12 février 2006

Jean Borella, Gnose chrétienne et gnose anti-chrétienne, (note de lectura)





Texte publié en octobre 1996 dans la revue La Place Royale.
La gnose a mauvaise presse dans la théologie chrétienne. Ainsi, parler d’une gnose chrétienne semble à première vue paradoxal. On peut démontrer qu’il existe un gnosticisme chrétien.

I. Position du problème
En général, les doctrines religieuses peuvent être définies historiquement, mais en ce qui concerne la gnose les exigences ne peuvent être satisfaites. Pire que cela, « L’histoire de la gnose (et du gnosticisme), c’est l’histoire de son historiographie. Jusqu’à une date récente, en effet, cet ensemble cosmologico-religieux n’était connu que par les réfutations de ses adversaires chrétiens (et néo-platoniciens). » Ainsi, les fragments cités par Irénée, Hippolyte, Justin etc. étaient, jusque récemment, la seule documentation disponible. En 1945, en Egypte, fut découverte la seule bibliothèque gnostique authentique, mais les éclaircissements sont loin d’être arrivés.
1. D’abord les historiens ont vu dans le gnosticisme une hérésie chrétienne. Deux opinions ont été formulés quant à la nature de cette hérésie: ou qu’elle était l’hellénisation d’une religion somme tout orientale, ou qu’elle était un retour aux sources orientales d’une religion qui se présentait sous une forme grecque.
2. Suite aux travaux de Bossuet, l’historiographie du courant établit que le gnosticisme n’est pas né avec le christianisme, mais il est plus ancien. Ce courant, sans se nommer « gnosticisme », groupait des juifs, des iraniens, l’hermetisme égyptien. « Cette thèse est peu contestable et nous paraît aujourd’hui assez bien établie, au moins dans son cadre général (car, pour notre part, nous faisons toutes réserves sur la signification du phénomène gnostique et sur les diverses interprétations qu’en donnent les historiens). »
3. La troisième thèse: le christianisme est une religion gnostique, même la vraie gnose. Cela explique pourquoi le gnosticisme préchrétien a pu « reconnaître » le christianisme et en tirer profit.
La connexion subtile entre le gnosticisme et le christianisme est à la base du fait que beaucoup gnostiques (tel Valentin) ont semblé plus chrétiens que les chrétiens mêmes.
« Si donc le gnosticisme paraît si spécifiquement chrétien, et si pourtant son origine est incontestablement pré-chrétienne, c’est que le christianisme présente lui-même les caractéristiques d’une véritable gnose authentique, ou plutôt qu’en lui la gnose atteint à sa pureté et à sa vérité, tandis que les gnosticismes immédiatement pré-chrétiens ou para-chrétiens n’en offrent que des aspects déformés et déviés. »

II. Gnose et gnosticisme
La troisième thèse (celle de Jean Borella) impose montrer en quoi le christianisme réalise la vérité de la gnose et identifier l’erreur du gnosticisme et préciser la déviation qu’il fait subir à la gnose véritable.
1. Il faut distinguer entre la gnose (du grec gnôsis), qui est la connaissance intérieure et salvatrice de Dieu, et le gnosticisme, qui est la systémisation historique de cette connaissance. Ainsi, tout gnosticisme est une hérésie, parce qu’elle est un choix (haïrésis = choix) dans la vérité totale quelques éléments.
Le terme « gnôsis » a été utilisé la première fois dans le christianisme, par l’apôtre Paul. Il dénonce la pseudo-gnose, donc le gnosticisme, dans 1er épître à Timothée, VI, 20. D’autres Saints Pères ont parle de la gnose chrétienne (Irénée, Clément d’Alexandrie, Origène).
2. La vie éternelle est une gnose: « Voici ce qu’est la vie éternelle : qu’ils te connaissent, Toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé Jésus-Christ » (Jean, XVII, 3). Cette connaissance est salvatrice, mais aussi intérieure.
Adage médiéval: « Doctrina Christi revelat quod doctrina Moysi velat » (Le christianisme c’est la révélation du mystère intérieur du judaïsme)
Les rites chrétiens, le baptême et l’eucharistie d’abord, semblent reprendre ce qu’il y avait de plus religieux dans l’hellénisme: le culte des mystères. « Le baptême n’était-il pas dénommé « initiation » et « illumination » ? N’est-il pas un rite véritablement initiatique qui transforme l’âme, et lui confère la grâce de la gnose christique ? Et le rite eucharistique, en faisant participer au banquet sacrificiel du divin Corps du Christ, ne nous communique-t-il pas, dans le mysterium fidei, la connaissance la plus intime, celle de l’Etre même de Dieu ? » [A mon avis, ici Borella reprend l’erreur de Schuon, celle de considérer le baptême comme étant un rite d’initiation. S’il en a été vraiment une initiation, les choses ont changé au moment où il a été offert à tout le monde, sans aucune restriction supposant une manque de qualification objective. Cette erreur a été vivement condamnée par René Guénon – n. n.]
3. L’authentique intérieurité de la gnose chrétienne rend faux le gnosticisme non chrétien.
Tout gnosticisme est nécessairement dualiste, étant ainsi une hérésie métaphysique. Le gnosticisme est d’une part un « angélisme anti-créationiste » (l’hérésie marcionite et valentinienne, qui considérait que le monde physique est la création d’un mauvais démiurge) et d’autre part un « docétisme christologique ».
L’hérésie docétiste (qui n’est qu’un corollaire de l’hérésie précédente), vient du mot grec dokéô (sembler, paraître). Sa thèse de base était celle que le corps du Christ n’était qu’apparent, et que sa Passion ne fut qu’illusoire.
Thése de ces hérésies: « la réalité suprême est trop haute et trop sublime pour tolérer la bassesse du monde corporel, et donc a fortiori pour qu’un être émanant du monde supérieur puisse en assumer réellement les conditions. » [ce qui, métaphysiquement, est une négation de la Possibilité Universelle. – n.n.]
Au lieu de rejeter la matière, comme ces hérésies le prétendent, le docétisme et l’angélisme anti-créationiste l’élèvent au niveau de réalité antinomique du Principe.
Avec le gnosticisme, l’intériorité rejette l’extériorité. Avec la gnose, l’intériorité assume l’extériorité, en la transfigurant (seul le Plus peut le moins). Comme a dit l’apôtre Paul, le Christ s’est fait pêché.
Le Christ est la connaissance du Père incarnée. Il est la Gnose répandue et communiquée.


III. Le gnosticisme moderne
1. Le gnosticisme moderne est très différent du gnosticisme ancien. Le gnosticisme des hérésiologues chrétiens est profondément religieux, pendant que le gnosticisme moderne est anti-religieux.
Les gnoses modernes considèrent que la science doit remplacer la religion (ce qui est différent du scientisme du XIXe siècle, qui considérait que la science doit éliminer la religion, tout en restant science).
Pour faire la connaissance scientifique participer à la néo-gnose, elle doit échapper au dualisme matière-esprit. Ainsi, la matière c’est de l’esprit retourné, à l’envers. « La néo-gnose est la « révélation » de ce retournement, et opère une sorte de « salut », spéculatif ou théorique, en remettant les choses à l’endroit. »
Parmi les exponents de la néo-gnose, il faut citer Ruyer et Alain de Benoist.
Le gnosticisme moderne est un investissement du monde physique de tous les attraits de la divinité, sans aucune référence à Dieu.
Le gnosticisme hellénique, au nom de la Transcendence divine, refusait l’immancence de Dieu au monde. Le gnosticisme moderne refuse la transcendance au nom de l’immanence, et même au nom du panthéisme.
Le gnosticisme ancien était l’incompréhension de l’Incarnation sacrificielle. Le nouveau gnosticisme est l’incompréhension de la Résurrection pascale.
2. « S’il y a, en effet, résurrection de la chair, c’est que le principe divin, qui est immanent au monde, qui est présent dans la substance même de la matière, ne peut pas, en vertu de sa propre Transcendance, ne pas arracher le corps physique à l’ordre cosmique auquel il adhère, pour manifester la transcendance même de la chair lorsqu’elle est habitée véritablement par l’Esprit. »
Ce qu’il fait défaut à cette gnose est la distinction des degrés de réalité qui en dérive. L’Esprit est dans le monde, mais le monde est moins parfait, donc moins réel, que l’Esprit.
3. La Résurrection du Christ se présente à nous comme le sacrement restaurant le cosmos.
« On le voit, face au gnosticisme ancien comme au gnosticisme moderne, le christianisme est le seul à aller jusqu’au bout des exigences de la gnose. Il en réalise véritablement toutes les conséquences, devant lesquelles reculent les audaces spéculatives les plus réputées, (ainsi du gnosticisme de Hegel, qui, écrivant une vie de Jésus, la termine à la crucifixion). »
Sur la théologie: « Nous croyons pourtant qu’à vouloir définir l’œuvre théologique comme une œuvre de la pure raison naturelle (en sorte qu’à la limite un athée pourrait être théologien pourvu qu’il accueille spéculativement – c’est-à-dire d’hypothèses – les données de la foi), on ne peut échapper à un certain rationalisme soit qui conduit la théologie au dessèchement et à l’exercice gratuit, soit qui l’expose au rejet pur et simple, au nom du concret, de l’existentiel, du pastoral et de « l’engagement ». […] En maintenant au contraire que la théologie doit être mystique, non point au sens où le théologien devrait connaître ce qu’on appelle proprement des états mystiques, mais au sens où il garde la conscience vive que la lumière de l’intelligence est, selon le mot de saint Thomas d’Aquin, « quasi dérivée de Dieu ». »
Conclusion finale: « Et qu’on ne s’y trompe pas : la conscience de la nature quasi divine de l’intellection humaine actualisée, sous la lumière qui rayonne de l’objet de foi, qui est lui-même une concrétion objective du Verbe, cette conscience n’est pas rien. Elle communique au contraire à la connaissance théologique une vibration et un parfum qui l’arrache à l’exercice ordinaire de la pensée et qui l’empêche de se prendre aux pièges de ses formulations. Dans l’acte même de la connaissance, une telle intelligence goûte déjà droitement quelque chose du Saint-Esprit. Et c’est cela la gnose. »

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La gnose que ce soit dans l'hindouisme, le bouddhisme ou le christianisme est universelle ! Pour l'hindouisme "la moksha", le bouddhisme "le nirvana" et le christianisme ésotérique "la transfiguration" revetir le corps immortel comme disait Paul ! Le but de notre incarnation est la liberation.Nous pouvons nous libérer dans cette vie et retourner auprès de notre père ( le royaume des cieux, notre état originel )! La réincarnation est une réalité mais c'est un piège ! La samsara est un piège ! Il faut se libérer de ce cycle de réincarnations voilà le but de toute vie ! Considérons notre pèlerinage sur terre comme un apprentissage, oú nous devons être de plus en plus conscient que nous sommes des etres célestes et que nous ne sommes pas ce corps comme le disent les gnostiques et l'advaita vedanta.