Le rôle des Etats-Unis, la dernière superpuissance restante dans le monde, est aujourd’hui central dans la géopolitique globale. А partir de la fin du XIXe siècle, un continent marginal, qui n’avait jusqu’alors représenté qu’une province secondaire du Vieux Monde, de l’Europe, devint progressivement un géant politiquement et culturellement autonome, jusqu’au moment où, après la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis se proposèrent comme modèle paradigmatique universel aussi bien pour ces mêmes pays d’Europe que pour l’Asie. L’importance de l’Amérique s’accrut sans cesse, se répandit un ensemble de critères idéologiques, culturels, psychologiques et même philosophiques associés à l’Amérique qui vont bien au-delà de son influence proprement économique et militaire. Se manifesta de plus en plus l’existence d’une « Amérique mythologique », d’une « Amérique comme concept », d’une « Amérique comme idée de l’Amérique ». Et si une telle « idée de l’Amérique » a pu s’enraciner dans la conscience géopolitique universelle et devenir quelque chose de « néo-sacral », il doit y avoir à cela des raisons très sérieuses associées à l’inconscient collectif de l’humanité, et à cette géographie secrète continentale qui plonge ses racines dans les millénaires mais dont le souvenir continue à vivre comme archétypes psychiques. L’objet de ce chapitre est précisément d’examiner les dessous « mythologiques » de l’Amérique comme « continent intérieur ».
LA CARTE SECRETE
Les hypothèses sur la découverte de l’Amérique par le Vieux Monde longtemps avant le voyage de Christophe Colomb deviennent de plus en plus populaires aujourd’hui. Il est presque prouvé que les Vikings scandinaves visitèrent l’Amérique du Nord sur leurs navires – des inscriptions runiques se trouvent partout sur la côte orientale du Canada, au Labrador, sur l’île de Terre-Neuve, etc. Il y a des théories assez argumentées du chercheur Jacques de Mahieu concernant les contacts entre la civilisation inca et ces mêmes Vikings. Il existe en outre d’autres versions affirmant que l’Europe aurait toujours connu l’existence du continent américain, et que cette information n’aurait pas été divulguée seulement pour des raisons bien précises d’ordre sacré. Mais le plus grand intérêt sous ce rapport est représenté par l’histoire énigmatique de la carte de Muhiddin Piri Reis, sur laquelle nous nous arrêterons plus en détail.
En l’an 1520, Muhiddin Piri Reis, amiral de la flotte turque, publia un atlas de navigation appelé « Babriye » (cet atlas se trouve toujours au Musée National d’Istanbul). Certaines des cartes s’y trouvant représentent avec une exactitude surprenante l’Amérique du Nord et Sud, le Groenland et... l’Antarctique, qui ne pouvait simplement pas être connue des navigateurs de l’époque, s’il faut en croire les historiens officiels.
Piri Reis explique comme suit l’origine de ces cartes. Elles furent trouvées auprès d’un des Espagnols participant aux trois expéditions de Christophe Colomb et qui fut capturé par l’officier turc Kemal après un combat naval. Dans ses notes Piri Reis affirme que c’est seulement grâce à ces cartes que Colomb put découvrir le Nouveau Monde, et une confirmation indirecte de cela se trouve dans le livre du fils de Christophe Colomb – Fernando, « La Vie de l’amiral Christophe Colomb » : « Il (c’est-à-dire Colomb – А.D.) se servit d’une grande quantité d’informations, avant de parvenir à la conclusion qu’il pourrait découvrir de nombreuses terres à l’ouest des îles Canaries ». Les cartes de Colomb, trouvées par Piri Reis, étaient datées de l’année 1498. Mais Piri Reis affirme aussi qu’un livre datant de l’époque d’Alexandre le Grand parvint jusqu’à Colomb. Cependant certains détails des cartes – par exemple l’Antarctique et le Groenland n’apparaissent pas encore de recouverts de glace, et cela permet d’observer, en particulier, que le Groenland comprend deux îles (un fait confirmé récemment par une expédition française) – ne peuvent se rapporter qu’au cadre géographique de la planète remontant au cinquième millénaire ! L’analyse des cartes de Piri Reis par le professeur A. Afetinan dans son livre « La plus ancienne carte de l’Amérique » (Ankara, 1954) [1] et l’expertise effectuée par l’Institut américain de Cartographie Maritime ont montré l’incroyable précision de ces cartes, où sont même représentés des massifs montagneux de l’Antarctique et du Groenland, découverts seulement récemment par les géologues. Une telle précision, d’après les experts, ne peut être obtenue qu’à l’aide de la photographie aérienne.
D’une manière ou d’une autre, les peuples eurasiens devaient donc connaître l’existence de l’Amérique bien avant Colomb ; cependant, puisque aucune connaissance ne disparaît sans laisser de trace, mais descend seulement dans la sphère de l’inconscient ou se retire dans la profondeur des secrets ésotériques, un continent aussi important que l’Amérique était forcément un élément important de la « géographie sacrée » des Anciens, et le rôle moderne de l’Amérique comme civilisation autonome n’est rien d’autre que le réveil des anciens archétypes.
POURQUOI PAS LA « COLOMBIE » ?
Beaucoup expliquent la dénomination moderne du continent d’après le nom d’Amerigo Vespucci, et non selon celui de Christophe Colomb, comme un malentendu historique et une injustice accidentelle. Nous ne pouvons aucunement être d’accord, puisqu’il est facile d’observer que, même dans un cadre plus local, survivent aussi des noms apparemment « rationnels » qui correspondent dans une certaine mesure aux archétypes linguistiques semi-inconscients, par exemple dans le phénomène connu de ce qu’on appelle l’« étymologie populaire ». La simple ressemblance phonétique des mots joue en cela un rôle parfois important, mais une telle identification des concepts sur la base d’une ressemblance purement sonore témoigne non tant de leur « fausseté » (comme le croyait la science « positiviste » et « antipsychologique » du XIXe siècle et du début du XXe) que de la stabilité des structures sémantiques, non au niveau des mots entiers, mais au niveau de la signification indépendante des lettres et de leur association. C’est sur la base de la dénommée « étymologie populaire » que sont fondées des méthodes sacrées métaphysiquement précieuses et non pas « populaires », comme la Nirukta hindouiste [2] et la Kabbale judaïque. Nous pensons donc que, pour se transmettre à un continent aussi gigantesque et aussi important par sa mission géopolitique, le mot « Amérique » devait nécessairement contenir une idée phonétique associée aux modèles archaïques de la proto-langue dans laquelle se conserve le subsconscient des nations eurasiennes.
Dans l’image sacrée (et par conséquent dans le nom) de l’Amérique doit d’abord se refléter l’idée de son origine « extrême-occidentale ». Selon les travaux du professeur Wirth [3], le plus ancien centre sacré de l’Occident était la terre de Mo-Uru, l’île de Мо-Uru, située dans l’Atlantique du Nord-Ouest. Ce nom est mentionné dans le Bundahishn (un texte sacré zoroastrien), où il vient en troisième position après l’Aryanam-Vaejo des grands ancêtres aryens (l’Aryanam-Vaejo se trouvait directement au Pôle Nord, sur le continent arctique « Аrctogaïa », disparu il y a déjà de nombreux millénaires). C’est justement avec l’aide de ce mot-clé « Мо-Uru », et en se fondant sur le déchiffrement des runes et des symboles proto-runiques (et en particulier, sur le déchiffrement de l’écriture linéaire de l’Egypte pré-dynastique, des inscriptions mycéniennes et même des anciens graffitis rupestres), que le professeur Wirth parvint à pénétrer les secrets de plusieurs cataclysmes ethniques et raciaux de la préhistoire.
Dans des versions phonétiques différentes, Mo-Uru est mentionné dans la Bible (« Моria » est le nom du pays où Abraham décida d’offrir Isaac en sacrifice à Dieu), dans les sagas celtiques où on parle de la terre de « Моrias » ou « Мurias » comme de la patrie de la race nordique et divine des Tuatha de Danann, et dans les cultes scandinaves, où le célèbre cercle de pierres du centre de culte païen d’Uppsala s’appelait aussi « Mora-Sten », c’est-à-dire la « pierre de Моr », etc. [4]. Wirth suppose (et démontre d’une manière convaincante dans ses travaux minutieusement argumentés : « L’origine de l’humanité » et « La proto-écriture sacrée de l’humanité », etc.) que les « Amorréens », les « Maures » et même les « Maoris » d’Océanie étaient les héritiers des anciens survivants de ce centre sacré situé dans l’Atlantique Nord, et que la géographie de cette terre fut transférée plus tard dans la toponymie historique des établissements successifs des « hommes de Mo-Uru ».
Curieusement, le nom « Amorréens » signifie en hébreu « peuple de l’Occident » (am uru). Il existe aussi une doctrine sacrée mentionnée par Guénon, affirmant que la tradition judaïque est « occidentale » par son origine symbolique et préhistorique. De cela témoigne, en particulier, la coutume juive de fêter la Nouvelle Année en automne et de compter les jours à partir du soir, soulignant ainsi l’importance particulière de l’orientation « occidentale », correspondant au soir et à l’automne, c’est-à-dire à la période du « coucher » du jour et de l’année. Dans une telle perspective même Ur en Chaldée, d’où Abraham partit vers la terre promise, apparaît comme un substitut de Mo-Uru, de la « Ur nord-atlantique », puisque même le « Zohar » affirme que « Ur », où résidait initialement Abraham, symbolise « l’état spirituel supérieur », dont Abraham, par nécessité providentielle, « descendit » vers le bas (il est intéressant de remarquer que les juifs partagent assez souvent ce point de vue concernant l’origine occidentale de leur tradition, comme cela apparaît à travers les premiers projets sionistes de l’organisation d’un « L’Etat juif » en Amérique ou dans les livres de Simon Wiesenthal sur la préhistoire juive de l’Amérique et de Edmund Weizmann sur « L’Amérique, Nouvelle Jérusalem »). De cette manière, l’énigmatique nom « Мо-Uru » désigne précisément le continent sacré extra-européen, situé à l’Ouest, dans l’Atlantique. Mais « Mo-Uru », « Amuru » ou « Amoru » (de telles formes se rencontrent historiquement dans diverses traditions) sont phonétiquement très proches d’« Amérique ». Et il n’est pas du tout exclu (il est même assez probable) que cette « coïncidence », ou plus exactement cette correspondance providentielle, ait servi de fondement inconscient ou semi-inconscient pour l’attribution au Nouveau Monde d’un nom extérieurement aussi profane et intérieurement aussi sacré.
ATLANTIDE ET OUTRE-ATLANTIDE : LE MYSTERE DU DOLLAR
Naturellement, ce rapport entre « Amérique » et « Мо-Uru » est directement associé au mythe de l’Atlantide, le paléocontinent dont parlèrent Solon, Platon et beaucoup d’autres après eux. L’Atlantide est le continent sacré occidental, où prospéra une grande civilisation spirituelle, qui périt à la suite d’un terrible cataclysme et d’une inondation. La destruction du continent est le plus souvent décrite comme un événement graduel : après l’abaissement de sa partie continentale, de sa partie principale, située à l’ouest de l’Europe et de l’Afrique, survécurent pendant un certain temps quelques îles dans l’Atlantique Nord, où se concentrèrent les dernières souches atlantes, dépositaires de la tradition ancienne. L’une de ces terres, d’après Wirth, fut justement Mo-Uru, qui fut à son tour submergée beaucoup plus tard, plusieurs millénaires après le cataclysme principal.
Cependant le continent Amérique, selon nous, n’est pas le continent le plus occidental de la géographie sacrée (l’Atlantide), mais sa « continuation » vers l’Occident. En d’autres mots, l’Amérique est une « Outre-Atlantide », c’est-à-dire une terre située « de ce coté, vers l’Ouest ». Il est possible que ce déplacement sacralement symbolique de l’Amérique explique l’inquiétant secret associé à celle-ci dans le contexte de la géographie sacrée des civilisations traditionnelles de l’Eurasie.
En accord avec cette géographie sacrée, à l’Occident se trouve la « Terre Verte », la « Terre des morts », une sorte de monde semi-matériel, qui rappelle l’Hadès ou le Shéol. C’est le pays du Crépuscule et du Coucher, d’où la sortie est impossible pour les simples mortels, et auquel peut accéder seulement un prédestiné. On pense que le nom du Groenland (littéralement, le « Pays Vert ») se réfère justement à ce lieu symbolique. Le « Pays Vert » n’est pas l’Atlantide (et Mo-Uru non plus !), mais quelque chose se trouvant plus à l’Occident de celle-ci, le « monde de la mort », le « royaume des ténèbres ». Et cet aspect ultra-mondain du continent américain se révèle d’une manière surprenante dès le premier regard sur une chose aussi banale que le symbole du dollar. René Guénon a remarqué un jour que le symbole $ sur la monnaie américaine est une simplification graphique de l’emblème sacré qui se rencontre sur les monnaies anciennes de la région méditerranéenne. Initialement les deux lignes verticales étaient des représentations des « colonnes d’Hercule » qui, selon la tradition, se trouvaient à l’extrême occident, après le détroit de Gibraltar. Sur ce symbole apparaissait initialement l’inscription symbolique « nec plus ultra », qui signifiait littéralement « rien au-delà ». Ces deux symboles désignaient une frontière, la limite occidentale de la géographie sacrée humaine, au-delà de laquelle se trouvaient les « mondes non-humains ». Et ce symbole « frontalier », indiquant qu’on ne peut pas aller au-delà de Gibraltar, est devenu d’une manière paradoxale le symbole financier de l’Amérique, d’un pays qui se trouve « au-delà de la frontière », « là où on ne peut pas aller », là où l’inscription sur le prototype du dollar interdisait justement d’aller. Ainsi peut s’entendre la qualité symbolique « ultra-mondaine » de l’Amérique, dans laquelle se révèlent les aspects négatifs et interdits de la géographie sacrée de la civilisation humaine (pour la signification symbolique du « Pays Vert » et de l’Occident, voir Gustav Meyrink, « L’ange à la Fenêtre d’Occident »).
Dans une telle perspective, la redécouverte du continent américain par Colomb porte en elle-même une signification assez funeste, puisqu’elle indique l’apparition à l’horizon de l’histoire de l’« Atlantide submergée », et même pas de l’Atlantide, mais de son « ombre », de sa continuation négative dans l’Occident symbolique, dans le « monde des morts ». Et la coïncidence chronologique de cette « redécouverte » avec le début du brusque déclin de la civilisation européenne (et eurasienne en général), qui commença dès ce moment à perdre rapidement ses principes spirituels, religieux, qualitatifs et sacrés, est assez significative à cet égard.
Sur le plan purement culturel-philosophique, l’Amérique devient dès lors le lieu de projection idéal de toutes les utopies profanes, athées ou semi-athées. Et les modèles de société fondés sur la simple raison humaine – à partir de Tommaso Moro – sont de plus en plus souvent transférés sur ce continent. Et ici, à nouveau, non seulement le caractère inconnu de ces terres influence le choix des étendues géographiques destinées à la réalisation de l’Utopie, mais les archétypes de la « terre des morts », « où règne l’ordre éternel et la paix », et les images de la « Terre Verte » de l’Occident agissent aussi d’une manière remarquable sur les utopistes et leurs constructions. On peut comparer le cycle historique de l’Amérique à celui d’une « Nouvelle Atlantide », sortie de la profondeur des eaux, mais il ne s’agit pas de la vraie Atlantide ressuscitée, mais d’une autre, chimérique, contrefaite, fantomatique, qui s’est consacrée à faire revenir l’« âge d’or », mais de laquelle émane l’odeur du continent–tombe.
L’AUBE A L’OCCIDENT, LE COUCHER A L’ORIENT
Le métaphysicien et traditionaliste bien connu Geïdar Djemal a indiqué un jour une particularité intéressante de la situation géographique du continent américain : pour les Américains le soleil se lève chaque matin du coté de l’Europe (c’est-à-dire du coté qui dans la géographie sacrée est solidement associé à l’Occident), mais se couche du coté de l’Asie (c’est-à-dire de l’Orient symbolique). Une telle confusion du symbolisme des orientations de la « perception du monde » naturelle des habitants de ce continent correspond étrangement à la fameuse prophétie de l’eschatologie islamique, selon laquelle dans les « derniers temps » le soleil se lèvera à l’Occident et se couchera à l’Orient. Cette particularité doit inévitablement influer sur le niveau archaïque du psychisme continental américain, s’ajoutant ainsi au rôle déjà particulier de l’Amérique comme Outre-Atlantide ré-émergente, la « Terre verte des morts ». Si l’on ajoute aussi à cela l’« utopisme rationaliste », propre non seulement aux théoriciens du Vieux Monde mais aussi aux pères-fondateurs des Etats-Unis d’Amérique, nous aurons comme résultat une variante du phénomène eschatologique et messianique qui forme la structure et le paradigme de toute la conscience continentale américaine, en particulier de ces aspects principalement associés à la géopolitique, à l’universalisme et à l’auto-identification.
Dans ses grandes lignes, le scénario de l’événement eschatologique est le même dans toutes les religions. Dans le christianisme, dans l’islam, dans le judaïsme, dans la plupart des traditions païennes aryennes, et même dans les cultes du cargo mélanésiens, l’« époque messianique » est caractérisée par la « résurrection (ou le retour) des morts », par le « rétablissement du bien-être paradisique », par la « redécouverte de tout ce qui avait été perdu au cours de l’histoire », par « l’apparition d’une nouvelle terre et d’un nouveau ciel », par la présence d’une « grâce permanente », etc. Si l’on observe attentivement la mentalité américaine dans sa variante nord-américaine, la plus marquée, on se trouve devant presque tous les aspects de ce plan eschatologique. La « résurrection des morts » se manifeste sous la forme de l’hibernation subie par les cadavres des riches Américains qui espèrent revivre grâce aux découvertes scientifiques des siècles futurs, ainsi que dans la multitude des sectes néo-spiritualistes américaines qui prêchent la tanatophilie [5] et démontrent scientifiquement (à l’aide d’appareils charlatanesques) « l’immortalité de l’âme ». Le « bien-être paradisiaque » est transformé en abondance matérielle, tandis que la « nouvelle terre » s’avère être le continent américain lui-même, base du nouvel « âge d’or », appelé « New Age » dans de nombreux milieux occultistes et astrologiques, c’est-à-dire « nouvelle ère » (c’est aussi le nom du plus grand mouvement néo-mystique américain).
L’eschatologisme pénètre aussi la conception même d’un « Nouvel Ordre Mondial » qui répète et développe les projets idéologiques américains, et cette conception présuppose l’expansion du modèle américain sur tous les territoires restants de la planète. Ainsi, émergeant des profondeurs d’un inquiétant mystère ésotérique, le « Nouveau Monde » tente de se présenter comme la « nouvelle terre » spirituelle dont parle l’Apocalypse et qui doit apparaître après la Fin des Temps. Mais pour le continent américain l’époque post-apocalyptique est déjà arrivée : la victoire des armées alliées dans la seconde guerre mondiale – qui a conduit les Etats-Unis à la domination mondiale – ainsi que la signification symbolique des vicissitudes des Juifs (de cette nation mystique si importante dans l’histoire) en Allemagne, tout cela a fusionné dans la théorie de l’« Holocauste », de l’« ultime sacrifice de l’histoire », après lequel l’Outre-Atlantide, unie au « Nouvel Israël », est entrée dans la période du « Grand Sabbat », de « l’époque heureuse », de « l’ère d’abondance ». L’attente des temps messianiques a commencé, et la conscience continentale américaine archaïque, l’« esprit » inquiet du continent « ré-émergé », donne aux tendances messianiques et eschatologiques une force mystique enracinée dans la perception symbolique du monde d’une humanité qui conserve la conscience du lien et des correspondances de l’espace et du temps au cours des longs millénaires.
L’« AMERIQUE SACREE »
Le phénomène archaïque et inconscient de « l’idée américaine » s’exprime aussi d’une manière évidente dans la « théologie politique américaine ». Nous parlons de la conception néo-protestante de l’Amérique comme « terre promise », par laquelle l’énergie du continent s’est exprimée dans une construction théologique particulière. Et si nous voulons considérer les termes de cet « américanisme protestant » mystique non comme une métaphore oratoire, mais comme la formulation exacte d’une construction eschatologique, nous nous trouvons devant un tableau assez inattendu et inquiétant. Par exemple, George Washington déclara : « Les Etats-Unis sont la Nouvelle Jérusalem, établie par la Providence dans un territoire où l’homme doit atteindre son plein développement, où la science, la liberté, le bonheur et la gloire doivent se répandre en paix ». Il est ici important de remarquer la conception d’une « Nouvelle Jérusalem » qui, dans la bouche d’un chrétien (même protestant), est forcément associée à l’Apocalypse et se réfère au stade final du scénario eschatologique, à la descente sur terre de la « Cité du Seigneur » spirituelle, de la « Nouvelle Jérusalem » (Apocalypse de Jean, 21, 10-27). John Adams, pour sa part, a clairement défini le mondialisme de la mission américaine, ayant appelé les Etats-Unis « une république pure et bienfaisante, dont la tâche consiste dans le gouvernement du monde et dans le perfectionnement des hommes ».
A l’époque contemporaine, ce « patriotisme » particulier a reçu une nouvelle impulsion grâce au développement de la télévision, et cela a provoqué l’apparition du phénomène du « télévangélisme », que Isidro Palacios a appelé « christianisme électronique ». Par exemple, le télévangéliste bien connu Jerry Howell formule aujourd’hui « l’idée américaine » en ces termes : « Les Etats-Unis, ce pays béni de Dieu Tout-puissant comme aucun autre pays de la terre, est maintenant menacé, à l’intérieur et à l’extérieur, par des attaques diaboliques qui peuvent se terminer par la destruction de la nation américaine. Le diable lui-même est entré en guerre pour s’opposer à la volonté de Dieu, qui a placé les Etats-Unis au-dessus de tous les autres peuples, comme l’ancien Israël... ». Ces motifs théologiques de l’eschatologisme protestant sont aussi présents chez les présidents américains modernes. En 1984, Reagan affirmait : « Je ne pense pas que le Seigneur, après avoir béni ce pays comme aucun autre, veuille un jour nous voir marchander à cause de notre faiblesse ».
Et par conséquent, si l’on ne tient pas compte du rôle symbolique de l’Outre-Atlantide dans son ensemble supra-temporel et méta-historique, ce pathos messianique restera incompréhensible et toute la dimension de fausse spiritualité qui se trouve derrière lui ne pourra pas être comprise et évaluée. Comme dans toutes les eschatologies « parodiques », nous avons affaire ici à la confusion de l’« âge d’or » spirituel, qui arrivera immédiatement après la Fin de l’Histoire, avec la période temporelle précédant cette Fin. Et c’est exactement la même confusion qui a déterminé le caractère antichrétien du bolchevisme russe, qui annonçait aussi l’instauration du « paradis terrestre » eschatologique. Il faut aussi remarquer que la ressemblance de ces deux « continents » – le « continent Amérique » et la composante rouge et démoniaque du « continent Russie » – a été relevée par de nombreux chercheurs, historiens et politologues. Ainsi, par exemple, Jean-Marie Domenach dans la revue « Esprit » en octobre 1970, écrivait : « Les Etats-Unis sont aujourd’hui la plus grande puissance communiste dans le monde ». En effet, l’utopisme, l’eschatologisme, et la religiosité parodique sont dans les deux cas étonnamment semblables, et cela malgré le fait que les Etats-Unis et l’Union Soviétique étaient « officiellement » des adversaires idéologiques, il y a encore peu de temps.
« APOLLON », DIANE ET LA PYRAMIDE TRONQUEE
Cette logique parodique, qui transpose sur le plan matériel la réalité spirituelle, en déformant ainsi la signification sacrée, est aussi à la base du progrès technique du « continent Amérique », en particulier dans un domaine aussi important que les études spatiales. Le fait que seuls les Américains aient réussi à aller sur la Lune – où, selon les traditions les plus diverses, demeurent les « âmes des ancêtres » – est très révélateur (il est tout aussi révélateur que cela n’ait pas pu être réalisé par les cosmonautes soviétiques, qui appartenaient pourtant à la même formation politico-eschatologique). Dans la tradition ésotérique est affirmée l’existence d’un lien étroit entre la « terre verte des morts » et la Lune, et le même lien apparaît aussi dans l’histoire objective, matérielle et purement profane de l’époque moderne. Le fait que les vols des astronautes américains aient eu une « signification rituelle » consciente apparaît aussi dans le nom de leur navette spatiale « Apollo », c’est-à-dire de celui qui, dans les traditions mythologiques les plus diverses, est le compagnon de jeu de Diane, de la Lune. De plus, certains astronautes emportèrent avec eux sur la Lune des emblèmes maçonniques – ce fut même annoncé dans la presse –, et cela signifie que le caractère « rituel » de l’événement leur apparaissait clairement, puisque « l’entrée dans la sphère lunaire » dans le rite maçonnique indique le passage des « Petits Mystères ». Et nous nous trouvons à nouveau devant un parallèle symbolique : l’initiation aux « Petits Mystères » conduit en fait le maçon à la dénommée « condition édénique » (paradisiaque), lui restituant la plénitude spirituelle qui était propre aux hommes de l’âge d’or. Toutefois, dans le cas d’une personne particulière, cela se réalise sur le plan du « microcosme intérieur ». Dans un vol spatial vers la Lune, au contraire, le rite assume un caractère extérieur, matériel, « macrocosmique » – « sacralisant » ainsi non un individu isolé, mais tout le « continent » dont cet individu est l’émissaire. Sur le plan symbolique, le voyage interplanétaire de l’Amérique à la Lune fut l’équivalent du voyage de l’« Amérique » à l’« Amérique », mais en même temps ce rituel parodique raffermit la conscience messianique et mystique de l’Amérique, dans le subconscient américain.
Il faut aussi remarquer que la tradition maçonnique en Amérique est extraordinairement développée, et dans ce domaine aussi il existe des conceptions insistant sur le caractère particulier, unique et « élu » de la maçonnerie américaine, en comparaison avec les autres branches. Dans les loges maçonniques américaines est répandue une légende selon laquelle les derniers Templiers, après avoir échappé pendant quelque temps à la persécution des monarques français et des puissances catholiques en Europe, partirent ensuite en Amérique et emportèrent là-bas leurs trésors et leurs secrets. Certains affirment même que le Saint Graal fut transporté en Amérique. En tous cas les maçons américains sont persuadés que le véritable centre « sacré » de la maçonnerie se trouve aux Etats-Unis et que la maçonnerie européenne, « trop archaïque et impuissante », n’est aujourd’hui rien de plus qu’un « vestige du passé ». Indubitablement d’origine maçonnique sont aussi les symboles officiels des USA : l’étoile blanche à cinq pointes (symbole de l’Adam du « paradis » – de nouveau le thème du « paradis ») et la pyramide tronquée, dont le sommet est séparé de la base par un anneau de treize étoiles représentant les treize tribus d’Israël (la tribu de Joseph est souvent représentée symboliquement comme la tribu double d’Ephraïm et Manassé, ce qui nous donne treize au lieu de douze ; en tous cas, cette doctrine est propre à l’arithmologie maçonnique). La pyramide tronquée a un sens symbolique assez négatif, puisqu’elle représente une hiérarchie privée de son sommet sacré, de son centre sacré. Peut-être cet emblème était-il initialement utilisé pour exprimer la tendance anti-autoritaire et anti-monarchique du système politique des Etats-Unis, l’absence d’un Gouvernant Unique, mais le symbole n’est jamais limité à sa simple fonction emblématique, si bien que la pyramide tronquée contient également l’idée de « l’initiation incomplète », de son insuffisance, de son interruption, ce qui peut être exprimé dans la langue rituelle maçonnique comme l’absence des « Grands Mystères », après l’initiation aux « Petits Mystères ». Mais cette incomplétude du cycle initiatique est justement, d’après toutes les traditions authentiques, la caractéristique la plus typique de la « magie noire ».
LES CADEAUX DU « MONDE DES ANCETRES »
Mircea Eliade et d’autres scientifiques qui ont étudié la structure des croyances archaïques, ont examiné en détail la logique des dénommés « cultes du cargo » mélanésiens de caractère eschatologique, associés à la supression de toutes les anciennes règles religieuses et au début d’une époque « messianique » particulière, dans laquelle sont permis la plus grande extase alcoolique et la plus grande promiscuité, ce qui est caractéristique d’un « retour des morts » : les morts reviennent d’Amérique, dans de grands navires chargés de cadeaux. En principe, les scientifiques n’excluent pas que dans le fond symbolique de tels cultes se trouvent aussi les rudiments des archétypes inconscients d’une géographie sacrée oubliée. Il est également intéressant de noter la duplicité de l’attitude des cultes du cargo à l’égard des Blancs, des « Américains » : d’une part, les « Américains » sont considérés comme des exploiteurs des marchandises « produites » par les ancêtres de ces mêmes aborigènes et par leurs dieux, et d’autre part, les adeptes de ces cultes commencent dans une certaine mesure à imiter les Blancs, leurs costumes, leurs habitudes, leurs attitudes. Si bien que les « Américains », par rapport aux « vrais » habitants de la terre des morts, peuvent apparaître comme des usurpateurs, ayant avec ceux-ci un contact immédiat, un contact qui fait d’eux des êtres exceptionnels dans ce contexte sacré. Dans l’ensemble, le phénomène des « cultes du cargo » suppose le retour imminent de « l’âge d’or » et d’une abondance absolue dépassant toute proportion.
Eliade, en étudiant les cultes du cargo, montre à quel point est commun leur scénario eschatologique qui, presque sans aucune différence, se rencontre aussi en Afrique, chez les hindous, chez les peuples de l’Océanie, et à d’autres endroits. Le « culte eschatologique du cargo » apparaît comme un phénomène assez universel, enraciné dans les structures de l’inconscient, dans une certaine connaissance primordiale réfugiée au cours des millénaires dans la sphère psychique la plus rudimentaire. Et il n’est pas difficile de découvrir des manifestations de ce même phénomène chez les peuples plus « civilisés » – par exemple chez les Russes, dont le culte du cargo spécifique, dans sa variante bolchevique, est exposé en détail par l’écrivain russe Andreï Platonov [6] dans son roman « Tchivengur », dans sa nouvelle « Kotlovan » et dans d’autres œuvres. Et on a parfois l’impression que ces œuvres de Platonov ont été conçues depuis le début comme l’illustration d’un culte du cargo archaïque. Mais, pour revenir aux cultes du cargo mélanésiens, nous voulons ajouter qu’à notre avis le rôle de l’Amérique dans ceux-ci ne se limite pas à représenter la lointaine « terre des hommes blancs », mais correspond à un cadre plus précis et plus significatif de la géographie sacrée.
Le phénomène du culte du cargo apparaît en réalité comme un composant subsidiaire de la « terre des morts », de l’« Amérique mystique », de l’« Outre-Atlantide ». La conscience autochtone des territoires non-américains, ayant perdu l’intégrité métaphysique originelle et ainsi incapable de s’élever à une vraie et verticale perspective eschatologique, fait une confusion similaire à celle qui survient dans cette même conscience américaine : le spirituel est transformé en matériel, et le supra-mondain en mondain. C’est seulement de cette manière qu’on peut expliquer l’attitude complexe des peuples australiens, africains, asiatiques et même de certains peuples européens face à l’« américanisme » et à ses représentants. D’une part, les « Américains » suscitent aversion, répugnance, et désir d’échapper à leur influence (et parfois de l’explorer pour la « démasquer »), mais d’autre part la « présence magique des ancêtres morts » derrière eux provoque un irrésistible désir de les imiter. Et il est curieux d’observer que chaque pas des aborigènes vers l’activation du phénomène du culte eschatologique du cargo provoque obligatoirement cette « révolution sexuelle », que nous rencontrons non seulement chez les insulaires et les peuples « primitifs », mais aussi à l’intérieur des Etats soi-disant « civilisés ». Nous pensons par exemple à l’explosion de la pornographie observée en Chine parallèlement à la restructuration économique des années 80 (par l’amélioration des relations avec l’Amérique), à l’amoralisme bolchevique des années 20, à la « révolution sexuelle » qui se manifeste aujourd’hui dans l’Inde occidentalisée, etc. Il faut aussi noter que tout le spectre du culte du cargo se rencontre aussi dans la période de la perestroïka en Union Soviétique, où le « facteur américain » agit irrésistiblement et magiquement, suscitant un parasitisme typique du culte du cargo, un enthousiasme aveugle et une attente eschatologique, mais en même temps l’obscur soupçon que les « Américains » se sont enrichis aux dépens des ancêtres (par exemple, en « ayant pillé la Russie »), et que les autochtones devraient se voir restituer tous les miracles de la technique et les marchandises brillantes leur appartenant par la loi « totémique ». Comme l’a bien observé G. Djemal, le pôle « pauvre », aborigène, de la conscience eschatologique (le « Kotlovan » de Platonov) correspond exactement au pôle « riche » du même phénomène (au rêve américain de la « ville brillant sur la colline »). On peut dire que dans leur réveil du culte du cargo, les autochtones cessent effectivement de s’inspirer d’imaginations et de constructions rationnelles, tombant au contraire sous le pouvoir de l’énergie inconsciente millénaire qui se réveille à une époque déterminée en réponse aux signes mystérieux apportés par les étrangers venant de la « terre verte », de l’Occident.
Еn confirmation de cette distribution des rôles dans la rencontre pseudo-eschatologique des « continents subconscients », on peut indiquer le fait curieux que pour toutes les régions non occidentales de la planète l’attitude la plus caractéristique des derniers 100-150 ans est l’attente (parfois associée au sentiment de désorientation, de frustration, de pressentiment d’une catastrophe quelconque), une attente perçue d’autant plus vivement lorsqu’elle est plus archaïque et plus enracinée dans le subconscient du peuple en question. Mais en même temps ce sentiment est tout à fait inconnu, du moins dans cette intensité, des Américains, qui, au contraire, sont totalement satisfaits de la situation actuelle et qui croient sans réserve au progrès et au « happy end » ; et qui, de plus, identifient le « confort » actuel et la perspective de sa poursuite « infinie » au succès de la diffusion mondiale de leur influence et à l’accomplissement de leur mission consistant à distribuer des « cadeaux magiques » portant leur « marque » désirée. Et à un certain moment l’attente angoissée des autochtones se conclut par l’acceptation de l’« offre » américaine (qui est parfois accompagnée d’une certaine pression économique ou militaire de la part d’une Amérique préoccupée d’exporter son modèle « salutaire »), suscitant des phénomènes culturels et religieux bizarres et contradictoires qui présentent toujours un caractère accentué de culte du cargo.
LA FIN DE L’AMERIQUE
Les aspects analysés par nous de la géographie sacrée du continent américain, dans leur lien avec la situation géopolitique actuelle des Etats-Unis, pourraient certainement être complétés par d’autres observations de caractère symbolique ainsi que par des considération purement culturologiques, mais il nous fallait d’abord fournir une perspective d’observation de la question, qui permettrait ensuite de comprendre ses aspects plus secrets, énigmatiques et sinistres. En conclusion, pour ne pas laisser l’impression qu’à part les deux pôles d’une fausse eschatologie géopolitique (celui du culte du cargo et celui de l’américanisme) il n’existe pas d’autre possibilité, nous voudrions faire quelques réflexions supplémentaires.
En premier lieu, les archétypes inconscients associés à la structure spatiale et temporelle du cosmos sacré doivent être examinés à la lumière d’une tradition métaphysique véritable et orthodoxe, qui seule peut remettre les choses à leur juste place à l’intérieur de l’ordre divin. Au contraire, s’ils restent au niveau inconscient, ces archétypes, étant efficaces et puissants, pourront toujours attirer non seulement des individus particuliers, mais aussi des nations entières, des races et des civilisations vers les conséquences les plus imprévisibles et les plus destructrices. Pour paraphraser un proverbe connu, on peut dire, que « la route de l’enfer est pavée d’archétypes inconscients ». Et c’est vrai aussi bien pour les « cultes du cargo » que pour l’« américanisme ». Mais pour atteindre la tradition métaphysique capable d’illuminer par le rayon de l’Intelligence Divine la profondeur abyssale du psychisme, il faut faire un effort intellectuel et spirituel presque incroyable dans les circonstances actuelles, afin de s’arracher aux « dogmes » infondés de la pensée profane et matérialiste qui s’est emparée de la plupart de nos contemporains, mais sans pour cela tomber dans l’occultisme chaotique, le néo-mysticisme ou le néo-spiritualisme. La meilleure voie pour cela, et même la seule, est d’accepter une religion traditionnelle et, par la pratique spirituelle, rituelle et intellectuelle de cette religion, de pénétrer dans ses aspects ésotériques et secrets, dans ses mystères. Et pour cela, naturellement, le soutien le plus important sera les travaux des traditionalistes modernes, et en premier lieu des livres de René Guénon. Seule une approche inconditionnellement orthodoxe, totalement religieuse et purement métaphysique nous soustraira à l’énergie obscure et dangereuse du monde apocalyptique moderne.
Deuxièmement, seules deux traditions religieuses sont moins exposées à l’influence de la « Terre Verte », à savoir le christianisme orthodoxe (avec lequel le protestantisme, les catholiques et les orthodoxes modernes et les sectes n’ont rien à voir) et l’islam orthodoxe. En tout cas, l’orientation verticale et métaphysique de ces religions, à condition qu’elles soient épurées à la fois de toutes leurs stratifications modernes et de leurs associations archaïques, apparaît comme une garantie suffisante d’authenticité et d’efficacité spirituelle. Toutefois dans ces religions aussi il est nécessaire de révéler les divers aspects géopolitiques (lesquels sont évidents dans l’islam, mais moins dans le christianisme), et de démontrer leur incompatibilité avec la dialectique des relations entre la « terre des morts » et ses serviteurs/adversaires des cultes du cargo.
Et enfin, il est nécessaire de former un concept purement géopolitique et non-religieux de « bloc eurasien », (« Kontinentalblock », comme on disait autrefois), qui unirait tous les peuples et tous les Etats eurasiens dans un seul complexe autonome et soustrait au paradigme parodique-eschatologique qui opprime aujourd’hui le monde traditionnel. Aujourd’hui, après le démantèlement du système socialiste, il n’est pas vraiment important de savoir sous quelle forme politique et étatique cela surviendra. Au niveau mondial, il est maintenant beaucoup plus important qu’un seul peuple et qu’un seul Etat affrontent l’« Atlantide réémergeante » et sa mission. C’est pourquoi l’idée d’une « Eurasie des peuples » ou d’une « maison commune » qui aurait une forte orientation anti-atlantique et qui ferait appel aux ressources intérieures, spirituelles, religieuses, économiques et matérielles, n’est aujourd’hui pas aussi abstraite et utopique qu’elle peut le sembler à première vue. La foi dans les « ancêtres morts », dans les fabricants de coca-cola, est-elle plus réaliste et plus objective ?
Quant au continent Amérique, la période de son expansion, selon les correspondances cycliques précises, probablement, sera tendue, orageuse, pleine d’événements inquiétants, mais aussi extrêmement brève, puisque le « New Age » dont l’arrivée a été annoncée par les partisans mystique de la « Nouvelle Jérusalem », mais qui n’a pas encore commencé, finira par arriver. Son arrivée sera signalée par un grand cataclysme géographique. Et qui sait si l’Amérique, la « Terre Verte », ne connaîtra pas le même destin qui frappa jadis un autre continent situé dans l’Atlantique ?
notes
[1] A. Afetinan, The Oldest Map of America Drawn by Piri Reis, Turkish Historical Society, Ankara 1954. Le prof. Afetinan a publié en 1975 et en 1987 deux éditions enrichies de son ouvrage.
[2] Nirukta : méthode hindouiste d’analyse de l’étymologie. Elle sert à comprendre le sens des textes sacrés à partir de leurs éléments premiers que sont les mots, et les racines de ces mots. Elle se fonde sur l’idée que l’essence d’une chose réside dans son nom.
[3] Hermann Wirth (1885-1981), savant germano-hollandais, cofondateur de l’Ahnenerbe en 1935 et tenant d’une théorie controversée sur une ancienne civilisation « nordico-atlantique » (et matriarcale. Auteur de Die Aufgang der Menschheit [La marche en avant de l’humanité] en 1928, de Die heilige Urschrift der Menschheit [L’Ecriture originelle sacrée de l’humanité] en 1931-36, et d’une étude sur le manuscrit d’Oera-Linda.
[4] Dans la tradition islamique, Marwah est une des deux collines que gravit Agar à la recherche d’eau pour le petit Ismail.
[5] Thanatophilie : attirance pour la mort.
[6] Andreï Platonov (1899-1951), écrivain de la mouvance du « cosmisme russe », parfois surnommé le « Orwell russe ».
Ce texte constitue le troisième chapitre du livre d’Alexandre Douguine, « Misterii Evrazii » [Les mystères de l’Eurasie]. Le livre circula d’abord sous forme de « samizdat » dès 1988, mais la première édition russe parut seulement en 1996. Le livre a été publié en espagnol (« Rusia, misterio de Eurasia », Madrid 1990), en italien (« Continente Russia », Milan 1991) et en serbo-croate.
22 juin 2007
Alexandre Dougouine, La Terre verte - l'Amérique (texte intégral)
Publicat de Radu Iliescu la 8:53 PM
Etichete: Dougouine Alexandre
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