15 juillet 2005

Eza Boto, Ville cruelle, (note de lectura)

Editions Présence africaine, 1971.

Chapitre Premier
Une querelle d’amoureux. Une femme reproche à Banda de ne pas l’avoir épousé. Banda semble avoir écouté l’avis de sa mère.
Banda évoque le rôle de sa mère pendant son enfance.
Racisme: “Je trimais depuis huit ans dans leur école à planter, à arracher des pommes de terre, et jamais à faire ce qu’on fait habituellement dans une école, quand ils s’avisèrent que j’étais vraiment trop grand et me boutèrent à la porte, sans aucun diplôme, naturellement.” (p. 12)
Conclusion: “Je ne crois pas que rien au monde soit aussi abondant que l’amour d’une mère pour son enfant. Peut-être bien que j’exagère; mais la mienne m’a vraiment trop aimé pour que je pense autrement.” (p. 13)
Banda mariera une autre femme, selon le désir de sa mère.

Chapitre II
La ville de Tanga. La partie commerciale, la partie administrative de la ville et la partie “sans spécialité” (p. 20).
Les commerçants grecs et leurs fraudes.
Portrait des gens de la ville: “Comme les gens de la forêt éloignés qui conservaient leur authenticité, les habitants de Tanga étaient veules, vains, trop gais, trop sensibles. Mais en plus, il y avait quelque chose d’original en eux maintenant: un certain penchant pour le calcul mesquin, pour la nervosité, l’alcoolisme et tout ce qui excite le mépris de la vie humaine – comme dans tous les pays où se disputent de grands intérêts matériels. C’était la ville de chez nous qui détenait le record des meurtres… et des suicides! On y tuait, on s’y tuait pour tout, pour un rien et même pour une femme.” (p. 21)
Le cartier de Tanga du versant nord avec la vie nocturne.
Pas de recensement dans la ville de Tanga.
“Tanga, Tanga-Nord, je veux dire, était un authentique enfant de l’Afrique. A peine né, il s’était trouvé trop seul dans la nature. Il grandissait et se formait trop rapidement. Il s’orientait et se formait trop au hasard, comme les enfants abandonnés à eux-même. Comme eux, il ne se posait pas de questions, quoiqu’il se sentît dérouté. Nul ne pouvait dire avec certitude ce qu’il deviendrait, pas même les géographes, ni les journalistes, et encore moins les explorateurs.” (p. 26-27)

Chapitre III
Matin de février 193…
Un frère et une sœur.
Portrait du frère: “Il était jeune, plutôt grand, légèrement trapu. Avec ses longs bras, son long buste, ses jambes un peu courtes, il représentait un des modèles de graçons les plus courants dans le pays. Son teint, un tantinet rougeâtre, le caractérisait fortement. Sa pilosité aussi présentait cette coloration qu’un étanger eût jugée inattendue. Pourtant, il n’y avait pas de doute, en y regardant de plus près, on reconnaissait un enfant du pays. Ce sont ses yeux, trop clairs et d’une mobilité déconcertante qui donnaient la clé de l’apparente énigme: il y avait de l’albinos en lui.” (p. 27)
Portrait de la sœur: “Elle donnait, dès l’abord, une impression immédiate et générale de beauté rayonnante. Elle était bien proportionnée, plutôt forte, mais souple, avec l’arrière-train un peu proéminent. Sa poitrine fournie tendait la robe de cotonnade d’assez mauvaise coupe, par quoi l’on reconnaissait une «villageoise». Elle avait le teint plus sombre, la peau lisse des filles qui se baignent tous les jours, le visage légèrement joufflu, les yeux grands et tristes, les cheveux abondants tressés en nattes rampantes orientées vers la nuque. A considérer tous les gestes qu’elles faisait, on aurait dit qu’elle contenait comme un amas de virtualités maternelles.” (p. 27-28)
Le frère s’appelle Koumé. Monsieur T… ne paye pas le salaire des ouvriers.

Chapitre IV
Banda attend avec 200 kilos de cafés pour obtenir un certificat de qualité. La bureaucratie s’était arrogé une influence de plus en plus grande.
Le cacao est confisqué. Banda est battu et amené à la police.

Chapitre V

Il est après libéré et se promène en Tanga, après une discussion avec son oncle, vieil habitant de la ville.

Chapitre VI
La boîte.
Une obsession: le prix des femmes.
Le plan de voller dix mille francs chez les Grecs.

Chapitre VII
Le départ de Tanga et la mort de Koumé noyé dans la rivière.

Chapitre VIII
Tonga, l’oncle de Banda: “Ne quittez pas la voie de vos pères pour suivre les Blancs: ces gens-là ne cherchent qu’à vous tromper. Un Blanc, ça n’a jamais souhaité que gagner beaucoup d’argent. Et quand il en a gagné beaucoup, il t’abandonne et reprend le bateau pour retourner dans son pays, parmi les siens qu’il n’aura pas oublié un instant, cependant qu’il te faisait oublier les tiens ou tout au moins les mépriser. Un Blanc, ça n’a pas d’ami et ça ne raconte que des mensonges: ils s’en retournent conter dans leur pays que nous sommes des cannibales; est-ce que tu me vois, moi, ou ton grand-père, ou ton arrière-grand-père, tous ceux dont je t’ai si souvent parlé, mangeant de l’homme? Pouah!… Ne vous laissez plus attirer par les Blancs. Que vous apportent-ils? Rien. Que vous laissent-ils? Rien, pas même un peu d’argent. Rien que le mépris pour les vôtres, pour ceux qui vous ont donné le jour…” (p. 124)
Pleurs de Tonga: “Comme je les plains, les enfants d’aujourd’hui. Qu’est-ce que la vie réserve à ces têtes écervelées! Toujours en faire à notre tête, est-ce une vie ça? Nous autres, à leur âge, nous ne nous prenions même pas pour des hommes. Même que nous allions nus ou peu s’en faut. Et la présence de nos parents nous en imposait, nous intimidait. Mais eux, allez-y voir! Parce qu’ils sont vêtus de beaux habits, ils promènent impudemment leurs petites amies devant nos yeux ahuris!… Ils ne menagent même pas nos pauvres yeux de vieillards. Où va le monde?…” (p. 127)

Chapitre IX
La distance qui sépare Banda de Tonga est immense, même s’il s’agit de deux générations contingentes: “Il ne comprenait pas ce vieillard ni tous ceux qui lui ressemblaient […]” (p. 128). Encore: “Et nous ne nous entendons plus… Et c’est comme si nous parlions des langages différents…” (p.129) Plus loin: “C’est vrai que lui et moi, nous parlons des langages différents.” (p. 137)
Le chapitre comprend un monologue qui exhibe la rupture du héros avec la communauté et la vie patriarchale. “Et il [Tonga – n. n.] prétend être un père pour moi. Tous le prétendent parce qu’ils sont des frères ou des demi-frères de mon père. Seulement, ça ne suffit pas; ils devraient pourtant comprendre que ça ne suffit vraiment pas; ils devraient le comprendre… Mais ils sont si peu habitués à des gens comme moi. Je parie qu’ils n’en ont jamais vu, un garçon qui se défend, comme moi. Aucun d’entre eux ne me veut sincèrement du bien.” (p. 130)
La mauvaise influence de l’école européenne: “Oh! ça m’aura servi tout de même d’avoir été à l’école: j’y aurai appris, au moins, à ne pas me laisser tromper par des vieillards. Certainement, aucun d’eux ne me veut du bien, j’en suis sûr.” (p. 130)
La position de Banda n’est pas partagée par les gars de son âge: “Jamais ils n’oseraient parler en face à un de ces vieillards. On n’affronte pas un vieillard; on n’affronte pas un ancien quand bien même ce ne serait pas ton père, et à plus forte raison, s’il l’est. Ouais! un vieillard, un père, un oncle ou je ne sais plus quoi, est-ce que ce ne sont pas des hommes?… Ah! si seulement on pouvait faire comprendre ça aux jeunes.” (p. 131)
Sur les missionnaires: “Ouais! mais il avait raison pour les Blancs, Tonga! C’est tout juste pour gagner de l’argent sur ton dos. Et gare à toi si tu regimbes. Zut! là il avait raison, Tonga… Même les missionnaires avec leur robe, leur croix et leur longue barbe… Seulement, eux, c’est plus malin… Et cent francs si tu veux aller à confesse, et deux cent francs si tu veux faire baptiser ton gosse. Et mille francs si tu veux te marier devant un prêtre. Et cinq cents pour le denier du culte. Et tant pour qu’ils acceptent ton fils à l’école, et tant pour qu’il soit dispensé du travail manuel, une fois inscrit à l’école. Et tant pour que sonennt les cloches de la mission catholique à l’enterrement de ta mère!… Ouais! Pour tous la grande affaire c’est l’argent. Seulement un missionnaire, c’est plus malin. «Me voici donc à l’agonie, mon père. Je vous attendais. Approchez-vous, je vous en supplie, et écoutez mes péchés…» «Minute, mon fils. Avais-tu déjà payé ton denier du culte pour l’année en course?…»” (p. 132)
Réflexions concernant la solidarité des gens de son village, Bamila, par rapport à la solitude dans laquelle vivent les habitants dépaysés de Tanga. “Ouais! ces femmes, Sabina, Régina, elles ne se lassaient pas de soigner sa mère. A Tanga, qui l’aurait soignée ainsi?… Il était bien résolu à quitter Bamila après la mort de sa mère, mais il pressentait déjà que rien qu’à cause de ces femmes-là, il aurait une nostalgie éternelle de son village natal.” (p. 135)
Assez bizarre observation sur Banda: “Il ne cesserait jamais de penser à une chose pendant qu’il en fait une autre… il ne perdrait jamais cette manie-là… sûr que c’était dans son sang.” (p. 138)
La fascination pour l’argent, quand il fait les poches de Koumé: “Qu’est-ce que ça pouvait bien être? Il se redressa et regarda plus attentivement et de plus près, en écarquillant les yeux… Ouais!!!… Il faillit perdre connaissance. Pendant un instant, tout tourna autour de lui. Des billets de banque! Beaucoup de billets de banque!… Des billets, de gros billets de banque tout neufs, presque secs, durs, et qui craquaient au toucher. Pas des petits, des gros billets, tels qu’on n’en voit qu’entre les mains des Grecs…” (p. 144)

Chapitre X
Quelques pages sur le christianisme, vu par les yeux de Banda. Le comble est le prêché: “Il était du dévoir de chaque chrétien digne de ce nom, continuait le prêtre, de révéler, s’il le savait, où se cachait Koumé, le jeune homme qui avait agressé son patron, le très respectable M. T. …, bien connu et très estimé de tous les chrétiens du pays, à cause de ses largesses envers la mission catholique. Eh bien, ce saint homme venait tout simplement d’expirer à l’hôpital des suites des coups cruels qu’il avait reçus la veille de Koumé et des autres jeunes gens. Mais c’était Koumé le vrai responsable, en un mot le meneur. Si quelqu’un ici savait où Koumé se terrait, lui, révérend père Kolmann, se ferait un devoir de l’entendre après la messe et en secret. Que celui-là le révèle, par amour pour le Christ, et pour tous les hommes. Sans compter que la loi civile punit fort sévèrement «la complicité tacite» (ce qu’il dit en français) c’est-à-dire…” (p. 162)
Expression de la vie intérieure de Banda au moment où le cadavre de Koumé est découvert: “Il avait toujours une main dans la poche pour protéger le paquet de billets de banque. Que pouvaient-ils bien se dire, les gradés blancs? Il aurait payé cher pour le savoir. Il s’attendait à ce que les gradés blancs le désignent subitement du doigt, viennent l’extraire de la foule; à chaque instant, il lui semblait qu’il s’y attendait quoiqu’il sût fort bien qu’ils ne pouvaient pas savoir, qu’ils ne viendraient pas. En même temps, il ne pouvait s’empêcher de se livrer au défi intérieur: si les Blancs, pensait-il, sont aussi intelligents qu’on le dit, qu’ils me découvrent donc tout seuls… qu’ils sachent donc ce qui s’est passé… Allez-y si vous êtes aussi fort qu’on le dit… Qu’attendez-vous?… Venez, mettez-moi la main dessus. Je suis là dans cette foule; je suis grand, très foncé de peau; je porte des habits de toile kaki, je porte une cicatrice au menton; j’ai de gros yeux qui semblent sortir des orbites… Et malgré tout, vous ne me découvrez pas?… Mais il ne paraissait pas que les gradés blancs dussent le découvrir jamais. D’ailleurs, dit-il, c’est vrai que ce n’est pas à moi qu’ils en veulent.” (p. 164-165)

Chapitre XI
Sur la ville: “A maintes occasions auparavant, il avait déjà éprouvé combien la ville était cruelle et dure avec ses gradés blancs, ses gardes régionaux, ses gardes territoriaux et leurs balonnettes au canon, ses sens uniques et ses «entrée interdite aux indigènes». Mais cette fois, il avait lui-même été victime de la ville: il réalisait tout ce qu’elle avait d’inhumain.” (p. 167)
Evocation des gens vivant encore une vie africaine traditionnelle: “A cette époque-là on pouvait encore trouver dans tous les villages, même ceux qui se situaient sur la route, une catégorie de gens pour qui n’existaient ni les commerçants grecs, ni les gradés blancs, ni les gardes régionaux ou territoriaux, ni les M. T… bref, des gens pour qui Tanga n’existait guère, ou existait si peu qu’il n’entrait pas en ligne de compte quant à leur préoccupations. Ils ignoraient – parfois systématiquement, mais plus souvent sans parti pris – ne le fréquentaient pas. Pour eux, le monde se restreignait à leur village ou plus exactement aux forêts environnantes. Ils étaient toute la journée dans leur forêt. Quand ce n’était pas pour travailler dans leur champ, c’était pour boire du vin de palme en toute sécurité, ou pour chasser ou pour se livrer à certaines activités que la «loi» réprouvait et que la forêt protégeait très maternellement. La caractéristique constante de cette catégorie d’hommes c’était surtout leur inaltérable bonne humeur, leur hâblerie, et la force de résistance au temps de leurs sentiments.” (p. 176)
Sur l’antithèse Blanc vs. Noir: “Voyez ce Grec: il a des magasins à Tanga, des magasins à Douma, des magasins à gauche, des magasins à droite. En tout peut-être dix maisons de commerce… des millions de bénéfice par mois… Mais il se tuerait pour une petite valise.
- Ce n’est pas comme nous, eux. Nous, c’est pourvu qu’on mange et qu’on dorme et aussi qu’on sente sa femme à côté de soi et qu’on soit en bonne santé, tout va très bien…
- Et qu’est-ce que la vie, si ce n’est cela!…” (p. 184)

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