Julius Evola, Révolte contre le monde moderne (notes de lecture)
Les Editions de l’Homme, Ottawa, 1972.
Introduction
Parler du « déclin de l’Occident », du « danger du matérialisme », de la « crise de la civilisation » est devenu, depuis quelque temps, un lieu commun. Ces manifestations montrent qu’on sent remuer des terres que l’on croyait solides et que les perspectives idylliques de l’« évolutionnisme » ont désormais fait leur temps.
Rien n'apparaît plus absurde que cette idée de progrès qui, avec son corollaire de la supériorité de la civilisation moderne, s'était déjà créé des alibis «positifs »en falsifiant l'histoire, en insinuant dans les esprits des mythes délétères, en proclamant sa souveraineté dans ces carrefours de l'idéologie plébéienne dont, en dernière analyse, elle est issue. Il faut être descendu bien bas pour en être arrivé à célébrer l'apothéose de la sagesse cadavérique, seul terme applicable à une sagesse qui, dans l'homme moderne, qui est le dernier homme, ne voit pas le vieil homme, le décrépit, le vaincu, l'homme crépusculaire, mais glorifie, au contraire, en lui le dominateur, le justificateur, le vraiment vivant. Il faut, en tout cas, que les modernes aient atteint un bien étrange état d'aveuglement pour avoir sérieusement pensé pouvoir tout jauger à leur aune et considérer leur civilisation comme une civilisation privilégiée, en fonction de laquelle était quasiment préordonnée, l'histoire du monde et en dehors de laquelle on ne pourrait trouver qu'obscurité, barbarie et superstition.
Les premières altérations caractéristiques à l’époque moderne surviennent entre le VIIIe et le VIe siècle av. J.C. Il convient de faire coïncider le début des temps modernes avec ce que l’on appelle les temps historiques.
Ce que s’apppelle dans l’Orient « l’âge du fer » s’appelle dans le monde nordique « l’âge du loup ».
L’opposition entre les temps historiques et les temps dits « préhistoriques » ou « mythologiques » est qualitative, substantielle.
L’homme traditionnel avait une expérience du temps différente de celle de l’homme moderne: il avait une sensation supratemporelle de la temporalité et c’est dans cette sensation qu’il vivait chaque forme de son monde.
Le monde moderne et le monde traditionnel peuvent être considérés comme deux types universels, comme deux catégories a priori de la civilisation.
Partout où s’est manifestée ou se manifestera une civilisation ayant pour centre et pour substance l’élément temporel, on se trouvera devant une résurgence de l’époque moderne.
Dans les temps antiques, les vérités des légendes étaient toujours comprises comme étant essentiellement des vérités non humaines. Dans la notion même de civilisation traditionnelle est incluse celle de l’équivalence de ses diverses formes réalisées dans l’espace et dans le temps.
« Celui qui, partant d’une civilisation traditionnelle particulière, sait l’intégrer en la libérant de l’aspect humain et historique, de façon à en reporter les principes générateurs au plan métaphysique où ils sont, pour ainsi dire, à l’état pur – celui-là ne peut pas ne pas reconnaître ces mêmes principes derrière les expressions diverses d’autres civilisations également traditionnelles. Et c’est ainsi que prend intérieurement naissance un sentiment de certitude et d’objectivité transcendante et universelle, que rien ne saurait plus détruire, et qui ne saurait être atteint par aucune autre voie. » (p. 15)
La méthode traditionnelle est caractérisée par un double principe:
a) le principe de la correspondance;
b) l’emploi généralisé du principe d’induction (l’approximation discursive d’une intuition spirituelle, dans laquelle se réalise l’intégration et l’unification, en un sens unique et en un principe unique, des divers éléments confrontés).
Première partie. Le monde de la tradition
1. Le principe
Il y a un ordre physique et un ordre métaphysique. Il y a la nature mortelle et la nature des immortels. Il y a un visible et un tangible, et il y a un invisible et un intangible, qui constituent le supra monde, le principe et la véritable vie.
L’homme de la Tradition connaissait la réalité d’un ordre de l’être beaucoup plus vaste que celui auquel correspond généralement aujourd’hui le mot « réel ». Aujourd’hui on ne conçoit plus de « réalité » au-delà du monde des corps situés dans l’espace et le temps.
La nature selon les modernes: le monde des corps et des formes visibles.
La nature selon les hommes traditionnels:
a) le monde corporel;
b) l’invisible (qui n’était pas conçu comme surnaturel);
c) le monde inférieur, peuplé de formes obscures et ambiguës;
d) tout ce qui était humain, en tant que tel n’échappant pas au destin de naissance et de mort, d’impermanence de dépendance à l’égard des puissances telluriques et de changement, propre à la région inférieure.
L’idée bouddhiste de samsâra est liée à la convoitise aveugle, à l’identification irrationnelle.
« Matière » et « devenir » expriment ce qui, chez un être, est indétermination incoercible, nécessité obscure, impuissance à s’accomplir dans une forme parfaite, à se posséder dans une loi.
La scolastique identifie à la cupiditas et à l’appetitus innatus la racine originelle de la nature non rachetée.
Le monde de la Tradition connut:
a) la Royauté divine;
b) l’acte de passage: l’Initiation (l’Action héroïque et la Contemplation);
c) la Loi traditionnelle;
d) la Caste.
Ces bases de la hiérarchie et de la civilisation traditionnelles ont été intégralement détruites par la triomphante civilisation « humaine » des modernes.
2. La royauté
Toutes les formes traditionnelles de civilisation ont comme emblême la présence d’êtres qui, du fait de leur « divinité », c’est-à-dire leur supériorité innée ou acquise, incarnent la présence vivante et efficace du principe métaphysique au sein de l’ordre temporel. Tel est le sens profond de la fonction de pontifex (constructeur de ponts/voies).
Traditionnellement, le pontifex est le concept unique d’une divinité royale ou d’une royauté sacerdotale.
Le premier fondement de l’autorité des rois était leur qualité transcendante et non humaine. L’idée selon laquelle les pouvoirs sont conférés au chef par ceux qu’il gouverne, selon laquelle sont autorité est l’expression de la collectivité et doit être soumise au vouloir de celle-ci, est absolument étrangère à la Tradition.
La royauté a été souvent associée au symbole solaire.
Beaucoup de traditions caractérisent la nature de rois en disant qu’ils ne sont pas nés d’une naissance mortelle.
La notion d’opérations sacrées au moyen desquelles l’homme soutient, à l’aide de ses pouvoirs profonds, l’ordre naturel et rénove la vie même de la nature, appartient à une tradition archaïque qui, très fréquemment, se confond avec la tradition Royale. L’usage chez certains peuples, de déposer et même de supprimer le chef quand survenait un accident ou une grave calamité – doit être considéré comme le reflet d’une conception qui, bien que sous forme de dégénérescence superstitieuse, se rattache au même ordre d’idées.
3. Le symbole polaire – Le seigneur de paix et de justice
On peut voie dans la notion hindoue de cakravartî ou « Seigneur universel » l’archétype de la fonction royale.
La royauté assume la valeur d’un « pôle ».
Le sceptre correspond à l’« axe du monde ».
Le mont symbolise parfois le lieu où disparaissent les êtres parvenus à l’éveil spirituel.
Melchisédech, le roi du Salem, est une des figurations de la fonction de « seigneur universel », roi de la paix et de la justice.
L’idée de justice a précisément un rapport étroit avec le principe selon lequel chacun doit accomplir la fonction correspondant à sa propre nature.
La capacité de comprendre à fond et parfaitement les lois primordiales des vivants est, dans la pensée extrême-orientale, la base de l’autorité et du commandement.
4. La loi, l’Etat, l’empire
La notion traditionnelle de loi présuppose un réalisme transcendant.
Selon la conception traditionnelle, l’Etat est vis-à-vis du peuple dans le même rapport que le principe olympien et ouranien vis-à-vis du principe tellurique et « souterrain », dans le même rapport qu’un principe lumineux masculin, différenciateur, individualisant et fécondant, vis-à-vis d’une substance féminine labile, impure et nocturne.
Le premier fondement de la distinction et de la hiérarchie des castes traditionnelles n’a pas été politique ou économique, mais spirituel.
Là où s’exerce une action tendant à organiser la vie au-delà des limites de la nature et de l’existence empirique et contingente, ne peuvent pas ne pas se manifester des formes qui, en principe, ne sont plus liées au particulier.
5. Le mystère du rite
Le rite appartenait avant tout au roi. Il était ensuite la prérogative des cartes aristocratiques ou sacerdotales, de la magistrature et des chefs de famille.
Le fait que le rite ou le sacrifice fût négligé, accompli par une personne non qualifiée ou officié en quelque manière d’une façon non conforme aux règles traditionnelles, était une source de malheur.
Considérant l’action rituelle par excellence (le sacrifice), il est possible de distinguer trois moments:
a) la purification rituelle et spirituelle du sacrificateur;
b) un processus évocatoire qui produit une saturation des énergies dans la personne du sacrificateur, ou d’une victime;
c) une action qui détermine la crise et « actualise » le dieu dans la substance même des influences évoquées.
Pour l’homme moderne, causes et effets se situent, les unes comme les autres, sur le plan physique, dans l’espace et le temps. Pour l’homme traditionnel, le plan physique ne comporte au contraire que des effets et rien ne se produit dans l’« en-deçà » qui ne se soit déjà produit dans l’au-delà dans l’invisible.
6. Du caractère primordial du patriciat
Dans la civilisation indo-aryenne, la caste brâhmana se trouvait au sommet de la hiérarchie, non pas grâce à la force matérielle, ni à la richesse, ni même à une organisation correspondant à celle d’une Eglise, organisation dont elle ne s’est jamais soucié et et qu’elle n’a jamais connue. Seul le rite sacrificiel, qui est son privilège, détermine la distance qui sépare cette caste de toutes les autres.
La dignité d’une caste se mesurait autant à la difficulté qu’à l’utilité des fonctions qui lui étaient propres. Or, rien n’était considéré comme plus utile que les influences spirituelles susceptibles d’être activées par la vertu nécessitante du rite.
Le patriciat se définissait essentiellement par la possession et l’exercice des rites liés à la force divine de l’ancêtre.
La conception surnaturelle de l’aristocratie: posséder pour ancêtre un être divin.
Dans la famille, selon la conception traditionnelle, c’était le rite, bien plus que le sang, qui unissait et séparait.
L’idée de la priorité de la paternité spirituelle sur la paternité naturelle.
7. De la « virilité spirituelle »
On connaît des civilisations qui n’eurent, à leur début, ni noms, ni images pour leurs dieux (ex: les Pelasges).
Chez les Romans, le numen, à la différence de deus, n’est pas un être ou une personne, mais une force nue, se définissant par sa faculté de produire des effets, d’agir, de se manifester.
Partout où le principe traditionnel reçut une application complète, on se trouve en présence des différenciations hiérarchiques d’une virilité transcendante dont la meilleure expression symbolique est la synthèse des deux attributs du patriciat romain – la lance et le rite.
8. Les deux voies de l’outre-tombe
Penser que l’âme de tous les hommes soit immortelle est une croyance étrange et dont on ne trouve que bien peu de traces dans la Tradition. Traditionnellement, on distinguait la véritable immortalité (qui équivaut à une participation à la nature olympienne d’un dieu) de la simple survivance.
Dans les traditions antiques on enseignait qu’en dehord du corps physique, l’homme se compose de:
a) le « Moi » conscient qui s’éveille avec le corps et se forme parallèlement au développement biologique de ce dernier (la personnalité);
b) le « démon » (ou: mânes, lare, double, totem);
c) ce qui reste de la première entité après la mort: l’ombre.
Le « démon » est l’« individu individuant », c’est la force profonde qui a déterminé une conscience dans la forme finie et dans le corps. Dans la tradition hindoue, c’est le linga-çarîra. Le fait que le totem ait été souvent associé aux « âmes d’espèces animales déterminées », et que ce soit surtout le serpent qui ait été lié par le monde classique à l’idée du démon et du génie nous indique que cette force est essentiellement sub-personnelle, qu’elle appartient à la nature, au monde inférieur.
A la mort du corps, l’homme ordinaire perd en général sa personnalité, déjà illusoire, au demeurant, pendant la vie. Il ne lui reste que l’ombre, destinée à se dissoudre après une période plus ou moins longue, dont le terme correspond à ce qu’on appelait « la seconde mort ».
Les principes vitaux essentiels du mort retournent au totem, à peu près comme à une matière première éternelle et inépuisable, d’où renaîtra la vie sous d’autres formes individuelles, soumises à un destin identique.
Les héros étaient des êtres qui avaient triomphé de la seconde mort.
Il existait aussi l’idée d’un « corps immortel » en tant que condition de l’immortalité, idée qui a trouvé dans le taoïsme oriental une expression classique.
9. Vie et mort des civilisations
Là où la tradition conserva toute sa force, la dynastie ou succession de rois ayant reçu le sacre, représenta donc une axe de lumière et d’éternité dans le temps, la présence victorieuse du supramonde dans le monde, la composante « olympienne » qui transfigure l’élément démonique du demos et donne un sens supérieur à tout ce qui est Etat, nation et race.
Sortir de la Tradition signifie sortir de la vraie vie: abandonner les rites, altérer ou violer les lois, confondre les castes, rétrograder du cosmos au chaos, retomber sous le pouvoir des éléments, suivre les « voies de l’enfer ».
Une civilisation ne s’écroule point pour le seul fait que sa puissance politique a été brisée ou bouleversée.
Là où l’on commence à se préoccuper d’une « morale », il y a déjà décadence.
Une civilisation traditionnelle ne prend naissance que lorsque, sur sa matière, agit une force d’ordre supérieur et surnaturel: le principe de la spiritualité en tant que fondement de la différenciation hiérarchique.
A l’origine de toute civilisation véritable il y a un fait « divin ». C’est à un fait du même ordre, mais de sens opposé, dégénérescent, que sont dus l’altération et le déclin des civilisations.
« Le sang, la pureté ethnique, sont des éléments qui, même dans les civilisations traditionnelles, ont leur valeur: valeur qui n’est pourtant pas de nature à justifier l’emploi, pour les hommes, des critères en vertu desquels le caractère de « pur sang » décide péremptoirement des qualités d’un chien ou d’un cheval – comme l’ont affirmé, à peu de chose près, certaines idéologies racistes modernes. » (p. 96)
Dans la civilisation indo-aryenne, le simple fait de la naissance, bien que nécessaire, n’était pas jugé suffisant: il fallait que la qualité virtuellement conférée par la naissance fût actualisée par l’initiation.
Lorsque la racine génératrice « d’en haut » n’est plus vivante dans une civilisation, et que sa « race d’esprit » est prostrée ou brisée, ce n’est qu’alors - parallèlement à sa sécularisation et à son humanisation - que son déclin commence.
Il faut qu’un individu ou une élite soit à la hauteur de la fonction « pontificale » des seigneurs et des médiateurs des forces d’en haut. Mais quand n’existe plus au centre qu’une fonction qui se survit à elle-même, quand les attributions des représentants de l’autorité spirituelle et royale ne sont plus que nominales, alors le sommet se dissout, le soutien disparaît, la voie solaire se ferme.
Les gens de Gog et Magog symbolisent les forces chaotiques et démoniaques freinées par les structures traditionnelles.
10. L’initiation et la consécration
On se trouve déjà en présence d’une forme conditionnée de l’idée royale lorsque celle-ci ne s’incarne plus en des êtres supérieurs, par nature, à la limite humaine, mais en des êtres qui doivent susciter cette qualité en eux.
Dans la tradition romaine, deus est l’être qui fut toujours un dieu, divus désigne l’homme devenu dieu.
Pour que la personne puisse incarner la fonction, il faut qu’une action déterminée suscite en elle une qualité nouvelle. C’est soit l’initiation, soit l’investiture (ou consécration).
Dans le monde de la Tradition, l’initiation fut conçue, en ses formes les plus hautes, comme une opération intensément réelle, capable de modifier l’état ontologique de l’individu et de greffer sur lui des forces du monde de l’être, ou supra-monde.
Les théocraties des origines ne tirèrent leur autorité d’aucune Eglise ni d’aucune caste sacerdotale.
11. Des relations hiérarchiques entre royauté et sacerdoce
Si la synthèse originelle des deux pouvoirs se reconstitue chez le roi consacré, c’est à la royauté qu’appartient la primauté en face du sacerdoce.
On trouve déjà, dans la pénombre de la préhistoire, les premiers épisodes du conflit entre l’autorité royale et l’autorité sacerdotale, l’une et l’autre revendiquant pour elle-même la primauté appartenant à ce qui est antérieur et supérieur à chacune d’elles.
Avant que l’interprétation grégorienne ne vienne boulverser l’essence même des symboles, l’ancienne tradition demeure, l’Empire étant assimilé au soleil et l’Eglise à la lune.
Pontifes maximus fut originellement une fonction du roi et de l’Auguste romain.
12. Universalité et centralisme
L’idéal du Saint Empire Romain est celui qui met le mieux en lumière la décadence que subit le principe du « règne » quand il perd sa base spirituelle.
Par sa nature même, le plan de toute fonction universelle vraiment unificatrice n’est pas celui de la matière, ce n’est qu’à la condition de ne pas s’affirmer comme unité et comme puissance exclusivement matérielles, c’est-à-dire politiques et militaires, qu’elle peut correspondre à son but.
Surtout dans les civilisations ayrennes, on constate l’existence d’une longue période durant laquelle règne un pluralisme libre: les familles apparaissent comme étant largement autonomes, possédant ce qui leur était nécessaire pour la vie matérielle et spirituelle: un culte, une loi, une terre, une milice.
Un Empire n’est tel qu’en vertu de valeurs supérieures auxquelles une race déterminée s’est élevée, en se surpassant d’abord elle-même, en surpassant ses particularités naturelles. Si les tentatives « impérialistes » des temps modernes ont avorté, en précipitant souvent vers la ruine les peuples qui s’y sont livrés, ou ont été la source de calamités de tous genres, la cause en est précisément l’absence de tout élément vraiment spirituel, donc suprapolitique et supranational et son remplacement par la violence d’une force plus forte que celle qu’elle tend à asujettir, mais non pour autant d’une nature différente.
La thèse guelfe (grégorienne-thomiste) selon laquelle la fonction de l’Etat serait de réprimer l’hérésie et de défendre l’Eglise, présuppose une spiritualité qui n’est pas un pouvoir et un pouvoir qui n’est pas spiritualité. C’est le témoignage d’une spiritualité dévirilisée.
13. L’âme de la chevalerie
A l’investiture correspond, en Occident, l’ordination chevaleresque et, ailleurs, l’initiation rituelle propre à la caste guerrière. A l’initiation – réalisation d’une nature plus intérieure, plus directe et individuelle – correspond l’action héroïque au sens traditionnel, c’est-à-dire sacré.
L’aristocratie féodale était liée à une terre et à la fidélité à un prince donné.
La chevalerie apparaît comme une communauté supra-territoriale et supranationale dont les membres, s’étant consacrés au sacerdoce militaire, n’avaient plus de patrie et devaient être fidèles, non à une personne, mais à une éthique (l’honneur, la vérité, le courage et la loyauté).
On peut découvrir, dans la chevalerie européenne, un aspect plus profond et plus secret, auquel se rattache extérieurement le fait que les chevaliers vouaient à une dame leurs entreprises héroïques et que le culte de la femme en général revêtit parfois dans la chevalerie européenne des formes susceptibles de paraître absurdes et aberrantes, s’il fallait les prendre à la lettre.
Avec le déclin de la chevalerie, la noblesse finit par perdre aussi l’élément spirituel comme point de référence de sa plus haute « fidélité » en s’incorporant à de simples organismes politiques.
La légende du Graal se relie à des veines cachées, que l’on ne peut rattacher ni à l’Eglise, ni au christianisme.
14. La doctrine des castes
L’organisation traditionnelle, en tant que « forme » victorieuse sur le chaos et incarnation de l’idée métaphysique de la stabilité et de la justice, a trouvé l’une de ses principales expressions dans le système des castes.
Se conformer à la caste apparut, à l’humanité traditionnelle, comme le premier des devoirs.
Aux Indes:
a) les activités des serfs ou travailleurs (çûdras);
b) celles de la bourgeoisie (vaiçya);
c) la noblesse guerrière (kshatriya);
d) les représentants de l’autorité et du pouvoir spirituel (les brâhmana).
Les castes, avant de définir des groupes sociaux, définissaient des fonctions, et des modes typiques d’être et d’agir. C’est pourquoi le régime des castes régna comme une paisible institution naturelle, fondée sur quelque chose d’évident aux yeux de tous, et non sur la tyrannie, la violence ou sur une « injustice sociale ».
La clôture des castes se fondait d’abord sur le principe conformément auquel le fait de naître dans telle ou telle condition, d’avoir certaines dispositions déterminées, n’était pas considéré comme un « hasard ».
L’inégalité réglementée des castes, loin d’être artificielle, injuste et arbitraire, n’était que le reflet et l’institutionalisation d’une inégalité préexistente, plus profonde et plus intime.
Les castes représentaient le « lieu » naturel, ici-bas, de volontés ou de vocations affines, et la transmission héréditaire, régulière et fermée, préparait un groupe homogène d’inclinations organico-vitales et même psychiques propices au développement régulier par les individus de ces déterminations ou dispositions prénatales.
La perfection ne se mesure pas selon un critère matériel, mais consiste à accomplir sa propre nature.
Avant l’avènement de la civilisation du Tiers Etat (mercantilisme, bourgeoisie capitaliste), l’éthique sociale consisten à réaliser son être et à atteindre sa propre perfection dans les cadres fixes définis par la nature de chacun et le groupe social auquel il appartenait.
Le second pivot de toute organisation traditionnelle est – après le rite et l’existence d’une élite – la fidélité.
15. Les participations dans les sciences et les arts – L’esclavage
Dans les formes traditionnelles les plus complètes, le « sacré » était une lumière qui s’irradiait non seulement jusqu’au plan correspondant aujourd’hui aux professions, aux sciences et aux arts profanes, mais jusqu’aux métiers et aux diverses formes de l’activité matérielle. En vertu des correspondances analogiques existant entre les différents plans, les sciences, les activités et les capacités d’ordre inférieur pouvaient être traditionnellement considérées comme des symboles de celles qui leur étaient supérieures.
L’élément qui comptait le plus dans une science traditionnelle était l’élément anagogique, le pouvoir de « conduire en haut », virtuellement présent dans toute connaissance relative à un domaine quelconque de la réalité.
Ce fut seulement durant les périodes de décadence que le monde de la Tradition connut cette émancipation de l’élément « esthétique », subjectif et humain, qui caractérise les arts modernes.
Dans le régime des castes, non seulement chaque profession correspondait à une vocation, non seulement on voyait dans tout objet produit comme une « tradition cristallisée » mise en œuvre par une activité libre et personnelle et une incomparable habileté, non seulement les dispositions développées par l’exercice d’un métier se transmettaient avec le sang sous forme d’aptitudes innées et profondes, mais il y avait aussi la transmission d’une tradition interne de l’art, gardée comme une chose sacrée et secrète.
Lorsque l’activité n’était pas régie, dans les couches les plus basses de la hiérarchie sociale, par une signification spirituelle, quand au lieu d’une action il y avait seulement un travail, le critère matériel ne pouvait manquer de prendre le dessus de ces activités, parce que liée à la matière, apparaître comme dégradantes et indignes d’un homme libre.
16. Bipartition de l’esprit traditionnel – L’ascèse
L’ascète est le « sur-caste », celui qui se sépare de la forme parce qu’il renonce au centre illusoire de l’individualité humaine et tend vers le principe d’où chaque forme procède.
L’ascèse de la contemplation consiste dans l’intégration de la vertu connaissante obtenue par le détachement de la réalité sensible, la neutralisation des facultés individuelles de raisonnement, le dépouillement progressif du noyau de la conscience, qui se déconditionnalise, se soustrait à la limitation et à la nécessité, de toute détermination, réelle ou virtuelle.
Le détachement ascétique propre à la vie contemplative implique le « renoncement ». L’élément affectif n’intervient que dans les premiers stades de la haute ascèse. Il est ensuite consommé par le feu intellectuel et par la splendeur aride de la contemplation pure.
Bhodi – connaissance au sens éminent, illumination supra-rationnelle, connaissance qui libère.
Plotin: « C’est aux dieux qu’il faut se rendre semblable et non aux hommes de bien – le but ne consiste pas à être exempt de toute faute, mais à devenir un dieu. »
Au cas de la voie de l’action, il s’agit d’un processus immanent, tendant à éveiller les forces les plus profondes de l’entité humaine et à les amener à se dépasser elles-mêmes, à obtenir que, dans une intensité-limite, le sommet de la vie supérieure se dépasse dans le « plus que vie ».
17. La grande et la petite guerre sainte
La guerre peut revêtir un caractère sacré, et la « guerre sainte » peut se confondre avec la « voie de Dieu ».
« La grande guerre sainte » est toutefois à la « petite guerre sainte » ce que l’âme est au corps, et il est fondamental, pour comprendre l’ascèse héroïque ou « voie de l’action », de comprendre la situation où les deux choses se confondent, la « petite guerre sainte » devenant le moyen par lequel se réalise une « grande guerre sainte » et, vice versa, la « petite guerre sainte » devenant presque une action rituelle qui exprime et atteste la réalité de la première.
La « grande guerre sainte » est la lutte de l’homme contre les ennemis qu’il porte en soi.
Le guerrier évoque en soi la force transcendante de la destruction, l’assume, se transfigure en elle et se libère, rompant le lien humain.
La Croisade était l’équivalent, sur le plan de la tradition héroïque, du « rite » d’un pèlerinage et de la « passion » d’une via crucis.
18. Jeux et victoire
Les jeux, en raison du caractère sacré qu’ils revêtaient dans l’antiquité classique, représentaient d’autres formes d’expression caractéristiques de la tradition de l’action.
Res divinae – tel était le caractère de ce que l’on peut faire correspondre au sport et à l’engouement sportif plébeien de nos jours.
De même que l’ascèse en général, l’héroïsme et l’action, quand ils ne visent pas à ramener la personnalité à son véritable centre, n’ont rien de commun avec ce qui fut glorifié dans le monde de la Tradition.
Il existe une idée traditionnelle selon laquelle la vérité, le droit et la justice apparaissent comme les manifestations d’un ordre métaphysique conçu comme réalité.
19. L’espace – Le temps – La terre
L’espace, le temps, la causalité ont eu, pour l’homme traditionnel, un caractère très différent de celui qui correspond à l’expérience de l’homme des époques plus récentes.
Le temps des civilisations traditionnelles n’est pas un temps « historique ». Il n’y a pas d’expérience du « devenir ».
Dans la modernité, le temps est l’ordre simple et irréversible d’événements successifs. Ses parties sont homogènes et mesurables comme une quantité.
Selon l’expérience traditionnelle, le temps n’est pas une quantité, mais une qualité. Non une série, mais un rythme.
Il y a une tradition conformément à laquelle la région correspondant aujourd’hui à l’Arctique fut le siège originel des souches qui créèrent les principales civilisations indo-européennes.
On connut des disciplines – comme les sciences augurales – dont l’objet consistait à rechercher si tel moment ou telle période était ou non propice à la réalisation d’une action déterminée.
Aujourd’hui, l’espace est considéré comme le simple « contenant » des corps et des mouvements, indifférent en soi aux uns et aux autres.
Dans l’expérience de l’homme traditionnel, l’espace est vivant, il est saturé de toutes sortes de qualités et d’intensités.
L’espace a constamment servi de base, dans l’antiquité, aux expressions les plus caractéristiques du métaphysique.
Il a existé, traditionnellement, une véritable géographie sacrée, qui n’était pas arbitraire, mais conforme à des transpositions physiques, d’éléments métaphysiques.
Le « sentiment de la nature », le pathos lyrico-subjectif éveillé dans la sentimentalité de l’individu par le spectacle des choses, était inconnu de l’homme traditionnel.
20. Homme et femme
Selon le symbolisme traditionnel, le principe surnaturel fut conçu comme « mâle », et comme « féminin » celui de la nature et du devenir.
Derrière les diverses figurations du mythe de la « chute » se cache l’idée que le principe masculin se perd dans le principe féminin, au point d’en adopter le mode d’être.
La caractéristique du sexe, loin d’être sans importance par rapport à l’esprit, est le signe indicateur d’une voie, d’un dharma distinct.
Le Guerrier et l’Ascète sont les deux types fondamentaux de la virilité pure.
La femme se réalise en tant que telle dans la mesure où elle est Amante et Mère.
Dans la modernité, l’émancipation de la femme suit l’émancipation de l’esclave et la glorification du sans-classe et du sans-tradition.
21. Declinul raselor superioare
Le monde moderne est menacé par la multiplication incessante, effrénée et grotesque des populations sur le plan de la quantité pure. Le déclin se manifeste uniquement dans les souches qui sont porteuses des forces supérieures au pur démos et au monde des masses. Les races supérieures occidentales sont entrées, depuis des siècles déjà, en agonie.
S’il est vrai que le monde moderne semble destiné à ignorer ce que sont la femme et l’homme absolus, si la sexuation des êtres y est incomplète, il n’est pas surprenant que se soient perdues ces dimensions supérieures et même transcendantes du sexe que le monde de la Tradition reconnut sous des formes multiples.
L’homme, dans toute civilisation de type supérieur, a toujours été considéré comme le porteur de l’élément ourano-solaire d’une lignée.
Deuxième partie. Genèse et visage du monde moderne
1. La doctrine des quatre âges
Dans tous les anciens témoignages de l’humanité traditionnelle, on retrouve l’idée d’une régression, d’une « chute ». D’états originels supérieurs, les êtes seraient descendus dans des états toujours plus conditionnés par l’élément humain, mortel et contingent.
La doctrine des quatre âges: un processus de décadence progressive au long de quatre cycles.
Hésiode parle de quatre âges portant la marque de l’or, de l’argent, du bronze et du fer. Il insère entre les deux dernières un cinquième âge, celle des « héros » (ayant la signification d’une restauration partielle de l’état primordial).
La même doctrine, dans la tradition hindoue, parle de quatre cycles: satyâ-yuga, tretâ-yuga, dvâpara-yuga et kali-yuga.
Dans la tradition hébraïque, on parle d’une statue splendide, dont la tête est en or, la poitrine et les bras en argent, le ventre et les cuisses de cuivre, et les pied de fer et d’argile.
Les populations où prédominent encore ce que l’on présume être l’état originel, primitif et barbare de l’humanité ne confirme guère l’hypothèse évolutionniste.
La Tradition a enseigné que l’état de connaissance et de civilisation fut l’état naturel, sinon de l’homme en général, du moins de certaines élites des origines; que le savoir ne fut pas davantage « construit » et acquis; que la véritable souveraineté ne tira pas son origine du bas.
2. L’âge d’or
C’est la civilisation d’origine, dont l’accord avec l’esprit traditionnel était aussi naturel qu’absolu. C’est l’âge de l’être, donc de la vérité au sens transcendent.
Selon Hésiod, la mort ne serait intervenue qu’au cours des derniers âges (du fer et du bronze).
Dans la tradition hellénique, l’or correspondait à la splendeur rayonnante de la lumière et à tout ce qui est sacré et grand.
3. Le “pôle” et le siège hyperboréen
Le « pôle » symbolise la stabilité spirituelle opposée à la contingence de eaux et servant de résidence à des hommes transcendants, à des héros et à des immortels.
Selon la tradition, à une époque de haute préhistoire qui correspond à l’âge d’or, l’île ou terre « polaire » symbolique aurait été une région réelle située au septentrion voisine de l’endroit où se trouve aujourd’hui le pôle arctique.
4. Le cycle nordico-atlantique
Dans l’émigration de la race boréale, il y a deux grands courants: l’un qui se dirige du nord vers le sud, et l’autre de l’Occident vers l’Orient.
Une vague d’émigration s’est avancée dans une région aujourd’hui disparue de l’Amérique centrale, où elle aurait constitué un centre à l’image du centre polaire. C’est l’Atlantide des récits de Platon et de Diodore.
Les Nahua, les Toltèques, les Aztèques se souvenaient encore de leur patrie d’origine.
Le thème titanique de la Tour de Babel et le châtiment consécutif de la « confusion des langues » pourraient faire allusion à la période où la tradition unitaire fut perdue, où les différentes formes de civilisation se dissocièrent de leur origine commune et ne se comprirent plus, après que la catastrophe des eaux eut clos le cycle de l’humanité atlantique.
5. Nord et Sud
On doit considérer comme stade hyperboréen celui où le principe lumineux présente des caractères d’immutabilité et de centralité.
Si le svastika est un symbole solaire, il l’est en tant que symbole d’un mouvement rotatoire autour d’un centre fixe et immuable, auquel correspond le point central de l’autre symbole solaire, le cercle.
Distincte de cette spiritualité ouranienne, il en est une autre qui se rattache aussi au symbole solaire, mais en relation avec l’année, une loi de changement, de montée et de descente, de mort et de renaissance.
Le rapport qui s’établit entre les deux principes – Mère et Soleil – est ce qui donne leur sens à deux expressions différentes du symbolisme, dont l’une conserve encore des traces de la tradition « polaire » nordique, alors que l’autre marque au contraire un cycle nouveau, l’âge d’argent, un mélange – qui a déjà le sens d’une dégénérescence – entre le Nord et le Sud.
Historiquement et géographiquement, l’Atlantide correspondrait en réalité non pas au Sud, mais à l’Occident. Au Sud correspondrait la Lémurie, dont certaines populations nègres et australes peuvent être considérées comme les derniers vestiges.
D’après Hésiode, l’âge d’argent fut caractérisé par une très longue «enfance » sous la tutelle maternelle.
6. La civilisation de la mère
Son thème caractéristique est une transposition métaphysique du concept de la femme, envisagée en tant que principe et substance de la génération.
Dans les civilisations « méridionales » (culte tellurico-féminin) c’est le rite funéraire de l’inhumation qui prévaut. Les civilisations d’origine nordico-aryenne ont surtout pratiqué la crémation.
En face d’une virilité conçue d’une façon toute matérielle, c’est-à-dire comme force physique, dureté, fermeture, affirmation violente – la femme, par ses facultés de sensibilité, de sacrifice et d’amour, put apparaître comme l’incarnation d’un principe plus élevé.
La féminité démetrienne: les chastes symboles de Vierges et de Mères concevant sans époux, ou de déesses de la croissance végétale ordonnée et de la culture de la terre. L’opposition entre le type démetrien et le type aphrodisien correspond à l’opposition entre la forme pure, transformée, et la forme inférieure, grossièrement tellurique, du culte de la Mère, qui resurgit dans les derniers stades de décomposition et de sensualisation de la civilisation de l’âge d’argent.
La spiritualité démétrienne, pure et calme comme la lumière lunaire, définit typologiquement l’Age d’Argent et, vraisemblablement, le cycle de la première civilisation atlantique.
7. Les cycles de la décadence – Le cycle héroïque
A propos d’une période antérieure au déluge, le mythe biblique parle d’une race d’« hommes puissants qui avaient été des hommes glorieux ». C’est à cause de cette race que la violence régna sur la terre, au point d’attirer la catastrophe diluvienne.
C’est le mythe titanique. Ce sont les « Géants ». C’est l’âge du bronze. Son aspect social, le thème titanique, luciférien, prométhéen est l’opposition entre l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel (royal ou guerrier).
A l’orientation titanique correspond une déviation analogue du droit sacré féminin (le phénomène amazonien).
Devant la déesse aphrodisienne, le mâle divin apparaît comme démon de la terre, comme dieu des eaux fécondatrices, force trouble et insuffisante soumise à la magie du principe féminin.
Historiquement, tous les souvenirs d’épidémies dionysiaques se relient essentiellement à l’élément féminin.
Le héros a la possibilité de conquérir l’immortalité et de participer à un état semblable à ce lui de l’âge primordial. En vérité, les héros ne deviennent pas tous immortels et n’échappent pas tous à l’Hadès.
Les héros qui deviennent immortels sont ceux à qui l’aventure réussit, ceux qui savent réellement éviter, grâce à un élan vers la transcendance, la déviation propre à la tentative titanique de restaurer la virilité spirituelle primordiale et à dépasser la femme – c’est-à-dire l’esprit lunaire, aphrodisien, ou amazonien.
Le mythe héroïque correspond au soleil associé à un principe de changement.
Il existe six types fondamentaux de civilisations et de traditions postérieures à la civilisation primordiale (âge d’or):
a) le démetrisme, la pureté de la Lumière du Sud (âge d’argent, cycle atlantique, société sacerdotale);
b) l’aphroditisme, sa forme dégénérescente;
c) l’amazonisme, tentative déviée de restauration lunaire;
d) le titanisme ou luciférisme, dégénérescence de la Lumière du Nord (âge du bronze, époque des guerriers et des géants);
e) le dionysisme, aspiration masculine déviée, dévirilisée dans des formes passives et mêlées de l’extase;
f) l’héroïsme, restauration de la spiritualité olympico-solaire et dépassement de la Mère et du Titan.
8. Tradition et antitradition
a) Cycle américain – Cycle méditerranéean oriental
Les traces de la spiritualité nordico solaire se retrouvent surtout durant les temps historiques dans l’aire de la civilisation aryenne.
b) Cycle hébraïque – Cycle aryo-oriental
La chute d’Adam est la transformation en péché de ce qui, dans la forme aryenne du mythe, apparaît comme une audace héroïque, souvent couronnée de succès et qui, même dans le mythe de Gilgamesh, n’échoue qu’en raison de l’état de « sommeil » où le héros se laisse surprendre.
9. Le cycle héroïco-ouranien occidental
a) Le cycle hellénique
Le dernier cycle, humaniste, laïque, rationaliste, c’est l’aspect que beaucoup de « modernes » voient commen le principe de leur propre civilisation.
Mais la civilisation hellénique comporte aussi une couche plus ancienne, égéenne et pélasgienne, où l’on retrouve le thème général de la civilisation atlantique de l’âge d’argent, surtout sur la forme de démétrianisme.
La conception olympienne du divin est, chez les Hellènes une des expressions les plus caractéristiques de la « Lumière du Nord ».
L’idéal grec est le héros qui résout l’élément titanique, qui libère Prométhée après s’être rangé du côté des Olympiens, c’est Héraclès anti-gynécocratique qui détruit les Amazones, blesse la Grande Mère, s’empare des pommes des Hespérides en vainquant le dragon, rachète Atlas puisque ce n’est pas en tant que châtiment mais en tant qu’épreuve qu’il assume la fonction de « pôle » et soutient le poids symbolique du monde jusqu’à ce qu’Atlas lui apporte les pommes.
Royauté, oligarchie, bourgeoisie et pour terminer, dominateurs illégitimes qui tirent leur pouvoir d’un prestige purement personnel et s’appuient sur le démos, telles sont les phases de l’involution qui, après s’être manifestée en Grèce, se répète dans la Rome antique et s’accomplit ensuite sur une grande échelle et d’une façon totale dans l’ensemble de la civilisation moderne.
La doctrine pythagoricienne est essentiellement imprégnée par le thème démétrien et panthéiste.
L’humanisme, thème caractéristique de l’âge de fer, s’y annonçait par l’apparition du sentimentalisme religieux et la dissolution des idéaux d’une humanité virilement sacrée.
Le philosophe et le « physicien » ne sont que des produits dégénérescents apparus à un stade déjà avancé du dernier âge, de l’âge du fer.
Le passage du plan du symbole à celui des mythes, avec ses personnifications et son « esthétisme » latent, annonce déjà une première chute de niveau. Ce n’est que beaucoup plus tard, pendant la Renaissance, que ce phénomène atteindra son complet développement.
La Grèce civilisée, « mère des arts », celle qu’avec la Grèce philosophique les modernes admirent et sentent si proche, c’est la Grèce crépusculaire.
b) Le cycle romain
Rome naît au moment où se manifeste un peu partout, dans les antiques civilisations traditionnelles, la crise. Elle apparaît comme la dernière grande réaction contre ces crises.
10. Syncope de la tradition occidentale – Le christianisme des origines
La Rome patricienne et virile du jus, du fas et du mos a été soumise à l’invasion de cultes asiatiques désordonnés, qui s’insinuent rapidement dans la vie de l’Empire et en altèrent les structures.
La période impériale fait apparaître, dans son développement, cette dualité contradictoire: d’un côté une théologie, une métaphysique et une liturgie de la souveraineté qui prennent une forme toujours plus précise. Mais celle-ci est comme une veine d’en haut, un axe de lumière au milieu d’un ensemble démonique, où toutes les passions, l’assassinat, la cruauté, la trahison se déchaînent peu à peu dans des proportions plus qu’humaines.
Doctrinalement, le christianisme se présente comme une forme désespérée du dionysisme. S’étant formé essentiellement en vue de s’adapter à un type humain brisé, il utilisa comme levier la partie irrationnelle de l’être et, au lieu des voies de l’élévation « héroïque », sapientielle et initiatique, il affirme comme moyen fondamental la foi, l’élan d’une âme agitée et bouleversée, poussée confusément vers le suprasensible.
Avec le christianisme, on ne se trouve plus en présence d’une pure religion de la Loi comme dans l’hébraïsme orthodoxe, ni d’un vrai Mystère initiatique, mais devant quelque chose d’intermédiaire, un succédané du second formulé de manière à s’adapter au type humain brisé.
Historiquement, c’est une prédominance du pathos sur l’ethos, cette sotériologie équivoque et émotionnelle. Avec le christianisme, Dieu n’est plus le symbole d’une essence exempte de passion et de changement, qui crée une distance par rapport à tout ce qui n’est qu’humain. C’est plutôt une figure qui, dans sa « passion » reprend et affirme le motif pélasgico-dionysiaque des dieux sacrifiés, des dieux qui meurent et renaissent à l’ombre des Grandes Mères.
La haine du christianisme des origines pour toute forme de spiritualité virile, le fait qu’il stigmatisa, comme folie et péché d’orgueil, tout ce qui peut favoriser un dépassement actif de la condition humaine, exprime nettement son incompréhension du symbole « héroïque ».
L’avènement du christianisme a signifié une forme spéciale de dévirilisation propre aux cycles de type lunaire-sacerdotal.
Il est évident que le christianisme, en général, a universalisé, rendu exclusives et exalté la voie, la vérité et l’attitude qui ne conviennent qu’à un type humain inférieur ou à ces basses couches de la société pour lesquelles furent conçues les formes exotériques de la Tradition.
La seconde conséquence du dualisme chrétien (nature vs. surnaturel) fut la « désacralisation » ou la « désanimation » de la nature. La nature devint quelque chose d’étranger, sinon même de diabolique.
A l’époque où le christianisme se développa, le Panthéon romain se présentait de telle manière, que même le culte du Sauveur chrétien aurait pu, finalement, y trouver place parmi d’autres, à titre de culte particulier schismatiquement issu de l’hébraïsme. C’était le propre de l’universalité impériale que d’exercer une fonction supérieure unificatrice et ordonnatrice, au-delà de tout culte spécial, qu’elle n’avait pas besoin de nier. Elle demandait pourtant un acte qui attestât une fides, une loyauté supra-ordonnée, à l’égard du principe d’en haut incarné par le représentant de l’Empire, l’Augustus. C’est précisément cet acte le rite de l’offrande sacrifficielle devant le symbole impérial que les chrétiens refusèrent d’accomplir, le déclarant incompatible avec leur foi. Et c’est là l’unique raison de cette épidémie de « martyrs », qui devait apparaître au magistrat romain comme une pure folie.
11. Translation de l’idée d’empire – Le Moyen Age Gibelin
Le christianisme ne « convertit » qu’extérieurement l’homme occidental, dont il constitua la « foi » au sens le plus abstrait, mais dont la vie effective continua d’obéir à des formes, plus ou moins matérialisées, de la tradition opposée de l’action et, plus tard, au Moyen Age, à un ethos qui, de nouveau, devait être essentiellement empreint de l’esprit nordico-aryen.
Durant les premiers siècles de l’Empire christianisé et la période byzantine, l’Eglise apparaît encore subordonnée à l’autorité impériale. Progressivement, on glisse toutefois à l’idée de l’égalité des deux pouvoirs, de l’Eglise et de l’Empire. Dans l’idéal carolingien subsiste le principe selon lequel le roi ne gouverne pas seulement le peuple, mais aussi le clergé.
L’éthique chevalaresque et l’articulation du régime féodal, si éloignés de l’idéal « social » de l’Eglise des origines; le principe ressuscité d’une caste guerrière ascétiquement et sacralement réintégrées; l’idéal secret de l’empire et celui des croisades, imposent donc à l’influence chrétienne de solides limites.
12. Délin de l’oecumène médiéval. Les nations
Parmi les causes qui ont conduit à la décandence du Saint Empire Romain il faut nommer la sécularisation et la matérialisation progressive de l’idée politique.
Au moment où un empire cesse d’être sacré, il commence à ne plus être un Empire.
Il est fatal que chaque fois qu’une caste se révolte contre la caste supérieure et se rend indépendante, elle perde le caractère spécifique qu’elle avait dans l’ensemble hiérarchique, pour refléter celui de la caste immédiatement inférieure.
A l’émancipation, vis-à-vis de l’Empire, des Etats devenus « absolus », devait succéder l’émancipation, vis-à-vis de l’Etat, des individus souverains, libres et autonomes.
L’exaltation polémique de la civilisation de la Renaissance contre celle du Moyen Age fait partie des conventions de l’historiographie moderne.
13. L’irréalisme et l’individualisme
Dans son sens le plus général, l’humanisme apparaît comme le stigmate et le mot d’ordre de toute la nouvelle civilisation qui se libère des « ténèbres du Moyen Age ». Cette civilisation ne connaîtra plus que l’homme: c’est dans l’homme que commenceront et finiront toutes choses; c’est dans l’homme que se trouveront les seuls cieux et les seuls enfers, les seules glorifications et les seules malédictions que l’on connaîtra désormais.
D’où l’irréalisme radical, l’inorganicité foncière de tout ce qui est moderne. Intérieurement comme extérieurement, rien ne sera plus vie, tout sera construction: à l’être désormais éteint, se substituent dans tous les domaines le « vouloir » et le « Moi », comme un sinistre étayage, rationaliste et mécaniste, d’un cadavre.
Sur le plan religieux, l’irréalisme est en rapport étroit avec la perte de la tradition initiatique.
La doctrine de Luther eut pour conséquence de subordonner la religion à l’Etat dans toutes ses manifestations concrètes.
Dans le développement historique du protestantisme, l’idée religieuse devient de plus en plus étrangère à tout intérêt transcendant, se réduit sans cesse davantage à un simple moralisme prêt à sanctifier n’importe quelle réalisation temporelle, au point de donner naissance à une sorte de mystique du service social, du travail, du « progrès » et, finalement, du gain.
Le naturalisme découle nécessairement de l’individu.
Avec la révolte de l’individu, tout conscience du monde supérieur est perdue.
La réalité devient synonyme de matérialité.
Le processus de détachement, de perte du monde supérieur, de perte de la tradition, de laïcisation agressive, de rationalisme et de naturalisme triomphants, se manifeste d’une façon identique sur le plan des rapports de l’homme avec la réalité et sur le plan de la société, de l’Etat et des mœurs.
Toute usurpation individualiste entraîne automatiquement une limitation collectiviste.
Les modernes ont considéré comme une conquête le passage d’une « civilisation de l’être » à une « civilisation du devenir ».
Le mouvement indéfini, insensé et accéléré de la « fuite en avant » est devenu le thème dominant de la civilisation modern.
Le monde moderne est marqué par un retour, sous une forme singulière, des thèmes propres aux anciennes civilisations gynécocratiques méridionales. Le socialisme et le communisme ne sont que des réapparitions matérialisées et mécanisées de l’ancien principe tellurico-méridional de l’égalité et de la promiscuité dans la Terre Mère. Le sentiment plébéien de la Patrie, qui s’est affirmé avec la Révolution française et s’est développé avec les idéologies nationalistes comme mystique de la race et de la Mère Patrie sacrée et omnipotente, est effectivement la reviviscence d’une forme de totémisme féminin.
14. La régression des castes
Il existe une loi générale objective concernant la chute: c’est la loi de la régression des castes. Le sens de l’histoire, à partir des temps préantiques, correspond à la descente progressive du pouvoir et du type de civilisation de l’une à l’autre des quatre castes: les chefs sacrés, la noblesse guerrière, la bourgeoisie, les esclaves.
Du fait que, selon l’irréalisme propre à ces courants, être signifie connaître, esprit veut dire mental et que le processus productif et immanent de la connaissance s’identifie au processus de la réalité, ce qui se reflète jusque dans les régions les plus élevées, et s’impose précisément comme « vérité » pour elles, c’est le mode de la dernière caste: le travail productif divinisé.
La relation de l’économie moderne avec la machine est également caractérstique d’une situation où les forces déclenchées dépassent les plans de celui qui les a originellement évoquées et entraînent tout avec elles.
15. Nationalisme et collectivisme
Alors que les civilisations traditionnelles étaient couronnées par le principe de l’universalité, la civilisation moderne se trouve donc essentiellement placée sous le signe de la collectivité.
Le collectif est à l’universel ce que la « matière » est à la « forme ».
Le Moyen Age connut des nationalités, non des nationalismes. La nationalité est une donnée naturelle. Le nationalisme cherche à galvaniser, à flatter une masse par des perspectives chimériques de primauté, de privilèges et de puissance. La substance du nationalisme moderne n’est pas un ethnos, mais un demos, et son prototype demeure le prototype plébéien suscité par la Révolution française.
Au XIXe siècle, le nationalisme, en Europe, fut purement et simplement synonyme de révolution.
Dans le cadre du nationalisme moderne, la nation devient l’élément primaire, presque un être en soi, exigeant de l’individu une soumission inconditionnelle, non seulement en tant qu’être naturel, mais aussi en tant qu’être moral.
16. Le cycle se ferme
a) La Russie
Dans la révolution bolchevique il y a une intelligence, un plan bien médité et une technique. Ses chefs ont un impitoyable esprit de suite. Pour eux, l’homme n’existe pas. C’est un groupe d’hommes où la féroce concentration du fanatique s’unit à la logique exacte, à la méthode, à la recherche du moyen le mieux adapté au but poursuivi.
Si les révolutions antérieures échappèrent presque toujours des mains de ceux qui les avaient suscitées, en Russie le pouvoir et la terreur se sont stabilisées.
Il existe dans le communisme deux vérités: une vérité ésotérique, dogmatique et immuable, et une vérité changeante, « réaliste », forgée cas par cas.
Ce n’est pas le mythe économique marxiste qui est ici l’élément primaire, mais bien la négation de toute valeur d’ordre spirituel et transcendant. La mécanisation, la désintellectualisation et la rationalisation de l’activité sont des moyens mis en œuvre pour atteindre ce but.
La fin du communisme est la réalisation de l’homme-masse et du matérialisme intégral.
b) L’Amérique
Certaines parties d’un idéal qui, dans le bolchevisme, n’existe encore que comme tel, ou a été imposé par une contrainte extérieure, se sont réalisées en Amérique en vertu d’un processus quasi spontané.
L’Amérique aussi a créé une « civilisation » qui se trouve en parfaite contradiction avec l’ancienne tradition européenne.
L’Amérique est une théocratie du rendement.
Le pragmatisme: l’utile est le critère du vrai et la valeur de toute conception, même métaphysique, doit être mesurée à son efficacité pratique, c’est-à-dire, selon la mentalité américaine, son efficacité économico-sociale.
L’émancipation soviétique de la femme concorde avec celle qu’en Amérique l’idiotie féministe avait déjà réalisé dépuis longtemps.
La Russie et l’Amérique sont les deux faces d’une même chose.
Conclusion
Les transformations et les événements à travers lesquels l’Occident est parvenu au point actuel ne sont pas arbitraires et contingents, mais procèdent d’un enchaînement précis de causes.
Il existe chez le moderne un matérialisme qui, à travers un hérédité déjà séculaire, est devenu désormais quasi structurel, représente une donnée congénitale de son être.
21 mars 2017
Julius Evola, Révolte contre le monde moderne (notes de lecture)
Publicat de Radu Iliescu la 7:55 PM
Etichete: Evola Julius, note de lectura
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