01 juin 2006

Eric Geoffroy, Le Dévoilement intuitif (kashf) et l’Inspiration (ilham), (note de lectura)

Enjeux et débats dans la culture islamique médiévale

Le dévoilement intuitif (kashf) et l’inspiration (ilhâm) sont pour les soufis deux modes d’accès au monde spirituel. Les savants exotéristes ont craint que l’inspiration ne permette pas aux mystiques de contourner leur propre autorité normative. Le dévoilement et l’inspiration ont été recunnus dans la culture islamique médiévale, à la seule condition de ne pas contredire Al-Qur’an et Sunnah.


Pour les soufis, le kashf désigne le dévoilement des réalités spirituelles, cachées au commun des fidèles, l'exploration du monde du Mystère (‘âlam al-ghayb) que le Coran oppose au monde sensible (ou « monde du témoignage », ‘âlam al-shahâda).

À l'instar de l'inspiration, le dévoilement est lié à la science innée, octroyée directement par Dieu (‘ilm wahbî), tandis que le commun des croyants passe par les canaux de la science acquise (‘ilm kasbî). Il donne également accès à la « Table bien gardée » (al-lawh al-mahfûz), Table des décrets divins dans laquelle les saints, et les saints « illettrés » en particulier, peuvent lire.

Selon l'islam, la révélation (wahy) propre aux prophètes a été close par Muhammad. Dans cette humanité post-prophétique, le dévoilement et l'inspiration, héritières de la révélation, échoient aux « saints » (walî; pl. awliyâ').

Dans le Coran le terme wahy (« révélation ») revient plus de soixante-dix fois, alors que celui de ilhâm (« inspiration ») figure une seule fois. La notion d’inspiration apparaît avec les commentateurs du texte sacrée, est est reprise surtout par les soufis.

Le Prophète a dit: « Craignez la clairvoyance du croyant, disait-il, car il voit par la lumière de Dieu ». C’est toujours lui qui a affirmé que ‘Umar Ibn al-Khattâb, deuxième calife de l'islam, était un de ceux à qui Dieu ou les anges parlent (muhaddath) et que toutes les communautés humaines ont eu en leur sein de tels êtres.

Les « juristes » (fuqahâ') ont généralement condamné l’inspiration, prenant peur que les mystiques ne professent la supérieurité de la sainteté sur la prophétie. Or, dans Al-Qur’an le rencontre entre Khidr et Moïse établit la supérieurité de l’inspiration sur la prophétie (sourate 18, versets 65-82). Un débat important a été de savoir si Khidr est un prophet ou un saint.

Il y a deux visions sur la Loi: pour les exotéristes, elle a été fixée une fois sur toutes, et elle doit être suivie. Pour les soufis, la Loi est toujours vivifiée par l’inspiration.

Après le procès de Hallâj, apparemment, les soufis ont procédé à une régularisation dans leur activité extérieure, à une intégration de la discipline dans les sciences islamiques. La suite a été le fait que les soufis, à partir du XIe siècle, ont obtenu droit de cité dans la civilisation islamique. Quand même, les théologiens mu’tazilites ont refusé de reconnaître l’authenticité des soufis.

Al-Ghazâlî a été le premier qui a offert les lettres de noblesses à l’inspiration et au dévoilement.

Abû l-Hasan Shâdhilî (m. 1258) disait ainsi : « Si ton dévoilement contredit le Livre et la Sunna, laisse le premier et agis en conformité avec les seconds; dis-toi que Dieu te garantit l'infaillibilité de ces deux sources, et non celle de ton dévoilement ou de ton inspiration. »

Ibn Taymiyya lui-même, considéré comme très intransigeant sur le plan dogmatique, justifie l'inspiration et le dévoilement tout en considérant qu'ils ne sont pas infaillibles.

Ibn Khaldûn (m. 1408) affirme que les soufis sont les héritiers de Khadir et des prophètes : « Prophètes et saints, ont en commun la faculté de connaître le monde spirituel par la recherche du dévoilement (mukâshafa). Pour les premiers, il s'agit d'une disposition innée, tandis que les seconds l'acquièrent par l'effort et à un moindre degré ».

Selon Suyûtî (m. 1505) le dévoilement et l'inspiration, héritiers de la révélation, ont un statut quasiment infaillible, et les paroles des maîtres inspirés nécessitent de ce fait une exégèse, comme s'il s'agissait de textes scripturaires.

L'emploi du terme kashf est en fait plus fréquent que celui de ilhâm, car ce terme empiète moins sur le territoire de la prophétie. La base coranique est le verset: « Tu étais inconscient de cela, puis Nous avons dévoilé ce qui te recouvrait; aujourd'hui ta vue est perçante ! » (Cor. 50 : 22).

Conclusion: “De toute évidence, ce n'est pas aux prophètes que les soufis font de l'ombre, mais bien à ceux qui se considèrent comme les gardiens patentés de la Loi : les « juristes » (fuqahâ'). L'autorité grandissante des cheikhs soufis à partir du XIIe siècle ne va pas, en effet, sans susciter des craintes chez les clercs qui se voient ainsi disputer leurs prérogatives. L'inspiration et le dévoilement du mystique ne concurrencent pas la Révélation, mais plutôt l'interprétation littéraliste et légaliste qu'en font certains.”

1 commentaire:

genaro a dit…

voir aussi ( pourquoi pas)

http://pierrelory.blogspirit.com/archive/2007/01/03/khadir-et-l-initiation-mystique.html