La guerre crée un type de société particulier et chaque État est imprégné du symbolisme de la guerre. Le sang humain coule en abondance au cours d’une guerre. Mais l’effusion de sang au cours d’une guerre a une signification tout à fait particulière et mystérieuse. L’effusion de sang empoisonne les peuples et donne lieu à de nouvelles effusions qui ne cessent de se répéter. Tout en voyant dans le meurtre un péché et un crime, les peuples ne s’en plaisent pas moins à idéaliser certaines formes de meurtre, telles que le duel, la guerre, la peine de mort, le meurtre masqué que sont les persécutions politiques. Et le sang engendre toujours le sang. Celui qui lève l’épée périt par l’épée. L’effusion de sang ne peut pas ne pas provoquer notre horreur. Les cultes orgiaques de l’antiquité étaient fondés sur l’association de ces deux éléments que sont le sang et la sexualité, entre lesquels il existe effectivement un lien mystérieux. C’est que l’effusion de sang est un facteur de régénération des hommes. La difficulté qui s’oppose à la solution du problème de la guerre tient à l’ambivalence de celle-ci. D’une part, en effet, la guerre représente la phase zoologique du développement de l’humanité, elle est un péché et un mal, mais, d’autre part, les guerres ont contribué à élever les hommes au-dessus de la quotidienneté humiliante de la vie terre à terre. Elles ont rendu l’homme capable d’exploits héroïques, elles exigeaient du courage, de la bravoure, elles comportaient l’esprit de sacrifice, le renoncement à la sécurité, la fidélité. Mais, en même temps, les guerres ont contribué à déchaîner les instincts les plus bas de l’homme: cruauté, soif de sang, violence, pillage, volonté de puissance. C’est que l’héroïsme lui-même peut être non seulement positif, mais aussi négatif. L’attrait exercé par la gloire militaire est contraire à l’esprit du christianisme, parce qu’à la guerre se trouve associé le besoin de diviniser des Césars, des grands capitaines, des chefs, des antéchrists, divinisation qu’il ne faut pas confondre avec le culte des génies et des saints. Deux destinées guettent l’homme: ou la guerre, la violence, le sang et l’héroïsme qui revêt le faux attrait de la grandeur, ou la jouissance d’une vie terre à terre, en plein contentement de soi, et la soumission au pouvoir de l’argent. Les hommes hésitent entre ces deux états et ont du mal à s’élever à un troisième qui les dépasse.
La guerre - et je parle ici de la vraie guerre - représente la forme extrême du pouvoir de la collectivité sur l’individu. On peut encore exprimer cette idée autrement, en disant que la guerre est une manifestation du pouvoir hypnotique que la collectivité exerce sur la personne. Les hommes ne peuvent combattre que pour autant que leur conscience personnelle se trouve affaiblie au profit de la conscience collective ou de groupe.
(fragment de l’ouvrage Dialectique existentielle du divin et de l’humain, 1947)
04 avril 2006
Nicolae Berdiaev, La guerre, (fragment)
Publicat de Radu Iliescu la 7:28 PM
Etichete: Berdiaev Nicolae
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