27 juin 2006

Eric Geoffroy, Le Pluralisme Religieux en Islam, (note de lectura)

L’Islam se présente comme l’ultime expression de la Volonté divine révélée aux hommes, confirmation et achèvement des messages précédents. L’Islam reconnaît et reprend les messages des prophètes antérieurs à Muhammad.

Muhammad avance la chiffre de 124.000 de prophètes (même s’il ne mentionne que vingt-sept), tout en précisant que « pour toute communauté il y a un envoyé ». Les savants musulmans reconnaissent Bouddha, Zoroastre, Akhenaton. Certains savants musulmans considèrent que le mystérieux prophète Du-l-Kifl (cel din Kifl) qui apparaît dans le verset 21-85 serait Bouddha, né à Kapilavastu.

Certains ont vu dans les « avatars » l’équivalent des prophètes abrahamiques. Les oulémas hindous considèrent les Védas comme des livres sacrés, et comptent les hindous parmi « les Gens du Livre » coraniques.

Le Coran évoque maintes fois la « Religion primordiale » (al-dîn al-qayyim). Toutes les religions sont issues de cette religion sans nom.

Il existe donc une théologie du pluralisme religieux en Islam, ne serait-ce que par un verset exotérique: « À chacun de vous, Nous avons donné une voie et une règle. » (Coran 5 : 48).

Dans un hadith, le Prophète Muhammad confirme l’universalisme de la Révélation: « Nous autres, prophètes, sommes tous les fils d'une même famille; notre religion est unique » (Bukhârî).

Ibn Hazm (XIe s.) : « Place ta confiance en l'homme pieux, même s'il ne partage pas ta religion, et défie-toi de l'impie, même s'il appartient à ta religion ».
Les soufis ont donné toute sa dimension au thème coranique de la « Religion primordiale » - « la doctrine de l'Unicité divine ne peut être qu'une » (al-tawhîd wâhid).

La littérature soufie cite souvent les propos de Jésus Christ, surtout Al-Ghazzâlî. Le respect pour les moines chrétiens a poussé certains chaikhs de les présenter comme des modèles à atteindre.

Al-Hallâj a dit: « J'ai réfléchi sur les dénominations confessionnelles, faisant effort pour les comprendre, et je les considère comme un Principe unique à ramifications nombreuses. »

Ibn ‘Arabî a fourni un cadre doctrinal au thème de « l’unité transcendante des religions » (wahdat al-adyân). La diversité des religions est due à la multiplicité des manifestations divines.

Hadith qudsî: « Je suis conforme à l’opinion que Mon serviteur se fait de Moi. » Chaque religion dévoile un aspect de la divinité.

Junayd a dit que les croyances sont comparables à des récipients de différentes couleurs : dans tous les cas, l'eau est à l'origine incolore, mais elle prend la couleur de chaque récipient.

Ibn ‘Arabî a dit: « Prends garde à ne pas te lier à un credo particulier en reniant tout le reste [...] Que ton âme soit la substance de toutes les croyances, car Allâh le Très Haut est trop vaste et trop immense pour être enfermé dans un credo à l'exclusion des autres. » (Fusûs al-hikam)

« Mon coeur est devenu capable de toutes les formes
Une prairie pour les gazelles, un couvent pour les moines
Un temple pour les idoles, une Ka‘ba pour le pèlerin,
Les Tables de la Thora, le Livre du Coran.
Je professe la religion de l'Amour, et quelque direction
Que prenne sa monture, l'Amour est ma religion et ma foi.
» (Ibn ‘Arabî)

Le cheikh tijânî Tierno Bokar, surnommé par Théodore Monod « le saint François d'Assise de Bandiagara » conclut que « croire que sa race, ou sa religion, est seule détentrice de la vérité est une erreur [...] La foi est d'une nature comparable à celle de l'air. Comme l'air, elle est indispensable à la vie humaine et l'on ne saurait trouver un seul homme qui ne croie véritablement et sincèrement en rien ».

Le chaikh Ahmad al-‘Alawî, en pleine période coloniale, disait: « Si je trouvais un groupe qui soit mon interprète auprès du monde de l'Europe, on serait étonné de voir que rien ne divise l'Occident de l'Islam ».

La proximité qui existe entre les saints musulmans et les prophètes et certaines figures antérieures à l'islam historique doit être placée dans la perspective de l'« héritage prophétique » dont sont investis les saints musulmans. Il paraît que le type christique est très répandu parmi les soufites.

De nombreux mystiques persans (Ibn Abî l-Khayr, ‘Ayn al-Qudât, Rûmî, Shabestarî...) considéraient que la croyance du simple fidèle ou encore du théologien exotériste n'est qu' « idolâtrie cachée ». L'homme non réalisé spirituellement ne peut qu'être idolâtre, voire "infidèle", car il n'adore pas Dieu en vérité; il n'adore que ce qu'il conçoit être Dieu.

La frontière entre l'ouverture interreligieuse et le syncrétisme est parfois ténue.
Ibn Hûd (m. 1300), disciple d'Ibn Sab‘în à Damas, était appelé le « cheikh des juifs » en raison de l'ascendant qu'il exerçait sur certains représentants de cette communauté. Il « accueillait le soleil à son lever en faisant le signe de la croix », et proposait à ceux qui désirent se placer sous son obédience de choisir entre trois voies initiatiques : celles de Moïse, de Jésus et de Muhammad. Il a été perçu comme syncrétiste par les exotéristes mais aussi par la majorité des soufis.

« Le soufisme turco-persan se caractérise par une plus grande tolérance que le soufisme d'expression arabe. Si certains auteurs persans prônent un supraconfessionnalisme de nature métaphysique, les derviches anatoliens pratiquent volontiers une mystique transconfessionnelle. Le bektachisme est ainsi un véritable creuset d'influences diverses où se côtoient chamanisme, christianisme, chiisme hétérodoxe. À la fin de l'époque médiévale, les Bektachis étaient si proches des moines grecs que l'on a parfois du mal à distinguer les uns des autres. En Anatolie, l'affranchissement des barrières confessionnelles était chose partagée, et on disait communément qu' « un saint est pour tout le monde ». Des groupes soufis ont parfois été taxés d'hétérodoxie en raison de leur souplesse dogmatique, mais il n'empêche que celle-ci a été un facteur incontestable d'islamisation. Ibn Hûd a ainsi fait entrer des juifs de Damas en islam, et les Bektachis ont largement contribué à convertir les populations des Balkans. »

Le principe de l’unité transcendante des religions n’est pas mis en application pour la grande majorité des soufiyya (à cause du danger de mélanger les formes religieuses).

‘Abd al-Razzâq Qâshânî (XIVe s.), auteur d'un commentaire ésotérique du Coran, concède que juifs et chrétiens obtiendront le même degré spirituel et la même rétribution que les musulmans exotéristes, ce qui constitue déjà une ouverture considérable dans le contexte de l'époque. Mais selon lui la connaissance de l'Unité, de l'Essence divine est réservée à l'élite des musulmans, c'est-à-dire aux soufis. Les limitations inhérentes au judaïsme et au christianisme, explique Qâshânî, sont résolues par l'islam qui opère la synthèse entre leur tendance respective : l'extérieur (zâhir) pour le judaïsme, et l'intérieur (bâtin) pour le christianisme.

Les soufis indiens postérieurs à Dârâ Shakûh (XVIIe s.) admettent la vérité des doctrines védiques et emploient à l'occasion des termes et des symboles hindous. La plupart, cependant, se montrent sceptiques quant aux possibilités de réalisation spirituelle au sein de l'hindouisme à leur époque.

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