Etude paru sur www.religioperennis.org
« Parler sur une déité en accumulant un ensemble de données érudites est une entreprise sans grande portée. Il n'existe rien de tel qu'une déité objet d'étude. »
Pour comprendre une déité il faut d’abord comprendre sa propre essence en tant que pratiquant. Le rapport entre la déité et le pratiquant est vital, tel qu’on peut dire que l’existence de la déité est inséparable de celle du pratiquant. Questionner l’existence de l’un arrive à s’interroger sur l’existence de l’autre.
L’invocation des esprits médiateurs n’est pas uniquement une opération rituelle technique.
Un aspect difficile à considérer, mais vital pour la compréhension du thème: « […] une déité n'est jamais une image, une conception mentale, mais toujours une présence vivante qui répond à la possibilité qu'à l'homme de s'ouvrir à elle. »
Le présent étude se concentre sur Vajrayogini, une des plus importantes déités bouddhistes, rencontrée surtout dans l’école Kagyü. Les Annales Bleues le note : « La majorité des yogis tantriques dans le Pays des Neiges ont été initiés et ont suivi la méditation et la présentation du système connu comme les Six textes de Vajravarahi [l'un des noms de Vajrayogini]. » Chögyam Trungpa a présenté cette déité en Occident.
I. Statut ontologie d’une déité au sein du monde du tantra bouddhiste
Chaque texte traditionnel insiste sur le fait que les déités n’ont pas d’existence externe.
Chögyam Trungpa note: « Dans les enseignements du Vajrayana, le concept de déité n'a rien à voir avec celui de messager ou de représentation d'une sorte d'existence externe. Nous ne parlons pas même en termes de divinités, mais nous parlons d'une sorte de situation d'existence qui conduit notre intuition à son point le plus haut. Les déités, devas et devatas, ne sont pas considérées comme ayant des existences externes. Elles sont simplement l'expression de notre propre esprit. »
Ainsi, dans le bouddhisme les déités sont non-existentes et présentes, presque tangibles. La compréhension de ce paradoxe est un défi posé à la pensée occidentale. Le statut de la dhéité bouddhiste ne répond pas à la distinction occidentale entre le sensible et l’intelligible.
La déité n’est pas sensible au sens matériel du terme. Sa manifestation est pure luminosité.
« Affirmer l'existence autonome d'une déité est une erreur fatale, mais, à l'inverse,
considérer les déités comme de simples représentations mentales, de simples « supports imaginatifs servant à la méditation » est une méprise particulièrement redoutable. »
La présence de la divinité est une façon d’être au cœur du monde comme en notre propre esprit.
Malgré son inexistence ontologie, le rencontre avec la déité est possible d’une manière concrète. La rencontre célèbre de Naropa et de Vajrayogini (visage tangible de la vacuité). La plupart des grands saints se sont engagés dans les pratiques tantriques suite à l’intercession de Vajrayogini.
La déité n’est pas ce que les Occidentaux nomment d’une manière vague « un dieu », mais un état d’être, « une manifestation de la nature véritable de ce qui est ».
Incapacité occidentale de comprendre la rencontre de Naropa: « Pour nous, soit la déité a une existence objective, et alors Naropa l'a véritablement rencontrée — mais comme cela nous semble impossible, ou il est un fou ou il est un primitif superstitieux que les lumières de Voltaire et la science de Freud n'ont pas encore guéri —, ou elle est une expérience subjective et personnelle qui a pris place dans son esprit. »
Un Occidental serait tenté de considérer Vajrayogini comme un état de névrose. La racine de cette erreur est considérer l’être humain comme sujet. « Penser l'être humain comme sujet ne va en réalité nullement de soi, et particulièrement dans une perspective traditionnelle. » Au Moyen Age, le terme « sujet » avait encore le sens de « ce sur quoi on peut dire quelque chose ». Ce n’est que Descartes qui le consacre en tant qu’équivalent de l’ego. Les temps nouveaux insularisent le « je ». L’opposition sujet/objet qui en résulte fait obstacle à la compréhension des esprits médiateurs.
Visualiser une déité implique de sortir de soi jusqu’à rencontrer ce qui nous est le plus intime: une ouverture vivante. Le cheminement de pensée entrepris par Heidegger sur cette question est en mesure de nous débarasser de nos idées philosophiques préconçues: « Si, me remémorant, je pense à René Char aux Busclats, explique-t-il, qu'est-ce qui m'est donné là ? C'est René Char lui-même ! Non pas Dieu sait quelle "image" par laquelle je serais médiatement référé à lui. Cela est si simple que c'est extrêmement difficile à faire comprendre philosophiquement. » Visualiser la déité c’est tenter d’être en rapport avec elle pour de bon.
Robert Thurman a nommé les déités yidam « archétypes ». Il comprend le tantra bouddhiste comme une méthode pour transmuter la confusion mentale de notre psyché en une énergie bénéfique. La réalité est bien différente: « La notion d'archétype ne peut nullement rendre compte de l'aperçu vivant de l'éveil qu'est la déité, un aperçu qui n'a rien d'une illumination intérieure. La déité ne réside pas dans la prétendue profondeur de l'âme humaine, elle libère précisément l'homme de cet enfermement sur lui-même qui le prive de goûter le grand réel. » L’archétype (dans le sens accordé par Jung) repose sur une conception de l’esprit humain clôturé sur lui-même. En lui-même, l’archétype est une facultas praeformandis (une possibilité de préformation). Vus comme cela, les archétypes ressemblent aux instincts, et le danger est de confondre le spirituel avec le psychique.
Le terme tibétain de yidam est une abréviation de l'expression yi-kyi tansik. Yi veut dire « esprit », kyi « de », et tantsik « mot sacré » ou « lien sacré ». Le terme indique le rapport entre le pratiquant et l’éveil.
Le non-ego comme terrain sans terrain
Parmi tout ce que nous pouvons rencontrer, seule la déité implique l’espace du non-ego pour apparaître. La déité est une représentation de ce que nous sommes le plus essentiellement.
La manifestation de la déité est à la fois très intime et disolvant tout sens de l’identité.
« […] développer une relation avec une déité est un moyen habile pour se familiariser avec l'espace du non-ego. »
Le tantra est parfois comparé à un toit en or que l'on pose sur une maison. Les fondations sont le hinayana, la voie étroite de l'honnêteté, tandis que les murs de la maison sont constitués du mahayana, le chemin vaste qui invite à placer les autres avant soi-même.
Prajna est la connaissance discriminante et non duelle, une intelligence qui ne provient pas de l’ego.
Au niveau de mahayana, la notion de déité se manifeste comme la réalisation de la nature de buddha en soi-même. Pour actualiser notre nature de bouddha, invoquer et devenir devient une voie royale.
Une déité est avant tout une manifestation de la nature du non-ego.
II. Vajrayogini et son symbolisme
On possède près de cinquante descriptions iconographiques de Vajrayogini. Son culte est né en Inde entre le Xe et XIIe siècle, pendant le développement du tantra bouddhiste. Toutes, qu’elles que soient leurs postures, envisagent une jeune fille nue, de couleur rouge. Elle est nue parce qu’elle n’est nullement atteinte par la névrose et la confusion. Elle n’est pas vêtue par l’armure du moi. Elle a un visage, car tous les phénomènes ont une saveur unique dans l’espace inconditionnel. Elle a trois yeux pour voir ensemble le passé, le présent et le futur. Elle a deux bras, car elle est l’union de prajna (la connaissance discriminante) et d’upaya (l’action juste). La couleur rouge vif est celle de la passion-compassion universelle. Elle ne cherche ni la paix, ni le désordre. Elle voit la confusion et l’éveil surgir simultanément sans s’y attacher.
Suite de l’analyse iconographique: « Son pied gauche est posé à terre, sur un lotus, un soleil et une lune, qui est le siège habituel des bouddhas et des yidams. Le lotus indique la naissance spontanée de l'éveil, car celui-ci, semblable à la fleur, apparaît pur au milieu de la boue. Le soleil est le symbole de la sagesse tandis que la lune représente la compassion. Elle se tient aussi sur un cadavre représentant l'ego vaincu, à la manière de toutes les déités semicourroucées.
Ses habits, ou plutôt ses ornements, sont typiques de ceux d'un yidam. Ils portent « les costumes des rakshasa qui, dans la mythologie indienne, sont des vampires en relation avec Rudra, roi des Maras, les mauvais. Le symbolisme impliqué est le suivant : lorsque l'ignorance, symbolisée par Rudra, a établi son empire, alors sa sagesse apparaît, détruit cet empire en gardant les costumes de l'empereur et de sa suite. Les costumes des yidams symbolisent la transmutation de l'ego en sagesse. Les couronnes à cinq crânes qu'ils portent représentent les cinq émotions qui ont été transmutées en les Cinq Sagesses. Ces émotions ne sont pas jetées au loin, mais portées comme ornements. C'est en raison de ce processus que le chemin du vajrayana est qualifié d'alchimie spirituelle. »
Vajrayogini montre qu’elle a du parfaire la générosité, la discipline, la patience, l’effort et la méditation, soit les cinq des six paramita, ou actions transcendantes. Prajna, la sixième paramita, est représenté par Vajrayogini même.
III. La manière dont une déité est pratiquée
Le pratiquant invoque la déité dans une veille attentive. Il n’attend pas que la déité survienne, il s’ouvre à la présence de la déité.
« […] l'homme seul ne peut pas, de lui-même, oeuvrer à sa délivrance sans risquer de tomber dans un dangereux prométhéisme. »
Le bouddhisme réfuse le théisme pour préserver l’espace divin de tout dualisme, pour ne pas le réduire à un support de projections personnelles.
L’initiation spirituelle accordée par un maître bouddhiste s’appelle abhisheka. Pour invoquer la déité il existe une pratique rituelle nommée sadhana.
« Le déroulement de la journée est indiqué seulement par des instructions générales qui sont incluses dans la sadhana même, de se lever tôt, de se laver, d'accomplir la sadhana dans un lieu solitaire et de la faire précéder par certains rites préliminaires, de la répéter trois ou quatre fois par jour, et d'accomplir de nombreux rites externes sur la base de cette méditation. »
La pratique d’une déité inclut la mise en place d’un mandala, son territoire sacré, la récitation de mantra, sa parole sacré, de mudra, gestes rituels purs.
La déité est la présence spontanée qui émerge librement de la pureté primordiale.
24 septembre 2006
Fabrice Midal, Esprits médiateurs au sein du tantra bouddhiste. Regards « trungpien » sur Vajrayogini, (note de lectura)
Publicat de Radu Iliescu la 8:01 PM
Etichete: Midal Fabrice
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