03 juillet 2005

Faouzi Skali, Traces de lumière. Paroles initiatiques soufies, (note de lectura)

Paru chez Albin Michel, 1996.
Dédicace: En hommage au Shaykh Sidi Hamza al Boutshishi al Qadiri.

Introduction
L’intérêt pour le soufisme en France a conduit à une connaissance approfondie des textes, et a été suscité par des œuvres exceptionnelles, comme celle de René Guénon (le Sheikh Abd Al Wâhid Yahyâ), ou les travaux plus universitaires d’orientalistes comme Louis Massignon ou Henry Corbin.
D’autres auteurs qui ont écrit sur le soufisme en français: Titus Burckhardt, Michel Chodkiewicz, Martin Lings ou Jean-Louis Michon. Pour ceux-ci, l’exigence d’une recherche critique rigoureuse est mise au service de la finalité spirituelle des enseignements en question.
L’amour spirituel est pour le soufi le mystère le plus profond de l’être et le moteur de la voie.
Le soufisme se dit la voie du cœur. Dans l’acception soufie, le cœur est le lieur de l’« intelligence du cœur », lieu où émotion spirituelle et intellection s’unifient en une seule vision irradiante, « illuminative ».
Du point de vue initiatique, la distinction entre amour et connaissance n’a pas de sens. Dans le chemin qui mène à la proximité de la Réalité divine, il n’y a pas d’amour sans connaissance, ni de connaissance sans amour.
« Cette voie du cœur est au centre même de l’enseignement christique, et c’est sans doute là l’une des raisons fondamentales pour lesquelles le soufisme peut susciter un élan, un appel, une nostalgie même, au sein d’une culture occidentale séculairement pétrie des valeurs de cet enseignement, même si elle reste par ailleurs engagée dans un large mouvement de désacralisation. » (p. 14)
L’action et la spiritualité ne sont pas pour le soufisme deux domaine séparés. Une action véritable est une forme d’adoration, tout comme une attitude spirituelle peut être porteuse d’action efficace.
Proverbe soufi: « Les plus séparés de Dieu sont les ascètes par leur ascèse, les dévots par leur dévotion, les savants par leur science. »
Sentence soufie: « Notre science est entièrement allusive, lorsqu’elle se fait explicite, elle s’occulte. »
« L’essentiel est par-delà les mots. Il est dans ces réalités vécues, ces états d’être et de conscience, ces ouvertures intérieures dont les mots ne sont que des lointains reflets, des traces de voyage. Traces de lumière. » (p. 17)
Sentence soufie: « Le soufi est le fils de l’instant. » (p. 17) Autrement dit: les expériences de l’instant prévalent sur une nostalgie du passé ou sur une crainte de l’avenir.
Proverbe soufi: « Les saints se revêtent des habits de leur temps. »
Proverbe soufi: « Il y a autant de voie qu’il y d’enfants d’Adam. »
L’essence du soufisme échappe à des conditionnements culturels ou à ceud des systèmes de pensée. Elle peut s’exprimer à travers différents contextes culturels ou formes de pensée, sans s’y identifier.
Proverbe soufi: « A chaque lieu [degré de connaissance], correspond un enseignement. »
Les grands maîtres soufis ne quittent pas la forme traditionnelle, même si celle-ci se revêt d’une tout autre signification. Ce n’est donc que par une méconnaissance profonde de l’initiation et des réalités de l’expérience spirituelle que l’on peut décider de mépriser les formes, dans un état de conscience où l’on est de toute façon entièrement conditionné par ces dernières.
« Tous les faux gourous, puisant plus ou moins dans cet argument [celui de la libération de toute forme – n.n.], appellent à un dépassement des formes à travers une « asdociation fraternelle-universelle» pour finir par constituer la forme la plus fermée, la plus coupée de son environnement, la plus dangereuse, non seulement pour l’épanouissement spirituel, mais déjà pour l’équilibre psychologique des individus qui y adhèrent: la secte. » (p. 20)
Le guide spirituel a la transparence d’un miroir qui nous renvoie sans cesse à nous-mêmes.
De l’âme du guide à l’âme du disciple se dit un enseignement qu’aucune langue ne peut traduire.
Hikam = sapiences.

Un éclair dans la nuit…
« La mort, ô ami, n’est pas seulement la fille de cette vie, elle en est aussi la mère. » (p. 24)
« Sois donc ton propre témoin, car c’est en chaque instant que tu vis et en chaque instant que tu meurs. » (p. 24)
« Je suis comme le voyageur abandonné au milieu d’une route qu’il ne connaît pas. Il ne sait, dans sa perplexité, s’il avance ou s’il recule. Il a tellement hésité, il s’est tellement perdu qu’il ne sait même plus quel est le but de sa recherche. Il n’est plus qu’un vagabond mais il sait au fond de lui-même qu’il fut un temps où il était voyageur. » (p. 25)
« Ce chemin, ô ami, tu t’y es perdu parce qu’il n’est pas le tien. Tu as emprunté les allées et les avenues des autres voyageurs parce qu’elles étaient fréquentées et que tu croyais les connaître !
Ce chemin, ô ami, tu t’en es détourné parce qu’il te fait peur. C’est un chemin sur lequel tu es l’unique voyageur.
Tu as peur qu’en le prenant, ton nom ne soit effacé des mémoires et que pour toi-même comme pour les autres, tu ne sois plus qu’un étranger.
Il n’a ni traces ni contours, ni forme ni couleur. Il a cependant une saveur que toi seul sauras reconnaître. C’est là, ô ami, la seule conquête qui, pour toi, puisse compter. Souviens-toi que les paumes, que l’homme de Dieu tourne vers le ciel, sont plus tranchantes que le fil de l’épée. Arme-toi, ô ami, de courage et sois sans crainte. La mort sur ce chemin vaut mieux que mille vies! » (p. 25-26)

La rencontre des âmes
« En toi, au-delà de toi-même, se trouve un être de lumière. » (p. 29)
« Mais avant de connaître ce secret suprême, il te fraudra faire un long chemin et percer bien d’autres mystères. Un long voyage pour lequel tu as besoin de toutes tes forces et de toute ton énergie. Sois déterminé et resserre ta prise. Aiguillone ton âme, ne lui laisse point de répit. Ne la laisse pas te distraire par de vaines questions. Sache qu’elle fera tout pour échapper à la mort certaine vers laquelle tu la conduis. Ses ruses sont innombrables. Sois donc vigilant: elles feraient pâlir les tours du démon. Telle une sentinelle, elle monte la garde sur le trésor qu’elle défend. Tel un talisman magique, elle ensorcelle tes yeux et tu ne cesses de chercher, hagard, ce que tu n’as jamais perdu. » (p. 30-31)

La réalité
Hadith Qudsî: « Je suis auprès de ceux dont le cœur est brisé. »
« Les hommes, ô ami, sont comme « ivres mais ne sont pas ivres ». Ils mangent les fruits mais ne voient pas l’arbre. Leur cœur est plus vaste que le ciel et la terre mais leur âme est transie de peur. Leur raison ne peut voir que la face extérieure du monde mais c’est pourtant à elle qu’ils délèguent leur pouvoir. Lorsque tous les bateaux chavirent et que du fond des entrailles de l’océan monte vers le ciel la détresse des voix, écoute, ô ami, tous les cris qui t’habitent. » (p. 34)
« Il est deux sortes de méditation.
L’une est celle de l’attestation et de la foi,
L’autre est vision et contemplation.
La première est pour ceux qui savent lire les signes,
La seconde pour les hommes de la contemplation et du discernement. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)

La Réalité se voile non par l’éloignement, mais par la proximité.
« Comment pourrait-on imaginer qu’une chose puisse Le voiler
alors que c’est Lui qui manifeste toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il se dévoile par toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il se dévoile en toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il s’est manifesté à toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il s’est manifesté avant l’existence de toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il est plus manifeste que toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il est l’Unique, avec Lequel aucune chose n’existe;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors qu’Il est plus proche de toi que toute chose;
Qu’une chose puisse Le voiler
alors que s’Il n’était aucune chose n’existerait.
Ô mystère! Comment peut apparaître l’Etre dans le néant
ou comment peut subsister le temporel
avec Celui qui a l’attribut de l’éternité! »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
La Réalité est Dieu.

Ton compagnon
« Ton véritable compagnon, ô ami, est celui qui t’a choisi bien qu’il connaisse ton état. Il t’a choisi pour toi-même et non pour le profit qui pourrait lui revenir de toi.
Car ce n’est pas à toi qu’il appartient de choisir, mais à Celui dont ton cœur est entre les deux doigts. » ( p. 41)
« Ton ultime illusion serait de croire qu’il te faudrait te défaire de tes préoccupations avant de te tourner vers Lui. » (p. 41)
« Qui a la capacité de dévoiler les secrets des hommes et ne se revêt de la Miséricorde divine, son dévoilement ne serait pour lui qu’une cause d’épreuve et de malheur. » (Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Tu te tournes vers les créatures
Tant que tu ne vois pas Le Créateur,
Mais si tu Le vois, ce sont les créatures
Qui se tournent vers toi. » (Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Un compagnon pire que toi
risque de te donner l’impression que tu es bon,
alors que tu es peut-être mauvais. » (Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Ne sois pas le compagnon de celui dont l’état ne t’éveille pas et dont la parole ne t’oriente pas vers Dieu. » (Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Comment pourrait s’illuminer un cœur dont le miroir est imprégné de l’image des créatures?
Comment pourrait-il voyager vers Dieu, enchaîné de ses passions?
Comment pourrait-il prétendre entrer en la Présence de Dieu sans s’être purifié de ses négligences?
Comment peut-il espérer comprendre les subtilités des secrets s’il ne revient pas de ses faux pas! » (Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
Le plus grand ennemi dans le soufisme est la satisfaction de soi-même. Celui qui se satisfait de lui n’adore que lui-même.
« La racine de tout désaccord, inconscience et passion est la satisfaction de soi-même.
La racine de tout accord, éveil et pureté est l’insatisfaction de soi.
Il vaut mieux pour toi prendre comme compagnon un ignorant non satisfait de lui qu’un homme de savoir satisfait de lui.
Que vaut d’ailleurs la science d’un savant satisfait de lui-même.
Et peut-on parler d’ignorance à propos de celui qui n’est pas satisfait de lui? » (Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)

Les lumières
« Sors, ô ami, de ces marécages que tu nommes réalités; et ne considère plus ton âme avec les yeux de la complaisance. Il n’y a pas de prison plus sûre que celle à laquelle on s’attache ou celle que l’on ne voit plus. » (p. 51)
Pour se rapprocher de l’Aimé il faut à la fois dépasser les souffrances des ténèbres et les tentations du paradis.
« Souviens-toi de ceci: les hommes de ce monde construisent souvent eux-mêmes leur malheur par leur désir intense de félicité. C’est que dans leur recherche effrénée ils oublient ce simple secret: le bonheur, ô ami, ne se trouve pas dans les choses ou les événements mais dans le regard que l’on porte sur eux. » (p. 53)

Si tu étais sincère…

Hadith Qudsî: « La sincérité est un secret parmi Mes secrets que Je dépose dans le cœur de ceux que J’aime parmi Mes serviteurs. Il n’est pas d’ange ni de démon qui puisse le découvrir pour le consigner ou l’altérer. » (p. 57)
La sincérité consiste en ce que l’envol de l’intention ne se porte que vers le Seigneur.
Hadith: « Le polythéisme caché est telle une fourmi noire sur une pierre noire par une nuit noire. » (p. 58)
« Celui qui est dans la voie de la sincérité aime les créatures pour elles-mêmes. Celui qui vit pour son image aime les créatures pour lui. » (p. 58)

Tes œuvres

Il ne faut pas exiger des miracles.
Il ne faut pas abandonner ni les actes ni les œuvres. Il faut tout faire avec un cœur détaché. Il ne faut rien attendre de retour et rester fidèle au Maître choisi.
« Laisse, ô ami, la Vérité submerger toutes tes attaches intérieures. Laisse ses flots tumultueux conduire ton vaisseau. Expose tes voiles aux souffles de ses vents. Sache reconnaître, dans le chemin étoilé de tes nuits, ses signes et ses appels, et dans tes jours ensoleillés, son don de lumière. » (p. 62)
« C’est par l’offrande des œuvres, ô ami, que tu affines ta sincérité. Ce ne sont pas les œuvres qui te mènent à la Vérité, mais ce sont elles qui te disposent à Le recevoir. Tu te préoccupes d’obtenir la connaissance et oublies de te préoccuper de ce que la connaissance exige de toi. Cette connaissance, ô ami, ne se conquiert pas, elle se dévoile à ceux dont le cœurs se prosternent.
Mais avant que ton cœur ne vienne à s’incliner, il te faut longtemps marquer ton front de l’empreinte de la terre. Celui qui se tient devant la porte et frappe sans se lasser la verra peut-être un jour s’ouvrir. Cette attente, ô ami, crée en toi un vide salutaire. Ne te précipite pas, laisse le fruit mûrir. » (p. 63)
« N’abandonne pas l’invocation
Parce que tu n’y es pas présent à Dieu
Car ta négligence de l’invocation
Est pire que ta négligence en elle.
Peut-être t’élèvera-t-Il d’une invocation faite avec négligence
A une invocation faite avec vigilance
Et d’une invocation faite avec vigilance
A une invocation où tu deviens présent
Et d’une invocation où tu deviens présent
A une invocation où tu deviens absent à tout ce qui est autre que l’Invoqué. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)

Tes actes

Les actes sont le tissu de l’âme. Mais c’est l’intention qui les traverse.
Les actes naissent dans le creuset du cœur. Si le cœur est pur, les actes sont purs.
« Guéris les altérations de ton âme en t’appliquant à agir à l’inverse de ses désirs. » (p. 69)

Les maladies de l’âme

« Prends garde de ne point remplacer des erreurs grossières par d’autres plus subtiles. Il est des faims plus dangereuses que les satisfactions et de délicieuses nourritures qui sont un poison mortel. » (p. 71)
« Sache, ô ami, que si ton corps t’attire vers le monde sensible et la matérialité, ton âme t’enchaîne de liens invisibles: l’orgueil, l’envie, la cupidité sont quelques-uns de ses multiples rameaux. Le désir secret ou dévoilé de faire partie des élites, la volonté d’être reconnu et de dominer, de discourir sur les connaissances subtiles et élevées. Mais l’esprit lui-même, ô ami, n’est pas exempt de défauts. Et dans la mesure où l’âme s’élève, ceux-ci sont plus difficiles à saisir. La recherche des miracles, des joies et des félicités, de degrés de la connaissance et du dévoilement de mystères. Tout ceci n’est que procession de voiles qui s’élèvent devant la Vérité. Si tu te laissais attirer sur cette douce pente, il naîtrait dans ton âme un orgueil dont celui des puissants de ce monde ne serait qu’un pâle reflet. Dès lors que le pharaon de ton âme s’éveillera, il prétendra à la déité! » (p. 72)
« Celui qui connaît la Vérité la voit en toute chose,
Celui qui s’est anéanti en Elle devient absent à toute chose
Et celui qui L’aime ne peut rien Lui préférer. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Assure-toi que sur ce chemin tu ne demandes rien d’autre que la Vérité. Sache, ô ami, que face à Elle, les ruses ne peuvent t’être d’aucun profit. C’est la Vérité, ô ami, qui donne l’être à toute chose. C’est Elle qui crée et qui guide. C’est par Elle que les cieux et la terre perticipent à une seule et même harmonie. Ecoute par Elle, ô ami, et tu entendras l’étrange et profonde symphonie de l’univers. Ne cherche donc point à faire, mais seulement à recevoir, ne cherche point à voler ce qui t’est offert. » (p. 75)
« Pour chacune de tes maladies, applique l’antidote qui convient. Contre l’envie, rafraîchis ton œil à la source du don. Contre l’avidité, cultive un cœur reconnaissant. Contre le désir de célébrité, la recherche d’une vie obscure. Contre la satisfaction de soi-même, une soif illimitée. Contre l’inconscience, fais de la mort une amie et de l’invocation ton alliée. Contre la précipitation, revêts-toi d’une belle patience… jusqu’au moment, ô ami, où tes qualités ne seront plus les fruits de l’effort, mais ceux de la contemplation.
Elles seront pour toi autant de fenêtres ouvertes sur l’éternité. Ne confonds cependant pas effort et artifice. Le premier est l’expression de ta demande et le second n’est que mensonge et illusion. Mieux vaut, ô ami, une erreur qui te rapproche de ta propre vérité qu’une vertu qui t’en éloigne. Le voile de l’obscurité crée, certes, chez le voyageur, le désir d’y échapper. Que dire de celui de la lumière? » (p. 76-77)
« Dans cette voie, ô ami, tu veux devenir parfait. Mais ce qui te voile à ta perfection est l’idée même que tu t’en fais. Cesse, ô toi qui cherches la Vérité, de vouloir devenir un saint car cela même t’empêche de te voir tel que tu es. Ta sainteté, ô ami, consiste pour toi à être plus rusé que le démon car c’est seulement ainsi que tu pourras déjouer ses tours.
Ne crois pas qu’il y ait dans mes propos une incohérence car la ruse est vaine devant la Vérité, mais te sera d’un grand secours face à l’illusion. » (p. 77)

La perfection

« Ta pensée ne cesse de composer et de recomposer la multitude des événements qu’elle perçoit, espérant les intégrer dans une figure ultime qui en fournirait l’explication. Une figure parfaite où tu trouveras l’équilibre et la paix que tu as tant désirés! Abandonne aussi, ô ami, cette illusion! » (p. 81)
« Ne sois donc pas comme celui qui, voulant puiser l’eau d’un puits, s’est muni d’un tamis. Cesse, ô ami, de vouloir faire contenir l’océan dans un verre. Ne crois pas saisir les secrets subtils de la main infirme de ta pensée. La Vérité est chaque instant dans une chose nouvelle. Dès lors que tu crois l’avoir saisie, c’est plus loin qu’elle t’appelle. » (p. 82)

Tes chaînes…

Les chaînes du monde n’existent nulle part que dans l’homme même.
« Comment pourrait s’interrompre pour toi le cours habituel des choses si tu n’interromps pas, en ton âme, ses propres habitudes. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
Les voiles sont les habitudes que nous tissons autour de nous.
Pour dégager le champ de la vision il faut déconstruire tour à tour les habitudes jusqu’à les rompre.
« Les ascètes rompent leurs habitudes sensibles et les règles du monde sensible se suspendent alors pour eux. Ils peuvent marcher sur l’eau, voler dans les airs, supporter des jours durant la soif et la faim. Leur vision peut traverser le temps et l’espace. Mais les sages sont ceux qui rompent leurs habitudes intérieures. Ils remplacent l’orgueil par l’humilité, la jalousie par le don d’eux-mêmes, la vanité par la sincérité, la haine par l’amour et la confusion par la sérénité. Ce ne sont plus les règles du monde sensible qui leur livrent leur secret, mais celles de l’esprit. Ce ne sont pas les miracles du monde qui leur sont donnés, mais celui de la rectitude intérieure. » (p. 90)

Tes qualités

Au-delà de nos qualités il est d’autres plus grandes. Au-delà de notre compassion et de notre connaissance il est d’autres plus grandes. Il ne faut pas oublier cela, sinon nos qualités deviennent des défauts, notre compassion et notre connaissance des formes de prétention.
« Seul au vrai sage, ô ami, sont véritablement remis les pouvoirs suprêmes. Seul celui qui agit par la Vérité et non par lui-même devient le lieu du dépôt du secret. Celui dont la vision intérieure s’est éclairée sait qu’il n’est pas d’autre pouvoir que celui de la Réalité infinie.
Mais l’homme d’aujourd’hui, ô ami, est certes imbu de sa propre prétention. Les reflets de pouvoir qu’il s’attribue le rendent bien loin d’une telle perception. Il n’a connu qu’une portion infime des choses et il s’en est contenté!
Lorsque, ô ami, tu débordes de bons sentiments, méfie-toi cependant de ne pas t’éloigner de la droiture de l’intention. Assure-toi, ô ami, que l’or de cette richesse ne soit pas un simple vernis. Prends garde: l’écume de la vague peut avoir la prétention d’englober la mer. » (p. 95-96)

Ton « Moi »

Sur le Moi: « Il est l’aune à laquelle tu veux mesurer les mystères et les vérités. Sa trame est faite de la vanité des hommes et de leurs prétentions mais c’est en lui seul que tu veux croire. Ses caprices sont des ordres, ses désirs des ultimes vocations, des devoirs. Nos maîtres d’école nous ont souvent enseigné comment il nous fallait l’embellir. Bien peu sont ceux qui nous ont parlé de la nécessité de nous en défaire, de la manière de suivre le chemin ténu, plus fin qu’un cheveu, plus tranchant que l’épée, qui nous permettra d’aller au-delà de ses frontières et d’échapper à ses ruses. » (p. 99-100)
L’accomplissement de la perfection est dans l’imperfection.
« Rien ne te mène autant que l’illusion. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Celui qui se proclame humble fait preuve d’un véritable orgueil
Car l’humilité dérive en réalité d’une grandeur.
Dès lors que l’on s’attribue cette grandeur
On est orgueilleux en vérité. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Si tu te sens, ô ami, plus important qu’une fourmi, qu’un ver de terre, sache que tu dois encore faire un long chemin. Si tu te sens plus important que bien des humains, ne pense plus, ta vie entière, qu’à une seule chose: délivrer ton âme d’une telle maladie. » (p. 101)
« L’humilité, ô ami, vient de la vision de la Vérité. Elle n’est pas le sentiment d’infériorité qui vient de la prétendue grandeur des hommes.
L’humilité des sages est cachée par les dons qui leur sont faits. Mais leur cœur est cependant dénué de toute prétention. Ils savent que les qualités s’expriment en eux mais n’émanent pas d’eux. Au-delà du don ils voient le Donateur. » (p. 102)

De l’amour et de la haine
« Seul connaît la paix, ô ami, celui dont le cœur est sans haine. Mais celle-ci a élu domicile dans le cœur des hommes car c’est par elle que se maintient l’existence des formes. Toute forme définie est menacée de destruction. Toute menace suscite haine et colère. Pour dépasser la haine, il faut aller à la racine de toutes les formes en ce lieu secret où point l’amour. De ce lieu, ô ami, jaillit l’étincelle divine. Elle seule peut vaincre la loi de la nécessité dans laquelle s’inscrivent les formes. Celle de leur action et de leur réaction, de leur cause et de leur effet, de leur affirmation et de leur négation, de leur victoire et de leur anéantissement. Celui qui est parvenu à la racine de l’être comprend qu’au-delà de la multitude des formes, et à travers elles, seules sont à l’œuvre les qualités de la perfection. C’est ce secret, ô ami, qu’emportent dans leur cœur les hommes de l’amour dans ce monde de désolation. » (p. 103-104)
Les formes cachent en même temps ce qu’elles révèlent. Elles sont à la fois voile et porte d’accès.
L’amour seul peut nous porter au-delà de nos limites et des limites de ce monde.

L’Amour et l’aimé

Dans le voyage, certains sont conduits à Lui par le culte des œuvres et d’autres par celui de l’amour.

L’ivresse

« La meilleure des voies, ô ami, est une ivresse perpétuelle. Même si ton apparence extérieure reste sobre, il faudrait que la coupe de ton âme puisse sans cesse goûter à ce vin de félicité. Lui seul, ô ami, saura te préserver de la sécheresse intérieure. » (p. 115)
« L’ivresse, ô ami, est pour toi la source de toute clarté. L’homme ivre suit sans effort une voie limpide. Il n’agit pas de lui-même mais c’est le vin qui agit en lui. Ses paroles sont des poèmes, ses silences des voyages. Le vin de l’esprit te libère, ô ami, de tes propres pesanteurs. Tel un oiseau libéré de sa cage ton ivresse vient du mouvement libre des ailes de ton âme. » (p. 115)
L’ivresse divine libère de la vanité et dicte la noblesse du comportement.
« L’ivresse, ô ami, inspire la libéralité à l’homme mesquin et calculateur, elle inspire bonté et générosité envers ceux qui te sont étrangers. Elle donne du courage au poltron et de la verve au timide. Elle rompt tes limites et tes résistances et projette hors de toi ton être de lumière. » (p. 118-119)

Les mots

« Celui qui parle, nous le reconnaissons à l’instant,
et celui qui se tait, nous le reconnaissons en un jour. »
(Sayyidunâ Alî)

« Les mots ne sont que des enveloppes extérieures; ils émettent hors de la bouche le parfum du cœur qui les émet. Pour les reconnaître il faut un flair particulier. Sois vigilant, ô ami, car les mots que tu entends peuvent t’être d’une grande utilité. Les mots que profère un cœur sec ne sèmeront en toi que désordre et confusion. Mais ceux qui viennent d’un cœur éveillé peuvent te sortir de ta torpeur. Ils peuvent semer en toi la tempête et détruire les idoles intérieures. Mais après la guerre doit venir la paix. Un mot, un simple mot, que ton cœur aura compris pourra être la semence de l’arbre de vie dont les racines s’engagent profondément dans ta terre et dont les branches s’élèvent dans le ciel de l’âme. Chaque fruit est une connaissance et chaque fleur une houri. » (p. 121-122)
« La parole des sages, ô ami, est un grand mystère. Certains ont reçu la connaissance contemplative mais n’ont pas reçu le droit de l’exprimer. Ils sont tels des puits de lumière. Leurs langues semblent percées. Rien ne remonte à leur surface sensible et leur secret reste gardé.
D’autres, ô ami, s’expriment par le langage de l’ivresse. Leur langue n’obéit plus à leur volonté mais à celle de l’état qui les consume. Peu comprennent ce qu’ils disent et beaucoup les prennent pour des possédés.
Il y a enfin, ô ami, ceux dont la perfection est accomplie. Ceux-là ne parlent plus pour eux-mêmes. Leurs paroles sont autant de germes qu’ils sèment dans les cœurs des voyageurs. Elles sont autant d’émissaires qui pressent les âmes à sortir de l’ombre vers la lumière. Ils disent leurs paroles selon ce qui peut être utile à leurs auditeurs. Et si le temps presse ils énoncent une seule et même vérité et chacun en tire sa substance nécessaire. » (p. 123-124)
« La sacro-sainte dignité de la science est telle, que ne peuvent en tirer profit ceux auxquels elle n’est pas destinée. » (Junayd)
Il est des perles de sagesse qui peuvent être aussi nuisibles à certaines âmes que des propos trompeurs.
Hadith: « Ne communiquez pas la sagesse à ceux auxquels elle n’est pas destinée car vous seriez injuste envers elle, et ne la refusez pas à ceux auxquels elle est destinée car vous seriez injuste envers eux. »
« Celui que tu vois répondre à toute question,
Exprimer tout ce qu’il contemple
Mentionner tout ce qu’il sait
Tu peux conclure à son ignorance. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)
« Le véritable voyageur, ô ami, est sans artifice. Son âme est subjuguée par la quête de son voyage. Son cœur est dominé par le regard de la Vérité. Elle est la source de ses actes et de ses pensées. Mais celui qui a oublié qu’il était en voyage, celui-là reste préoccupé par lui-même. Son attention se porte sur son action et il cherche à s’en satisfaire. Celui qui s’exprime dans cet état d’esprit, ô ami, finit par décevoir ou être déçu. Mais celui dont la Vérité seule est le secret se laisse conduire dans des chemins qu’Elle seule connaît. Ses faux pas comme ses vertus sont l’expression de sa rectitude intérieure. » (p. 126)
« Mais si tu veux que la sagesse se manifeste sur ta langue il te faudra longtemps te taire. Il te faudra longtemps suivre des chemins obscurs car le fruit de la sagesse ne pousse que sur la branche de la sincérité. Si dans ton cœur se dévoilent quelques secrets ou mystères, garde-toi, ô ami, de les dévoiler car alors tu perdrais le profit pour lequel ils te furent donnés. » (p. 128)
« Il n’est pas parmis au voyageur
de s’exprimer sur ce qui advient en son cœur
Cela en diminuerait les effets en lui
Et l’empêcherait d’être sincère avec son Seigneur. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)

Le temps

Le temps est pour nous ou contre nous.
Les instants se succèdent mais ne se ressemblent pas.
« Si tu veux, ô ami, être dans cette voie une voyageur, il te faut prendre tes souffles pour monture. En chacun de tes souffles tu es dans une vie nouvelle, celle-ci est pour toi lumière ou obscurité. Mais chaque souffle qui passe ne peut être remplacé et chaque souffle qui vient a sa propre exigence. C’est donc une âme sans tache qui t’est donnée en chaque instant. Puisses-tu, ô ami, voir ce don! » (p. 132)
Le sage est celui qui reste vigilant aux exigences de l’instant.
« Il n’est exempt d’aucune ignorance
Celui qui veut qu’advienne dans l’instant
Autre chose que ce que Dieu y manifeste. »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)

Que sur toi soit la paix!

« La paix n’est pas qu’une simple profession de foi. Elle est la conquête de l’esprit sur l’âme, la manifestation simple et limpide de ta propre vérité. Si elle ne domine pas les cœurs, la violence et la guerre seront l’air que respirent les pays les plus sûrs et les cités les plus tranquilles. » (p. 135)
Proverbe soufi: « Cherche-toi jusqu’à ce que tu te trouves, puis quitte-toi lorsque tu te seras trouvé. »
« L’insconscient, lorsqu’il se réveille, se dit: Que vais-je faire?
Et le sage: Que va faire Dieu de moi? »
(Ibn ‘Atâ’Allâh, Hikam)

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