06 février 2005

René Guénon, Aperçus sur l’ésotérisme islamique et le taoïsme (note de lectura)




Editions Gallimard, 1973.
Pour René Guénon l’ésotérisme est toujours le même, quels que soient les noms qu’on lui donne suivant la variété des pays et des traditions.
At-Taçawwûf – (ar.) le soufisme.
Le soufisme et l’ésotérisme islamique.
Shariyah est la base exotérique fondamentale de l’Islam.
Tarîqah est la Voie et ses moyens.
Haqîqah est le but ou le résultat final.
Madhab al-bâtin – (ar.) enseignement esotérique.

I. L’Esotérisme islamique
Article paru dans Cahiers du Sud, 1947, p. 153-154.
Il y a en Islam une nette différenciation entre As-Shariah (calea deschisă tuturor) şi Al-Haqîqah (calea rezervată elitei). As-Shariah este mai degrabă regulă de acţiune. Al-Haqîqah c’est connaissance pure.
At-turuqu ila Llahi Ka-nufûsi bani Adam – (ar.) Les voies vers Dieu sont aussi nombreuses que les âmes des hommes.
Al-inniyah – (ar.) individualité.
Al-fanâ – (ar.) extinction.
Al-baqâ – (ar.) permanence.
Adh-dhât – (ar.) essence.
At-Taçawwûf = Tarîqah + Haqîqah
Le mot soufisme présente l’inconvénient de renvoyer à une école quelconque, ce qui n’est pas vrai en réalité, chaque école étant turuq, une méthode diverse qui ne remet pas en cause la doctrine.
Sirr – (ar.) secret.
Mataçawwuf – (ar.) quelqu’un qui est entré dans la voie initiatique;
Çûfî – (ar.) celui qui a atteint le degré supré dans l’initiation.
Le soufisme n’est pas quelque chose de surajouté, mais l’essence de l’Islam.
„La supposition toute gratuite d’une origine étrangère, grecque, perse ou indienne, est d’ailleurs contredite formellement par le fait que les moyens d’expression propres à l’ésotérisme islamique sont étroitement liés à la constitution même de la langue arabe; et s’il y a incontestablement des similitudes avec les doctrines du même ordre qui existent ailleurs, elles s’expliquent tout naturellement et sans qu’il soit besoin de recourir à des «emprunts» hypothétiques, car, la vérité étant une, toutes les doctrines traditionnelles sont nécessairement identiques en leur essenque quelle que soit la diversité des formes dont elles se revêtent.” (p. 19)
Il n’y a pas d’opposition entre l’exotérisme et l’ésotérisme, les deux étant les visages d’une seule et même doctrine.
La notion de mysticisme ne peut pas être traduite en arabe, et elle reste étrangère à l’Islam.
„Il faut en effet, avant tout, posséder certaines dispositions ou aptitudes innées auxquelles aucun effort ne saurait suppléer; et il faut ensuite le rattachement à une silsilah régulière, car la transmission de l’influence spirituelle, qui s’obtient par ce rattachement, est, comme nous l’avons déjà dit, la condition essentielle sans laquelle il n’est point d’initiation, fût-ce au degré le plus élémentaire. Cette transmission, étant acquise une fois pour toutes, doit être le point de départ d’un travail purement intérieur pour lequel tous les moyens extérieurs ne peuvent être rien de plus que des aides et des appuis, d’ailleurs nécessaires dès lors qu’il faut tenir compte de la nature de l’être humain tel qu’il est en fait; et c’est par ce travail intérieur seul que l’être s’élèvera de degré en degré, s’il en est capable, jusqu’au sommet de la hiérarchie initiatique, jusqu’à l’Identité suprême, état absolument permanent et inconditionné, au-delà des limitations de toute existence contingente et transitoire, qui est l’état de véritable çûfî.” (p. 27-28)

II. L’écorce et le noyau (Al-Qishr wa al-Lobb)
Paru en Le Voile d’Isis, mars 1931, p. 145-150.
Le titre de l’article est aussi le titre d’un traité de Seyidi Mohyiddin ibn Arabi. Il exprime le rapport entre l’exotérisme et l’ésotérisme.
Al-jism – (ar.) corps;
Al-mukh – (ar.) moelle.
Le mot „révélation” a un double sens: manifestation et voilement en même temps de la doctrine essentielle, la vérité une, comme la parole le fait d’ailleurs inévitablement pour la pensée qu’elle exprime.
On peut dire que le Confucianisme corresponde à la shariah et le Taoïsme à la haqîqah.
Les mots shariah et haqîqah contiennent en eux l’idée de mouvement.
Pour beaucoup de gens l’exotérisme est plus qu’une loi: un guide.
Allah est Al-Awwal wa Al-Akker (le premier et le dernier).
Allah est Al-Zâher wa Al-Bâten (l’extérieur et l’intérieur).

III. At-Tawhid
Paru dans La Voile d’Isis, juillet 1930, p. 512-516.
At-Tawhîdu wâhidun – (ar.) la doctrine de l’Unité est unique.
„[…] contrairement à l’opinion courante, il n’y a jamais eu nulle part aucune doctrine réellement «polythéiste», c’est-à-dire admettant une pluralité de principes absolue et irréductible. Ce «pluralisme» n’est possible que comme une déviation résultant de l’ignorance et de l’incompréhension des masses, de leur tendance à s’attacher exclusivement à la multiplicité du manifesté: de là l’idolâtrie sous toutes ses formes, naissant de la confusion du symbole en lui-même avec ce qu’il est destiné à exprimer, et la personnification des attributs divins considérés comme autant d’êtres indépendants, ce qui est la seule origine possible d’un polythéisme de fait.” (p. 38)
Les Occidentaux, engagés dans la voie de la multiplicité, ont du mal à comprendre la doctrine de l’Unité.

IV. Al-Faqru
Paru dans Le Voile d’Isis, octobre 1930, p. 714-721.
„L’être contingent peut être défini comme celui qui n’a pas en lui-même sa raison suffisante; un tel être, par conséquent, n’est rien par lui-même, et rien de ce qu’il est ne lui appartient en propre.” (p. 44)
As-Sakînah – (ar.) marea pace.
Al-Faqru – (ar.) pauvreté.
La pauvreté spirituelle (le vide) conduit, suivant l’ésotérisme musulman, à Al-Fâna (l’extinction du moi), et par cette extinction on atteint la station divine (Al-maqâmul-ilahi).
Ce qui empêche l’homme de trouver le centre, l’unique, est l’attachement à la multiplicité.
Aç-çirâtul-mustaqîm – (ar.) le chemin droit.

V. Ar-Rûb
Paru dans Etudes traditionnelles, VIII-IX, 1938, p. 287-291.
Suivant les données traditionnelles de la science des lettres, Allah créa le monde, non par l’alif qui est la première des lettres, mais par le ba, qui est la seconde. Le Coran commence avec Bismi’Llah. La Thorah par Bereshith.
Ar-Rûh – (ar.) l’esprit.
An-Nûr – (ar.) la lumière.
Min amri’ Llah – (ar.) le commandement divin;
De la racine amr dérive en hébreu le verbe yâmer, employé dans la Genèse pour exprimer l’action créatrice représentée comme „parole” divine.
Al-Haqq – (ar.) la vérité divine.
Al-Khalq – (ar.) le monde.

VI. Note sur l’angélologie de l’alphabet arabe
Paru en Etudes traditionnelles, VIII-IX, 1938, p. 324-327.
Au commencement, l’alphabet arabe n’avait que 22 lettres (le petit Jafr), comme celui hébraïque. Celui utilisé maintenant a 28 lettres (le grand Jafr).
Répartition des lettres:
è à l’est: A B J a D;
è à l’ouest: Ha Wa Z;
è au nord: H a T a Y;
è au sud: K a L M a N.

è au nord-est: S a A F a Ç;
è au nord-ouest: Q a R S h a T;
è au sud-est: T h a K h a D h;
è au sud-ouest: D a Z a G h.

Les valeurs numériques:
1 + 2 + 3 + 4 = 10
5 + 6 + 7 = 18
8 + 9 + 10 = 27
20 + 30 + 40 + 50 = 140

60 + 70 + 80 + 90 = 300
100 + 200 + 300 + 400 = 1000
500 + 600 + 700 = 1800
800 + 900 + 1000 = 2700

La valeur de la première moitié de l’alphabet:

10 + 18 + 27 + 140 = 195

La valeur de la deuxième moitié de l’alphabet:

300 + 1000 + 1800 + 2700 = 5800.

La valeur totale de l’alphabet entier:

195 + 5800 = 5995.

VII. La chirologie dans l’ésotérisme islamique
Paru dans Le Voile d’Isis, mai 1932, p. 289-295.
Les sciences traditionnelles sont perdues pour les Occidentaux, et les débris qui en ont resté sont incompréhensibles pour eux.
Alm al-kaff – (ar.) la physiognomonie.
„La chirologie, si étrange que cela puisse sembler à ceux qui n’ont aucune notion de ces choses, se rattache directement, sous sa forme islamique, à la science des noms divins: la disposition des lignes principales trace dans la main gauche le nombre 81 et dans la main droite le nombre 18, soit au total 99, le nombre des noms attributifs (çifûttiyah). Quant au nom Allah lui-même, il est formé par les doigts, de la façon suivante: l’auriculaire correspond à l’alif, l’annulaire au premier lam, le médius et l’index au second lam, qui est double, et le pouce au he (qui, régulièrement, doit être tracé sous sa forme «ouverte»); […]” (p. 70)
khâtim – (ar.) sceau.
Al-Qutb – (ar.) le pôle.
La liste des sept Aqtâb célestes:
ê ciel de la Lune (Al-Qamar) – Seyidna Adam (la culture de la terre);
ê ciel de Mercure (Al-Utârid) – Seyidna Aïssa (les connaissances d’ordre spirituel);
ê ciel de Vénus (Al-Zohrar) – Seyidna Yûsuf (la beauté et les arts);
ê ciel de Soleil (Al-Shams) – Seyidna Idris (les sciences intermédiaires);
ê ciel de Mars (Al-Mirrîkh) – Seyidna Dâwud (le gouvernement);
ê ciel de Jupiter (Al-Barjîs) – Seyidna Mûsa (la religion sous l’aspect de législation et de culte);
ê ciel de Saturne (Al-Kaywân) – Seyidna Ibrahîm (le ciel).
„L’examen de la main gauche indique la «nature» du sujet, c’est-à-dire l’ensemble des tendances, dispositions ou aptitudes qui constituent en quelque sorte ses caractères innés. Celui de la main droite fait connaître les caractères acquis; ceux-ci se modifient d’ailleurs continuellement, de telle sorte que, pour une étude suivie, cet examen doit être renouvelé tous les quatre mois.” (p. 74)
At-tabiyah – (ar.) nature intime.
Al-isriksâb – (ar.) caractères acquis.
Nâr – (ar.) feu.
Turâb – (ar.) terre.

VIII. Influence de la civilisation islamique en Occident
Paru dans Etudes traditionnelles, XII-1950, p. 337-344.
„La plupart des Européens n’ont pas exactement évalué l’importance de l’apport qu’ils ont reçu de la civilisation islamique, ni compris la nature de leurs emprunts à cette civilisation dans le passé et certains vont jusqu’à totalement méconnaître tout ce qui s’y rapporte. Cela vient de ce que l’histoire telle qu’elle leur est enseignée travestit les faits et paraît avoir été altérée volontairement sur beaucoup de points. C’est avec outrance que cet enseignement affiche le peu de considération que lui inspire la civilisation islamique, et il a l’habitude d’en rabaisser le mérite chaque fois que l’occasion s’en présente. Il importe de remarquer que l’enseignement historique dans les Universités d’Europe ne montre pas l’influence dont il s’agit. Au contraire, les vérités qui devraient être dites à ce sujet, qu’il s’agisse de professer ou d’écrire, sont systématiquement écartées, surtout pour les événements les plus importants.” (p. 76-77)
L’Espagne est restée plusieurs siècles sous la loi islamique. Aussi le sud de la France et la Sicile.
Les Européens ne sont pas les héritiers directs de la civilisation hellénique. La science et la philosophie grecque ont été transmises par des intermédiaires musulmans.
La plupart des sciences européennes ont été transmises par les arabes. L’algébre était une invention hindoue.
Beaucoup d’écrivains européens ont imité la poésie et la littérature musulmanes.
Les traductions latines de Platon et d’Aristote étaient faites sur des manuscrits arabes, eux-mêmes traduits de grec. La scolastique est distinguée entre musulmane, chrétienne et juive.

IX. Création et manifestation
Paru dans Etudes traditionnelles, X-1937, p. 325-333.
Le terme de „création” est utilisé dans les trois monothéismes. Dans les doctrines orientales, le terme serait plutôt „manifestation”.

X. Taoïsme et Confucianisme
Paru dans Le Voile d’Isis, 1932, p. 485-508.
Les Chinois sont le seul peuple qui ait constamment pris soin, depuis l’origine même de sa tradition, de dater ses annales au moyen d’observations astronomiques précises, comportant la description de l’état du ciel au moment où se sont produits les événements dont le souvenir a été conservé. Cela a commencé il y a 3700 ans.
„[…] l’histoire de la Chine, ou de ce qui est ainsi appelé aujourd’hui, ne commence proprement qu’à Fo-hi, qui est regardé comme son premier empereur; et il faut ajouter tout de suite que ce nom de Fo-hi, auquel est attaché tout l’ensemble des connaissances qui constituent l’essence même de la tradition chinoise, sert en réalité à désigner toute une période, qui s’étend sur une durée de plusieurs siècles.” (p. 104)
Pour transmettre les principes de la tradition, Fo-hi a utilisé les symboles linéaires du trait continu et du trait brisé (yang et yin). Leur combinaisons ont formé les huit koua ou trigrammes. Fo-hi a écrit trois livres, dont seulement le troisième est parvenu jusqu’à nous: Yi-king (Livre des mutations).
Yi-king a plusieurs applications: logique, mathématique, astronomique, physiologique, sociale, il y a même une application divinatoire, qui est regardée comme une des plus inférieure de toutes, et dont la pratique est abandonnée aux jongleurs errants. Elles sont la base de deux doctrines, qui peuvent sembler à première vue n’avoir aucun point de contact: le Taoïsme et le Confucianisme.
Le Taoïsme est voué essentiellement à la métaphysique pure, à laquelle s’adjoignent toutes les sciences traditionnelles ayant une portée proprement spéculative. Le Confucianisme est confiné dans le domaine pratique et se tient sur le terrain des applications sociales.
„Nous avons dit, d’ailleurs, que les deux doctrines ont une racine commune, qui est la tradition antérieure; Kong-tseu, pas plus que Lao-tseu, n’a jamais eu l’intention d’exposer des conceptions qui n’auraient été que les siennes propres, et qui, par là même, se seraient trouvées dépourvues de toute autorité et de toute portée réelle.” (p. 111)
Lao-tseu se place donc tout d’abord dans l’ordre universel, et il descend ensuite à une application; mais cette application, bien que visant proprement le cas de l’homme, n’est nullement faite à un point de vue social ou moral; ce qui y est envisagé, c’est toujours et exclusivement le rattachement au Principe suprême, et ainsi, en réalité, nous ne sortons pas du domaine métaphysique.
„Placé au centre de la roue cosmique, le sage parfait la meut invisiblement, par sa seule présence, sans participer à son mouvement, et sans avoir à se préoccuper d’exercer une action quelconque; son détachement absolu le rend maître de toutes choses, parce qu’il ne peut plus être affecté par rien.” (p. 115)
Il n’y a qu’une seule voie vers la sagesse: la connaissance. Le sage dépasse toutes les distinctions inhérentes aux points de vue extérieurs, au point central où il se tient, toute opposition a disparu et s’est résolue dans un parfait équilibre.