28 janvier 2006

Jean Borella, Esprit et résistance, (note de lectura)





Texte publié in Les Résistances spirituelles, 10éme rencontre d’histoire religieuse de Fontevraud, octobre 1986.
Thèse: « L’art de la résistance spirituelle est le plus difficile qui soit. »
La résistence de l’esprit peut être confondue avec l’esprit de résistance. Le combat pour l’esprit doit éviter de pêcher contre l’esprit.
Thèse: « L’esprit est la seule forme de résistance. »
La tradition fournit la seule forme et le secret de la résistance.
L’étymologie du mot vient du latin sto, stare (se tenir debout, être dressé dans un lieu déterminé). Ainsi, la résistance est la forme élémentaire de l’existence [ainsi, nous pouvons dire: « Je résiste, donc je suis. » La réciproque est toujours valable: celui qui ne résiste n’est pas.]
Deuxième racine: sisto, sistere (s’y tenir en lieu, mais aussi s’y arrêter, occuper une place, de s’y maintenir).
Troisième racine: préfixe re- (le retour, la répétition). L’idée et de retour à une place de laquelle on était chassé, un retour à un sistere.
« Le resistere n’est donc pas la simple maintenance ou permanence, elle n’est pas seulement un « rester », mais elle est le refus actif d’un déplacement imposé. Avec le resistere, le lieu où l’on habite temporellement est donc mis en relation avec une réalité extérieure et envahissante. »
La résistence semble ne pas avoir son principe en elle-même, dans le délogement extérieur. Pourtant le principe de la résistence est dans la maintenance.
Le paradoxe de la résistence est que d’un côté la pression de délogement la suscite, de l’autre côté le principe de la résistence est dans la maintenance. Ce que veut la résistance, c’est continuer d’exister ce qui existait avant la pression de délogement. Mais, ce qui résiste ne peut plus être ce qui subsistait.
Deux conséquences de la résistance:
1) L’essence à laquelle on entend demeurer fidèle cesse d’être le principe qui anime les hommes, et devient une sorte d’idéal, de norme extérieure.
2) La norme, l’idéal défendu suppose la mise en place d’un système de défense. Le résistent devient un gardien.
La volonté de résistence introduit entre l’être humain et le principe inspirateur une distance qui fait perdre à ce principe l’immédiateté de son action inspiratrice. « Comment échapper au sentiment que tout effort de résistance et de restauration se déforme en reconstitution historique ou tombe dans ce que Pie XII, dans Médiator Dei, appelait l’archéologisme excessif ? »
La résistence est intenable, c’est pourquoi elle impose des formes anormales (intégrisme, fondamentalisme). On devient ultra-royaliste sans la royauté, tout comme on n’est pas traditionnaliste dans une tradition. Ainsi s’opère une identification de l’esprit à la résistence.
Quand la confiance dans la résistence dépasse la confiance dans l’esprit qui l’anime on passe de la résistance spirituelle à la résistance-forteresse. L’ultra-résistance prend son départ du désir anxieux d’assurer l’efficacité de la résistance.
« Or, comme nous l’avons vu en méditant sur la signification étymologique du terme, la résistance a d’abord relation à l’occupation d’un lieu, d’un lieu culturel, évidemment, celui-là même où s’inscrivaient les formes de l’esprit. C’est pourquoi elle procède à la fortification de la place qu’elle entend continuer d’occuper. Elle l’isole du reste du monde, elle en obture toutes les fissures et les issues, rien ne doit pouvoir y pénétrer, rien ne doit pouvoir s’en échapper. Ainsi, pense-t-on, l’esprit sera bien gardé. Le réseau des protections n’est d’ailleurs jamais suffisant, la clôture n’est jamais tout à fait hermétique, d’où la nécessité de son indéfini renforcement. Il est trop évident qu’en cette entreprise la fin est de plus en plus en perdue de vue et remplacée par l’accumulation des moyens qu’on juge indispensables à son obtention. »
Nous sommes naturellement enclins à identifier un être quelconque à son corps, ses apparences de solidité. Evidemment, cette vue spontanée est fausse. Il suffit d’observer que c’est le corps qui meurt, pendant que l’esprit bénéficie d’une sorte de pérénialité.
Toute forme est sens si elle s’identifie à une unité. « […] toute l’apparente dureté et consistance de la matière corporelle n’est qu’une apparence de subsistance. La vraie substance, c’est la forme et, pour les vivants, c’est l’âme. »
Certaines individuations se meurent, mais l’essence qu’elles représente est indestructible.
« […] ce qu’il importe d’observer, c’est que la consistance et donc la résistance aux agents destructeurs d’un être naturel, n’est pas assurée par la solidité du dispositif matériel que comporte son existence, par son opacité ou son impénétrabilité physique, mais par sa forme, qu’on l’envisage en elle-même comme un possible trans-temporel, ou dans l’actualité de son opération informante. »
Nous ne pouvons séparer la forme de la matière, pour expérimenter la forme comme telle, ou la matière comme telle. En réalité, il existe une tension entre la matière et la forme, la matière étant tout ce qui se dirige vers la destruction, pendant que la forme est ce qui s’y oppose.
Aucun être ne peut exister uniquement comme essence ou comme forme.
Dans le monde de la culture, le couple naturel forme-matière devient forme-esprit.
Un même esprit peut être manifesté selon des formes différentes.
« La tradition, c’est la perpétuation de ce qui a été à l’origine. Or, il est normal et légitime de penser qu’à l’origine l’Esprit-Saint ne fait pas défaut à l’institution des rites de la religion dans leurs formes sensibles, même lorsque cette institution est humaine, puisque ces formes, étant les premières sont destinées à orienter d’une matière définitive toute l’histoire religieuse. »
La notion de tradition, correctement comprise, nous offre la solution de notre paradoxe: elle permet d’éviter le piège de la résistence-forteresse et d’accéder à une véritable résistance de l’esprit.
La tradition est une seconde nature. Elle semble avoir l’immutabilité d’une montagne, mais en réalité aucune tradition ne subsiste par elle-même. « La tradition n’a d’autre force que celle de notre fidélité, elle n’existe et ne vit que de notre existence et de notre vie. Que nous cessions de lui donner forme en la pratiquant et, immédiatement, la voici renvoyée au néant. Elle attend tout de nous, elle est entièrement à notre merci. »
La tradition est celle qui élibère les hommes. Au moment où l’homme entre dans le service du Transcendent, il reçoit sa dignité. « Depuis maintenant plus de deux siècles, les révolutionnaires de toutes obédiences s’acharnent à vouloir libérer l’être humain des traditions dont ils disent qu’elles l’écrasent ou l’aliènent, afin qu’il puisse redresser sa tête sous un ciel désormais solitaire. Ce faisant, ils ne se rendent pas compte qu’ils le privent précisément de tout ce qui, dans l’ordre religieux ou politique, lui permettrait de ne pas s’affaler, chose parmi les choses, nature parmi d’autres natures. »
Dans la mesure où nous garderons la tradition, elle nous gardera. « […] que la règle nous garde est pure grâce, pur miracle, récompense imméritée dont l’opération transformante échappe au regard de notre conscience ; que nous gardions la règle est affaire de notre bon vouloir, de notre détermination à persévérer dans la fidélité à ce qui nous ennoblit. Et là est le secret de la véritable résistance spirituelle qui la garantit de la corruption. »

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