Paru chez Gallimard, 1962.
Le symbolisme traditionnel et quelques-unes de ses applications générales
I. La réforme de la mentalité moderne
« La civilisation moderne apparaît dans l’histoire comme une véritable anomalie: de toutes celles que nous connaissons, elle est la seule qui se soit développée dans un sens purement matériel, la seule aussi qui ne s’appuie sur aucun principe d’ordre supérieur. Ce développement matériel qui se poursuit depuis plusieurs siècles déjà, et qui va en s’accélérant de plus en plus, a été accompagné d’une régression intellectuelle qu’il est fort incapable de compenser. » (p. 09)
Les modernes donnent le nom d’intellectualité à la culture des sciences expérimentales.
« [...] la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin était, dans son temps, un manuel à l’usage des étudiants; où sont aujourd’hui les étudiants qui seraient capables de l’approfondir et de se l’assimiler? » (p. 09)
La déchéance intellectuelle européenne s’est faite petit à petit, à travers toute la philosophie moderne. La perte de la véritable intellectualité a rendu possible les deux erreurs complémentaires: rationalisme et sentimentalisme. La vérité a été rabaissée à n’être plus qu’une simple représentation de la réalité sensible, et finalement a été identifiée par le pragmatisme à l’utilité. Ce qui revient à le suppriment purement et simplement.
Au niveau des conséquences: « [...] il est à noter que le mépris et la répulsion que les autres peuples, les Orientaux surtout, éprouvent à l’égard des Occidentaux, viennent en grande partie de ce que ceux-ci leur apparaissent en général comme des hommes sans tradition, sans religion, ce qui est à leurs yeux une véritablement monstruosité. Un Orient ne peut admettre une organisation sociale qui ne se repose pas sur des principes traditionnels; pour un musulman, par exemple, la législation tout entière n’est qu’une simple dépendance de la religion. Autrefois, il en a été ainsi en Occident également; que l’on songe à ce que fut la Chrétienté au moyen âge; mais, aujourd’hui, les rapports sont renversés. En effet, on envisage maintenant la religion comme un simple fait social; au lieu que l’ordre social tout entier soit rattaché à la religion, celui-ci au contraire, quand on consent encore à lui faire une place, n’est plus regardée que comme l’un quelconque des éléments qui constituent l’ordre social; et combien de catholiques, hélas! acceptent cette façon de voir sans la moindre difficulté! » (p. 10)
Pour faire de l’affirmation du Règne social du Christ une manifestation réelle, il faut réformer toute la mentalité actuelle. Même chez les hommes qui se disent religieux, la religion n’a qu’une idée fort amoindrie. Leur matérialisme est ce que l’on peut nommer un « matérialisme pratique, un matérialisme de fait ».
Pour beaucoup la religion n’est qu’affaire de sentiment, sans aucune portée intellectuelle. Le côté doctrinaire est réduit, tout devient affaire de morale. L’enseignement doctrinal est remplacé par de vagues considérations morales et sentimentales.
Sous prétexte de « tolérance », certains se font les complices inconscients de véritables contrefaçons de la religion.
L’esprit démocratique, qui se tient du côté de la quantié, est un des aspects caractéristiques de la mentalité moderne.
« Nous pensons précisément que ce qui importe avant tout, c’est de restaurer cette véritable intellectualité, et avec elle le sens de la doctrine et de la tradition; il est grand temps de montrer qu’il y a dans la religion autre chose qu’une affaire de dévotion sentimentale, autre chose aussi que de préceptes moraux ou des consolations à l’usage des esprits affaiblis par la souffrance, qu’on peut y trouver la “nourriture solide” dont parle saint Paul dans l’Epître aux Hébreux. » (p. 12)
Le côté doctrinaire ne suppose nullement l’inovation, mais revenir à la tradition antérieure.
La science et la religion ne peuvent entrer réellement en conflit, pour la simple raison qu’elles ne se rapportent pas au même domaine. En tout cas, la religion ne doit aucunément chercher des appuis dans la science moderne, parce que ce lui concerne les vérités immuables et éternelles ne doit pas chercher son refuge auprès des choses changeantes et incertaines.
La prétendue « science des religions », telle qu’elle est enseignée dans les milieux universitaires, n’a jamais été en réalité autre chose qu’une machine de guerre dirigée contre la religion et contre tout ce qui peut subsister encore de l’esprit traditionnel.
« [...] pourquoi rencontre-t-on tant d’hostilité plus ou moins avouée à l’égard du symbolisme? Assurément, parce qu’il y a là un mode d’expression qui est devenu entièrement étranger à la mentalité moderne, et parce que l’homme est naturellement porté à se méfier de ce qu’il ne comprend pas. Le symbolisme est le moyen le mieux adapté à l’enseignement des vérités d’ordre supérieur, religieuses et métaphysiques, c’est-à-dire de tout ce que repousse ou néglige l’esprit moderne; il est tout le contraire de ce qui convient au rationalisme, et tous ses adversaires se comportent, certains sans le savoir, en véritables rationalistes. » (p. 13)
L’étude des symboles selon la connaissance des principes du symbolismes fait partie de « la véritable science sacrée, qui ouvre, à ceux qui l’étudient comme il covient, des horizons insoupçonnés et vraiment illimités. » (p. 14)
II. Le Verbe et le Symbole
Le symbolisme apparaît comme tout spécialement adapté aux exigences de la nature humaine, qui n’est pas une nature purement intellectuelle, mais qui a besoin d’une base sensible pour s’élever vers les sphères supérieures.
« Il faut prendre le composé humain tel qu’il est, un et multiple à la fois dans sa complexité réelle [...]. » (p. 15)
Le langage lui-même n’est pas autre chose qu’un symbolisme. L’emploi des mots et celui des symboles figuratifs sont complémentaires l’un de l’autre. Primitivement, l’écriture était idéographique (en Chine a conservé ce caractère).
La forme du langage est analytique, « discursive ». Le symbolisme proprement-dit est essentiellement synthétique, « intuitif ». C’est pourquoi ce dernier est plus apte à servir de point d’appui à l’« intuition intellectuelle ».
« [...] si l’on veut parler de supériorité, celle-ci sera, quoi qu’on prétendent certains, du côté du symbolisme synthétique, qui ouvre des possibilités de conception véritablement illimitées, tandis que le langage, aux significations plus définies et plus arrêtées, pose toujours à l’entendement des bornes plus ou moins étroites. » (p. 16)
Un autre avantage de la forme symbolique est qu’elle s’adresse à tous, aidant chacun à comprendre plus ou moins complètement, plus ou moins profondément la vérité qu’elle représente.
Est-ce l’usage du symbolisme une nécessité? En soi et d’une façon absolue, aucune forme extérieure n’est nécessaire. Toutes sont également contingentes et accidentelles par rapport à ce qu’elles expriment ou représentent. Chaque symbole doit être considéré comme un « support », un point d’appui pour la méditation. C’est un « adjuvant », et rien de plus. Selon le texte védique, la forme symbolique est comme le cheval qui permet à un homme d’accomplir un voyage plus rapidement et avec beaucoup moins de peine que s’il devait le faire par ses propres moyens. « Il en est ainsi des rites et des symboles: ils ne sont pas nécessaires d’une nécessité absolue, mais ils le sont en quelque sorte d’une nécessité de convenance, eu égard aux conditions de la nature humaine. » (p. 17)
Le symbolisme a son fondement dans la nature même des êtres et des choses. Il est d’origine « non-humaine », son principe remonte plus loin et plus haut que l’humanité.
La Création est l’œuvre du Verbe, sa manifestation, son affirmation extérieure. C’est pourquoi le monde est comme un langage divin pour ceux qui savent le comprendre.
Il n’y a pas de signe arbitraire dans le langage humaine: « toute signification devant avoir à l’origine son fondement dans quelque convenance ou harmonie naturelle entre le signe et la chose signifiée. » (p. 17) Toutes les traditions anciennes s’accordent pour enseigner que le véritable nom d’un être ne fait qu’un avec sa nature ou son essence même.
« Si le Verbe est Pensée à l’intérieur et Parole à l’extérieur, et si le monde est l’effet de la Parole divine proférée à l’origine des temps, la nature entière peut être prise comme un symbole de la réalité surnaturelle. » (p. 18)
Les lois d’un domaine inférieur peuvent toujours être prises pour symboliser les réalités d’un ordre supérieur.
Les modernes, avec leur erreur « naturaliste », ignorent que les symboles ou les mythes n’ont jamais eu pour rôle de représenter le mouvement des astres. L’inférieur peut symboliser le supérieur, mais l’inverse est impossible. Dans la nature, le sensible peut symboliser le suprasensible, l’ordre naturel peut, à son tour, être un symbole de l’ordre divin.
L’homme lui-même est un symbole par le fait qu’il est « créé à l’image de Dieu » (Genèse, I, 26-27).
La nature n’acquiert toute sa signification que si on le regarde comme nous fournissant un moyen pour nous élever à la connaissance des vérités divines.
« Le Verbe divin s’exprime dans la Création, disions-nous, et ceci est comparable, analogiquement et toutes proportions gardées, à la pensée s’exprimant dans des formes (il n’y a plus lieu ici de faire une distinction entre le langage et les symboles proprement dits) qui la voilent et la manifestent tout à la fois. La Révélation primordiale, œuvre du Verbe comme la Création, s’incorpore pour ainsi dire, elle aussi, dans des symboles qui se sont transmis d’âge en âge depuis les origines de l’humanité; et ce processus est encore analogue, dans son ordre, à celui de la Création elle-même. D’autre part, ne peut-on pas voir, dans cette incorporation symbolique de la tradition « non humaine », une sorte d’image anticipée, de « préfiguration » de l’Incarnation du Verbe? » (p. 19)
III. Le Sacré-Cœur et la légende du Saint Graal
Charbonneau-Lassay remarque dans son article Iconographie ancienne du Cœur de Jésus, que la légende du Saint Graal est une adaptation chrétienne de très anciennes traditions celtiques.
Dans l’article Le Cœur humain et la notion de Cœur de Dieu dans la religion de l’ancienne Egypte, René Guénon écrit: « Dans les hiéroglypes, écriture sacrée où souvent l’image de la chose représente le mot même qui la désigne, le cœur ne fut cependant figuré que par un emblème: le vase. Le cœur de l’homme n’est-il pas en effet le vase où sa vie s’élabore continuellement avec son sang? »
Le Saint Graal est la coupe qui contient le précieux sang du Christ, d’abord à la Cène, et ensuite utilisée par Joseph d’Arimathie pour recueillir le sang et l’eau qui s’échappaient de la blessure ouverte par la lance du centurion au flanc du Rédempteur. Cette coupe devient l’équivalent symbolique du Cœur du Christ.
La coupe, sous une forme ou une autre, joue un rôle fort important dans beaucoup de traditions antiques.
La légende, telle qu’elle nous est parvenue, nous dit la que la coupe du Graal a été taillée par les anges dans une émeraude tombée du front de Lucifers lors de sa chute. Cette émeraude rappelle l’urnâ, la perle frontale qui, dans l’iconographie hindoue, tient souvent la place du troisième œil de Shiva, représentant ce qu’on peut appeler le « sens de l’éternité ». Ensuite, le Graal fut confié à Adam dans le Paradis terrestre, mais lors de sa chute, Adam le perdit à son tour, car il ne put l’emporter avec lui lorsqu’il fut chassé de l’Eden. « L’homme, écarté de son centre originel par sa propre faute, se trouvait désormais enfermé dans la sphère temporelle; il ne pouvait plus rejoindre le point unique d’où toutes choses sont contemplées sous l’aspect de l’éternité. » (p. 21)
Seth obtint de rentrer dans le Paradis terrestre et put ainsi recouvrer le précieux vase. Seth est une des figures du Rédempteur, d’autant plus que son nom même exprime les idées de fondement, de stabilité, et annonce la restauration de l’ordre primordial détruit par la chute de l’homme.
Ainsi, le Graal peut être assimilé à un centre spirituel secondaire, et sa conservation à la conservation de la tradition primordiale.
« En tout cas, l’existence d’un tel centre spirituel, ou même de plusieurs, simultanément ou successivement, ne paraît pas pouvoir être mise en doute, quoi qu’il faille penser de leur localisation; ce qui est à noter, c’est qu’on rattacha partout et toujours à ces centres, entre autres désignations, celle de « Cœur du Monde », et que, dans toutes les traditions, les descriptions qui s’y rapportent sont basées sur un symbolisme identique, qu’il est possible de suivre jusque dans les détails les plus précis. Cela ne montre-t-il pas suffisamment que le Graal, ou ce qui est ainsi représenté, avait déjà, antérieurement au christianisme, et même de tout temps, un lien des plus étroits avec le Cœur divin et avec l’Emmanuel, nous voulons dire avec la manifestation, vrituelle ou réelle selon les âges, mais toujours présente, du Verbe éternel au sein de l’humanité terrestre? » (p. 22)
Par une étrange complication, le Graal est à la fois un vase (grasale) et un livre (gradale ou graduale).
La légende associe au Graal une lance, qui dans l’adaptation chrétienne est la lance du centurion Longin. Mais il faut noter la présence de cette lance comme symbole complémentaire de la coupe dans les traditions anciennes.
La lance d’Achille passait pour guérir les blessures qu’elle avait causée, la légende médiévale attribue la même vertu à la lance de la Passion.
Dans diverses traditions, quelques symboles se substituent parfois à celui de la coupe: le triangle dont le point est dirigé vers le bas, le symbole floral.
« [...] le Graal lui-même, comme on peut facilement s’en rendre compte par tout ce que nous venons de dire, n’a pas à l’origine une autre signification que celle qu’à généralement le vase sacré partout où il se rencontre, et qu’à notamment, en Orient, la coupe sacrificielle contenant le Soma védique (ou le haoma mazdéen), cette extraordinaire “préfiguration” eucharistique sur laquelle nous reviendrons peut-être en quelque autre occasion. Ce que figure proprement le Soma, c’est le “breuvage d’immortalité” (l’Amrita des Hindous, l’Ambroisie des Grecs, deux mots etymologiquement semblables), qui confère ou restitue, à ceux qui le reçoivent avec les dispositions recquises, ce “sens de l’éternité” dont il a été question précédemment. » (p. 24)
Certains symboles sont susceptibles d’une double interprétation, et ont comme deux faces opposées: le serpent, par exemple, et aussi le lion, signifient à la fois, et suivant le cas, le Christ et Satan. « [...] on comprendra qu’il y a là quelque chose qui rend très délicat le maniement des symboles, et aussi que ce point recquiert une attention toute spéciale lorsqu’il s’agit de découvrir le sens réel de certains emblèmes et de les traduire correctement. » (p. 25)
Un autre symbole dérivé de la coupe est un symbole floral. En Orient, la fleur symbolique par excellence est le lotus; en Occident, c’est la rose qui joue le même rôle. « [...] mais nous la verrions volontiers dans le dessin brodé sur ce canon d’autel de l’abbaye de Fontevrault, où la rose est placée au pied d’une lance le long de laquelle pleuvent des gouttes de sang. Cette rose apparaît là associée à la lance exactement comme la coupe l’est ailleurs, et elle semble bien recueillir les gouttes de sang plutôt que provenir de la transformation de l’une d’elle [...]. C’est la rose céleste, suivant la figure si souvent employée en relation avec l’idée de Rédemption, ou avec les idées connexes de régénération et de résurrection [...]. » (p. 25)
« D’autre part, puisqu’il a été question de la Rose-Croix à propos du sceau de Luther, nous dirons que cet emblème hermétique fut d’abord spécifiquement chrétien, quelles que soient les fausses interprétations plus ou moins “naturalistes” qui en ont été données à partir du XVIIIe siècle; et n’est-il pas remarquable que la rose y occupe, au centre de la croix, la place même du Sacré-Cœur? En dehors des représentations où les cinq plaies du Crucifié sont figurées par autant de roses, la rose centrale, lorsqu’elle est seule, peut fort bien s’identifier au Cœur lui-même, au vase qui contient le sang, qui est le centre de la vie et aussi le centre de l’être tout entier. » (p. 26)
Un autre équivalent de la coupe est le croissant lunaire islamique.
Question: lorsqu’on trouve partout de telles concordances, n’y a-t-il pas là plus qu’un simple indice de l’existence d’une tradition primordiale? « D’ailleurs, il suffit de chercher un peu, à la condition de n’y apporter aucun parti pris, pour découvrir de tous côtés les marques de cette unité doctrinale essentielle, dont la conscience a pu parfois s’obscurcir dans l’humanité, mais qui n’a jamais entièrement disparu; et, à mesure qu’on avance dans cette recherche, les points de comparaison se multiplient comme d’eux-mêmes et des preuves nouvelles apparaissent à chaque instant; certes, le Querite et invenietis de l’Evangile n’est pas un vain mot. » (p. 26)
Addendum
Peu importe si Chrestien de Troyes et Robert de Baron n’aient pas vu, dans l’antique légende dont ils n’ont été que des adapteurs, toute la signification qui y était contenue. Cette signification ne s’y trouvait pas moins réellement.
Nous voyons partout, et non pas seulement en Egypte, l’assimilation symbolique établie entre le cœur et la coupe ou le vase; partout, le cœur est envisagé comme le centre de l’être, centre à la fois divin et humain dans les applications multiples auxquelles il donne lieu; partout aussi, la coupe sacrificielle représente le Centre ou le Cœur du Monde, le “séjour d’immortalité”.
« En tout cas, il suffit de savoir lire les symboles pour y trouver tout ce que nous y trouvons nous-même; mais malheureusement, à notre époque surtout, tout le monde ne sait pas les lire. » (p. 28)
IV. Le Saint Graal
Edward Waite, The Holy Graal, its legends and symbolism, Riter and Co., London, 1933.
Que la légende du Graal soit chrétienne, ce n’est certes pas contestable, mais cela empêche-t-il nécessairement qu’elle soit aussi autre chose en même temps? Ceux qui ont conscience de l’unité fondamentale de toutes les traditions ne verront là aucune incompatibilité.
« La conception même du folk-lore, tel qu’on l’entend habituellement, repose sur une idée radicalement fausse, l’idée qu’il y a des “créations populaires”, produits spontanés de la masse du peuple; et l’on voit tout de suite le rapport étroit de cette façon de voir avec les préjugés “démocratiques”. Comme on l’a dit très justement, “l’intérêt profond de toutes les traditions dites populaires réside surtout dans le fait qu’elles ne sont pas populaires d’origine”; et nous ajouterons que, s’il s’agit, comme c’est presque toujours le cas, d’éléments traditionnels au vrai sens de ce mot, si déformés, amoindris ou fragmentaires qu’ils puissent être parfois, et de choses ayant une valeur symbolique réelle, tout cela, bien loin d’être d’origine populaire, n’est même pas d’origine humaine. Ce qui peut être populaire, c’est uniquement le fait de la “survivance” quand ces éléments appartiennent à des formes traditionnelles disparues; et, à cet égard, le terme de folk-lore prend un sens assez proche de celui de “paganisme”, en ne tenant compte que de l’étymologie de ce dernier, et avec l’intention “polémique” et injurieuse en moins. Le peuple conserve ainsi, sans les comprendre, les débris de traditions anciennes, remontant même parfois à un passé si lointain qu’il serait impossible de la déterminer, et qu’on se contente de rapporter, pour cette raison, au domaine obscur de la “préhistoire”; il remplit en cela la fonction d’une sorte de mémoire collective plus ou moins “subconsciente”, dont le contenu est manifestement venu d’ailleurs. Ce qui peut sembler le plus étonnant, c’est que, lorsqu’on va au fond des choses, on constate que ce qui est ainsi conservé contient surtout, sous une forme plus ou moins voilée, une somme considérable de données d’ordre ésotérique, c’est-à-dire précisément tout ce qu’il y a de moins populaire par essence; et ce fait suggère de lui-même une explication que nous nous bornerons à indiquer en quelques mots. Lorsqu’une forme traditionnelle est sur le point de s’éteindre, ses derniers représentants peuvent fort bien confier volontairement, à cette mémoire collective dont nous venons de parler, ce qui autrement se perdrait sans retour; c’est en somme le seul moyen de sauver ce qui peut l’être dans une certaine mesure; et, en même temps, l’incompréhension naturelle de la masse est une suffisante garantie que ce qui possédait un caractère ésotérique n’en sera pas dépouillé pour cela, mais demeurera seulement, comme une sorte de témoignage du passé, pour ceux qui, en d’autres temps, seront capables de le comprendre.” (p. 30-31)
On attribue trop facilement la dénomination de folk-lore à tout ce qui appartient à des traditions autres que le christianisme.
Il faut voir dans la légende du Saint Graal la marque d’une « jonction » entre deux formes traditionnelles, l’une ancienne et l’autre nouvelles, la tradition celtique et la tradition chrétienne.
« L’exoterisme, qu’il soit religieux ou autre, ne va jamais au-delà des limites de la forme traditionnelle à laquelle il appartient en propre; ce qui dépasse ces limites ne peut appartenir à une “Eglise” comme telle, mais celle-ci peut seulement en être le “support” extérieur [...]. » (p. 32)
Il y a des symboles qui sont communs aux formes traditionnelles les plus diverses et les plus éloignées les unes des autres, non pas par suite d’« emprunts » qui, dans bien des cas, seraient tout à fait impossibles, mais parce qu’il appartiennent en réalité à la tradition primordiale dont ces formes sont toutes issues directement ou indirectement.
Les interpretations « naturalistes » apportées aux symboles ne sont valables nulle part. « [...] les “dieux de la végétation” et autres histoires du même genre n’ont jamais existé que dans l’imagination de Frazer et de ses pareils, dont les intentions antitraditionnelles ne sont d’ailleurs pas douteuses. » (p. 33)
Dans l’analyse des produits « folkloriques », il y a des chercheurs qui croyent dans l’existence d’un « évolutionnisme »: ils considèrent qu’il existe une sorte de perfectionnement progressif d’une forme à l’autre. « En réalité, s’il s’agit de quelque chose qui a un caractère vraiment traditionnel, tout doit au contraire s’y trouver dès le commencement, et les développements ultérieurs ne font que le rendre plus explicite, sans adjonction d’éléments nouveaux et venus de l’extérieur. » (p. 33)
D’autres chercheurs considèrent qu’il est possible une sorte de « spiritualisation », par laquelle un sens supérieur aurait pu venir se greffer sur quelque chose qui ne le comportait pas tout d’abord. Cela rappelle les vues profanes des « historiens des religions ».
« Nous l’avons dit souvent, et nous ne saurions trop le répéter: tout véritable symbole porte ses multiples sens en lui-même, et cela dès l’origine, car il n’est pas constitué comme tel en vertu d’une convention humaine, mais en vertu de la “loi des correspondance” qui relie tous les mondes entre eux; que, tandis que certains voient ces sens, d’autres ne les voient pas ou n’en voient qu’une partie, ils n’y sont pas moins réellement contenus, et l’”horizon intellectuel” de chacun fait toute la différence; le symbolisme est une science exacte, et non pas une rêverie où les fantaisies individuelles peuvent se donner libre cours. » (p. 34)
Le poète qui transmet une histoire symbolique sans être conscient de la valeur réelle des symboles correspond à l’apologue de « l’âne porteur de reliques ». Question: les auteurs des romans du Graal furent-ils des ignorants ou, au contraire, furent-ils conscients, à un degré ou à un autre, du sens profond de ce qu’ils exprimaient? Une réponse certe est impossible. La question de l’« initiation » des auteurs des romans a moins d’importance qu’on ne pourrait le croire au premier abord, puisque, de toute façons, elle ne change rien aux apparences sous lesquelles le sujet est présenté. Dès lors qu’il s’agit d’une « extériorisation » de données ésotériques, mais qui ne saurait en aucune façon être une « vulgarisation », il est facile de comprendre qu’il doive en être ainsi.
« Dante écrivait en parfaite connaissance de cause; Chrestien de Troyes, Robert de Baron et bien d’autres furent probablement beaucoup moins conscients de ce qu’ils exprimaient, et peut-être même certains d’entre eux ne le furent-ils pas du tout; mais peut importe au fond, car, s’il y avait derrière eux une organisation initiatique, quelle qu’elle fût d’ailleurs, le danger d’une déformation due à leur incompréhension se trouvait par là même écarté, cette organisation pouvant les guider constamment sans même qu’ils s’en doutent, soit par l’intermédiaire de certains de ses membres leur fournissant les éléments à mettre en œuvre, soit par des suggestions ou des influences d’un autre genre, plus subtiles et moins “tangibles”, mais non moins réelles pour cela ni moins efficaces. » (p. 36)
Les origines de la légende du Graal doivent être rapportées à la transmission d’éléments traditionnels, d’ordre initiatique, du druidisme au christianisme. L’existence de l’ésotérisme chrétien au moyen âge est une chose absolument certaine. Les preuves de tout genre en abondent, et les dénégations dues à l’incompréhension moderne, qu’elles proviennent d’ailleurs de partisans ou d’adversaires du christianisme, ne peuvent rien contre ce fait.
« En outre, lorsqu’il y a lieu de distinguer ainsi dans une forme traditionnelle dexu faces, l’une exotérique et l’autre ésotérique, il doit être bien entendu qu’elles ne se rapportent pas a même domaine, si bien qu’il ne peut y avoir entre elles de conflit ou d’opposition d’aucune sorte; en particulier, lorsque l’exotérisme revêt le caractère spécifiquement religieux, comme c’est ici le cas, l’ésotérisme correspondant, tout en y prenant sa base et son support, n’a en lui-même rien a voir avec le domaine religieux et se situe dans un ordre totalement différent. Il résulte immédiatement de là que cet ésotérisme ne peut en aucun cas être représenté par des “Eglises” ou des “sectes” quelconques, qui, par définition même, sont toujours religieuses, donc exotériques [...]. » (p. 37)
Il n’y a aucune possibilité de confondre l’ésotérisme avec les sectes. Quand on trouve dans une secte des éléments qui paraissent être de nature ésotérique, il faut en conclure qu’ils y ont été détournés de leur véritable signification.
Les écrits concernant la légende du Graal ne constituent pas un rituel d’initiation. Il est bien évident que tous les écrits qui présentent un caractère ésotérique ne sont pas pour cela des rituels. D’autres œuvres qui décrivent des processus initiatiques: La Divine Comédie et Le Roman de la Rose.
« Quant aux états intérieurs dont la réalisation relève de l’ordre initiatique, ils ne sont ni des états psychologiques ni même des états mystiques; ils sont quelque chose de beaucoup plus profond, et, en même temps ils ne sont point de ces choses dont on ne peut dire ni d’où viennent ni ce qu’ils sont au juste, mais ils impliquent au contraire une connaissance exacte et une technique précise; la sentimentalité et l’imagination n’ont plus ici la moindre part. Transposer les vérités de l’ordre religieux dans l’ordre initiatique, ce n’est point les dissoudre dans les nuées d’un “idéal” quelconque; c’est au contraire en pénétrer le sens le plus profond et le plus “positif” tout à la fois, en écartant toutes les nuées qui arrêtent et bornent la vue intellectuelle de l’humanité ordinaire. » (p. 40)
V. Tradition et « inconscient »
La psychanalyse a un rôle très important dans l’œuvre de subversion qui, succédant à la « solidification » matérialiste du monde, constitue la seconde phase de l’action anti-traditionnelle caractéristique de l’époque moderne tout entière. L’offensive psychanalyste va toujours de plus en plus loin, elle s’attaque directement à la tradition sous prétexte de l’expliquer.
« Ainsi, quand Freud parlait de “symbolisme”, ce qu’il désignait abusivement ainsi n’était en réalité qu’un simple produit de l’imagination humaine, variable d’un individu à l’autre, et n’ayant véritablement rien de commun avec l’authentique symbolisme traditionnel. » (p. 43)
D’autre psychanalystes (C.G. Jung) ont modifié les théoris du « maître » dans le sens d’une fausse spiritualité, pour pouvoir les appliquer à une interprétation du symbolisme traditionnel lui-même. Jung a échafaudé son exégèse des symboles à partir d’une comparaison qu’il crut pouvoir établir entre certains symboles et des dessins tracés par des malades.
« Ce qui aggrava beaucoup les choses, c’est que Jung, pour expliquer ce dont les facteurs purement individuels ne paraissaient pas pouvoir rendre compte, se trouva amené à formuler l’hypothèse d’un soi-disant “inconscient collectif”, existant d’une certaine façon dans ou sous le psychisme de tous les individus humains, et auquel il crut pouvoir rapporter à la fois et indistinctement l’origine des symboles eux-mêmes et celle de leurs caricatures pathologiques. Il va de soi que ce terme d’”inconscient” est tout à fait impropre, et que ce qu’il sert à désigner, dans la mesure où peut avoir quelque réalité, relève de ce que les psychologues appellent plus habituellement le “subconscient”, c’est-à-dire l’ensemble des prolongements inférieurs de la conscience. » (p. 44)
Les psychologues font courament la confusion entre le « subconscient » et le « superconscient ». Le dernier échappe complètement au domaine sur lequel portent les investigations des psychologues. Le « superconscient » est ce par quoi s’établit une communication avec le supra-humain, tandis que le « subconscient » tend au contraire vers l’infra-humain. Le « subconscient », grâce à son contact avec les influences psychiques de l’ordre inférieur, « singe » effectivement le « superconscient ».
« Par la théorie de l’”inconscient collectif”, on croit pouvoir expliquer le fait que le symbole est “antérieur à la pensée individuelle” et qu’il la dépasse; la véritable question, qu’on ne semble même pas se poser, serait de savoir dans quelle direction il la dépasse, si c’est par en bas comme paraîtrait l’indiquer cet appel au prétendu “inconscient”, ou par en haut comme l’affirment au contraire expressément toutes les doctrines traditionnelles. » (p. 45) L’interprétation psychanalytique des symboles et leur interprétation traditionnelle conduisent en réalité à des fins diamétralement opposées.
Parmi les choses très diverses que l’« inconscient collectif » est censé d’expliquer, il faut naturellement compter le « folklore », et dans ce cas la théorie peut présenter quelque apparence de vérité. Il faudrait parler d’une « mémoire collective », qui correspond à un des aspects du symbolisme de la lune. « Seulement, vouloir conclure de la nature du “folklore” à l’origine même de la tradition, c’est commettre une erreur toute semblable à celle, si répandue de nos jours, qui fait considérer comme “primitif” ce qui n’est que le produit d’une dégénérescence. Il est évident en effet que le “folklore”, étant essentiellement constitué par des éléments appartenant à des traditions éteintes, représente inévitablement un état de dégénérescence par rapport à celle-ci; mais c’est d’ailleurs le seul moyen par lequel quelque chose peut en être sauvé. » (p. 45)
La mentalité collective se réduit proprement à une mémoire. En termes astrologiques, sa nature est lunaire. Elle remplit une certaine fonction de conservation, mais elle est totalement incapable de produire ou d’élaborer quoi que ce soit, et surtout des choses d’ordre transcendant, comme toute donnée traditionnelle l’est par définition même.
L’interprétation psychanalytique vise à nier la transcendance de la tradition, mais pas à la façon brutale du rationalisme. On semble admettre que la tradition a effectivement un caractère « non humain », mais en détournant complètement la signification de ce terme. Selon Jung, le terme a le sens de « collectif », selon Guénon ce qu’on entend par là appartient essentiellement aux états supra-individuels de l’être.
« On saisit donc ici, d’une façon immédiate, le procédé de subversion qui consiste, en s’emparant de certaines notions traditionnelles, à les retourner en quelque sorte en substituant le “subconscient” au “superconscient”, l’infra-humain au supra-humain. Cette subversion n’est-elle pas bien autrement dangereuse encore qu’une simple négation, et pensera-t-on que nous exagérons en disant qu’elle contribue à préparer la voie à une véritable “contre-tradition”, destinée à servir de véhicule à cette “spiritualité à rebours”, dont, vers la fin du cycle actuel, le “règne de l’antéchrist” doit marquer le triomphe apparent et passager? » (p. 47)
VI. La Science des lettre (Ilmul-Hurûf)
L’affirmation d’après laquelle la langue hébraïque serait la langue même de la révélation primitive semble bien n’avoir qu’un caractère tout exotérique et ne pas être au fond même de la doctrine kabbalistique, mais, en réalité, récouvrir simplement quelque chose de beaucoup plus profond.
La même affirmation de « primordialité » se rencontre pour d’autres langues, et ne saurait être en aucun cas prise à la lettre.
Selon le véritable enseignement traditionnel de l’Islam, la langue « adamique » était la « langue syriaque », loghah sûryâniyah, qui n’a d’ailleurs rien à voir avec le pays désigné actuellement sous le nom de Syrie. Il s’agit en fait de la langue de l’« illumination solaire », shems-ishrâqyah.
Sûryâ est le nom sanscrit du Soleil, et ceci semblerait indiquer que sa racine sur, une de celles qui désignent la lumière, appartenait elle-même à cette langue originelle. Il s’agit donc de cette Syrie primitive dont Homère parle comme d’une île située « au-delà d’Ogygie », ce qui l’identifie à la Tula hyperboréenne, et « où sont les révolutions du Soleil ». D’après Josèphe, la capitale de ce pays s’appelait Héliopolis, « ville du Soleil ».
C’est précisément sur la distinction qui doit être faite entre les langues sacrées et les langues vulgaires ou profanes que repose essentiellement la justification des méthodes kabbalistiques, ainsi que des procédés similaires qui se rencontrent dans d’autres traditions.
De même que tout centre spirituel secondaire est comme une image du Centre suprême et primordial, toute langue sacrée, ou « hiératique », peut être regardée comme une image ou un reflet de la langue originelle, laquelle est la langue sacrée par excellence.
La nécessité d’une nouvelle langue sacrée, différente des précédentes, est justifiée par le fait que chaque prophète ou révélateur devait forcément employer un langage susceptible d’être compris de ceux à qui il s’adressait, spécialement approprié à la mentalité de tel peuple et de telle époque. « [...] ce sont donc toutes les langues sacrées qui doivent être regardées comme étant véritablement l’œuvre d’”inspirés” sans quoi elles ne sauraient être aptes au rôle auquel elles sont essentiellement destinées. » (p. 50)
Il est difficile aux Occidentaux de se rendre compte de ce que sont vraiment les langues sacrées, car ils n’ont de contact direct avec aucune d’entre elles.
« Ainsi, pour comprendre effectivement toute la portée du symbolisme des lettres et des nombres, il faut le vivre, en quelque sorte, dans son application jusqu’aux circonstances mêmes de la vie courante, ainsi que cela est possible dans certains pays orientaux; mais il serait absolument chimérique de prétendre introduire des considérations et des applications de ce genre dans les langues européennes, pour lesquelles elles ne sont point faites, et où la valeur numérique des lettres, notamment, est une chose inexistante. » (p. 51)
Il s’impose un rapprochement avec le rôle que jouent également les lettres dans la doctrine cosmogonique du Sepher Ietsirah. La « science des lettres » a une importance à peu près égale dans la Kabbale hébraïque et dans l’ésotérisme islamique. Dans les deux, une correspondance a été établie entre les lettres et les différentes parties de l’Univers manifesté. Le même genre de correspondance est établi entre les signes du zodiac et les planètes dans l’astrologie. Vu l’analogie constitutive entre le « microcosme » et le « macrocosme », les lettres correspondent également aux différentes parties de l’organisme humain.
« [...] la “science des lettres” doit être envisagée dans des ordres différents, que l’on peut en somme rapporter aux “trois mondes”: entendue dans son sens supérieur, c’est la connaissance de toutes choses dans le principe même, en tant qu’essences éternelles au-delà de toute manifestation; dans un sens que l’on peut dire moyen, c’est la cosmogonie, c’est-à-dire la connaissance de la production ou de la formation du monde manifesté; enfin, dans le sens inférieur, c’est la connaissance des vertus des noms et des nombres, en tant qu’ils expriment la nature de chaque être, connaissance permettant, à titre d’application, d’exercer par leur moyen, et en raison de cette correspondance, une action d’ordre “magique” sur les êtres eux-mêmes et sur les événements qui les concernent.
Il existe une application de cette science qui s’appelle sîmîâ: les formules écrites, étant composées des mêmes éléments qui constituent la totalité des êtres, ont, par là, la faculté d’agir sur ceux-ci. On peut tout d’abord, au moyen d’un calcul (hisâb) effectué sur les nombres correspondant aux lettres et aux noms, arriver à la prévision de certains événements. Mais ceci ne constitue qu’un premier degré, le plus élémentaire de tous. Il est possible ensuite d’effectuer, sur le résultats de ce calcul, des mutations qui devront avoir pour effet d’amener une modification correspondante dans les événements eux-mêmes.
On peut aussi obtenir par un calcul du même genre la solution de questions d’ordre doctrinal. Et cette solution se présente parfois sous une forme symbolique des plus remarquables. Précaution: « [...] quand cette action s’exerce seulement dans le monde sensible, ce n’est que le degré le plus inférieur, et c’est dans ce cas qu’on peut parler proprement de “magie”; mais il est facile de concevoir qu’on a affaire à quelque chose d’un tout autre ordre quand il s’agit d’une action ayant une répercussion dans les mondes supérieurs. Dans ce dernier cas on est évidemment dans l’ordre “initiatique” au sens le plus complet de ce mot [...]. » (p. 53)
Il existe une assimilation de la « science des lettres » avec l’alchimie.
La réalisation totale des possibilités d’un être s’effectue nécessairement en passant par les mêmes phases que celle de l’Existence universelle.
VII. La Langue des Oiseaux
Qorân: « Et Salomon fut l’héritier de David; et il dit: O homme! Nous avons été instruit du langage des oiseaux (ullimna mantiqat-tayri) et comblé de toutes choses... » (XXVII, 15)
La « langue des oiseaux » désigne un prérogative d’une haute initiation.
Siegfried, après avoir vaincu le dragon, comprend aussitôt le langage des oiseaux. « En effet, la victoire sur le dragon a pour conséquence immédiate la conquête de l’immortalité, figurée par quelque objet dont ce dragon défendait l’approche; et cette conquête de l’immortalité implique essentiellement la réintégration au centre de l’état humain, c’est-à-dire au point où s’établit la communication avec les états supérieurs de l’être. C’est cette communication qui est représentée par la compréhension du langage des oiseaux; et, en fait, les oiseaux sont pris fréquemment comme symbole des anges, c’est-à-dire précisément des états supérieurs. » (p. 55)
Le mot dhikr, dans l’ésotérisme islamique, s’applique à des formules rythmées correspondant exactement aux mantras hindous, formules dont la répétition a pour but de produire une harmonisation des divers éléments de l’être, et de déterminer des vibrations susceptibles, par les répercussion à travers la série des états, en hiérarchie indéfinie, d’ouvrir une communication avec les états supérieurs, ce qui est d’ailleurs, d’une façon générale, la raison d’être essentielle et primordiale de tous les rites.
Dans le monde humain, l’image de la « langue des oiseaux » est le langage rythmé. Une tradition islamique dit qu’Adam, dans le Paradis terrestre, parlait en vers, c’est-à-dire en langage rythmé. C’est pourquoi les Livres sacrés sont écrits en langage rythmé. La poésie, originairement, n’était point cette vaine « littérature » qu’elle est devenue par une dégénérescence qu’explique la marche descendante du cycle humain.
La véritable « superstition », au sens strictement étymologique (quod superstat), c’est ce qui se survit à soi-même, c’est-à-dire, en un mot, la « lettre morte ». « [...] mais cette conservation même, si peu digne d’intérêt qu’elle puisse sembler, n’est pourtant pas chose si méprisable, car l’esprit, qui “souffle où il veut”, et quand il veut, pour toujours venir revivifier les symboles et les rites, et leur restituer, avec leur sens perdu, la plénitude de leur vertu originelle. » (p. 59)
Symboles du Centre et du Monde
VIII. L’idée du Centre dans les traditions antiques
« Le Centre est, avant tout, l’origine, le point de départ de toutes choses; c’est le point principiel, sans forme et sans dimensions, donc indivisible, et, par suite, la seule image qui puisse être donnée de l’Unité primordiale. » (p. 63)
Le Centre dans le symbolisme géométrique correspond à l’Unité dans le symbolisme numérique.
L’unité arithmétique n’est pas l’Unité métaphysique, elle n’en est qu’une figure, mais une figure dans laquelle il n’y a rien d’arbitraire.
Le point central, c’est le Principe, c’est l’Etre pur. L’espace qu’il remplit de son rayonnement, et qui n’est que par ce rayonnement même, sans lequel cet espace ne serait que « privation » et néant, c’est le Monde au sens le plus étendu de ce mot. La représentation la plus simple de cette idée est le point au centre du cercle. Le point est l’emblème du Principe, le cercle est celui du Monde. Il faut y voir un signe qui se rattache directement à la tradition primordiale.
Le soleil est, au point de vue de toutes les traditions antiques, un symbole, celui du véritable « Centre du Monde » qui est le Principe divin.
« Le rapport qui existe entre le centre et la circonférence, ou entre ce qu’ils représentent respectivement, est déjà indiqué assez clairement par le fait que la circonférence ne saurait exister sans son centre, tandis que celui-ci est absolument indépendant de celle-là. » (p. 64)
Parmi les figures très répandues du Centre est la roue à six ou huit rayons.
La roue, au lieu d’être un symbole simplement « solaire », est avant tout un symbole du Monde. Dans le langage symbolique de l’Inde, on parle constamment de la « roue des choses », ou de la « roue de la vie ». Le Zodiaque est représenté sous la forme d’une roue, à douze rayons, et d’ailleurs le nom qui lui est donné en sanscrit signifie littéralement « roue des signes ». Il y a une certaine connexion entre la roue et divers symboles floraux.
Le centre est le « milieu », le point équidistant de tous les points de la circonférence, et qui partage tout diamètre en deux parties égales. « Le milieu entre les extrêmes représentés par des points opposés de la circonférence, c’est le lieu où les tendances contraires, aboutissant à ces extrêmes, se neutralisent pour ainsi dire et sont en parfait équilibre. » (p. 67) Certaines écoles musulmanes appellent le centre de la croix « station divine » (el-maqâmul-ilâhî), qu’elles désignent comme le lieu où s’unifient tous les contraires, où se résolvent toutes les oppositions. A un point de vue universel, les traditions extrêmes-orientales parlent sans cesse de l’« Invariable Milieu » qui est le point où se manifeste l’« Activité du Ciel ». Suivant la doctrine hindoue, au centre de tout être, comme de tout état de l’existence cosmique, réside un reflet du Principe suprême.
Le Centre est en équilibre, il est fixe, immobile. La circonférence tourne autour de lui, tout comme la manifestation change sans cesse. C’est le principe du « moteur immobile » d’Aristote. « Le Principe immuable est donc en même temps, et par là même, que tout ce qui existe, tout ce qui change ou se meut, n’a de réalité que par lui et dépend totalement de lui, il est, disons-nous, ce qui donne au mouvement son impulsion première, et aussi ce qui ensuite le gouverne et le dirige, ce qui lui donne sa loi, la conservation de l’ordre du Monde n’étant en quelque sorte qu’un prolongement de l’acte créateur. Il est, suivant une expression hindoue, l’”ordonnauteur interne” (antaryâmî), car il dirige toutes choses de l’intérieur, résidant lui-même au point le plus intérieur de tous, qui est le Centre. » (p. 68)
Lorsque la sphère accomplit sa révolution autour de son axe, il y a sur cette sphère deux points qui demeurent fixes: ce sont les pôles. C’est pourquoi l’idée de Pôle est encore un équivalent de l’idée du Centre. « Le symbolisme qui se rapporte au Pôle, et qui revêt parfois des formes très complexes, se retrouve aussi dans toutes les traditions, et il y tient même une place considérable; si la plupart des savants modernes ne s’en sont pas aperçus, c’est là encore une preuve que la vraie compréhension des symboles leur fait entièrement défaut. » (p. 68)
Swastika est essentiellement le « signe du Pôle ». En dépit de toutes les explications fantaisistes données à ce signe en Europe, il s’agit d’un symbole du mouvement de rotation accompli autour d’un centre ou d’un axe immuable. Swastika est un symbole de la vie, ou du rôle vivifiant du Principe par rapport à l’ordre cosmique. Comparée à la figure de la croix inscrite dans la circonférence, ces deux symboles sont équivalents. Swastika n’est pas une figure du Monde, mais bien de l’action du Principe à l’égard du Monde.
Sur l’aire géographique où le symbole est répandu: « Le swastika est loin d’être un symbole exclusivement oriental comme on le croit parfois; en réalité, il est un de ceux qui sont le plus généralement répandus, et on le rencontre à peu près partout, de l’Extrême-Orient à l’Extrême-Occident, car il existe jusque chez certains peuples indigènes de l’Amérique du Nord. A l’époque actuelle, il est conservé surtout dans l’Inde et dans l’Asie centrale et orientale, et il n’y a probablement que dans ces régions qu’on sache encore ce qu’il signifie; mais pourtant, en Europe même, les paysans tracent encore ce signe dans leur maisons; sans doute n’en connaissent-ils plus le sens et n’y voient-ils qu’une sorte de talisman protecteur; mais ce qui est peut-être le plus curieux, c’est qu’ils lui donnent son nom sanscrit de swastika. Dans l’antiquité, nous trouvons ce signe, en particulier chez les Celtes et dans la Grèce préhellénique; et, en Occident encore, comme M. Charbonneau-Lassay l’a dit, il fut anciennement un des emblèmes du Christ, et il demeura même en usage comme tel jusque vers la fin du moyen âge. Comme le point au centre du cercle et comme la roue, ce signe remonte incontestablement aux époques préhistoriques; et, pour notre part, nous y voyons encore, sans aucune hésitation, un des vestiges de la tradition primordiale. » (p. 70-71)
Le Centre est un point de départ, mais aussi un point d’aboutissement. Tout est issu de lui, tout doit finalement, y revenir. Tous les êtres, dépendant de leur Principe, doivent, consciemment ou inconsciemment, aspirer à retourner vers lui. L’orientation de la prière vers un centre spirituel se rapporte à cette idée. Dans l’Islam, cette orientation (quibla) est la matérialisation de l’intention (niyya) par laquelle toutes les puissances de l’être doivent être dirigées vers le Principe divin.
Conclusion: « En résumé, le Centre est à la fois le principe et la fin de toutes choses; il est, suivant un symbolisme bien connu, l’alpha et l’omega. Mieux encore, il est le principe, le milieu et la fin; et ces trois aspects sont représentés par les trois éléments du monosyllabe Aum, auquel M. Charbonneau-Lassay avait fait allusion en tant qu’emblème du Christ et dont l’association au swastika, parmi les signes du monastère des Carmes de Loudun, nous semblent particulièrement significative. En effet, ce symbole, beaucoup plus complet que l’alpha et l’omega, et susceptible de sens qui pourrait donner lieu à des développements presque indéfinis, est, par une des concordances les plus étonnantes que l’on puisse rencontrer, commun à l’antique tradition hindoue et à l’ésotérisme chrétien du moyen âge; et, dans l’un et l’autre cas, il est également et par excellence, un symbole du Verbe, qui est bien réellement le véritable “Centre du Monde”. » (p. 72)
IX. Les fleurs symboliques
L’usage des fleurs dans le symbolisme est très répandu et se retrouve dans la plupart des traditions.
Un des sens principaux de la fleur se rapporte au principe féminin ou passif de la manifestion, Prakriti, la substance universelle. A cet égard la fleur équivaut à un certain nombre d’autres symboles, dont le plus important est la coupe. L’épanouissement de cette fleur représente le développement de la manifestation elle-même. Ce sens est net dans le cas du lotus, la fleur symbolique en Orient par excellence.
Dans le mythe d’Adonis (dont le nom signifie « le seigneur »), lorsque le héros est frappé mortellement par le boutoir d’un sanglier, son sang, en se répandant à terre, donne naissance à une fleur. Ceci se retrouve également dans le symbolisme chrétien: Charbonneau-Lassay a signalé « un fer à hosties, du XIIe siècle, où l’on voit le sang des plaies du Crucifié tomber en gouttelettes qui se transforment en roses ».
La rose est en Occident, avec le lis, un des équivalents les plus habituels de ce qu’est le lotus en Orient.
Lorsque la fleur est considérée comme représentant le développement de la manifestation, il y a équivalence entre elle et d’autres symboles, parmi lesquels il faut noter tout spécialement celui de la roue. Or, la roue est toujours un symbole du Monde.
X. La triple enceinte druidique
La triple enceinte druidique est formée de trois carrés concentriques, reliés entre eux par quatre lignes à angle droit.
Platon, en parlant de la métropole des Atlantes, décrit le palais de Poséidon comme édifié au centre de trois enceintes concentriques reliées entre elles par des canaux.
« Nous avons tout de suite pensé qu’il devait s’agir de trois degrés d’initiation, de telle sorte que leur ensemble aurait été en quelque sorte la figure de la hiérarchie druidique [...]. La division de l’initiation en trois grades est d’ailleurs la plus fréquente et, pourrions-nous dire, la plus fondamentale; toutes les autres ne représentent en somme, par rapport à celle-là, que des subdivisions ou des développements plus ou moins compliqués. »
En vertu de l’analogie constitutive du Macrocosme et du Microcosme, le processus initiatique reproduit rigoureusement le processus cosmogonique.
Question de méthodologie: « [...] d’une façon générale, le propre de toute interprétation vraiment initiatique est de n’être jamais exclusive, mais, au contraire, de comprendre synthétiquement en elle-même toutes les autres interprétations possibles; c’est d’ailleurs pourquoi le symbolisme, avec ses sens multiples et superposés, est le moyen d’expression normal de tout véritable enseignement initiatique. » (p. 81)
Sur la quadrature du cercle: « [...] il y a toujours analogie et correspondance entre le commencement et la fin d’un cycle quelconque, mais, à la fin, le cercle est remplacé par le carré, et ceci indique la réalisation de ce que les hermétistes désignaient symboliquement comme la « quadrature du cercle »; la sphère, qui représente le développement des possibilités par l’expansion du point primordial et central, se transforme en un cube lorsque ce développement est achevé et que l’équilibre final est atteint pour le cycle considéré. » (p. 81)
La forme circulaire doit représenter le point de départ d’une tradition. La forme carrée, son point d’aboutissement. Le symbolisme de la « fontaine d’enseignement » s’applique à l’un et l’autre cas.
XI. Les Gardiens de la Terre sainte
Parmi les attributions des ordres de chevalerie, par exemple les Templiers, est celle de « gardiens de la Terre sainte ». Certaines organisations orientales, dont le caractère initiatique n’est pas douteux, comme les Assacis et les Druses, ont pris également ce même titre.
L’expression de « Terre sainte » a un certain nombre de synonymes: « Terre pure », « Terre des Saints », « Terre des Bienheureux », « Terre des vivants », « Terre d’Immortalité ». Toute « Terre sainte » est encore désignée par des expressions comme celles de « Centre du Monde » ou de « Cœur du Monde ».
Dans la tradition hébraïque, il est parlé du « saint Palais », ou « Palais intérieur », qui est le « Centre du Monde » au sens cosmogonique du terme. C’est la résidence de Shekinah, qui est la « présence réelle » de la Divinité.
Le peuple d’Israël n’est pas le seul qui ait assimilé son pays au « Cœur du monde » et qui l’ait regardé comme une image du Ciel, deux idées qui, du reste, n’en font qu’une en réalité.
« La conclusion à tirer de ces considérations, c’est qu’il y a autant de « Terres saintes » particulières qu’il existe de formes traditionnelles régulières, puisqu’elles représentent les centres spirituels qui correspondent respectivement à ces différentes formes; mais, si le même symbolisme s’applique uniformément à toutes ces « Terres saintes », c’est que ces centres spirituels ont tous une constitution analogue, et souvent jusque dans des détails très précis, parce qu’ils sont autant d’images d’un même centre unique et suprême, qui seul est vraiment le « Centre du Monde », mais dont ils prennnent les attributs comme participant de sa nature par une communication directe, en laquelle réside l’orthodoxie trditionnelle, et comme le représentant effectivement, d’une façon plus ou moins extérieure, pour des temps et des lieux déterminés. » (p. 87)
Il existe une « Terre sainte » par excellence, prototype de toutes les autres. C’est la « contrée suprême », suivant le sens du terme sanscrit Paradêsha, dont les Chaldéens ont fait Pardes, et les Occidentaux Paradis.
Le pèlerinage est précisément une des figures de l’initiation, de sorte que le « pèlerinage en Terre Sainte » est, au sens ésotérique, la même chose que la « recherche de la Parole perdue » ou la « queste du Saint Graal ».
Dans toutes les traditions, les lieux symbolisent essentiellement des états.
« [...] nous dirons que les “gardiens” se tiennent à la limite du centre spirituel, pris dans son sens le plus étendu, ou à la dernière enceinte, celle par laquelle ce centre est à la fois séparé du « monde extérieur », et mis en rapport avec celui-ci. Par conséquent, ces “gardiens” ont une double fonction: d’une part, ils sont proprement les défenseurs de la “Terre sainte”, en ce sens qu’ils en interdisent l’accès à ceux qui ne possèdent pas les qualifications requises pour y pénétrer, et ils constituent ce que nous avons appelé sa “couverture extérieure”; d’autre part, ils assurent pourtant aussi certaines relations régulières avec le dehors [...]. » (p. 90)
Bien que l’initiation des Templiers ait été essentiellement « chevaleresque », ils avaient un double caractère, à la fois militaire et religieux. L’autorité spirituelle et le pouvoir temporel sont réunis dans leur principe commun.
La destruction de l’ordre du Temple a entraîné pour l’Occident la rupture des relations régulières avec le « Centre du Monde ».
« Pour le monde occidental, il n’y a plus de « Terre Sainte » à garder, puisque le chemin qui y conduit est entièrement perdu désormais; combien de temps cette situation durera-t-elle encore, et faut-il même espérer que la communication pourra être rétablie tôt ou tard? C’est là une question à laquelle il ne nous appartient pas d’apporter une réponse; outre que nous ne voulons risquer aucune prédiction, la solution ne dépend que de l’Occident lui-même, car c’est en revenant à des conditions normales et en retrouvant l’esprit de sa propre tradition, s’il en a encore en lui la possibilité, qu’il pourra voir s’ouvrir de nouveau la voie qui mène au « Centre du Monde ». » (p. 92)
XII. La Terre du Soleil
Parmi les localités, souvent difficiles à identifier, qui jouent un rôle dans la légende du Saint Graal, certains attachent une importance toute spéciale à Glastonbury, le lieu où s’établit Joseph d’Arimathie après sa venue en Grande-Bretagne.
Glastonbury et la région avoisinante du Somerset aurait constitué, à une époque fort reculée et qui peut être dite « préhistorique », un immense « temple solaire », déterminé par le tracé sur le sol d’effigies gigantesques représentant les constellations et disposées en une figure circulaire qui est comme une image de la voûte céleste projetée sur la surface de la terre.
Si les figures de Glastonbury ont pu se conserver de façon à être encore reconnaissables de nos jours, c’est que les moines, jusqu’à l’époque de la Réforme, les entretinrent soigneusement, ce qui implique qu’ils devaient avoir gardé la connaissance de la tradition héritée de leurs lointains prédécesseurs, les druides.
Dans son ensemble, la figure circulaire dont il s’agit est un immense Zodiaque. Il importe de remarquer que le signe de la Balance en est absent (mais la Balance céleste ne fut pas toujours zodiacale, elle fut d’abord polaire). Au centre de cette figure, le Pôle est marqué par une tête de serpent, qui se réfère manifestement au « Dragon céleste ». Cf. le Sepher Ietsirah: « Le Dragon est au milieu du ciel comme un roi sur son trône. Il est curieux de noter que le dragon, chez les Celtes, est le symbole du chef, et qu’Arthur est fils d’Uther Pendragon.
La figure de Glastonbury doit être rapportée à une période antérieure au transfert de la Balance dans le Zodiaque.
Le nom d’Avalon est visiblement identique à celui d’Ablun ou Belen, c’est-à-dire l’Apollon celtique et hyperboréen. L’île d’Avalon n’est encore qu’une autre désignation de la « terre solaire ».
Dans le Zodiaque de Glastonbury, le signe du Verseau est représenté par un oiseau en lequel on peut reconnaître le Phénix, qui porte un objet qui n’est autre que la « coupe d’immortalité », le Graal lui-même.
Note en bas de page: « Le rapprochement des deux figures de Hamsa et de Garuda est aussi très normal, puisqu’il arrive même qu’elles soient réunies en celle d’un seul oiseau, en lequel il semble qu’il faille voir l’origine première de l’aigle héraldique à deux têtes, bien que celui-ci apparaisse plutôt comme un double Garuda, l’oiseau Hamsa-Garuda ayant naturellement une tête de cygne et une tête d’aigle. » (p. 98)
XIII. Le Zodiaque et les point cardinaux
Chez les peuples les plus divers, chaque point cardinal est mis en correspondance avec un des éléments et une des saisons, ainsi qu’avec une couleur emblématique de la caste qui y était située. Dans l’Inde, les Brahmanes occupaient le Nord, les Kshatriyas l’Est, les Vaishyas le Sud et les Shûdras l’Ouest.
Le plan traditionnel de la cité est une image du Zodiaque.
Le solstice d’hiver correspond au nord, l’équinoxe de printemps à l’est, le solstice d’été au sud et l’équinoxe d’automne à l’ouest.
La répartition des castes dans la cité suit exactement la marche du cycle annuel, celui-ci commençant normalement au solstice d’hiver. Le nord, étant considéré comme le point le plus élevé (uttara), et marquant aussi le point de départ de la tradition, convient tout naturellement aux Brahmanes. Les Kshatriyas se placent au point qui vient ensuite dans la correspondance cyclique, c’est-à-dire à l’est. Ainsi, tandis que le caractère du sacerdoce est « polaire », celui de la royauté est « solaire ». Les Vaishyas prennent place au sud. Il reste pour le Shûdras l’ouest, qui est regardé partout comme le côté de l’obscurité.
Les villes traditionnelles ont un caractère zodiacal.
Dans le cas des Romains, l’orientation était marquée par deux voies rectangulaires, le cardo, allant du sud au nord, et le decumanus, allant de l’ouest à l’est. Aux extrémités de ces deux voies étaient les portes de la ville, qui se trouvaient exactement situées aux quatre points cardinaux. Chacun des quatre quartiers correspondait aux points intermédiaires. A la division en quartiers se superposait une division en « tribus », c’est-à-dire une division ternaire. Chacune des trois « tribus » comprenait quatre « curies », réparties dans les quatre quartiers, ainsi qu’on avait une division duodénaire.
XIV. Le Tétraktys et le carré de quatre
La Tétraktys pythagoricienne: 1 + 2 + 3 + 4 = 10. C’est la relation qui unit le dénaire au quaternaire. Il y avait un serment pythagoricien: « par la sainte Tétraktys ». Un autre serment était « par le carré de quatre ».
On peut déduire que la doctrine pythagoricienne avait un caractère plus « cosmologique » que purement métaphysique. « La raison de cette déduction, qui peut sembler étrange à première vue pour qui n’est pas habitué à l’usage du symbolisme numérique, est que le quaternaire est partout et toujours considéré comme étant proprement le nombre de la manifestation universelle; il marque donc, à cet égard, le point de départ même de la « cosmogonie », tandis que les nombres qui le précèdent, c’est-à-dire l’unité, le binaire et le ternaire, se rapportent strictement à l’« ontologie »; la mise en évidence plus particulière du quaternaire correspond donc bien par là à celle du point de vue « cosmologique » lui-même. » (p. 104)
Au début de Rasâïl Ikhwân Eç-Çafâ, les quatre termes du quaternaire fondamental sont énumérés ainsi:
1. le Principe, qui est désigné comme El-Bârî, le « Créateur » (ce qui indique qu’il ne s
agit pas du Principe suprême, mais seulement de l’Etre, en tant que Principe premier de la manifestation, qui d’ailleurs est bien en effet l’Unité métaphysique;
2. l’Esprit universel;
3. l’Ame universelle;
4. la Hylè primordiale.
Le quaternaire ainsi constitué est regardé comme présupposé par la manifestation, en ce sens que la présence de tous ses termes est nécessaire au développement complet des possibilités que comporte celle-ci.
Le quaternaire est représenté géométriquement par le carré, si on l’envisage sous l’aspect « statique », mais, sous l’aspect « dynamique », il l’est par la croix. La dernière, lorsqu’elle tourne autour de son centre, engendre la circonférence, qui, avec le centre, représente le dénaire, lequel est le cycle numérique complet. C’est la « circulature du quadrant », représentation géométrique de ce qu’exprime arithmétiquement la formule 1 + 2 + 3 + 4 = 10
Inversement, le problème hermétique de la « quadrature du cercle » n’est pas autre chose que ce que représente la division quaternaire du cercle, et il s’exprimera numériquement par la même formule, mais écrite en sens inverse: 10 = 1 + 2 + 3 + 4, pour montrer que tout le développement de la manifestation est ainsi ramené au quaternaire fondamental.
XV. Un hiéroglype du Pôle
La « pierre cubique à pointe » (regardée dans l’interprétation hermétique comme la figure de la « pierre philosophale ») dans des anciens documents est complétée, d’une façon inattendue, par l’adjonction d’une hache qui semble posée en équilibre sur le sommet même de la piramide. Cette image a intrigué les spécialistes du symbolisme maçonnique. La solution est que la hache n’est ici autre chose que l’hiéroglyphe de la lettre hébraïque qoph.
Le sens général attaché à la lettre hébraïque qoph, ou à la lettre arabe qâf, est celui de « force » ou de « puissance » (en arabe qowah), qui peut être d’ordre matériel ou d’ordre spirituel. Le symbolisme d’une arme telle la hache correspond à ce sens.
« Certains veulent identifier la montagne de Qâf au Caucase (qâf-qâsiyah); si cette assimilation devait être prise littéralement au sens géographique actuel, elle serait certainement erronée, car elle ne s’accorderait aucunement avec ce qui est dit de la Montagne sacrée, qui ne peut être atteinte « ni par terre ni par mer » (lâ bil-barr wa lâ bil-bahr); mais il faut remarquer que ce nom de Caucase a été appliqué anciennement à plusieurs montagnes situées en des régions très différentes, ce qui donne à penser qu’il peut bien avoir été originairement une des désignations de la Montagne sacrée, dont les autres Caucases ne seraient alors qu’autant de « localisations » secondaires. » (p. 110)
Le nom même de la lettre Qâf est aussi, dans la tradition arabe, celui de la Montagne sacrée ou polaire.
Qâf équivaut numériquement à maqâm. Qâf = 100 + 1 + 80 = 181. Maqâm = 40 + 100 + 1 + 40 = 181. En hébreu, la même équivalence numérique se retrouve entre qoph et maqom.
La lettre qâf est, en outre, la première du nom arabe du Pôle, Qutb, et elle peut servir à le désigner abréviativement, suivant un procédé dont l’emploi est fréquent.
« La lettre alif présente la forme d’un axe vertical; sa pointe supérieure et les deux extrémités en opposition horizontale de la lettre be forment, selon un schéma dont on pourrait retrouver des équivalents dans divers symboles appartenant à d’autres traditions, les trois angles du triangle initiatique, qui en effet doit être considéré proprement comme un des « signatures » du Pôle. » (p. 111)
La lettre alif est tout spécialement considérée comme « polaire » (qutbâniyah); son nom et le mot Qutb sont numériquement équivalents: alif = 1 + 30 + 80 = 111; Qutb = 100 + 9 + 2 = 111. Ce nombre 111 représente l’unité exprimée dans les trois mondes, ce qui convient parfaitement pour caractériser la fonction même du Pôle.
XVI. Les « têtes noires »
Le nom des Ethiopiens signifie littéralement « visages brûles » (Aithi-ops). Même si l’interprétation simpliste est celle de peuple de race noire, on sait que les anciens donnèrent le même nom d’Ethiopie à des pays très divers.
L’Atlantide elle-même, dit-on, fut aussi appelée Ethiopie.
Les Chinois se désignaient eux-mêmes comme le « peuple noir » (li-min). Cette expression se trouve en particulier dans le Chou-king (règne de l’empereur Chouen, 2317-2208, avant l’ère chrétienne). Au début de la dynastie Tsing (IIIe siècle avant l’ère chrétienne), l’empereur donna à son peuple un autre nom analogue, celui de « têtes noires » (kien-cheou). La même expression peut être trouvée en Chaldée (nishi salmat kakkadi), mille ans au moins avant cette époque.
« Les orientalistes, qui le plus souvent ignorent de parti pris tout symbolisme, veulent expliquer ces termes de “peuple noir” et de “têtes noires” comme désignant le “peuple aux cheveux noirs”; malheureusement, si ce caractère convient en effet aux Chinois, il ne saurait en aucune façon les distinguer des peuples voisins, de sorte que cette explication encore apparaît comme tout à fait insignifiante au fond. » (p. 113)
Certains ont pensé que le « peuple noir » était la masse du peuple, à laquelle la couleur noire aurait été attribuée comme elle l’est dans l’Inde aux Shûdras, avec le même sens d’indistinction et d’anonymat. Mais il semble bien que ce soit en réalité le peuple chinois tout entier qui ait été ainsi désigné, sans aucune différence entre la masse et l’élite.
Les anciens Egyptiens donnaient à leur pays le nom de Kêmi ou « terre noire ».
« [...] il est assurément fort invraisemblable que tant de peuples divers aient adopté, pour eux-mêmes ou pour leur pays, une désignation qui aurait eu un sens péjoratif. » (p. 113)
Dans son sens supérieur, la couleur noire symbolise essentiellement l’état principal de non-manifestation. Dans ce sens il faut comprendre notamment le nom de Krishna, par opposition à celui d’Arjuna qui signifie « blanc », l’un et l’autre représentant respectivement le non-manifesté et le manifesté, l’immortel et le mortel, le « Soi » et le « moi », Paramâtmâ et jîvâtmâ.
Ce n’est pas sans raison le fait que, dans plusieurs de ces cas, la couleur noire est rapportée plus particulièrement aux « faces » ou aux « têtes », terme qui a une signification symbolique, en connexion avec les idées de « sommet » et de « principe ».
« Pour comprendre ce qu’il en est, il faut se souvenir que les peuples dont nous venons de parler sont ceux qui se considéraient comme occupant une situation “centrale”; on connaît notamment, à cet égard, la désignation de la Chine comme le « Royaume du Milieu » (Tchoung-kouo), ainsi que le fait que l’Egypte était assimilée par ses habitants au « Cœur du Monde ». Cette situation “centrale” est d’ailleurs parfaitement justifiée au point de vue sumbolique, car chacune des contrées auxquelles elle était attribuée était effectivement le siège du centre spirituel d’une tradition. » (p. 114)
XVII. La lettre G et le swastika
L’Etoile polaire est appelée Tai-i, c’est-à-dire la « Grande Unité ».
Pour les Fedeli d’Amore, la lettre I représente « le premier nom de Dieu ».
La lettre G est l’initiale du mot God lui-même, a été, dans certains cas tout au moins, regardée comme se substituant au iod hébraïque, symbole du Principe ou de l’Unité, en vertu d’une assimilation phonétique entre God et iod. Quand même, la valeur d’un tel rapprochement est discutable.
Dans un ancien catéchisme du grade de Compagnon, à la question: What does that G denote? il est répondu expressément: Geometry or the Fifth Science (c’est-à-dire la science qui occupe le cinquième rang dans l’énumération traditionnelle des « sept arts libéraux »). Dieu est spécialement désigné dans ce grade comme le « Grand Géomètre de l’Univers » (dans la maçonnerie).
Dans les plus anciens manuscrits connus de la maçonnerie opérative, la « Géométrie » est constamment identifiée à la maçonnerie elle-même.
rabajo Serie Bi N*"Cartilla de trabaerre à branches inégales représente les deux côtés de l’angle droit du triangle rectangle 3-4-5.
« Toutes les considérations que certains ont voulu tirer de la forme de la lettre G (ressemblance avec la forme d’un nœud, avec celle du symbole alchimique du sel, etc.) ont manifestement un caractère tout à fait artificiel et même plutôt fantaisiste; elles n’ont pas le moindre rapport avec les significations reconnues de cette lettre, et elles ne reposent d’ailleurs sur aucune donnée authentique. » (p. 116)
Symboles de la manifestation cyclique
XVIII. Quelques aspects du symbolisme de Janus
On a établi un rapprochement entre Janus et le Christ. Charbonneau Lassay, dans Regnabit, a apporté un curieux document représentant expressément le Christ sous les traits de Janus. « Ce cartouche peint sur une page détachée d’un livre manuscrit d’église, datant du XVe siècle et trouvée à Luchon, et terminant le feuillet du mois de janvier sur le calendrier liminaire de ce livre. Au sommet du médaillon intérieur figure le monogramme IHS surmonté d’un cœur; le reste de ce médaillon est occupé par un buste de Janus Bifrons, avec un visage masculin et un visage féminin, ainsi que cela se voit assez fréquemment; il porte une couronne sur la tête, et tient d’une main un sceptre et de l’autre une clef. » (p. 123)rhrist, comme le Janus antique, porte le sceptre royal auquel il a droit de par son Père du Ciel et de par ses ancêtres d’ici-bas. Son autre main tient la clef des secrets éternels.
Si on rapporte le symbolisme de Janus au temps, il faut remarquer que entre le passé qui n’est plus et l’avenir qui n’est pas encore, le véritable visage de Janus, celui qui regarde le présent est invisible, parce que le présent, dans la manifestation temporelle, n’est qu’un instant insaisissable. Mais, lorsqu’on s’élève au-dessus des conditions de cette manifestation transitoire et contingente, le présent contient au contraire toute réalité. « Le troisième visage de Janus correspond, dans un autre symbolisme, celui de la tradition hindoue, à l’œil frontal de Shiva, invisible aussi, puisqu’il n’est représenté par aucun organe corporel, et qui figure le « sens de l’éternité ». » (p. 125)
Un regard de ce troisième œil réduit tout en cendres, c’est-à-dire qu’il détruit toute manifestation. Lorsque la succession est transmuée en simultanéité, toutes choses demeurent dans l’« éternel présent », de sorte que la destruction apparente n’est véritablement qu’une « transformation », au sens le plus rigoureusement étymolgique de ce mot.
Janus est le « Seigneur de l’Eternité » (comme Shiva dans la doctrine hindoue et le Christ, celui qui domine le passé et l’avenir). Il est évident qu’en tant que « Maître des temps », il n’est pas soumis au temps, qui a en lui son principe.
Le sens du mot latin sæculum est rigoureusement celui de « cycle d’existence ». La même chose est transmise par le mot grec aiôn et par l’hébreu ôlam.
Le sceptre est le symbole du pouvoir royal, et la clef est plus spécialement du pouvoir sacerdotal.
Dans la figuration de Janus, le sceptre est à gauche de la figure, du côté du visage masculin, et la clef à droite, du côté du visage féminin. Suivant le symbolisme employé par la Kabbale hébraïque, à la droite et à la gauche correspondent respectivement deux attributs divins: la Miséricorde (Hesed) et la Justice (Din), qui conviennent aussi manifestement au Christ, et plus spécialement lorsqu’on l’envisage dans son rôle de Juge des vivants et des morts. Les Arabes, faisant une distinction analogue dans les attributs divins et dans les noms qui y correspondent, disent « Beauté » (Djemâl) et « Majesté » (Djelâl).
Janus, le plus fréquemment, porte deux clefs, celles des deux portes solsticiales, Janua Cœli et Janua Inferni.
Suivant Cicéron, le nom de Janus a la même racine que le verbe ire, « aller ». Cette racine se trouve d’ailleurs en sanscrit avec le même sens qu’en latin, et dans cette langue elle a parmi ses dérivés le mot yâna, « voie ». « Je suis la Voie », a dit le Christ.
« [...] on aurait le plus grand tort, lorsqu’il s’agit de symbolisme, de ne pas prendre en considération certaines similitudes verbales, dont les raisons sont souvent très profondes, bien qu’elles échappent malheureusement aux philologues modernes, qui ignorent tout ce qui peut légitimement porter le nom de « science sacrée ». » (p. 127)
La clef d’argent est celle du « Paradis terrestre », et la clef d’or est celle du « Paradis céleste ». Ces mêmes clefs étaient un des attributs du souverain pontificat, auquel la fonction d’« hiérophante » était essentiellement attachée. Les paroles évangéliques relatives au « pouvoir des clefs » sone en parfait accord avec les traditions antiques, toutes isues de la grande tradition primordiale.
Janus est le « Maître des deux voies » auxquelles donnent accès les deux portes solsticiales, ces deux voies de droite et de gauche que les pythagoriciens représentaient par la lettre Y, et que figurait aussi, sous une forme exotérique, le mythe d’Hercule entre la vertu et le vice.
Dans la tradition hindoue, Ganêsha, également le « Maître des deux voies », a de nombreux points de contact avec Janus.
XIX. L’hiéroglyphe du Cancer
« [...] il faut se souvenir que, en vertu de l’analogie de chacune des parties de l’Univers avec le tout, il y a correspondance entre les lois de tous les cycles, de quelque ordre qu’ils soient, de telle sorte que le cycle annuel, par exemple, pourra être pris comme une image réduite, et par conséquent plus accessible, des grands cycles cosmiques (et une expression comme celle de « grande année » l’indique assez nettement), et comme un abrégé, si l’on peut dire, du processus même de la manifestation universelle; c’est d’ailleurs là ce qui donne à l’astrologie toute sa signification en tant que science proprement « cosmologique ». » (p. 130)
Les deux points d’arrêt de la marche solaire (les deux portes solsticiales) doivent correspondre aux deux termes extrêmes de la manifestation. Par rapport à un cycle de manifestation individuelle, les deux portes solsticialessont désignées comme la « porte des hommes » et la « porte des dieux ». La « porte des hommes », correspondent au solstice d’été et au signe zodiacal du Cancer, c’est l’entrée dans la manifestation individuelle. La « porte des dieux », correspondant au solstice d’hiver et au signe zodiacal du Capricorne, c’est la sortie de cette manifestation et le passage aux états supérieurs, puisque les « dieux », de même que les « anges » suivant une autre terminologie, représentent proprement les états supra-individuels de l’être.
Le signe du Cancer correspond au « fond des Eaux », au milieu embryogénique dans lequel sont déposés les germes du monde manifesté. Ce même signe du Cancer est le domicile de la Lune, dont la relation avec les Eaux est bien connue, et qui représente le principe passif et plastique de la manifestation: la sphère lunaire est le « monde de la formation », ou le domaine de l’élaboration des formes dans l’état subtile.
Dans le symbole astrologique du Cancer, on voit le germe à l’état de demi-développement qui est précisément l’état subtil. Sa figure est celle de l’u sanskrit, élément de spirale qui, dans l’akshara ou le monosyllabe sacré Om, constitue le terme intermédiaire entre le point (m), représentant la non-manifestation principielle, et la ligne droite (a), représentant le complet développement de la manifestation dans l’état grossier ou corporel.
Le symbole astrologique du Cancer rappelle le yang et le yin de la tradition extrême-orientale. Le côté lumineux (yang) et le côté obscur (yin) sont les deux moitiés de l’« Œuf du Monde », assimilées respectivement au Ciel et à la Terre.
Sa forme est aussi le schéma de la conque (shankha), qui est évidemment en relation directe avec les Eaux, et qui est également représentée comme contenant les germes du cycle futur pendant les périodes de pralaya ou de « dissolution extérieure » du monde. De ces deux positions de la conque, qui se retrouvent dans les deux moitiés du symbole du Cancer, la première correspond à la figure de l’arche de Noé (ou de Satyavrata dans la tradition hindoue), qu’on peut représenter comme la moitié inférieure d’une circonférence, fermée par son diamètre horizontal, et contenant à son intérieur le point en lequel se synthétisent tous les germes à l’état de complet enveloppement. La seconde position est symbolisée par l’arc-en-ciel, apparaissant « dans la nuée », dans la région des Eaux supérieures, au moment qui marque le rétablissement de l’ordre et la rénovation de toutes choses.
« [...] il y a dans l’astrologie traditionnelle tout autre chose qu’un « art divinatoire » ou une « science conjecturale » comme le pensent les modernes. Il y a là, en réalité, tout ce qui se retrouve, sous des expressions diverses, dans d’autres sciences du même ordre [...]. » (p. 134)
XX. Sheth
Exergue: Kâna el-insânu hayyatan fil-qidam. (L’homme fut serpent autrefois.)
Namar (en hébreu), comme nimr (en arabe), est l’« animal tacheté », nom commun au tigre, à la panthère et au léopard. Au sens le plus extérieur, ces animaux représentent bien le « chasseur » que fut Nimrod d’après la Bible.
Le tigre, tout comme l’ours, est un symbole du Kshatriya. La fondation de Ninive et de l’empire assyrien par Nimrod semble être effectivement le fait d’une révolte des Kshatriyas contre l’autorité de la caste sacerdotale chaldéenne. De là l’épithète de « nemrodien » appliqué au pouvoir temporel qui s’affirme indépendant de l’autorité spirituelle.
Le tigre et les autres animaux similaires sont des emblèmes du Set égyptien, frère et meurtrier d’Orisis, auquel les Grecs donnèrent le nom de Typhon.
« [...] l’on peut dire que l’esprit « nemrodien » procède du principe ténébreux désigné par le nom de Set, snas pour cela prétendre que celui-ci ne fait qu’un avec Nemrod lui-même [...] » (p 136)
Il y a une signification maléfique du nom de Set ou de Sheth, qui d’autre part, en tant qu’il désigne le fils d’Adam, loin de signifier la destruction, évoque au contraire l’idée de stabilité et de restauration de l’ordre.
Le mot Sheth a réellement en hébreu les deux sens contraires, celui de « fondement » et celui de « tumulte » et de « ruine ». Les linguistes veulent voir là deux mots distincts, provenant de deux racines verbales différentes, shith pour le premier et shath pour le second.
Note en bas de page: « Il est assez remarquable que le nom grec Typhon soit anagrammatiquement formé des mes éléments que Python. » (p. 136)
Si le tigre ou le léopard est un symbole du Set égyptien, le serpent en est un autre. Il ne faut pas oublier que le serpent a aussi un aspect bénéfique (même dans l’iconographie chrétienne, le serpent est parfois un symbole du Christ). Le Sheth biblique est souvent une « préfiguration » du Christ.
« On peut dire que les deux Sheth ne sont pas autre chose, au fond, que les deux serpents du caducée hermétique: c’est, si l’on veut, la vie et la mort, produites l’une et l’autre par un pouvoir unique en son essence, mais double dans sa manifestation. » (p. 137)
L’« amphisbène » est un serpent à deux têtes, dont l’une représente le Christ et l’autre Satan.
Note en bas de page: « Il est assez curieux que le nom de Sheth, ramené à ses éléments essentiels ST dans l’alphabet latin (qui n’est qu’une forme de l’alphabet phénicien) donne la figure du « serpent d’airain ». A propos de ce dernier, signalons que c’est en réalité le même mot qui en hébreu signifie « serpent » (nahash) et « airain » ou « cuivre » (nehash); on trouve en arabe un autre rapprochement non moins étrange: nahas (calamité), et nahâs (cuivre). » (p. 137)
Le symbolisme du serpent est lié, avant tout, à l’idée même de vie: en arabe, le serpent est el-hayyah, et la vie el-hayâh (hébreu hayah, à la fois « vie » et « animal », de la racine hayi qui est commune aux deux langues). Eve est en hébreu Hawâ, « la vivante ».
Dans le symbolisme chinois, Fo-hi et sa sœur Niu-Koua, qui sont dits avoir régné ensemble, formant un couple fraternel comme on en trouve également dans l’ancienne Egypte, sont parfois représentés avec un corps de serpent et une tête humaine.
Le serpent a eu, à des époques sans doute fort reculées, une importance qu’on ne souçonne plus aujourd’hui.
Le nombre 666 n’a pas pas une signification exclusivement maléfique. S’il est le « nombre de la Bête », il est tout d’abord un nombre solaire, et celui d’Hakathriel ou l’« Ange de la Couronne ».
« En tout cas, un des aspects les plus ténébreux des mystères « typhoniens » était le culte du « dieu à la tête d’âne », auquel on sait que les premiers chrétiens furent parfois accusés faussement de se rattacher; nous avons quelques raisons de penser que, sous une forme ou sous une autre, il s’est continué jusqu’à nos jours, et certains affirment même qu’il doit durer jusqu’à la fin du cycle actuel. » (p. 139)
Sur la fin d’une civilisation: « au déclin d’une civilisation, c’est le côté le plus inférieur de sa tradition qui persiste le plus longtemps, le côté « magique » particulièrement, qui contribue d’ailleurs, par les déviations auxquelles il donne lieu, à achever sa ruine; c’est ce qui se serait passé, dit-on, pour l’Atlantide. C’est là aussi la seule chose dont les débris ont survécu pour les civilisations qui ont entièrement disparu; la constatation est facile à faire pour l’Egypte, pour la Chaldée, pour le druidisme même; et sans doute le « fétichisme » des peuples nègres a-t-il une semblable origine. On pourrait dire que la sorcellerie est faite des vestiges des civilisations mortes; est-ce pour cela que le serpent, aux époques les plus récentes, n’a presque plus gardé que sa signification maléfique, et que le dragon, antique symbole extrême-oriental du Verbe, n’éveille plus que des idées « diaboliques » dans l’esprit des modernes Occidentaux? » (p. 139)
XXI. Sur la signification des fêtes « carnavalesques »
La fête carnavalesque dégage avant tout une impression de « désordre » au sens le plus complet de ce mot. Il y a apparemment une incompatibilité entre elle et les civilisations traditionnelles.
La « fête de l’âne »: cet animal, dont le symbolisme proprement « satanique » est bien connu dans toutes les traditions, était introduit jusque dans le cœur de l’église, où il occupait la place d’honneur.
La « fête des fous »: le bas clergé se livrait aux pires inconvenances, parodiant à la fois la hiérarchie ecclésiastique et la liturgie elle-même.
Note en bas de page: « Ce serait une erreur que de vouloir opposer à ceci le rôle joué par l’âne dans la tradition évangélique, car, en réalité, le bœuf et l’âne, placés de part et d’autre de la crèche à la naissance du Christ, symbolisant respectivement l’ensemble des forces bénéfiques et celui des forces maléfiques; ils se retrouvent d’ailleurs, à la crucifixion, sous la forme du bon et du mauvais larron. D’autre part, le Christ monté sur un âne, à son entrée à Jérusalem, représente le triomphe sur les forces maléfiques, triomphe dont la réalisation constitue proprement la « rédemption ». » (p. 140-141)
Il faut mentionner aussi les saturnales des anciens Romains, dont le carnaval moderne paraît d’ailleurs être dérivé directement: pendant ces fêtes, les esclaves commandaient aux maîtres et ceux-ci les servaient. Tout se faisait au rebours de l’ordre normal. Il ne s’agit nullement d’un rappel de l’« âge d’or », mais d’un renversement des rapports hiérarchiques, un des caractères les plus nets du « satanisme ». « Il faut donc y voir bien plutôt quelque chose qui se rapporte à l’aspect « sinistre » de Saturne, aspect qui ne lui appartient certes pas en tant que dieu de l’« âge d’or », mais au contraire en tant qu’il n’est plus actuellement que le dieu déchu d’une période révolue. » (p. 141)
Explication concernant les fêtes carnavalesques: « On voit par ces exemples qu’il y a invariablement, dans les fêtes de ce genre, un élément « sinistre », et ce qui est tout particulièrement à noter, c’est que c’est précisément cet élément même qui plaît au vulgaire et excite sa gaieté: c’est là, en effet, quelque chose qui est très propre, et plus même que quoi que ce soit d’autres, à donner satisfaction aux tendances de l’« homme déchu », en tant que ces tendances le poussent à développer surtout les possibilies les plus inférieures de son être. Or, c’est justement en cela que réside la véritable raison d’être des fêtes en question: il s’agit en somme de « canaliser » en quelque sorte ces tendances et de les rendre aussi inoffensives qu’il se peut, en leur donnant l’occasion de se manifester, mais seulement pendant des périodes très brèves et dans des circonstances bien déterminées, et en assignant ainsi à cette manifestation des limites étroites qu’il ne lui est pas permis de dépasser. S’il n’en était pas ainsi, ces mêmes tendances, faute de recevoir le minimum de satisfaction exigé par l’état actuel de l’humanité, risqueraient de faire explosion, si l’on peut dire, et d’étendre leurs effets à l’existence tout entière, collectivement aussi bien qu’individuellement, causant un désordre bien autrement grave que celui qui se produit seulement pendant quelques jours spécialement réservées à cette fin, et qui est d’ailleurs d’autant moins redoutable qu’il se trouve comme « régularisé » par là même, car, d’un côté, ces jours sont comme mis en dehors du cours normal des choses, de façon à n’exercer sur celui-ci aucune influence appréciable, et cependant, d’un autre côté, le fait qu’il n’y a là rien d’imprévu « normalise » en quelque sorte le désordre lui-même et l’intègre dans l’ordre total. » (p. 142)
A la fin du moyen âge, lorsque les fêtes grotesques furent supprimées ou tombèrent en désuétude, il se produisit une expansion de la sorcellerie sans aucune proportion avec ce qu’on avait vu dans les siècles précédents.
Les masques de carnaval sont généralement hideux et évoquent le plus souvent des formes animales ou démoniaques, de sorte qu’ils sont conne une sorte de « matérialisation » figurative de ces tendances inférieures, même « infernales », auxquelles ils est permis de s’extérioriser. Le masque, qui est censé cacher le véritable visage de l’individu, fait au contraire apparaître aux yeux de tous ce que celui-ci porte réellement en lui-même, mais qu’il doit habituellement dissimuler. Il s’agit d’un « retournement » des possibilités inférieures de l’être.
« Pour terminer cet aperçu, nous ajouterons que, si les fêtes de cette sorte vont en s’amoindrissant de plus en plus et ne semblent même plus éveiller qu’à peine l’intérêt de la foule, c’est que, dans une époque comme la nôtre, elles ont véritablement perdu leur raison d’être: comment, en effet, pourrait-il être encore question de « circonscrire » le désordre et de l’enfermer dans des limites rigoureusement définies, alors qu’il est répandu partout et se manifeste constamment dans tous les domaines où s’exerce l’activité humaine? Ainsi, la disparition presque complète de ces fêtes, dont on pourrait, si l’on s’en tenait aux apparences extérieures et à un point de vue simplement « esthétique », être tenté de se féliciter en raison de l’aspect de « laideur » qu’elles revêtent inévitablement, cette disparition, disons-nous, constitue au contraire, quand on va au fond des choses, un symptôme fort peut rassurant, puisqu’elle témoigne que le désorder a fait irruption dans tout le cours de l’existence et c’est généralisé à un tel point que nous vivons en réalité, pourrait-on dire, dans un sinistre « carnaval perpétuel ». » (p. 143-144)
XXII. Quelques aspects du symbolisme du poisson
La provenance du symbole du poisson est nordique, voire hyperboréenne.
Dans l’Inde, la manifestation sous la forme du poisson (Matsya avatâra) est regardée comme la première de toutes les manifestations de Vishnu. Elle est en relation immédiate avec le point de départ de la Tradition primordiale. Vishnu est le Principe divin envisagé sous son aspect de conservateur du monde, donc « Sauveur » dans un cas particulier. L’idée de « Sauveur » est attachée au symbolisme chrétien du poisson, puisque la dernière lettre de l’Ichtus grec s’interprète comme l’initiale de Sôter.
Note en bas de page: « Signalons aussi, à ce propos, que la dernière manifestation, le Kalkin-avatâra, « Celui qui est monté sur le cheval blanc », et qui doit venir à la fin de ce cycle, est décrite dans les Purânas en des termes rigoureusement identiques à ceux qui se trouvent dans l’Apocalypse, où ils sont rapportés à la « seconde venue » du Christ. » (p. 146)
Satyavrata, le nom du Manu du cycle actuel, signifie littéralement « voué à la Vérité »; et cette idée de « Vérité » se retrouve dans la désignation du Satya-Yuga, le premier des quatre âges en lesquels se divise le Manvantara. On peut aussi remarquer la similitude du mot Satya avec le nom de Saturne, considéré dans l’antiquité occidentale comme le régent de l’« âge d’or ». Dans la tradition hindoue, la sphère de Saturne est appelée Satya-Loka.
Après le cataclysme, au début même du présent Manvantara, Matsya-avatâra apporte aux hommes le Véda (mot dérivé de la racine vid, « savoir »), comme la Science par excellence ou la Connaissance sacrée dans son intégralité: c’est là une allusion des plus nettes à la Révélation primordiale, ou à l’origine « non humaine » de la Tradition. Il est dit que le Véda subsiste perpetuellement, mais il est en quelque sorte caché ou enveloppé pendant les cataclysmes cosmiques qui séparent les différents cycles. L’affirmation de la perpétuité du Vêda est en relation directe avec la théorie cosmologique de la primordialité du son parmi les qualités sensibles. Et cette théorie n’est pas autre chose que celle que d’autres traditions expriment en parlant de la création par le Verbe. Le son primordial, c’est cette Parole divine par laquelle, suivant le premier chapitre de la Genèse hébraïque, toutes choses ont été faites. C’est pourquoi il est dit que les Richis ou les Sages des premiers âges ont « entendu » le Vêda: la Révélation, étant une œuvre du Verbe comme la création elle-même, est proprement une « audition » pour celui qui la reçoit; et le terme qui la désigne est celui de Shruti, qui signifie littéralement « ce qui est entendu ».
Note en bas de page: « Il est intéressant de noter [...] que la tête de poisson, qui formait la coiffure des prêtres d’Oannès, est aussi la mitre des évêques chrétiens. » (p. 148)
Il semble que le symbolisme d’Oannès ou de Dagon n’est pas seulement celui du poisson en général, mais doit être rapproché plus spécialement de celui du dauphin. Celui-ci, chez les Grecs, était lié au culte l’Apollon et avait donné son nom à Delphes.
L’Ea babylonien, le « Seigneur de l’Abîme », représente un être moitié chèvre et moitié poisson.
XXIII. Les mystères de la lettre Nûn
La lettre nûn, dans l’alphabet arabe comme dans l’alphabet hébraïque, a pour rang 14 et pour valeur numérique 50. Dans l’alphabet arabe elle occupe une place remarquable: elle termine la première moitié de cet alphabet. Quant à la correspondance symbolique, cette lettre représente El-Hût, la baleine. Le sens originel du mot nûn est celui de « poisson ». Seyidnâ Yûnus (le prophète Jonas) est appelé Dhûn-Nûn.
La baleine (dans la tradition judaïque), au lieu de jouer seulement le rôle du poisson conducteur de l’arche (dans la tradition hindoue), s’identifie en réalité à l’arche elle-même. En effet, Jonas demeure enfermé dans le corps de la baleine, comme Satyavrata et Noé dans l’arche, pendant une période qui est aussi pour lui, sinon pour le monde extérieur, une période d’« obscuration », correspondant à l’intervalle entre deux états ou deux modalités d’existence. La sortie de Jonas du sein de la baleine a toujours été regardée comme un symbole de résurrection.
« C’est ce qu’indique très nettement la forme de la lettre arabe nûn: cette lettre est constituée par la moitié inférieure d’une circonférence, et par un point qui est le centre de cette même circonférence. Or, la demi-circonférence inférieure est aussi la figure de l’arche flottant sur les eaux, et le point qui se trouve à son intérieur représente le germe qui y est contenu et enveloppé; la position centrale de ce point montre d’ailleurs qu’il s’agit en réalité du « germe d’immortalité », du « noyau » indestructible qui échappe à toutes les dissolutions extérieures. On peut remarquer aussi que la demi-circonférence, avec sa convexité tournée vers le bas, est un des équivalents schématiques de la coupe; comme celle-ci, elle a donc, en quelque sorte, le sens d’une « matrice » dans laquelle est enfermé ce germe non encore développé, et qui [...] s’identifie à la moitié inférieure ou « terrestre » de l’« Œuf du Monde ». » (p. 152-153)
El-Hût est la figure de toute individualité, en tant que celle-ci porte le « germe d’immortalité » en son centre, qui est représenté symboliquement comme le cœur.
« Le nûn, dans l’alphabet, suit immédiatement le mîm, qui a parmi ses principales significations celle de la mort (el-mawt), et dont la forme représente l’être complètement replié sur lui-même, réduit en quelque sorte à une pure virtualité, à quoi correspond rituellement l’attitude de prosternation; mais cette virtualité, qui peut sembler un anéantissement transitoire, devient aussitôt, par la contration de toutes les possibilités essentielles de l’être en un point unique et indestructible, le germe même d’où sortiront tous ses développements dans les êtats supérieurs. » (p. 153)
« [...] l’accomplissement du cycle, tel que nous l’avons envisagé, doit avoir une certaine corrélation, dans l’ordre historique, avec la rencontre des deux formes traditionnelles qui correspondent à son commencement et à sa fin, et qui ont respectivement pour langues sacrées le sanscrit et l’arabe: la tradition hindoue, en tant qu’elle représente l’héritage le plus direct de la Tradition primordiale, et la tradition islamique, en tant que « sceau de la Prophétie » et, par conséquent, forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle actuel. » (p. 155)
XXIV. Le Sanglier et l’Ourse
Chez les Celtes, le sanglier et l’ours symbolisaient respectivement les représentants de l’autorité spirituelle et ceux du pouvoir temporel. L’origine de ce symbolisme est nettement hyperboréenne.
La tradition celtique pourrait être regardée comme constituant un des « points de jonction » de la tradition atlante avec la tradition hyperboréenne.
Dans la tradition hindoue, le sanglier (varâha) est le troisième des dix avatâras de Vishnu dans le Manvantara actuel. Notre Kalpa y est désigné comme Shwêta-varâha-Kalpa, le « cycle du sanglier alb ». La « terre sacrée » polaire, siège du centre spirituel primordial de ce Manvantara, est appelée aussi Vârâhi ou la « terre du sanglier ».
Les druides se désignaient eux-mêmes comme des « sangliers ».
La racine var, pour le nom du sanglier, se retrouve dans les langues nordiques sous la forme bor, de là l’anglais boar, et aussi l’allemand Eber. L’exact équivalent de Vârâhî est donc « Borée ».
La racine var ou vri, en sanscrit, a les sens de « couvrir », de « protéger » et de « cacher », comme le montrent le nom de Varuna et son équivalent grec Ouranos, elle sert à désigner le ciel, tant parce qu’il couvre la terre que parce qu’il représente les mondes supérieurs, cachés aux sens. Or, ceci s’applique parfaitement aux centres spirituels, soit parce qu’ils sont cachés aux yeux des profanes, soit parce qu’ils sont, sur la terre, comme des images du monde céleste lui-même.
Le sanglier représentait anciennement la constellation qui est devenue la Grande Ourse. Dans la tradition hindoue, le nom le plus habituel de la Grande Ourse est sapta-riksha. Le mot sanscrit riksha est le nom de l’ours. Riksha est aussi, d’une façon générale, une étoile, une « lumière ».
Dans une certaine période, le nom de sapta-riksha fut appliqué, non plus à la Grande Ourse, mais aux Pléiades, qui comprennent également sept étoiles. Ce transfert d’une constellation polaire à une constellation zodiacale correspond à un passage du symbolisme solsticial au symbolisme équinoxial, impliquant un changement dans le point de départ du cycle annuel, ainsi que dans l’ordre de prédominance des points cardinaux qui sont en relation avec les différentes phases de ce cycle. Ce changement est ici celui du nord à l’ouest, qui se réfère à la période atlante. Et ceci se trouve confirmé par le fait que, pour les Grecs, les Pléiades étaient filles d’Atlas, et appelées aussi Atlantides.
Sur les transferts de noms dans les cultures traditionnelles: « Les transferts de ce genre sont d’ailleurs souvent la cause de multiples confusions, les mêmes noms ayant reçu, suivant les périodes, des applications différentes, et cela aussi bien pour les régions terrestres que pour les constellations célestes, de sorte qu’il n’est pas toujours facile de déterminer à quoi elles se rapportent exactement dans chaque cas; et que même cela n’est réellement possible qu’à la condition de rattacher leurs diverses « localisations » aux caractères propres des formes traditionnelles correspondantes, [...]. » (p. 160)
Chez les Grecs, la révolte des Kshatriyas était figurée par la chasse du sanglier de Calydon.
« Le fait que l’ours est souvent pris symboliquement sous son aspect féminin, comme nous venons de le voir à propos d’Atalante, et comme on le voit aussi par les dénominations des constellations de la Grande Ourse et de la Petite Ourse, n’est pas sans signification non plus quant à son attribution à la caste guerrière, détentrice du pouvoir temporel, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, cette caste a normalement un rôle « réceptif », c’est-à-dire féminin, vis-à-vis de la caste sacerdotale puisque c’est de celle-ci qu’elle reçoit, non seulement l’enseignement de la doctrine traditionnelle, mais aussi la légitimation de son propre pouvoir, en laquelle consiste strictement le « droit divin ». Ensuite, lorsque cette même caste guerrière, renversant les rapports normaux de subordination, prétend à la suprématie, sa prédominance est généralement accompagnée de celle des éléments féminins dans le symbolisme de la forme traditionnelle modifiée par elle, et parfois même aussi, comme conséquence de cette modification, de l’institution d’une forme féminine de sacerdoce, comme le fut celle des druidesses chez les Celtes. » (p. 161)
Dans la légende de Merlin et d’Arthur, le symbole du sanglier et de l’ours apparaissent dans un état normal et harmonieux. Merlin, le druide, est encore le sanglier de la forêt de Brocéliande, où il n’est pas tué, mais endormi par une puissance féminine. Le roi Arthur porte un nom dérivé de celui de l’ours, arth.
Quelques armes symboliques
XXV. Les pierres de foudre
Il est certain que le rôle symbolique des aérolithes ou pierres tombées du ciel est fort important, car ce sont là les « pierres noires » dont il est question dans tant de traditions diverses. Ces « pierres noires » peuvent être rangées dans la catégorie des « bétyles », c’est-à-dire des pierres considérées comme « demeures divines », ou, comme supports de certaines « influences spirituelles ».
Le « bétyle » est la représentation de l’Omphalos, un symbole du « Centre du Monde », qui s’identifie tout naturellement à l’« habitacle divin ». Cette pierre pouvait avoir des formes diverses: celle d’un pilier, conique (comme la « pierre noire » de Cybèle), ovoïde (qui se rapporte directement au symbole de l’« Œuf du Monde »). Le « bétyle » était une « pierre prophétique », une « pierre qui parle ».
« Les « bétyles » sont donc essentiellement des pierres sacrées, mais qui n’étaient pas toutes d’origine céleste; cependant, il est peut-être vrai que, symboliquement tout au moins, l’idée de « pierre tombée du ciel » pouvait y être attachée d’une certaine façon. Ce qui nous fait penser qu’il a dû en être ainsi, c’est leur rapport avec le mystérieux luz de la tradition hébraïque; ce rapport est certain pour les « pierres noires », qui sont effectivement des aérolithes, mais il ne doit pas être limité à ce seul cas, puisqu’il est dit dans la Genèse, à propos du Beith-el de Jacob, que le premier nom de ce lieu est précisément Luz. » (p. 166)
Il ne faut pas confondre les « bétyles » avec les « pierres de foudre ». Les dernières n’ont rien en commun avec le tonnerre. Les « pierres de foudre » sont des pierres qui symbolisent la foudre. Elles ne sont pas autre chose que les haches de silex préhistoriques.
La hache de pierre de Parashu-Râma et le marteau de pierre de Thor sont bien une seule et même arme.
Le vajra (foudre) symbolise le principe masculin de la manifestation universelle, et ainsi la foudre est associée à l’idée de la « paternité divine », association qui se retrouve nettement dans l’antiquité occidentale, puisque le foudre y est le principal attribut de Zeus Pater ou Ju-piter, le « père des dieux et des hommes ».
« [...] le symbole demeure, mais, quand l’« esprit » s’est retiré, il n’est plus qu’une forme vide; faut-il conserver malgré tout l’espoir qu’un jour viendra où cette forme sera revivifiée, où elle répondra de nouveau à la réalité qui est sa raison d’être originelle et qui seule lui confère le véritable caractère initiatique? » (p. 169)
XXVI. Les armes symboliques
La lance est un symbole complémentaire de la coupe, et une des nombreuses figures de l’« Axe du Monde ». La lance, ainsi bien que l’épée et la flèche, sont parfois assimilés au rayon solaire.
« Il est bien entendu que les deux symbolismes polaire et solaire ne doivent jamais être confondus, et que [...] le premier a un caractère plus fondamental et réellement « primordial »: mais il n’en est pas moins vrai que ce qu’on pourrait appeler les « transferts » de l’un à l’autre constitue un fait fréquent, et qui n’est pas sans avoir des raisons que nous chercherons peut-être à expliquer plus nettement en quelque autre occasion. » (p. 170)
La flèche d’Apollon tue le serpent Python, tout comme dans la tradition védique Indra tue Ahi ou Vitra, similaire de Python, avec le vajra qui représente la foudre.
Les armes qui représentent l’« Axe du Monde » sont très souvent, soit à double tranchant, soit à deux pointes opposées. Ce dernier cas, qui est celui du vajra, doit manifestement être rapporté à la dualité des pôles, considérés comme les deux extrémités de l’axe. Quant aux armes à double tranchant, la dualité y est représentée dans le sens même de l’axe, et il faut y voir une allusion plus directe aux deux courants que représentent les deux serpents s’enroulant autour du bâton ou du caduée. « Au fond, il s’agit toujours là d’une force double, d’essence unique en elle-même, mais d’effets apparemment opposés dans sa manifestation, par suite de la « polarisation » qui conditionne celle-ci, comme elle conditionne d’ailleurs, à des niveaux différents, tous les degrés et tous les modes de la manifestation universelle. » (p. 171)
Les Scythes représentaient la Divinité par une épée plantée en terre au sommet d’un tertre, celui-ci étant l’image réduite de la montagne.
La hâche à double tranchant est un symbole de la foudre, donc un strict équivalent du vajra.
Le vajra, outre le sens de « foudre », a ausi celui de « diamant », qui évoque immédiatement les idées d’indivisibilité, d’inaltérabilité et d’immutabilité. Platon décrit précisément l’« Axe du Monde » comme un axe lumineux de diamant. Le symbolisme boudhique du « trône de diamant », situé au pied de l’« Arbre de la Sagesse » et au centre même de la « roue du Monde », c’est-à-dire au point unique qui demeure toujours immobile, n’est pas moins significatif.
La foudre est la force qui produit toutes les « condensations » et les « dissipations », que la tradition extrême-orientale rapporte à l’action alternée des deux principes complémentaires yin et yang, et qui correspond également aux deux phases de l’« expir » et de l’« aspir » universels.
XXVII. Sayful-Islam
Sur la guerre: « On a coutume, dans le monde occidental, de considérer l’islamisme comme une tradition essentiellement guerrière et, par suite, lorsqu’il y est question notamment du sabre ou de l’épée (es-sayf), de prendre ce mot uniquement dans son sens le plus littéral, sans même penser jamais à se demander s’il n’y a pas là en réalité quelque chose d’autre. Il n’est d’ailleurs pas contestable qu’un certain côté guerrier existe dans l’islamisme, et aussi que, loin de constituer un caractère particulier à celui-ci, il se retrouve tout aussi bien dans la plupart des autres traditions, y compris le christianisme. Sans même rappeler que le Christ lui-même a dit: « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée », ce qui peut en somme s’entendre figurarivement, l’histoire de la Chrétienté au moyen âge, c’est-à-dire à l’époque où elle eut sa réalisation effective dans les institutions sociales, en fournit des preuves largement suffisantes; et, d’autre part, la tradition hindoue elle-même, qui certes ne saurait passer pour spécialement guerrière, puisqu’on tend plutôt en général à lui reprocher de n’accorder que peu de place à l’action, contient pourtant aussi cet aspect, comme on peut s’en rendre compte en lisant la Bhagavadgîta. » (p. 175)
Au point de vue traditionnel, ce qui donne à la guerre toute sa valeur, c’est qu’elle symbolise la lutte que l’homme doit mener contre les ennemis qu’il porte en lui-même. La guerre doit toujours tendre à établir l’équilibre et l’harmonie, et c’est pourquoi elle se rapporte proprement à la « justice ». Son aboutissement normal c’est la paix (es-salâm), laquelle ne peut être obtenue que par la soumission à la volonté divine (el-islâm). Dans la langue arabe, ces deux termes, el-islâm et es-salâm, sont étroitement apparentés l’un à l’autre.
Pendant la prédication, le khatîb, dont la fontion n’a manifestement rien de guerrier au sens ordinaire de ce mot, tient en main une épée, et celle-ci, en pareil cas, ne peut être autre chose qu’un symbole.
L’épée est assez généralement assimilée à l’éclair ou regardée comme dérivée de celui-ci. Elle symbolise le pouvoir de la parole.
« [...] il doit être bien entendu que tout véritable symbole renferme toujours une pluralité de sens, qui, bien loin de s’exclure ou de se contredire, s’harmonisent au contraire et se complètent les uns les autres. » (p. 177)
XXVIII. Le symbolisme des cornes
Le nom celtique de Belen est identique à Ablun ou Aplun, devenu chez les Grecs Apollon.
Le nom de Karneios, ainsi que celui de Kronos, nt la même racine KRN, qui exprime essentiellement les idées de « puissance » et d’« élévation ».
Pour les pythagoriciens, Kronos et Rhéa représentaient respectivement le Ciel et la Terre.
Sur Saturne: « On ne doit d’ailleurs pas regarder Saturne comme étant uniquement, ni même en premier lieu, une puissance maléfique, comme on semble avoir tendance à le faire parfois, car il ne faut pas oublier qu’il est avant tout le régent de l’« âge d’or », c’est-à-dire du Satya-Yuga ou de la première phase du Manvantara, qui coïncide précisément avec la période hyperboréenne, ce qui montre bien que ce n’est pas sans raison que Kronos est identifié au dieu des hyperboréens. Il est d’ailleurs vraisemblable que l’aspect maléfique résulte ici de la disparition même de ce monde hyperboréen; c’est en vertu d’un « retournement » analogue que toute « Terre des Dieux », siège d’un centre spirituel, devient une « Terre des Morts » lorsque ce centre a disparu. » (p. 180)
En grec, la forme même du nom d’Apollon est très proche de celle d’Apollyon, le « destructeur ».
Karneios est le dieu du Karn, c’est-à-dire du « haut lieu » symbolisant la Montagne sacrée du Pôle. Il y avait à Délos, outre la pierre cubique nommée Omphalos, un autre autel appelé Keraton, qui était entièrement formé de cornes de bœufs et de chèvres solidement assemblées. Ceci se rapporte directement à Karneios, dont la relation symbolique avec les bêtes à cornes a laissé des traces jusqu’à nos jours.
Le mot « corne » se rattache manifestement à la racine KRN, aussi bien que celui de « couronne ». Les deux mots (cornu et corona en latin) sont très proches l’un de l’autre. Le mot grec Keraunos, qui désigne la foudre, semble bien être dérivé de la même racine. Dans la tradition judaique, Kether ou la « Couronne » occupe le sommet de l’arbre séphirotique.
Note en bas de page: « On peut en trouver un exemple particulièrement frappant dans les représentations de Moïse, car on sait que les apparences de cornes qu’il porte à son front ne sont pas autre chose que des rayons lumineux. Certains, parmi lesquels Huet, évéque d’Avranches, ont voulu identifier Moïse avec Dionysos, qui est également figuré avec des cornes [...]. » (p. 182)
Dans l’Apocalypse, les cornes ne représentent plus les puissances légitimes, mais toute puissance quelconque, maléfique aussi bien que bénéfique: il y a les cornes de l’Agneau, mais aussi celles de la Bête.
Dans la tradition arabe, Alexandre est désigné sous le nom de El-Iskandar dhûl-qarnein, c’est-à-dire « aux deux cornes ». Ceci est interprété le plus souvent comme une double puissance, s’étendant sur l’Orient et sur l’Occident. Alexandre, ayant été déclaré fils d’Ammon, prit pour l’emblème les deux cornes de bélier qui étaient l’attribut de celui-ci.
Chez les Assyro-Babyloniens, la tiare à cornes étaient un attribut caractéristique des divinités.
Les cornes de bélier sont « solaires », tandis que les cornes de taureau sont « lunaires ».
Beaucoup de plantes qui jouent un rôle symbolique important sont des plantes épineuses. Les épines, comme les autres pointes, évoquent l’idée d’un sommet ou d’une élévation, et elles peuvent être prises pour figurer des rayons lumineux.
Symbolisme de la forme cosmique
XXIV. La Caverne et le Labyrinthe
Le labyrinthe et la caverne ont une étroite relation, rattachés l’un et l’autre à la même idée de voyage souterrain. Celui-ci est presque toujours suivi d’un voyage à l’air libre, que beaucoup de traditions représentent comme une navigation. Il s’agit de phases diverses traversées par l’être au cours d’une migration qui est bien véritablement « d’outre-tombe », et qui ne concerne en rien le corps qu’il a laissé derrière lui en quittant la vie terrestre.
On ne peut voir qu’une préparation à l’initiation, et rien de plus, dans la mort au monde profane, suivie de la « descente aux Enfers » qui est la même chose que le voyage dans le monde souterrain auquel la caverne donne accès. L’initiation est une « seconde naissance », un passage des ténèbres à la lumière.
« [...] mort et naissance ne sont en somme que les deux faces d’un même changement d’état, et [...] le passage d’un état à un autre est toujours regardé comme devant s’effectuer dans l’obscurité [...] » (p. 189)
La caverne initiatique est donnée avant tout comme une image du monde. Dès lors qu’il en est ainsi, cette caverne doit former un tout complet et contenir en elle-même la représentation du ciel aussi bien que celle de la terre. Bien loin d’être un lieu ténébreux, la caverne initiatique est éclairée intérieurement, si bien que c'est au contraire au-dehors d’elle que règne l’obscurité, le monde profane étant naturellement assimilé aux « ténèbres extérieures », et la « seconde naissance » étant en même temps une « illumination ».
Le symbole de la caverne est complémentaire de celui de la montagne. Un rapport étroit réunit le symbolisme de la caverne à celui du cœur.
Le labyrinthe a une double raison d’être, en ce sens qu’il permet ou interdit, suivant les cas, l’accès à un certain lieu où tous ne doivent pas pénétrer indistinctement. Il y a là l’idée d’uné « sélection » qui est en rapport évident avec l’admission à l’initiation. Un autre symbolisme équivalent est celui du « pèlerinage ». Si le point auquel aboutit ce parcours représente un lieu réservé aux « élus », ce lieu est véritablement une « Terre Sainte » au sens initiatique de cette expression.
« En fait, dans toute civilisation ayant un caractère strictement traditionnel, toutes choses commencent nécessairement par le principe, ou par ce qui en est le plus proche, pour descendre de là à des applications de plus en plus contingentes; et, en outre, ces dernières mêmes n’y sont jamais envisagées sous le point de vue profane, qui n’est, comme nous l’avons déjà souvent expliqué, que le résultat d’une dégénérescence ayant fait perdre la conscience de leur rattachement au principe. » (p. 192)
L’origine du nom du labyrinthe est assez obscure, il semble qu’il dérive du mot fort ancien désignant la pierre (racine la, d’où laos en grec, lapis en latin).
« En effet, il est bien évident que, si la caverne est le lieu où s’accomplit l’initiation même, le labyrinthe, lieu des épreuves préalables, ne peut être rien de plus que le chemin qui y conduit, en même temps que l’obstacle qui en interdit l’approche aux profanes « non qualifiés ». » (p. 193-194)
Le labyrinthe et la caverne paraissent avoir appartenu tout d’abord aux mêmes formes traditionnelles, celles de l’époque des « hommes de pierre ». Ils auraient commencé ainsi par être étroitement unis, bien qu’ils ne le soient pas demeurés invariablement dans toutes les formes ultérieures.
XXX. Le Cœur et la Caverne
Le cœur est essentiellement un symbole du centre, qu’il s’agisse d’ailleurs du centre d’un être ou, analogiquement, du celui d’un monde, c’est-à-dire, en d’autre termes, qu’on se place au point de vue microcosmique ou au point de vue macrocosmique.
La « caverne du cœur » est une expression traditionnelle connue. Le mot guhâ, en sanscrit, désigne la cavité interne du cœur, et par suite le cœur lui-même. Ce mot est dérivé de la racine guh, dont le sens est « couvrir » ou « cacher », sens qui est celui d’une autre racine similaire gup, d’où gupta, qui s’applique à tout ce qui a un caractère secret, à tout ce qui ne se manifeste pas à l’extérieur.
Il importe de remarquer que le caractère caché ou secret, en ce qui concerne les centres spirituels ou leur figuration, implique que la vérité traditionnelle elle-même, dans son intégralité, n’est plus accessible à tous les hommes indistinctement.
Le schéma du cœur est un triangle dont la point est dirigée vers le bas. Ce même schéma est appliqué à la caverne, tandis que celui de la montagne, ou de la pyramide, est au contraire un triangle dont la pointe est dirigée vers le haut. Il s’agit d’un rapport inverse, et aussi complémentaire en un certain sens.
Dans la « caverne du cœur » est caché le principe même de l’être, qui, dans cet état d’« enveloppement » et par rapport à la manifestation, est comparé à ce qu’il y a de plus petit, de même que le point est spatialement infime et même nul, bien qu’il soit le principe par lequel est produit tout l’espace, ou de même encore que l’unité apparaît comme le plus petit des nombres, bien qu’elle les contienne tous principiellement et produise d’elle-même toute leur série indéfinie.
Ce qui réside dans le cœur est à la fois jîvâtmâ, au point de vue de la manifestation individuelle, et Atmâ inconditionné ou Paramâtmâ, au point de vue principiel. Les deux sont aussi les « deux oiseaux » dont il est question dans d’autres textes comme « résidant sur un même arbre », de même qu’Arjuna et Krishna sont montés dans le même char.
Le mot égyptien hor, qui est le nom même d’Horus, semble signifier proprement « cœur ». Horus serait donc le « Cœur du Monde ». En hébreu, le mot hor ou hûr, écrit avec la lettre heth, signifie « caverne ». En hébreu également, hor ou har, écrit cette fois avec la lettre hé, signifie « montagne ».
XXXI. La Montagne et la Caverne
Il existe un rapport étroit entre la montagne et la caverne, en tant qu’ils sont pris comme symboles des centres spirituels, comme le sont d’ailleurs tous les symboles « axiaux » ou « polaires », dont la montagne est précisément un des principaux.
La caverne doit être regardée comme située sous la montagne ou à son intérieur, de façon à se trouver également dans l’axe.
La montagne a un caractère plus « primordial » que la caverne. Elle est visible à l’extérieur, tandis que la caverne est au contraire un lieu essentiellement caché et fermé. « On peut facilement en déduire de là que la représentation du centre spirituel par la montagne correspond proprement à la période originelle de l’humanité terrestre, pendant laquelle la vérité était intégralement accessible à tous (d’où le nom de Satya-Yuga, et le sommet de la montagne est alors Satya-Loka ou le « lieu de la vérité »); mais, lorsque, par suite de la marche descendante du cycle, cette même vérité ne fut plus à la portée que d’une « élite » plus ou moins restreinte (ce qui coïncide avec le début de l’initiation entendue dans son sens le plus strict) et devint cachée à la majoritée des hommes, la caverne fut un symbole plus approprié pour le centre spirituel et, par suite, pour les sanctuaires initiatiques qui en sont des images. » (p. 200)
Le triangle inversé est, dans l’Inde, un des principaux symboles de la Shakti. Il est aussi celui des Eaux primordiales.
Dans le texte des Upanishads est dit que le Principe, qui réside au « centre de l’être », est « plus petit qu’un grain de riz, plus petit qu’un grain d’orge, plus petit qu’un grain de moutarde, plus petit qu’un grain de millet, plus petit que le germe qui est dans un grain de millet », mais aussi, en même temps, « plus grand que la terre, plus grand que l’atmosphère (ou le monde intermédiaire), plus grand que le ciel, plus grand que tous ces mondes ensemble ». C’est la montagne qui correspond ici à l’idée de « grandeur », et la caverne (ou la cavité du cœur) a celle de « petitesse ».
XXXII. Le Cœur et l’Œuf du Monde
L’omphalos et le bétyle sont souvent de forme ovoïde.
L’Œuf du Monde est la figure, non pas du « cosmos » dans son état de pleine manifestation, mais de ce à partir de quoi s’effectuera son développement. Il est donc « central » par rapport au « cosmos ».
La sphère, s’étendant également en tous sens à partir de son centre, est véritablement la forme primordiale, tandis que celle de l’œuf correspond à un état déjà différencié, dérivant du précédent par une sorte de « polarisation » ou de dédoublement du centre.
Dans la tradition islamique, la sphère de pure lumière primordiale est la Rûh mohammediyah, qui est aussi le « Cœur du Monde ». Le « cosmos » tout entier est vivifié par les « pulsations » de cette sphère, qui est proprement le barzakh par excellence.
L’Œuf du Monde cotnient le « germe » spirituel qui est désigné dans la tradition hindoue comme Hiranyagarbha, l’« embryon d’or », l’Avatâra primordial.
Le pinda, embryon subtil de l’être individuel, s’identifie au « noyau d’immortalité », qui est appelé luz dans la tradition hébraïque. Le luz est localizé à la base de la colonne vertébrale, et c’est l’état de « sommeil » pour l’homme ordinaire; dans le cœur, c’est la phase initiale de sa « germination », qui est proprement la « seconde naissance »; à l’œil frontal, c’est la perfection de l’état humain, c’est-à-dire la réintégration dans l’« état primordial »; à la couronne de la tête, c’est le passage aux états supra-individuels.
XXXIII. La Caverne et l’Œuf du Monde
La caverne est considérée comme une image du monde, mais, en raison de son assimilation symbolique avec le cœur, elle en représente le lieu central.
L’Œuf du Monde est central par rapport au « cosmos », et en même temps il contient en germe tout ce que celui-ci contiendra à l’état pleinement manifesté.
« [...] mais il y a une distinction essentielle à faire entre cette « seconde naissance » et la « troisième naissance », distinction qui correspond en somme à celle de l’initiation aux « petits mystères » et aux « grands mystères »; si la « troisième naissance » est représentée aussi comme s’accomplissant dans la caverne, comme le symbolisme de celle-ci s’y adaptera-t-il? La « seconde naissance », qui est proprement ce qu’on peut appeler la « régénération psychique », s’opère dans le domaine des possibilités subtiles de l’individualité humaine; la « troisième naissance », au contraire, s’effectuant directement dans l’ordre spirituel et non plus psychique, est l’accès au domaine des possibilités supra-individuelles. L’une est donc proprement une « naissance dans le cosmos » (à laquelle correspond, comme nous l’avons dit, dans l’ordre macrocosmique, la naissance de l’Avatâra), et, par conséquent, il est logique qu’elle soit figurée comme ayant lieu entièrement à l’intérieur de la caverne; mais l’autre est une « naissance hors du cosmos », et à cette « sortie du cosmos », suivant l’expression d’Hermès, doit correspondre, pour que le symbolisme soit complet, une sortie finale de la caverne, celle-ci contenant seulement les possibilités qui sont incluses dans le « cosmos », possibilités que l’initié doit précisément dépasser dans cette nouvelle phase du développement de son être, dont la « seconde naissance » n’était en réalité que le point de départ. » (p. 209-210)
La « troisième naissance » est nécessairement précédée de la « seconde mort », qui est la « mort au cosmos », c’est pourquoi la naissance « extra-cosmique » est toujours assimilée à une « résurrection ».
Quand ce qui est en dehors de la caverne représentait seulement le monde profane ou les ténèbres « extérieures », la caverne apparaissait comme le seul lieu éclairé. Quand on tient compte des possibilités « extra-cosmiques », la caverne devient relativement obscure par rapport à ce qui se trouve au-dessus d’elle.
XXXIV. La sortie de la caverne
La sortie finale de la caverne initiatique semble devoir s’effectuer normalement par une ouverture située dans la voûte, et à son zénith même. Cette porte supérieure correspond, dans l’être humain, au Brahma-randhra et à la couronne de la tête.
Suivant la tradition extrême-orientale, l’étoile polaire représente le siège de la « Grande Unité » (Tai-i); en même temps, si l’on doit normalement envisager l’axe en position verticale, elle correspond aussi au « Grand Faîte » (Tai-Ki), c’est-à-dire au sommet de la voute céleste ou du « toit du monde ».
Dans le cycle annuel, les solstices d’hiver et d’été sont les deux points qui correspondent respectivement au nord et au sud dans l’ordre sppatial, de même que les équinoxes de printemps et d’automne correspondent à l’Orient et à l’Occident. Les solstices sont véritablement ce qu’on peut appeler les pôles de l’année. Les portes de la cavernes sont les portes solsticiales.
XXXV. Les Portes solsticiales
Des deux portes solsticiales, « la porte des hommes » correspond au solstice d’été, c’est-à-dire au signe du Cancer, et « la porte des dieux » correspond aux solstice d’hiver, c’est-à-dire au signe du Capricorne. L’année est divisée dans une période « ascendante », de la marche du soleil vers le nord (uttarâyana), allant du solstice d’hiver au solstice d’été, la seconde est « descendante », allant du solstice d’été au solstice d’hiver (dakshinâyana).
La « porte des hommes » donne accès au pitri-yâna, la « porte des dieux » est celle qui donne accès au dêva-yâna.
La « porte des dieux » ne peut être une entrée que dans le cas de descente volontaire, dans le monde manifesté, soit d’un être déjà « délivré », soit d’un être représentant l’expression direte d’un principe « supra-cosmique ». On peut facilement comprendre par là la raison pour laquelle la naissance de l’Avatâra est considérée comme ayant lieu à l’époque du solstice d’hvier, époque qui est celle de la fête de Noël dans la tradition chrétienne.
Dans la journée, la moitié ascendante est de minuit à midi, la moitié descendante de midi à minuit; minuit correspond à l’hiver et au nord, midi à l’été et au sud; le matin correspond au printemps et à l’est (côté du lever du soleil), le soir à l’automne et à l’ouest (côté du coucher du soleil).
Note sur les circumambulations rituelles: « Ceci est en relation directe avec la question du sesns des « circumambulations » rituelles dans les différentes formes traditionnelles: suivant la modalité « solaire » du symbolisme, ce sens est celui que nous indiquons ici, et la « circumambulation » s’accomplit ainsi en ayant constamment à sa droite le centre autour duquel on tourne; suivant la modalité « polaire », elle s’accomplit en sens inverse de celui-là, donc en ayant le centre à gauche. Le premier cas est celui de la pradakshinâ, telle qu’elle est en usage dans les tradiions hindoue et thibétaine; le second cas se rencontre notamment dans la tradition islamique; il n’est peut-être pas sans intérêt de remarquer que le sens de ces « circumambulations », allant respectivement de gauche à droite et de droite à gauche, correspond également à la direction de l’écriture dans les langues sacrées de ces mêmes formes traditionnelles. – Dans la maçonnerie, sous sa forme actuelle, le sens des « circumambulations » est « solaire »; mais il paraît avoir au contraire été « polaire » dans l’ancien rituel « opératif », selon lequel le « trône de Salomon » était d’ailleurs placé à l’occident et non à l’orient. » (p. 219)
Suivant la correspondance du symbolisme temporel avec le symbolisme spatial des points cardinaux, le solstice d’hiver est en quelque sorte le pôle nord de l’année, et le solstice d’été au pôle sud, tandis que les deux équinoxes de printemps et d’automne correspondent de même respectivement à l’est et à l’ouest.
Conformément à la correspondance du symbolisme temporel avec le symbolisme spatial, la période « ascendante » se déroule en allant du nord à l’est, puis de l’est à sud. De même, la période « descendante » se déroule en allant du sud à l’ouest, puis de l’ouest au nord. La « porte des dieux » est située au nord et tournée vers l’est, qui est toujours regardé comme le côté de la lumière et de la vie, pendant que la « porte des hommes » est située au sud et tournée vers l’ouest, qui est pareillement regardé comme le côté de l’ombre et de la mort.
« Il reste pourtant encore à résoudre une apparence de contradiction, qui est celle-ci: le nord est désigné comme le point le plus haut (uttara), et c’est d’ailleurs vers ce point qu’est dirigée la marche ascendante du soleil, tandis que sa marche descendante est dirigée vers le sud, qui apparaît ainsi comme le point le plus bas; mais, d’autre part, le solstice d’hiver, qui correspond au nord dans l’année, marquant le début du mouvement ascendant, est en un certain sens le point le plus bas, et le solstice d’été, qui correspond au sud, et où se termine le mouvement ascendant, est sous le même rapport le point le plus haut, à partir duquel commencera ensuite le mouvement descendant, qui s’achèvera au solstice d’hiver. La solution de cette difficulté réside dans la distinction qu’il y a lieu de faire entre l’ordre « céleste », auquel appartient la marche du soleil, et l’ordre « terrestre », auquel appartient au contraire la succession des saisons; selon la loi générale de l’analogie, ces deux ordres doivent, dans leur corrélation même, être inverses l’un de l’autre, de telle sorte que ce qui est le plus haut suivant l’un devient le plus bas suivant l’autre, et réciproquement [...]. » (p. 220)
XXXVI. Le symbolisme du Zodiaque chez les pythagoriciens
Les expressions « porte des dieux » et « porte des hommes » n’appartiennent pas uniquement à la tradition hindoue. Elles se retrouvent aussi chez les pythagoriciens.
L’application du « sens inverse »: la porte solsticiale d’hiver, ou le signe du Capricorne, correspond au nord dans l’année, mais au sud quant à la marche du soleil dans le ciel. De même, la porte solsticiale d’été, ou le signe du Cancer, correspond au sud dans l’année, et au nord quant à la marche du soleil.
Jérôme Carcopino, La Basilique pythagoricienne de la Porte Majeure.
Le pythagoricien Nouménios a transmis, au IIe siècle de notre ère, l’enseignement traditionnel connu sur le rôle des deux portes. D’autre part, s’il place, comme l’indique Porphyre, le Cancer au Nord et le Capricorne au Mici, c’est qu’il a en vue leur situation dans le ciel.
XXXVII. Le symbolisme solsticial de Janus
Le symbolisme des deux portes solsticiales, qui existait en Occident chez les pythagoriciens, se retrouve également chez les Latins, lié au symbolisme de Janus.
Janus est proprement le janitor qui ouvre et ferme les portes (januœ) du cycle annuel, avec les clefs qui sont un de ses principaux attributs. Le côté « temporel » du symbolisme de Janus: ses deux visages sont considérés comme représentant respectivement le passé et l’avenir. Le troisième visage de Janus, celui qui correspond au présent, se retrouve dans le symbolisme de la tradition hindoue sous la forme de l’œil de Shiva, invisible aussi, puisqu’il n’est représenté par aucun organe corporel.
Les portes de Janus sont les portes solsticielles. Janus a donné son nom au mois de janvier (januarius), qui est le premier mois de l’année.
La fête de Janus, à Rome, était célébrée aux deux solstices par les Collegia Fabrorum (les dépositaires des initiations). Janus était le dieu de l’initiation.
« Dans le christianisme, les fêtes solsticiales de Janus sont devenues celles des deux saints Jean, et celles-ci sont toujours célébrées aux mêmes époques, c’est-à-dire aux environs immédiats des deux solstices d’hiver et d’été; et ce qui est bien significatif auss, c’est que l’aspect ésotérique de la tradition chrétienne a toujours été regardé comme « johannite », ce qui donne à ce fait un sens dépassant nettement, quelles que puissent être les apparences extérieures, le domaine simplement religieux et exotérique. » (p. 230)
XXXVIII. A propos des deux saints Jean
Bien que l’été soit généralement considéré comme une saison joyeuse et l’hiver comme une saison triste, les deux solstices correspondants n’en ont pas moins, en réalité, un caractère exactement opposé à celui-là. « En effet, ce qui a atteint son maximum ne peut plus que décroître, et ce qui est parvenu à son minimum ne peut au contraire que commencer aussitôt à croître; c’est pourquoi le solstice d’été marsque le début de la moitié descendante de l’année, et le solstice d’hivr, inversement, celui de sa moitié ascendante [...]. » (p. 232)
Dans la tradition hindoue, la phase ascendante est mise en rapport avec le dêva-yâna, et la phase descendante avec le pitri-yâna.
Dans le Zodiaque, le signe du Cancer, correspondant au solstice d’été, est la « porte des hommes », qui donne accès au pitri-yâna, et le signe du Capricorne, correspondant au solstice d’hiver, est la « porte des dieux », qui donne accès au dêva-yâna. C’est la moitié ascendante du cycle annuel qui est la période « joyeuse », bénéfique ou favorable, et sa moitié descendante qui est la période « triste », maléfique ou défavorable.
Note sur les deux saints Jean: « Nous rappellerons ici, en la rattachant plus spécialement aux idées de “tristesse” et de “joie” que nous indiquions plus haut, la figure “folklorique” bien connue, mais sans doute généralement peu comprise, de “Jean qui pleure et Jean qui rit”, qui est au fond une représentation équivalente à celle des deux visages de Janus; “Jean qui pleure” est celui qui implore la miséricorde de Dieu, c’est-à-dire saint Jean-Baptiste, et “Jean qui rit” est celui qui lui adresse des louanges, c’est-à-dire saint Jean l’Evangéliste. » (p. 233)
Symbolisme constructif
XXXIX. Le symbolisme du dôme
« [...] tout édifice construit suivant des données strictement traditionnelles présente, dans la structure et la disposition des différentes parties dont il se compose, une signification “cosmique”, conformément à la relation analogique du macrocosme et du microcosme, c’est-à-dire qu’elle se réfère à la fois au monde et à l’homme. » (p. 239)
Dans ce texte on prend en considération seulement une structure constituée essentiellement par une base à section carrée, surmontée d’un dôme ou d’une coupole de forme plus ou moins rigoureusement hémisphérique (par exemple: le stûpa bouddhique et la qubbah islamique). C’est aussi le cas des églises chrétiennes dans lesquelles une coupole est édifiée au-dessus de la partie centrale.
La partie de la structure décrite figurent la terre et le ciel, auxquels correspondent respectivement la forme carrée et la forme circulaire (ou sphérique dans une construction à trois dimensions).
L’ensemble de l’édifice, envisagé de haut en bas, représente le passage de l’Unité principielle (à laquelle correspond le point central ou le sommet du dôme, dont toute la voûte n’est en quelque sorte qu’une expansion) au quaternaire de la manifestation élémentaire. Inversement, si on l’envisage de bas en haut, c’est le retour de cette manifestation à l’Unité.
Dans une mosquée, le mihrab, qui est une niche semi-circulaire, correspond à l’abside d’une église, et il indique également le qiblah, c’est-à-dire l’orientation rituelle.
Le centre du sol occupé par un tel édifice, c’est-à-dire le point qui est situé directement au-dessus du sommet du dôme, est toujours identifié virtuellement au « Centre du Monde ». Le point dont il s’agit est un véritable omphalos. Dans de très nombreux cas, c’est là qu’est placé l’autel ou le foyer, suivant qu’il s’agit d’un temple ou d’une maison.
XL. Le Dôme et la Roue
La construction d’un chariot est, tout comme la construction architecturale, la réalisation « artisanale » d’un modèle cosmique. Il existe entre les deux constructions un exact parallélisme: l’élément fondamental du chariot est l’essieur (aksha en sanskrit, mot identique à « axe »), qui représente l’« Axe du Monde », et équivaut au pilier (skambha) central d’un édifice.
Les deux roues, placées aux deux extrémités de l’essieu, représentent le Ciel et la Terre. Entre les deux roues, suportée par l’essieu, est la « caisse » (kosha) du chariot, dont le plancher correspond à la Terre, l’enveloppe latérale à l’espace intermédiaire, et le toit au Ciel. Le plancher du chariot cosmique étant carré ou rectangulaire, et son toit étant en forme de dôme, on retrouve la même structure présente dans l’architecture.
Le parasol (chhatra), décrit comme un « globe perforé », est un des insignes de la royauté, et en même temps un emblème du Chakravartî ou monarque universel. « Maintenant, il importe de remarquer que, par une stricte application du sens inverse de l’analogie, le parasol, dans l’usage ordinaire qui en est fait dans le « monde d’en bas », est une protection contre la lumière, tandis que, en tant qu’il représente le ciel, ses côtes sont au contraire les rayons mêmes de la lumière. » (p. 246)
Ushnîsha, entendu en sons sens primitif comme une coiffure, proprement un turban mais peut être aussi une couronne, est, comme le parasol, un insigne de la royauté. Chhatre et ushnîsha sont associés au caractère de « gloire » qui est inhérent à celle-ci, au lieu de répondre à un simple besoin pratique comme chez l’homme ordinaire.
Note en bas de page: « Dans la tradition islamique, le turban, considéré plus spécialement comme la marque distinctive d’un sheikh (dans l’un ou l’autre des deux ordres exotérique et ésotérique), est désigné couramment comme tâj el-Islâm; c’est donc une couronne (tâj), qui, dans ce cas, est le signe, non du pouvoir temporel comme celle des rois, mais d’une autorité spirituelle. Rappelons aussi, au sujet du rapport de la couronne avec les rayons solaires, la relation étroite qui existe entre son symbolisme et celui des cornes, et dont nous avons déjà parlé. » (p. 247)
Dans le symbolisme des diverses traditions, les cheveux représentent le plus souvent les rayons lumineux.
Le dôme est aussi une représentation du crâne humain. Ainsi, l’ouverture par laquelle passe l’axe correspond dans l’être humain au brahma-randhra.
XLI. La Porte étroite
Dans la tradition hindoue, le soleil est toujours au centre de l’Univers, et non à son point le plus haut.
Le soleil est décrit comme ayant sept rayons. Six, opposés deux à deux, forment le trivid vajra, la croix à trois dimensions: ceux qui correspondent au Zénith et au Nadir coïncidant avec notre « Axe du Monde » (skambha), tandis que ceux qui correspondent au nord et au sud, à l’est et à l’ouest, déterminent l’extension d’un « monde » (loka) figuré par un plan horizontal.
Le septième rayon correspond proprement au centre, et il ne peut être représenté que par l’intersection même des branches de la croix à trois dimensions. Son prolongement au-delà du soleil n’est pas représentable.
C’est par ce « septième rayon » que le « cœur » de tout être particulier est relié directement au soleil, c’est lui le « rayon solaire » par excellence, le sushumna par lequel cette connexion est établie d’une façon constante et invariable. Il est le seul « Axe » véritablement immauble, le seul qui, au point de vue universel, puisse être vraiment désigné par ce nom.
Dans la tradition chrétienne, la tonsure des prêtres, dont la forme est celle du disque solaire et de l’« œil » du dôme, se réfère au symbolisme rituel.
XLII. L’Octogone
Dans le symbolisme des dômes, les formes carrées ou cubiques se rapportent à la terre, et les formes circulaires ou sphériques au ciel. Tant que l’édifice représente la réalisation d’un « modèle cosmique », l’ensemble de sa structure, s’il se réduisait exclusivement à ces deux parties, serait incomplet en ce sens que, dans la superposition des « trois mondes », il y manquerait un élément correspondant au « monde intermédiaire ». Entre la voûte circulaire et la base carrée il faut une forme de transition qui soit intermédiaire entre le carré et le cercle, forme qui est généralement celle de l’octogone.
Un polygone régulier se rapproche d’autant plus du cercle que le nombre de ses côtés est plus grand. Le cercle peut être considéré comme la limite vers laquelle tend un polygone régulier lorsque le nombre de ses côtés croît indéfiniment.
Sur la limite: « [...] et l’on voit nettement ici le caractère de la limite entendue au sens mathématique: elle n’est pas le dernier terme de la série qui tend vers elle, mais elle en dehors et au-delà de cette série, car, quelque grand que soit le nombre des côtés d’un polygone, celui-ci n’arrivera jamais à se confondre avec le cercle, dont la définition est essentiellement autre que celle des polygones. » (p. 254)
Dans la série de polygones obtenue en partant du carré et en doublant à chaque fois le nombre des côtés, l’octogone est le premier terme.
Pour obtenir la forme octogonale, il faut envisager, entre les quatre points cardinaux, les quatre points intermédiaire (les points correspondant aux qualités sensibles: chaud et froid, sec et humide), formant avec eux un ensemble de huit directions, qui sont celles de ce que diverses traditions désignent comme les « huit vents » (Rosa Mundi et Rota Mundi).
En Chine, dans le cas du Ming-tang, dont « le toit rond est supporté par huit colonnes qui reposent sur une base carrée comme la terre, car, pour réaliser cette quadrature du cercle, qui va de l’unité céleste de la voûte au carré des éléments terrestres, il faut passer par l’octogone, qui est en rapport avec le monde intermédiaire des huit directions, des huit portes et des huit vents. » (Luc Benoist, Art du monde, p. 90)
Dans le christianisme, la forme octogonale était celle des anciens baptistères, lieu de passage ou de transition, situé en dehors de l’église.
XLIII. La « pierre angulaire »
Le symbolisme de la « pierre angulaire », dans la tradition chrétienne, se base sur ce texte: « La pierre que ceux qui bâtissaient avaient rejetée est devenue la principale pierre de l’angle » (caput anguli – en fait « la tête de l’angle »). Parfois, on confond la « pierre angulaire » (Christ) avec la « pierre fondamentale » (St. Pierre). Cette méprise n’est pas uniquement moderne, on est donc amené à se demander si en réalité il ne se serait pas agi plutôt, à l’origine, d’une « substitution » intentionnelle, s’expliquant par le rôle de saint Pierre comme « substitut » du Christ.
Note: « La « substitution » a pu aussi être aidée par la similitude phonétique existant entre le nom hébreu Kephas, qui signifie « pierre », et le mot grec Kephalê, « tête »; mais il n’y a entre ces deux mots aucun rapport, et le fondement d’un édifice ne peut êvidemment être identificé avec sa tête, c’est-à-dire son sommet, ce qui reviendrait à renverser l’édifice toute entier; on pourrait d’ailleurs se demander aussi si ce « renversement » n’a pas quelque correspondance symbolique avec la crucifixion de saint Pierre la tête en bas. » (p. 258)
La pierre angulaire a une forme spéciale et unique, qui la différencie de toutes les autres. Son utilisation ne peut être comprise que par une catégorie spéciale de constructeuts, ceux qui sont passés « de l’équerre au compas », de la forme carrée à la forme circulaire. La « pierre angulaire » est bien une « clef de voûte » (keystone). Cette pierre, par sa forme aussi bien que par sa position, est effectivement unique dans l’édifice tout entier, et symbolise le principe dont tout dépend. La construction représente la manifestation, dans laquelle le principe n’apparaît que comme l’achèvement ultime.
La « première pierre », ou la « pierre fondamentale », peut être regardée comme un « reflet » de la « dernière pierre », qui est la véritable « pierre angulaire ».
En architecture, l’achèvement de l’œuvre est la « pierre angulaire »; en alchimie, c’est la « pierre philosophale ».
La pierre de voûte ne peut être placée que par le haut, par là elle représente la « pierre descendue du ciel », expression qui s’applique fort bien au Christ.
Le mot allemand Eckstein a à la fois le sens de « pierre angulaire » et celui de « diamant ». Le diamant est considéré comme la « pierre précieuse » par excellence. Or, cette « pierre précieuse » est aussi un symbole du Christ. Ainsi, les deux symboles sont réunis en un seul.
XLIV. « Lapsit exillis »
Cette expression énigmatique est, avant tout, une sorte de ocntraction phonétique de lapis lapsus ex cœlis, la « pierre tombée des cieux ». En raison de son origine, cette pierre est en exil dans le séjour terrestre.
Le Graal est décrit le plus habituellement comme une pierre, ce qui est le cas chez Wolfram d’Eschenbach. Le Graam est un vase (grasale), il est aussi un livre (gradale ou graduale). Dans certaines versions de la légende, il n’est pas un livre proprement dit, mais une inscription tracée sur la coupe par un ange, ou par le Christ lui-même.
« Il faut bien remarquer cependant, en ce qui concerne le symbolisme « constructif », que la pierre fondamentale dont il vient d’être question en dernier lieu ne doit aucunement être confondue avec la « pierre angulaire », puisque celle-ci est le couronnement de l’édifice, tandisque que l’autre se situe au centre de sa base; et, étant ainsi placée au centre, elle diffère également de la « pierre de fondation » entendue au sens ordinaire de cette expression, celle-ci occupant un des angles de la base. » (p. 273-274)
Il faut ajouter que tout ce qui est situé sur l’axe, à divers niveaux, peut être regardé, d’une certaine façon, comme représentant des situations différentes d’une seule et même chose, situations qui sont elles-mêmes en rapport avec différentes conditions d’un être ou d’un monde.
XLV. « El-Arkân »
Le mot arabe rukn signifie « angle ».
Le symbole du gammadion (gammadia) figure quatre équerres qui constituent une croix, avec une similitude de forme avec la lettre grecque gamma. Ce sont les gammadia qui sont les véritables « croix gammées », et c’est seulement chez les modernes que cette désignation a été appliquée au swastika. Ce sont deux symboles entièrement différents et qui n’ont aucunement la même signification.
Gammadia est nommé aussi la « croix du Verbe », d’après la signification générale du symbole regardé comme figurant le Verbe s’exprimant par les quatre Evangiles. La croix est formée par l’espace vide que les équerres laissent entre leurs côtés parallèles. Cette même figure, considérée comme la représentation d’un carrefour, est la forme primitive du caractère chinois hing, qui désigne les cinq éléments. On y voit les quatre régions de l’espace, correspondant aux points cardinaux, appelées « équerres » (fang), autour de la région centrale à laquelle est rapporté le cinquième élément. Les cinq hing peuvent être regardés comme les arkân de ce monde.
Les quatre équerres correpondent, dans la tradition extrême-orientale: l’eau au nord, le feu au sud, le bois à l’est, le métal à l’ouest, et la terre au centre. Tandis que l’éther, ne se situant pas sur le plan de base où se trouvent les quatre autres éléments, correspond à la véritable « pierre angulaire », celle du sommet (rukn el-arkân), la « terre » de la tradition extrême-orientale doit être mise en correspondance directe avec la « pierre fondamentale » du centre.
La figuration des cinq arkân apparaît encore plus nettement dans l’autre forme du gammadion, où quatre équerres, formant les angles (arkân au sens littéral du mot) d’un carré, entourent une croix tracée au centre de celui-ci. Les sommets des équerres sont alors tournés vers l’extérieur, au lieu de l’être vers le centre comme dans le cas précédent.
Au point de vue du symbolisme chrétien, l’un et l’autre des gammadia sont considérés comme représentant le Christ, figuré par la croix, au milieu des quatre Evangélistes, figurés par les équerres.
Dans la tradition islamique, on trouve une figure semblablement disposée, comprenant le nom du Prophète au centre et ceux des quatre premiers Kholafâ aux angles. Ici encore, le Prophète doit être considéré, de la même façon que le Christ dans la figuration précédente, comme se situant à un autre niveau que celui de la base, et, par conséquent, il correspond aussi en réalité à la « pierre angulaire » du sommet.
La tradition islamique envisage aussi cinq arkân célestes ou angéliques, qui sont Jibrîl, Rufaîl, Mikaîl, Isrâfîl, et enfin Er-Rûh.
XLVI. « Rassembler ce qui est épars »
Conformément a une formule, la tâche des Maîtres consiste à « répandre la lumière et rassembler ce qui est épars ».
Dans la tradition hindoue, « ce qui est épars » sont les membres du Purusha primordial qui fut divisé au premier sacrifice accompli par les Dêvas au commencement, et dont naquirent, par cette division même, tous les êtres manifestés. Il s’agit d’une description symbolique du passage de l’unité à la multiplicité, sans laquelle il ne saurait y avoir aucune manifestation.
Purusha est identique à Prajâpati, le « Seigneur des êtres produits », ceux-ci étant tous issus de lui-même et étant par conséquent regardés en un certain sens comme sa « progéniture ». Il est aussi Vishwakarma, c’est-à-dire le « Grand Architecte de l’Univers », c’est lui-même qui accomplit le sacrifice en même temps qu’il en est la victime. Les Dêvas ne sont en somme rien d’autre que les « puissances » qu’il porte en lui-même.
A. Coomaraswamy dit, dans un article, que « l’essentiel, dans le sacrifice, est en premier lieu de diviser, et en second lieu de réunir ». Il comporte donc deux phases complémentaires de « désintégration » et de « réintégration ».
« [...] il faut se souvenir que le vrai nom d’un être n’est pas autre chose, au point de vue traditionnel, que l’expression de l’essence même de cet être; la reconstitution du nom est donc, symboliquement, la même chose que celle de l’être lui-même. » (p. 283)
« Rassembler ce qui est épars » est la même chose que « retrouver la Parole perdue », car, en réalité et dans son sens le plus profond, cette « Parole perdue » n’est autre que le véritable nom du « Grand Architecte de l’Univers ».
XLVII. Le blanc et le noir
Le symbole maçonnique du « pavé mosaïque » (tesselated pavement) est de ceux qui sont souvent insuffisamment compris. Ce pavé est formé de carreaux alternativement blancs et noirs, disposés exactement de la même façon que les cases de l’échiquier ou du damier.
« [...] le jeu d’échecs est certainement un de ceux où traces du caractère “sacré” originel sont demeurées les plus apparentes en dépit de cette dégénérescence. » (p. 285)
Au sens le plus immédiat, la juxtaposition du blanc et du noir représente naturellement la lumière et les ténèbres, le jour et la nuit, toutes les paires d’opposés ou de complémentaires. C’est l’équivalent exact du symbole extrême-oriental du yin-yang.
« [...] certains ont cru pouvoir parler de « dualisme » au sujet du yin-yang, probablement par incompréhension, mais peut-être aussi quelquefois avec des intentions d’un caractère plus ou moins suspect; en tout cas, pour ce qui est du « pavé mosaïque », une telle interprétation est le plus souvent le fait des adversaires de la maçonnerie, qui voudraient baser là-dessus une accusation de « manichéisme ». » (p. 286)
« On retrouve donc là un symbolisme équivalent à celui d’Arjuna, le « blanc », et de Krishna, le « noir », qui sont, dans l’être lui-même, le mortel et l’immortel, le « moi » et le « Soi »; et, puisque ceux-ci sont aussi les « deux oiseaux inséparablement unis » dont il est question dans les Upanishads, ceci évoque encore un autre symbole, celui de l’aigle blanc et noir à deux têtes qui figure dans certains hauts grades maçonniques, nouvel exemple qui, après tant d’autres, montre une fois de plus que le langage symbolique a un caractère véritablement universel. » (p. 287)
XLVIII. Pierre noire et pierre cubique
Selon une supposition injustifiée, le nom de Cybèle tirerait son origine de l’arabe qubbah, parce qu’elle « était adorée dans les grottes », en raison de son caractère « chthonien ». En réalité, qubbah n’a jamais voulu dire « voûte, salle voûtée, crypte », mais coupole ou dôme, dont le symbolisme est « céleste » et non pas « terrestre », donc exactement à l’opposé du caractère attribué à Cybèle ou à la « Grande Mère ».
Le nom Kubelê n’est pas d’origine grecque, et sa véritable étymologie n’a rien d’énigmatique ni de douteux. Il se rattache directement à l’hébreu gebal et à l’arabe jabal, « montagne ».
« Ainsi, Cybèle est proprement la « déesse de la montagne »; et ce qui est très digne de remarque, c’est que, par cette signification, son nom est l’exact équivalent de celui de Pârvatî dans la tradition hindoue. » (p. 289)
La signification du nom de Cybèle est liée à celle de la « pierre noire », qui était son symbole. On sait que cette pierre avait une forme conique, elle doit être regardée comme une figuration réduite de la montagne en tant que symbole « axial ».
La « pierre cubique » est essentiellement une « pierre de fondation ».
D’une façon générale, le symbolisme de la « pierre noire », avec les différentes situations et les différentes formes qu’elle peut prendre, est, au point de vue « microcosmique », en relation avec les « localisations » diverses, dans l’être humain, du luz ou du « noyau d’immortalité ».
XLIX. Pierre brute et pierre taillée
L’autel, chez les Hébreux devait être formé exclusivement de pierres brutes.
Dans la maçonnerie, la pierre brute a un autre sens que dans le cas des autels hébraïques, auquel il faut joindre ici celui des monuments mégalithiques. Il s’agit de types différents de traditions, une sédentaire et l’autre nomade. D’ailleurs, quand Israël passa du premier second de ces états au premier, l’interdiction d’élever des édifices en pierre taillées disparut, parce qu’elle n’avait plus de raison d’être pour lui, témoin la construction du Temple de Salomon, qui assurément ne fut pas une entreprise profane, et à laquelle se rattache, symboliquement tout au moins, l’origine même de la maçonnerie.
Pour les tailleurs de pierre la pierre brute représentait la « matière première » indifférenciée, ou le « chaos » avec toutes les correspondances tant microcosmiques que macrocosmiques, tandis que la pierre complètement taillée sur toutes ses faces représente au contraire l’achèvement ou la perfection de l’« œuvre ».
« Ces quelques considérations montreront encore que, pour l’interprétation des symboles comme en toute autre chose, il faut toujours savoir tout situer à sa place exacte, faute de quoi l’on risque fort de tomber dans les plus grossières erreurs. » (p. 295)
Symbolisme axial et symbolisme du passage
L. Les symboles de l’analogie
« Il pourrait sembler étrange à certains qu’on parle des symboles de l’analogie, car, si le symbolisme lui-même est fondé sur l’analogie, comme on le dit souvent, tout symbole, quel qu’il soit, doit être l’expression d’une analogie; mais cette façon d’envisager les choses n’est pas exacte: ce sur quoi le symbolisme est fondé, ce sont, de la façon la plus générale, les correspondances qui existent entre les différents ordres de réalité, mais toute correspondance n’est pas analogique. » (p. 299)
Analogie est ici exclusivement dans son acception la plus rigoureuse, le rapport de « ce qui est en bas » avec « ce qui est en haut ». Ce rapport implique la considération du « sens inverse » de ses deux termes.
La figure la plus simple, et qui est la base de toutes les autres, est celle qui est constituée uniquement par l’ensemble des six rayons. Ceux-ci, étant opposés deux à deux à partir du centre, forment trois diamètres, l’un vertical, et les deux autres obliques et également inclinés de part de d’autre de celui-là. Il y a entre ce symbole et la croix à trois dimensions un rapport immédiat.
Dans le symbolisme chrétien, cette figure est le chrisme simple, la figure formée par l’union des deux lettres I et X, c’est-à-dire des initiales grecques des deux mots Jêsous Christos, et c’est là un sens qu’elle paraît avoir reçu dès les premiers temps du christianisme. Mais ce symbole est fort antérieur, un de ceux que l’on trouve répandus partout et à toutes les époques.
Le chrisme constantinien est formé par l’union des lettres grecques X et P, les deux premières de Christos. Certaines formes intermédiaires montrent une parenté entre le chrisme et la « croix ansée » égyptienne. Parfois le chrisme est entouré d’un cercle, ce qui l’assimile aussi nettement que possible à la roue à six rayons.
En ce qui concerne le symbolisme héraldique, les six rayons constituent une sorte de schéma général suivant lequel ont été disposées, dans le blason, les figures les plus diverses, comme l’aigle et la fleur de lys.
Les deux triangles opposés du « sceau de Salomon » représentent deux ternaires dont l’un est comme le reflet ou l’image inversée de l’autre. C’est en cela que ce symbole est une figuration exacte de l’analogie.
LI. L’Arbre du Monde
Il existe la situation où l’Arbre apparaît comme inversé, c’est-à-dire comme ayant les racines en haut et les branches en bas. La racine représente le principe, tandis que les branches représentent le déploiement de la manifestation.
C’est précisément sur le symbole proprement dit de l’analogie, c’est-à-dire sur la figure des six rayons dont les extrémités sont groupées en deux ternaires inverses l’un de l’autre, que se construit le schéma de l’arbre à trois branches et trois racines, schéma qui peut d’ailleurs être envisagé dans les deux sens opposés, ce qui montre que les deux positions correspodantes de l’arbre doivent se rapporter à deux points de vue différents et complémentaires, suivant qu’on le regarde en quelque sorte de bas en haut ou de haut en bas, en somme, suivant qu’on se place du point de vue de la manifestation ou à celui du principe. « Ce qui est en haut », ou au-dessus de la « surface des Eaux », c’est-à-dire le domaine principal ou « supra-cosmique », se reflète en sens inverse dans « ce qui est en bas », ou est au-dessous de cette même surface, c’est-à-dire dans le domaine « cosmique ». En d’autre termes, tout ce qui est au-dessus du « plan de réflexion » est droit, et tout ce qui est au-dessous est inversé.
« Donc, si l’on suppose que l’arbre s’élève au-dessus des Eaux, ce que nous voyons tant que nous sommes dans le « cosmos » est son image inversée, avec les racines en haut et les branches en bas; au contraire, si nous nous plaçons nous-mêmes au-dessus des Eaux, nous ne voyons plus cette image, qui maintenant est pour ainsi dire sous nos pieds, mais bien sa source, c’est-à-dire l’arbre réel, qui naturellement se présente à nous dans sa position droite; l’arbre est toujours le même, mais c’est notre situation par rapport à lui qui a changé, et aussi, par conséquent le point de vue auquel nous l’envisageons. » (p. 305-306)
Les traditions hindoue, avestique et judaïque (en Zohar) parlent de deux arbres, l’un céleste (paradisiaque), et l’autre terrestre, comme un substitut du premier pour l’humanité éloignée du séjour primordial.
L’arbre inversé est un symbole « microcosmique », un symbole de l’homme. Platon dit que « l’homme est une plante céleste, ce qui signifie qu’il est comme un arbre inversé, dont les racines tendent vers le ciel et les branches en bas vers la terre ».
Dans l’hindouisme, Agni est identifié à l’« Arbre du Monde », d’où son nom Vanaspati ou « Seigneur des arbres ».
Dans Surat En-Nûr (Qorân, XXIV, 35), il est parlé d’un « arbre béni », c’est-à-dire chargé d’influences spirituelles, qui n’est « ni oriental ni occidental », ce qui définit nettement sa position comme « centrale » ou « axiale »; et cet arbre est un olivier dont l’huile entretient la lumière d’une lampe; cette lumière symbolise la lumière d’Allah, qui en réalité est Allah lui-même, car, ainsi qu’il est dit au début du même verset, « Allah est la Lumière des cieux et de la terre ». Il est évident que, si l’arbre est ici un olivier, c’est à cause du pouvoir éclairant de l’huile qui en est tirée, donc de la nature ignée et ilumineuse qui est en lui. Dans le texte coranique, c’est Allah sous l’aspect de la Lumière qui illumine tous les mondes. Cette Lumière est même, d’après la suite du texte, « lumière sur lumière », donc une double lumière superposée, ce qui évoque la superposition des deux arbres dont nous avons parlé plus haut; on retrouve encore là « une essence », celle de la Lumière unique, et « deux natures », celle d’en haut et celle d’en bas, ou le non-manifesté et le manifesté, auxquels correspondent respectivement la lumière cachée dans la nature de l’arbre et la lumière visible dans la flamme de la lampe, la première étant le « support » essentiel de la seconde.
LII. L’Arbre et le Vajra
La figure du double Vajra est une reprise en quelque sorte de l’arbre à trois branches et à trois racines, construit sur le symbole général de l’analogie et susceptible d’être envisagé dans les deux sens opposés.
On pourrait se demander si le rapprochement établi entre l’arbre et le symbole de la foudre est légitime. La réponse se trouve dans la nature ignée de l’« Arbre du Monde ». La « colonne de feu » est unexact équivalent comme représentation de l’axe. L’éclair est d’ailleurs un des symboles les plus habituels de l’« illumination », entendue au sens intellectuel ou spirituel.
L’« Axe du Monde » est toujours regardé plus ou moins explicitement comme lumineux.
Une des désignations les plus répandues de l’arbre axial est celle d’« Arbre de Vie ».
LIII. L’Arbre de Vie et le breuvage d’immortalité
L’Arbre Haoma de la tradition avestique laisse couler une liqueur qui est appelée aussi haoma, la même chose que le soma védique, qui s’identifie à l’amrita ou « breuvage d’immortalité ».
Dans le symbolisme biblique du Paradis terrestre, l’immortalité est donnée, non par une liqueur mais par le fruit même de l’« Arbre de Vie ». Il s’agit donc d’une « nourriture d’immortalité » plutôt que d’un breuvage.
Dans le symbolisme du Soleil, celui-ci s’identifie dans l’hindousime à la « Mort » (Mritya), quant à l’aspect sous lequel il est tourné vers le « monde d’en bas », et en même temps il est la « porte d’immortalité », parce qu’on pourrait dire que son autre face, celle qui est tournée vers le domaine « extra-cosmique », s’identifie à l’immortalité même.
« Cette dernière remarque nous ramène à ce que nous avons dit précédemment au sujet du Paradis terrestre, qui est encore effectivement une partie du « cosmos », mais dont la position est pourtant virtuellement « supra-cosmique »: ainsi s’explique que, de là, le fruit de l’« Arbre de Vie » puisse être atteint, ce qui revient à dire que l’être qui est parvenu au centre de notre monde (ou de tout autre état d’existence) a déjà conquis l’immortalité par là même; et ce qui est vrai du Paradis terrestre l’est naturellement ausi de la Jérusalem céleste, puisque l’un et l’autre ne sont en définitive que les deux aspects complémentaires que prend une seule et même réalité suivant qu’elle est envisagée par rapport au commencement ou à la fin d’un cycle cosmique. » (p. 313)
LIV. Le symbolisme de l’échelle
Dans le symbolisme des Indiens de l’Amérique du Nord, les différents mondes sont représentés comme une série de cavernes superposées, les êtres passant d’un monde à l’autre en montant le long d’un arbre central. Le vulgaire « mât de cocagne » des fêtes foraines n’est rien d’autre que le vestige incompris d’un rite similaire.
L’Axe de l’Univers est comme une échelle sur laquelle s’effectue un perpetuel mouvement ascendant et descendant. L’échelle est l’équivalent de l’arbre et du mât. Les deux montants verticaux de l’échelle correspondent bien à la dualité de l’« Arbre de la Science », ou aux deux colonnes de droite et de gauche de l’arbre séphirotique de la Kabbale hébraïque.
« On voit que l’échelle offre ainsi un symbolisme très complet: elle est, pourrait-on dire, comme un « pont » vertical s’élevant à travers tous les mondes et permettant d’en parcourir toute la hiérarchie en passant d’échelon en échelon; et, en même temps, les échelons sont les mondes eux-mêmes, c’est-à-dire les différents niveaux ou degrés de l’Existence universelle. » (p. 317)
Dans le symbolisme de l’échelle, l’échelon correspond à un état supérieur de l’être. Dans certains rites initiatiques, les échelons sont expressément considérés comme représentant les différents cieux (les rites mithriaques, certaines organisations initiatiques du moyen âge).
LV. Le « trou de l’aiguille »
Une des représentations du symbole de la « porte étroite » est le « trou de l’aiguille ».
« On remarque aussi que l’aiguille, quand elle est placée verticalement, peut être prise comme une figure de l’« Axe du Monde », et alors, l’extrémité perforée étant en haut, il y a une exacte coïncidence entre cette position de l’« œil » de l’aiguille et celle de l’« œil » du dôme. » (p. 320)
Le trou de l’aiguille est désigné en pâli par le mot pâsa. C’est le même mot qui en sanskrit est pâsha, avec le sens de « nœud » ou de « boucle ». L’être humain vivant est lié par les conditions limitatives qui le retiennent dans son état particulier d’existence manifestée. Pour sortir de cet état de pashu (tous les êtres vivants), il faut que l’être s’affranchisse de ces conditions, c’est-à-dire, en termes symboliques, qu’il échappe au pâsha, ou qu’il passe à travers le nœud coulant sans que celui-ci se resserre sur lui.
« [...] on peut dire que, quand l’être parvient à passer à travers la boucle du pâsha sans qu’elle se resserre et le reprenne de nouveau, c’est comme si cette boucle s’était dénouée pour lui, et cela d’une façon définitive [...]. » (p. 322)
LVI. Le passage des eaux
La « Voie du Pélerin »: le voyage peut être accompli, soit en remontant le courant vers la sources des eaux, soit en traversant celles-ci vers l’autre rive, soit enfin en descendant le courant vers la mer. Les trois cas sont dans un rigoureuse équivalence métaphysique.
Dans le cas de la « remontée du courant » la rivière s’identifie à l’« Axe du Monde ». C’est la « rivière céleste » qui descend vers la terre, un aspect de la Shakti.
Le cas de la traversée d’une rive à l’autre est plus généralement connu. Le « passage du pont » se retrouve dans presque toutes les traditions, et aussi dans certains rituels initiatiques.
Le symbole de la barque salvatrice (en sanscrit nâvâ, en latin navis) se retrouve dans la désignation de la « nef » d’une église. Cette barque est un attribut de Saint Pierre, après l’avoir été de Janus.
Le troisième cas, celui de la « descente du courant », présente l’Océan comme le but suprême à atteindre, donc représentant le Nirvâna.
LVII. Les sept rayons et l’arc-en-ciel
Les sept couleurs de l’arc-en-ciel représentent en effet les différentes radiations dont se compose la lumière solaire.
En fait, l’arc-en-ciel n’a pas sept couleurs, mais six seulement: trois couleurs fondamentales (le bleu, le jaune, le rouge) et trois couleurs complémentaires (l’orangé, le violet et le vert). On peut placer les trois couleurs fondamentales aux trois sommets d’un triangle, et les trois couleurs complémentaires à ceux d’un second triangle inverse du premier, de telle façon que chaque couleur fondamentale et sa complémentaire se trouvent placées en des points diamétralement opposés; et l’on voit que la figure ainsi formée est celle du « sceau de Salomon ».
« [...] le « bon sens » véritable est bien différent du « sens commun » avec lequel on a la fâcheuse habitude de le confondre, et il est assurément fort loin d’être, comme l’a prétendu Descartes, « la chose du monde la mieux partagée »! » (p. 329)
La septième couleur n’est pas une vraie couleur que le centre n’est une direction. Mais, comme le centre est le principe dont procède tout l’espace avec six directions, il doit aussi être le principe dont le six couleurs sont dérivées et dans lequel elles sont contenues synthétiquement. « Ce ne peut donc être que le blanc, qui est effectivement « incolore », comme le point est « sans dimensions ». » (p. 329)
Le véritable septénaire est formé par la lumière blanche et les six couleurs en lesquelles elle se différencie. Un tel septénaire est formé de l’unité et du sénaire, l’unité correspondant au principe non manifesté et le sénaire à l’ensemble de la manifestation.
LVIII. Janua Coeli
L’autel védique comprend trois briques (ou pierres) de forme annulaire, qui correspondent aux « trois mondes » (Terre, Atmosphere et Ciel) et qui, avec trois autres briques représentant les « Lumières universelles » (Agni, Vâyu et Aditya), forment l’Axe vertical de l’Univers.
Dans l’architecture islamique, on voit très fréquemment, au sommet d’un minaret ou d’une qubbah, un ensemble de trois globes superposés t surmontés d’un croissant. Ces trois globes représentent également trois mondes, qui sont âlam el-mulk, âlam el-mulkût et âlam el-jabbarût, et le croissant qui les domine, symbole de la Majesté divine (El-Jalâl), correspond au quatrième monde, âlam el-essah (lequel est « extra-cosmique »).
« Il est bien entendu que les Dêvas sont, dans la tradition hindoue, la même chose que les Anges dans les traditions judéo-chrétienne et islamique. » (p. 332)
Le « Soleil spirituel », en tant qu’« Œil du Monde », est véritablement la « porte du Ciel », ou Janua Coeli, décrite en termes variés comme un « trou », comme une « bouche », comme le moyen de la roue d’un chariot.
En ce qui concerne la « porte solaire », il s’agit du ciel qu’on peut dire suprême et « extra-cosmique »; par contre, en ce qui concerne la « porte-lunaire », il s’agit seulement du Swarga, c’est-à-dire de celui des « trois mondes » qui, tout en étant le plus élevé, est pourtant compris dans le Cosmos aussi bien que les deux autres. On peut dire, dans les termes de la tradition hindoue, que la « porte lunaire » donne accès à l’Indra-loka (puisque Indra est le régent du Swarga) et la « porte solaire » au Brahma loka; dans les traditions de l’antiquité occidentale, à l’Indra-loka correspond l’« Elysée » et au Brahma-loka l’« Empyrée », le premier étant « intra-cosmique » et le second « extra-cosmique ».
C’est la « porte solaire » seule qui est proprement la « porte étroite » et par laquelle l’être, sortant du Cosmos et étant par là même définitivement affranchi des conditions de toute existence manifestée, passe véritablement « de la mort à l’immortalité ».
LIX. Kâla-mukha
Il y a dans beaucoup de pays le symbole d’une tête de monstre, nommée Kâla-mukha et Kîrti-mukha dans l’Inde, T’ao-t’ie en Chine, mais on le retrouve aussi au Cambodge et à Java, sans être étrangère dans l’Amérique centrale ou à l’art européen du moyen âge. Cette figuration est toujours liée à l’idée de la porte, ce qui détermine nettement la valeur symbolique.
La forme ronde des yeux est un caractère de la représentation traditionnelle des entités « terribles ». La tradition hindoue l’attribue aux Yakshas at autres génies « gardiens », et la tradition islamique aux Jinn.
Il ne s’agit pas d’un démon au sens ordinaire du mot, mais au sens originel de l’Asura védique, et les ténèbres dont il s’agit sont en réalité les ténèbres supérieures. Il s’agit d’un symbole de l’« Identité Suprême », en tant qu’absorbant et émettant tour à tour la « Lumière du Monde ».
Kâla est le Temos « dévorateur », mais il désigne aussi le Principe même en tant que « destructeur » ou « transformateur », par rapport à la manifestation qu’il ramène à l’état non-manifesté en la résorbant en quelque sorte en lui-même, ce qui est le sens le plus élevé dans lequel la Mort puisse être entendue.
« En tant que celui-ci s’identifie à Mrityu ou à Yama, le Makara est le crocodile [...] aux mâchoires ouvertes qui se tient « contre le courant » représentant la voie unique par laquelle tout être doit passer nécessairement, et qui se présente ainsi comme le « gardien de la porte » qu’il doit franchir pour être libéré des conditions limitatives (symbolisées aussi par le pâsha de Varuna) qui le retient dans le domaine de l’existence contingente et manifestée. D’autre part, ce même Makara est, dans le Zodiaque hindou, le signe du Capricorne, c’est-à-dire la « porte des Dieux »; il a donc deux aspects apparemment opposées, « bénéfique » et « maléfique » si l’on veut, qui correspondent aussi à la dualité de Mitra et de Varuna (réunis en un couple indissoluble sous la forme duelle Mitrâvarunau), ou du « Soleil diurne » et du « Soleil nocturne », ce qui revient à dire que, suivant l’état auquel est parvenu l’être qui se présente devant lui, sa bouche est pour celui-ci la « porte de la Délivrance » ou les « mâchoires de la Mort ». Ce dernier cas est celui de l’homme ordinaire, qui doit, en passant par la mort, revenir à un autre état de manifestation, tandis que le premier est celui de l’être qui est « qualifié pour passer à travers le milieu du Soleil », par le moyen du « septième rayon », parce qu’il s’est déjà identifié au Soleil lui-même, et qu’ainsi, à la question « qui es-tu? », qui lui est posée lorsqu’il arrive à cette porte, il peut répondre véritablement: « Je suis Toi. » (p. 339-340)
LX. La lumière et la pluie
La lumière et la pluie signifient également les influences célestes ou spirituelles.
La dimension symbolique de la pluie est en liaison avec le sens profond, et entièrement indépendant de toute application « magique », des rites très répandus qui ont pour but de « faire la pluie ».
La lumière et la pluie sont en connexion avec le soleil: il est bien réellement la source directe de la lumière dans notre monde, mais c’est lui qui, en faisant évaporer les eaux, les aspire en quelque sorte vers les régions supérieures de l’atmosphère, d’où elles redescendent ensuite en pluie sur la terre.
En des temps et des lieux très divers, le soleil a été représenté avec des rayons de deux sortes, alternativement rectilignes et ondulés. La ligne droite représente la lumière et la ligne ondulée la chaleur (ceci correspond au symbolisme des deux lettres hébraïques resh şi shin, qui expriment précisément ces deux modalités complémentaires du feu). Ce qui vient compliquer les choses c’est que la ligne ondulée est aussi un symbole de l’eau. Il n’y a aucune contradiction: la pluie, à laquelle convient naturellement le symbole général de l’eau, peut réellement être considérée comme procédant du soleil.
Il convient de remarquer encore ceci: le feu et l’eau sont deux éléments opposés. Mais, au-delà du domaine où s’affirment les oppositions, ils doivent se rejoindre et s’unir d’une certaine façon. Dans le Principe même, dont le soleil est une image sensible, ils s’identifient en quelque sorte, ce qui justifie encore plus complètement la figuration que nous venons d’étudier.
La pluie doit en effet, pour représenter les influences spirituelles, être regardée comme une eau « céleste », et l’on sait que les Cieux correspondent aux états informels.
LXI. La Chaîne des mondes
La Chaîne des mondes (sarvam idam) comprend la totalité de la manifestation, tous les mondes, et non pas seulement « tout ce qui est en ce monde ». Bhagavad-Gîtâ: « Sur Moi toutes choses sont enfilées comme un rang de perles sur un fil. ». C’est Atmâ, comme un fil (sûtra) qui pénètre et relie entre eux tous les mondes, en même temps qu’il est aussi le « souffle » qui les soutient et les fait subsister, et sans lequel ils ne pourraient avoir aucune réalité ni exister en aucune façon.
« Chaque monde, ou chaque état d’existence, peut être représenté par une sphère que le fil traverse diamétralement, de façon à constituer l’axe qui joint les deux pôles de cette sphère; on voit ainsi que l’axe de ce monde n’est à proprement parler qu’une portion de l’axe même de la manifestation universelle tout entière, et c’est par là qu’est établie la continuité effective de tous les états qui sont inclus dans cette manifestation. » (p. 346)
La peur constante (et trop justifiée dans une certaine mesure), qu’ont la plupart des mystiques d’être trompés par le diable, prouve très nettement qu’ils ne dépassent pas le domaine psychique, car le diable ne peut avoir prise directement que sur celui-ci (et indirectement par là sur le domaine corporel), et tout ce qui appartient réellement à l’ordre spirituel lui est, par sa nature même, absolument fermé.
« En fait, un quelconque de ces mondes, dans toute l’extension dont il est susceptible, ne constitue qu’un élément infinitésimal dans l’ensemble de la manifestation universelle, de sorte qu’on devrait, en toute rigueur, regarder sa représentation comme se réduisant à un point; on pourrait aussi, en appliquant le symbolisme géométrique du sens vertical et du sens horizontal, figurer les mondes par une série indéfinie de disques horizontaux enfilés sur un axe vertical; de toute façon, on voit ainsi que, dans les limites de chaque monde, l’axe ne peut véritablement être atteint qu’en un seul point, et, par suite, ce n’est qu’en sortant de ces limites qu’on peut envisager sur l’axe un haut et un bas, ou une direction descendante. » (p. 348)
L’axe dont il s’agit est assimilable au « septième rayon » du soleil. Il est évident que ceci n’est pas représentable géométriquement, mais peut prendre comme représentation le point, qui coïncide avec le centre même de la sphère. Et ceci indique que, pour tout être qui est enfermé dans les limites d’un certain monde, dans les conditions spéciales d’un certain état d’existence déterminée, l’axe lui-même est véritablement « invisible », et seul peut en être perçu le point qui est sa « trace dans ce monde ».
Dans différentes formes traditionnelles, le symbole le plus habituel de la « chaîne des mondes » est le chapelet ou le rosaire. Dans cet objet, l’élément le plus essentiel est le fil qui relie les grains entre eux, mais au point de vue extérieur on voit les grains plutôt que le fil. Les grains représentent la manifestation, tandis que le sûtrâtmâ, représenté par le fil, est en lui même non manifesté.
LXII. Les « racines des plantes »
« Le Pardes, figuré symboliquement comme un « jardin », doit être considéré ici comme représentant le domaine de la connaissance supérieure et réservée: les quatre lettres P R D S, mises en rapport avec les quatre fleuves de l’Eden, désignent alors respectivement les différents sens contenus dans les Ecritures sacrées, et auxquels correspondent autant de degrés de connaissance; il va de soi que ceux qui « ravagèrent le jardin » n’étaient parvenus effectivement qu’à un degré où il demere encore possible de s’égarer. » (p. 356)
Le symbolisme de l’arbre inversé: les racines sont en haut, c’est-à-dire dans le Principe même. Couper les racine c’est considérer les « plantes » comme ayant en quelque sorte une existence et une réalité indépendantes du Principe.
L’invocation des anges envisagés non comme les « intermédiaire célestes » qu’ils sont au point de vue de l’orthodoxie traditionnelle, mais comme de véritables puissances indépendantes, constitue proprement l’« association », au sens que donne à ce mot la tradition islamique. « Ces conséquences se retrouvent ainsi, à plus forte raison, dans les applications inférieures qui relèvent du domaine de la magie, domaine où se trouvent d’ailleurs nécessairement enfermés tôt ou tard ceux qui commettent une telle erreur, car, par là même, il ne saurait plus être réellement question pour eux de « théurgie », toute communication effective avec le Principe devenant impossible dès lors que « les racines sont coupées ». » (p. 356-357)
Les anges sont « déchus » lorsqu’ils sont envisagés de cette façon, puisque c’est de leur participation au Principe qu’ils tiennent en réalité tout ce qui constitue leur être, si bien que, quand cette participation est méconnue, il ne reste plus qu’un aspect purement négatif qui est comme une sorte d’ombre inversée par rapport à cet être même.
Suivant la conception orthodoxe, un ange, en tant qu’« intermédiaire céleste », n’est pas autre chose au fond que l’expression même d’un attribut divin dans l’ordre de la manifestation informelle, car c’est là seulement ce qui permet d’établir, à travers lui, une communication réelle entre l’état humain et le Principe même, dont il représente ainsi un aspect plus particulièrement accessible aux êtres qui sont dans cet état humain. Tant que cette signification n’est pas perdue de vue, les « racines » ne peuvent donc pas être coupées.
Un ange est, par rapport à la manifestation, et au sens le plus rigoureux du mot, le « porteur » d’un nom divin, et il n’est réellement rien d’autre que ce nom même.
LXIII. Le symbolisme du pont
Le mot sanskrit sêtu est le plus ancien des différents termes sanscrits désignant le pont, et le seul qui se trouve dans le Rig-Vêda. Ce mot, dérivé de la racine si, « attacher », signifie proprement un « lien ».
« Ainsi, le passage du pont n’est pas autre chose en définitive que le parcours de l’axe, qui seul unit en effet les différents états entre eux; la rive dont il part est, en fait, ce monde, c’est-à-dire l’état dans lequel l’être qui doit le parcourir se trouve présentement, et celle à laquelle il aboutit, après avoir traversé les autres états de manifestation, est le monde principiel; l’une des deux rives est le domaine de la mort, où tout est soumis au changement, et l’autre est le domaine de l’immortalité. » (p. 362-363)
De même si le pont est bien réellement la voie qui unit les deux rives et permet de passer de l’une à l’autre, il peut cependant être aussi, en un certain sens, comme un obstacle placé entre elles, et ceci nous ramène à son caractère « périlleux ».
« On peut remarquer que le double sens symbolique du pont résulte encore du fait qu’il peut être parcouru dans les deux directions opposées, alors qu’il ne doit pourtant l’être que dans une seule, celle qui va de « cette rive » vers « l’autre », tout retour en arrière constituant un danger à éviter sauf dans le seul cas de l’être qui, étant déjà affranchi de l’existence conditionnée, peut désormais « se mouvoir à volonté » à travers tous les mondes, et pour lequel un tel retour en arrière n’est d’ailleurs plus qu’une apparence purement illusoire. » (p. 363)
Tant que l’être n’est pas parvenu au monde principiel, d’où il pourra ensuite redescendre dans la manifestation sans en être aucunement affecté, la réalisation ne peut en effet s’accomplir que dans le sens ascendant; et, pour celui qui s’attacherait à la voie pour elle-même, prenant ainsi le moyen pour la fin, cette voie deviendrait véritablement un obstacle, au lieu de le mener effectivement à la libération, ce qui implique une destruction continuelle des liens le rattachant aux stades qu’il a déjà parcourus, jusqu’à ce que l’axe soit finalement réduit au point unique qui contient tout et ce qui est le centre de l’être total.
LXIV. Le pont et l’arc-en-ciel
Dans certaines traditions il y a une assimilation du symbolisme du pont à celui de l’arc-en-ciel.
L’arc-en-ciel est regardé comme symbolisant l’union du ciel et de la terre. Le « signe d’alliance » de la Bible n’y est aucunément présenté comme devant permettre le passage d’un monde à l’autre, passage auquel il n’y est même pas fait la moindre allusion.
L’arc-en-ciel paraît bien avoir été surtout mis en rapport avec les courants cosmiques par lesquels s’opère un échange d’influence entre le ciel et la terre, beaucoup plus qu’avec l’axe suivant lequel s’effectue la communication directe entre les différents états.
Parmi les aspects les plus importants du symbolisme de l’arc-en-ciel il faut noter son assimilation à un serpent, qui se retrouve dans des traditions fort diverses. Une des principales significations symboliques du serpent se rapporte aux courants cosmiques.
LXV. La chaîne d’union
Parmi les symboles maçonniques assez peu compris de nos jours est celui de la « chaîne d’union » qui entoure la Loge à sa partie supérieure.
Comme tout édifice traditionnel, la Loge est une image du Cosmos.
Le cordeau, sous cette forme de la « chaîne d’union », devient le symbole du « cadre » du Cosmos.
LXVI. Encadrements et labyrinthes
A. K. Coomaraswamy a étudié la signification symbolique de certains « nœuds » qui se trouvent parmi les gravures d’Abert Dürer. Ces « nœuds » ont été appelés « dédales » ou « labyrinthes ».
LXVII. Le « quatre de chiffre »
Le « quatre de chiffre » a la forme du chiffre 4, auquel s’ajoutent souvent des lignes supplémentaires, horizontales ou verticales, et qui se combine généralement, soit avec divers autres symboles, soit avec des lettres ou des monogrammes, pour former un ensemble complexe dans lequel il occupe toujours la partie supérieure.
Ce signe a été commun à un grand nombre de corporations: il se trouve dans beaucoup de marques d’imprimeurs, chez les tailleurs de pierres, les peintres de vitraux, les tapissiers, etc.
A en juger par l’emploi qui en est fait, il y a tout lieu de penser que ce fut essentiellement une marque de maîtrise.
« [...] un symbole peut fort bien être réellement susceptible de plusieurs interprétations différentes, mais qui ne s’excluent nullement. Il n’y a là rien dont on doive s’étonner, quoi qu’en puissent penser ceux qui s’en tiennent à un point de vue profane, car non seulement la multiplicité des sens est, d’une façon générale, inhérente au symbolisme lui-même, mais de plus, dans ce cas comme dans bien d’autres, il peut y avoir eu superposition en même fusion de plusieurs symboles [...] » (p. 379)
Ce chiffre 4, dans toutes les marques où il figure, a une forme qui est exactement celle d’une croix dont l’extrémité supérieure de la branche verticale et une des extrémités de la branche horizontale sont jointes par une ligne oblique. La croix, sans préjudice de toutes ses autres significations, est essentiellement un symbole du quaternaire.
La croix représente le quaternaire sous son aspect « dynamique » tandis que le carré le représente sous son aspect « statique ».
Ce qui confirme l’interprétation conformément à laquelle le « quatre de chiffre » correspond à la croix, c’est qu’il y a des cas où le « quatre de chiffre », dans son association avec d’autres symboles, tient manifestement une place qui est occupée par la croix dans d’autres figurations plus habituelles.
LXVIII. Liens et nœuds
La signification essentielle et proprement métaphysique du symbolisme du fil est la représentationd du sûrâtmâ, qui relie tous les états d’existence entre eux et à leur Principe. Dans la structure de l’ensemble, les nœuds représentent les points où agissent les forces déterminant la condensation et la cohésion d’un « agrégat » qui correspond à tel ou tel état de manifestation, de sorte qu’on pourrait dire que c’est ce nœud qui maintient l’être dans l’état envisagé et que sa solution entraîne immédiatement la mort à cet état.
Le nœud représente plus proprement ce qui fixe l’être dans un état déterminé.
« En effet, si on éprouve de l’attachement pour quelqu’un ou pour quelque chose, on considère naturellement comme un mal d’en être séparé, même si cette séparation doit en réalité entraîner l’affranchissement de certaines limitations, dans lesquelles on se trouve ainsi maintenu par cet attachement même. D’une façon plus générale, l’attachement d’un être à son état, en même temps qu’il l’empêche de se libérer des entraves qui y sont inhérentes, lui fait considérer comme un malheur de le quitter, ou, en d’autres termes, attribuer un caractère « maléfique » à la mort à cet état, résultant de la rupture du « nœud vital » et de la dissolution de l’agrégat qui constitue son individualité. Seul, l’être à qui un certain développement spirituel permet d’aspirer au contraire à dépasser les conditions de son état peut les « réaliser » comme les entraves qu’elles sont effectivement, et le « détachement » qu’il éprouve dès lors à leur égard est déjà, au moins virtuellement, une rupture de ces entraves, ou, si l’on préfère une autre façon de parler qui est peut-être plus exacte, car il n’y a jamais de rupture au sens propre du mot, une transmutation de « ce qui enchaîne » en « ce qui unit », qui n’est autre chose au fond que la reconnaissance ou la prise de conscience de la véritable nature du sûtrâtmâ. » (p. 384-385)
Symbolisme du cœur
LXIX. Le cœur rayonnant et le cœur enflammé
Tout comme le soleil, dans certaines figurations le cœur est représenté avec des rayons alternativement rectilignes et ondulés. C’est le Soleil spirituel.
Le cœur est considéré avant tout, dans toutes les traditions, comme le siège de l’intelligence.
En ce qui concerne le cœur, la figuration est la suivante: la lumière est naturellement représentée par un rayonnement du type ordinaire, c’est-à-dire formé uniquement de rayons rectilignes; quant à la chaleur, elle est représentée le plus habituellement par des flammes sortant du cœur.
La représentation du cœur rayonnant, avec ou sans la distinction de deux sortes de rayons, est la plus ancienne, datant pour la plupart d’époques où l’intelligence était encore rapportée traditionnellement au cœur, tandis que celles du cœur enflammé se sont répandue surtout avec les idées modernes réduisant le cœur à ne plus correspondre qu’au sentiment.
« [...] l’origine de cette déviation est d’ailleurs sans doute imputable pour une grande part au rationalisme, en tant que celui-ci prétend identifier purement et simplement l’intelligence à la raison, car ce n’est point avec cette dernière que le cœur est en rapport, mais bien avec l’intellect transcendant, qui précisément est ignoré et même nié par le rationalisme. » (p. 391)
Si on veut chercher un rapport entre le cœur et les sentiment, il faut prendre en considération le cœur comme « centre vital » et siège de la « chaleur animatrice », vie et affectivité étant deux choses très proches l’une de l’autre.
« [...] et l’on sait que, même au simple point de vue de la physique, une flamme est en effet d’autant plus chaude qu’elle est moins éclairante. De même, le sentiment n’est véritablement qu’une chaleur sans lumière, et l’on peut aussi trouver dans l’homme une lumière sans chaleur, celle de la raison, qui n’est qu’une lumière réfléchie, froide comme la lumière lunaire qui la symbolise. Dans l’ordre des principes, au contraire, les deux aspects, comme tous les complémentaires, se rejoignent et s’unissent indissolublement, puisqu’ils sont constitutifs d’une même nature essentielle; il en est donc ainsi en ce qui concerne l’intelligence pure, qui appartient proprement à cet ordre principiel, [...] » (p. 392)
LXX. Cœur et cerveau
L’idée du cœur comme centre de l’être est commune à toutes les traditions antiques, issues de cette tradition primordiale dont les vestiges se rencontrent encore partout pour qui sait le voir.
On peut considérer le cœur et le cerveau comme deux pôles, comme deux éléments complémentaires. Les deux termes de ce rapport ne peuvent plus être placés sur un même plan, comme s’il y avait entre eux une sorte d’équivalence. L’un dépend au contraire de l’autre comme ayant en lui son principe.
Le cœur est assimilé au soleil et le cerveau à la lune. Or, le soleil est par lui-même une source de lumière, tandis que la lune ne fait que réfléchir la lumière qu’elle reçoit du soleil. La lumière lunaire n’est en réalité qu’un reflet de la lumière solaire.
Ce qui est vrai pour le soleil et la lune, est valable aussi pour le cœur et le cerveau, ou, pour mieux dire, pour les facultés auxquelles correspondent ces deux organes et qui sont symbolisées par eux, c’est-à-dire l’intelligence intuitive et l’intelligence discursive ou rationnelle. « Comme la lune ne peut donner sa lumière que si elle est elle-même éclairée par le soleil, de même la raison ne peut fonctioner valablement, dans l’ordre de réalité qui est son domaine propre, que sous la garantie de principes qui l’éclairent et la dirigent, et qu’elle reçoit de l’intellect supérieur. » (p. 401)
C’est l’intellect pur qui est habitus principiorum, tandis que la raison est seulement habitus conclusionum.
La lumière lunaire n’est en réalité qu’un reflet de la lumière solaire. La lune en tant que « luminaire » n’existe que par le soleil. Ce qui est vrai pour le soleil et la lune l’est aussi pour le cœur et le cerveau, ou, pour mieux dire, pour les facultés auxquelles correspondent ces deux organes et qui sont symbolisées par eux, c’est-à-dire l’intelligence intuitive et l’intelligence discursive ou rationnelle. « La raison, en effet, qui n’est qu’une faculté de connaissance médiate, est le mode proprement humain de l’intelligence; l’intuition intellectuelle peut être dite supra-humaine, puisqu’elle est une participation directe de l’intelligence universelle, qui, résidant dans le cœur, c’est-à-dire au centre même de l’être, là où est son point de contact avec le Divin, pénètre cet être par l’intérieur et l’illumine de son rayonnement. » (p. 401)
« Cette perception directe de la vérité, cette intuition intellectuelle et supra-rationnelle dont les modernes semblent avoir perdu jusqu’à la simple notion, c’est véritablement la « connaissance du cœur », suivant une expression qui se rencontre fréquemment dans les doctrines orientales. Cette connaissance est d’ailleurs, en elle-même, quelque chose d’incommunicable; il faut l’avoir « réalisée », au moins dans une certaine mesure, pour savoir ce qu’elle est vraiment; et tout ce qu’on en peut dire n’en donne qu’une idée plus ou moins approchée, toujours inadéquate. » (p. 403)
LXXI. L’emblème du Sacré-Cœur dans une société américaine
« [...] la propagande protestante est fort insinuante et prend toutes les formes pour s’adapter aux divers milieux où elle veut pénétrer [...]. » (p. 404)
La société s’appelle Order of Chylena.
« La tendance moderne, telle que nous la voyons s’affirmer dans le protestantisme, est tout d’abord la tendance à l’individualisme, qui se manifeste clairement par le « libre examen », négation de toute autorité spirituelle légitime et traditionnelle. Ce même individualisme, au point de vue philosophique, s’affirme également dans le rationalisme, qui est la négation de toute faculté de connaissance supérieure à la raison, c’est-à-dire au mode individuel et purement humain de l’intelligence [...]. » (p. 407)
LXXII. L’Œil qui voit tout
Un des symboles qui sont communs au christianisme et à la maçonnerie est le triangle dans lequel est inscrit le Tétragramme hébraïque, ou quelquefois un iod, première lettre du Tétragramme. Parfois aussi, le iod lui-même est remplacé par un œil, qui est généralement désigné comme « Œil qui voit tout ».
Note en bas de page: « Dans les églises chrétiennes où il figure, ce triangle est placé normalement au-dessus de l’autel; celui-ci étant d’ailleurs surmonté de la croix, l’ensemble de cette croix et du triangle reproduit assez curieusement le symbole alchimique du soufre. » (p. 410)
Le triangle droit se rapporte proprement au Principe. Mais, quand il est inversé par reflet dans la manifestation, le regard de l’œil qu’il contient apparaît en quelque sorte comme dirigé « vers le bas », c’est-à-dire du Principe vers la manifestation elle-même, et, outre son sens général d’« omniprésence », il prend alors plus nettement la signification spéciale de « Providence ». D’autre part, si ce reflet est envisagé plus particulièrement dans l’être humain, on doit noter que la forme du triangle inversé n’est autre que le schéma géométrique du cœur; l’œil qui est en son centre est alors proprement l’« œil du cœur » (aynul-qalb de l’ésotérisme islamique), avec toutes les significations qui y sont impliquées. De plus, c’est par là que, suivant une autre expression connue, le cœur est « ouvert » (el-qalbul-maftûh).
En même temps qu’il figure l’« œil du cœur », le iod, suivant une de ses significations hiéroglyphiques, représente aussi un « germe » contenu dans le cœur assimilé à un fruit.
LXXIII. Le grain de sénevé
Le iod dans le cœur, c’est le Principe résidant au centre, soit, au point de vue macrocosmique, au « Centre du Monde » qui est le « Saint Palais » de la Kabbale, soit aussi, au point de vue microcosmique, au centre de tout être, qui est toujours symbolisé par le cœur dans les différentes doctrines traditionnelles, et qui est le point le plus intérieur, le point de contact avec le Divin.
Suivant la Kabbale, la Shekinah ou la « Présence divine », qui est identifiée à la « Lumière du Messie », habite (shakan) à la fois dans le tabernacle, appelé pour cette raison mishkan, et dans le cœur des fidèles. Le iod dans le cœur, c’est en quelque sorte le germe enveloppé dans le fruit.
Le Principe divin, tant qu’il réside au centre de l’être, est souvent désigné symboliquement comme « l’Ether dans le cœur », l’élément primordial dont procèdent tous les autres étant pris naturellement pour représenter le Principe.
Lorsqu’on passe analogiquement de l’inférieur au supérieur, de l’extérieur à l’intérieur, du matériel au spirituel, une telle analogie, pour être correctement appliquée, doit être prise en sens inverse: ainsi, de même que l’image d’un objet dans un miroir est inversée par rapport à l’objet, ce qui est le premier ou le plus grand dans l’ordre principiel est, du moins en apparence, le dernier ou le plus petit dans l’ordre de la manifestation.
LXXIV. L’Ether dans le cœur
L’« Ether dans le cœur » est en réalité le Principe divin qui réside, tout au moins virtuellement, au centre de tout être.
Chândogya Upanishad, 8e Prapâthaka, 1er Khanda, shruti 2: « Dans ce séjour de Brahma [c’est-à-dire dans le centre vital], est un petit lotus, une demeure dans laquelle est une petite cavité (dahara) occupée par l’Ether (Akâsha); on doit rechercher ce qui est dans ce lieu, et on le connaîtra. »
« [...] il était réservé à la philosophie moderne et purement profane, avec Descartes, de poser la question, contradictoire dans les termes mêmes, d’un « siège de l’âme », et de prétendre situer celle-ci littéralement en une certaine région du cerveau; les antiques doctrines traditionnelles n’ont assurément jamais donné lieu à de semblables confusions, et leurs interprètes autorisés ont toujours su parfaitement à quoi s’en tenir sur ce qui devait être entendu symboliquement, en faisant correspondre entre eux les divers ordres de réalités sans les mêmler, et en observant strictement leur répartition hiérarchique selon les degrés de l’existence universelle. » (p. 423)
Il est très remarquable, sous le rapport des concordances entre les traditions orientales et occidentales, que Dante parle aussi de « l’esprit de la vie, qui demeure dans la plus secrète chambre du cœur », c’est-à-dire précisément dans cette même « cavité » dont il est question dans la doctrine hindoue; et, ce qui qui est peut-être le plus singulier, c’est que l’expression qu’il emploie à ce propos, spirito della vita, est une traduction aussi rigoureusement littérale que possible du terme sanscrit jîvâtmâ, dont il est cependant fort peut vraisemblable qu’il ait pu avoir connaissance par une voie quelconque.
« Ainsi, ce qui réside dans le cœur, à un premier point de vue, c’est l’élément éthéré, mais ce n’est pas cela seulement; à un second point de vue, c’est l’« âme vivante », mais ce n’est pas seulement cela non plus, car ce qui est représenté par le cœur est essentiellement le point de contact de l’individu avec l’universel, ou, en d’autres termes, de l’humain avec le Divin, point de contact qui s’identifie naturellement avec le centre même de l’individualité. Par conséquent, il faut faire intervenir ici un trosième point de vue, qu’on peut dire « supra-individuel », puisque, exprimant les rapports de l’être humain avec le Principe, il sort par là même des limites de la condition individuelle, et c’est à ce point de vue qu’il est dit enfin que ce qui réside dans le cœur c’est Brahma même, le Principe divin dont procède et dépend entièrement toute existence, et qui, de l’intérieur, pénètre, soutient et illumine toutes choses. » (p. 426)
Le Principe divin est considéré comme résidant ainsi d’une certaine façon au centre de tout être, ce qui est conforme à ce que dit saint Jean lorsqu’il parle de « la vraie Lumière qui illumine tout homme venant en ce monde; mais cette « présence divine », assimilable à la Shekinah hébraïque, peut n’être que virtuelle, en ce sens que l’être peut n’en avoir pas actuellement conscience; elle ne devient pleinement effective pour cet être que lorsqu’il en a pris conscience et l’a « réalisée » par l’« Union », entendue au sens du sanscrit Yoga. Alors, cet être sait, par la plus réelle et la plus immédiate de toutes les connaissances, que « l’Atmâ qui réside dans le cœur » ce n’est pas simplement le jîvâtmâ, l’âme individuelle et humaine, mais que c’est aussi l’Atmâ absolu et inconditionné, l’Esprit universel et divin, et que l’un et l’autre, en ce point central, sont dans un contact indissoluble et d’ailleurs inexprimable, car en vérité ils n’en sont qu’un, comme, suivant la parole du Christ, « mon Père et moi nous sommes un ». Celui qui est parvenu effectivement à cette connaissance a véritablement atteint le centre et non seulement son propre centre mais aussi, et par là même, le centre de toutes choses; il a réalisé l’union de son cœur avec le « Soleil spirituel » qui est le véritable « Cœur du Monde ».
LXXV. La Cité divine
Ce qui est désigné par la « Cité divine » est le centre de l’être, représenté par le cœur qui lui correspond d’ailleurs effectivement dans l’organisme corporel, résidence de Purusha, identifié au Principe divin (Brahma).
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