et antérieurement à la division des castes, les deux fonctions sacerdotale et royale n’existaient pas à l’état distinct et différencié; elles étaient contenues l’une et l’autre dans leur principe commun, qui est au delà des castes, et dont celles-ci ne sont sorties que dans une phase ultérieure du cycle de l’humanité terrestre.” (p. 254)
L’initiation sacerdotale correspond aux „grands mystères”, pendant que l’initiation royale – aux „petits mystères”.
„[…] le Brâhmane est supérieur au Kshatriya par nature, et non point parce qu’il a pris plus ou moins arbitrairement la première place dans la société; il l’est parce que la connaissance est supérieure à l’action, parce que le domaine «métaphysique» est supérieure au domaine «physique», comme le principe est supérieur à ce qui en dérive; et de là provient aussi, non moins naturellement, la distinction des «grands mystères», constituant proprement l’initiation sacerdotale, et des «petits mystères», constituant proprement l’initiation royale.” (p. 255)
Ceux qui ont nié la supériorité de l’initiation sacerdotale ont été les Kshatrya révoltés.
„[…] s’il y a vraiment deux types d’organisations traditionnelles et initiatiques, c’est que l’un est régulier et normal et l’autre irrégulier et anormal, l’un complet et l’autre incomplet (et, faut-il ajouter, incomplet par en haut); il ne saurait en être autrement, et acela d’une façon absolument générale, en Occident aussi bien qu’en Orient.” (p. 255)
La tendance de nivellement par en bas est un des caractères les plus frappants de l’époque actuelle.

Chapitre XLI. Quelques considérations sur l’hermétisme
L’hermétisme, d’une manière générale, appartient à la voie royale.
„Il faut noter tout d’abord que ce mot «hermétisme» indique qu’il s’agit d’une tradition d’origine égyptienne, revêtue par la suite d’une forme hellénisée, sans doute à l’époque alexandrine, et transmise sous cette forme, au moyen âge, à la fois au monde islamique et au monde chrétien, et, ajouterons-nous, au second en grande partie par l’intermédiaire du premier […]” (p. 259)
Le mot „alchimie” vient d’arabe: „el-kimyâ”, mais ce dernier mot n’est arabe que par la forme, parce qu’il vient de Kêmi, ou „terre noire”, donné à l’ancienne Egypte.
Le mot Qabbalah en hébreu signifie „tradition”.
Ce qui s’est maintenu de la doctrine égyptienne ne peut pas être considéré comme une tradition à part entière.
„Ce n’est pas à dire, assurément, que l’hermétisme constitue en lui-même une telle déviation ou qu’il implique quoi que ce soit d’illégitime, ce qui aurait évidemment rendu impossible son incorporation à des formes traditionnelles orthodoxes; mais il faut bien reconnaître qu’il peut s’y prêter assez aisément par sa nature même, pour peu qu’il se présente des circonstances favorables à cette déviation, et c’est là du reste, plus généralement, le danger de toutes les sciences traditionnelles, lorsqu’elles sont cultivées en quelque sorte pour elles-mêmes, ce qui expose à perdre de vue leur rattachement à l’ordre principiel.” (p. 262)
Parfois, l’hermétisme est assimilé à la magie. C’est un risque qui hante d’ailleurs tout essai de reconstitution des sciences traditionnelles en absence du principe.

Chapitre XLII. Transmutation et transformation
Sur la possibilité de prolonger la vie: „Que cette possibilité soit réalisée effectivement ou non, c’est là une autre question; et, en fait, il est dit que celui qui est vraiment devenu capable de prolonger ainsi sa vie n’en fait généralement rien, à moins d’avoir pour acela des raisons d’un ordre très particulier, parce que la chose n’a plus réellement aucun intérêt pour lui (de même que les transmutations métalliques et autres effets de ce genre pour celui qui est capable de les réaliser, ce qui se rapporte en somme au même ordre de possibilités); et même il ne peut que trouver avantage à ne pas se laisser attarder par là dans ces étapes qui ne sont encore que préliminaires et fort éloignées du but véritable, car la mise en œuvre de tels résultats secondaires et contingents ne peut jamais, à tous les degrés, que distraire de l’essentiel.” (pp. 267-268)
Certaines écoles pseudo-initiatiques se proposent l’obtention d’une immortalité corporelle.
La vraie „transformation” est le passage à un état supra-individuel, donc passage au delà de la forme. La „transmutation” est un changement à l’intérieur du domaine formel qui comprend tout l’ensemble des états individuels, ou même une changement de modalité à l’intérieur du domaine individuel humain.

Chapitre XLIII. Sur la notion d’élite
L’élite n’existe plus dans l’état actuel du monde occidental. Sa reconstitution serait la condition première et essentielle d’un redressement intellectuel et d’une restauration traditionnelle.
Le mot „élite” est sujet à de nombreux abus de nos jours. Le mot „initiation” aussi désigne à tort l’enseignement rudimentaire ou la vulgarisation d’un „savoir” profane quelconque. Le langage actuel est en pleine désordre.
„[…] en fait, on n’a jamais tant parlé de «l’élite», à chaque instant et de tous les côtés, que depuis qu’elle n’existe plus, et, bien entendu ce qu’on veut désigner par là n’est jamais l’élite prise dans son vrai sens.” (p. 273)
On comprend maintenant par élite les individus qui dépassent tant soit peu la moyenne dans un ordre d’activité quelconque. „Elite” est utilisé même à pluriel, ce qui est un nonsens, vu qu’il s’agit d’un superlatif. „Elite intellectuelle” est un pléonasme. Au point de vue traditionnel, ce qui donne au mot „élite” toute sa valeur c’est le fait qu’elle dérive d’«élu».
„Au fond, nous pourrions dire que l’élite, telle que nous l’entendons, représente l’ensemble de ceux qui possèdent les qualifications requises pour l’initiation, et qui sont naturellement toujours une minorité parmi les hommes […].” (p. 274)
Dans le monde occidental actuel l’élite consciente d’elle-même a disparu, ainsi que les organisations initiatiques adéquates.

Chapitre XLIV. De la hiérarchie initiatique
En dehors du domaine initiatique, dans le monde profane, toute idée d’hiérarchie est obscurcie dans le monde profane. L’esprit moderne, égalitariste, s’acharne particulièrement contre cette idée.
Toute organisation initiatique est par son esprit même hiérarchique. Elle est organisé selon des degrés de connaissance effective.
„Adepte” est celui qui a atteint la plénitude de l’initiation.

Chapitre XLV. De l’infaillibilité traditionnelle
Ce qui est infaillible c’est la doctrine traditionnelle, mais pas les humains. La doctrine est une expression de la vérité, indépendante des individus qui la reçoivent et qui la comprennent. La garantie de la doctrine réside dans son caractère „non-humain”.
„La vérité n’est point faite par l’homme, comme le voudraient les „relativistes” et les „subjectivistes” modernes, mais elle s’impose au contraire à lui, non pas cependant „du dehors” à la façon d’une contrainte „physique”, mais en réalité „du dedans”, parce que l’homme n’est évidemment obligé de la „reconnaître” comme vérité que si tout d’abord il la „connaît”, c’est-à-dire si elle a pénétré en lui et s’il se l’est assimilée réellement.” (p. 282)
Toute connaissance vraie suppose une identification du connaissant et du connu.
Tout individu est infaillible quand il exprime une vérité qu’il connaît réellement, c’est-à-dire à laquelle il s’est identifié. On peut dire que ce n’est pas l’homme qui exprime la vérité, mais c’est la vérité qui s’est exprimée par lui.
La vérité s’identifie avec la connaissance. L’homme qui la transmet ne compte pas, tellement son individualité est nulle par rapport au message.
Il est difficile à tracer une démarcation nette entre le rite et la doctrine: „Le rite comporte toujours un enseignement en lui-même, et la doctrine, en raison de son caractère «non-humain» […], porte aussi en elle l’influence spirituelle, de sorte que ce ne sont véritablement là que deux aspects complémentaires d’une seule et même réalité; […].” (p. 285)
Nul ne peut prétendre juger d’une tradition selon les normes d’une autre tradition.

Chapitre XLVI. Sur deux devises initiatiques
Il existe dans les hauts grades de la Maçonnerie écossaise deux devises:
ê Post Tenebras Lux;
ê Ordo ab Chao.
Les ténébres représentent dans le symbolisme traditionnel l’état des potentialités non développées qui constituent le „chaos”.
Par l’initiation l’être passe des ténébres à la lumière, comme le monde y est passé par l’acte du Verbe créateur et ordonnateur.

Chapitre XLVII. «Verbum, lux et vita»
Dans la tradition hindoue la luminosité (taijasa) caractérise l’état subtil. Elle affirme aussi la primordialité du son (shabda) parmi les qualités sensibles, comme correspondant à l’éther (âkâsha) parmi les éléments.

Chapitre XLVIII. La naissance de l’Avatâra
La seconde naissance marque la naissance d’un principe spirituel au centre de l’individualité humaine. C’est principe existe à vrai dire dans le cœur de tout homme, mais à l’état latent.
Dans le cœur de chacun se trouve un „germe” spirituel, désigné dans la tradition hindoue comme Hiranyagarbha – ce germe est par rapport au monde l’Avatâra primordial.
L’initiation, en tant que „seconde naissance”, n’est pas autre chose que l’actualisation du principe de manifestation universelle nommé Avatâra éternel.