25 juillet 2005

Amin Maalouf, Les identités meurtrières, (fragments)

Paru chez Grasset & Fasquelle, 1998.
Amin Maalouf est chrétien libanais naturalisé français. Il est résolument moderniste, ignorant le traditionnalisme jusque dans le concept, comme bien sied à tout « intellectuel » selon les critères occidentaux. Nous reproduisons quelques fragments de son essai qui surprennent très bien l’honnêteté du témoignage personnel de l’auteur. Le reste de l’ouvrage n’est remarquable en rien, il s’inscrit sagement dans le flot des productions « intellectualistes » de l’intelligentsia contemporaine: compliqué parce que confus, verbieux parce que dépourvu de conceptualisation et métaphysique pure.

Sur la tolérance islamique: « Aucune religion n’est dénuée d’intolérance, mais si l’on faisait le bilan de ces deux religions « rivales », on constaterait que l’islam ne fait pas si mauvaise figure. Si mes ancêtres avaient été musulmans dans un pays conquis par des armées chrétiennes, au lieu d’avoir été chrétiens dans un pays conquis par les armées musulmanes, je ne pense pas qu’ils auraient pu continuer à vivre depuis quatorze siècles dans leurs villes et villages, en conservant leur foi. Que sont devenus, en effet, les musulmans d’Espagne? Et les musulmans de Sicile? Disparus, tous jusqu’au dernier, massacrés, contraints à l’exil ou baptisés de force.
Il y a dans l’histoire de l’islam, dès ses débuts, une remarquable capacité à coexister avec l’autre. A la fin du siècle dernier, Istanbul, capitale de la principale puissance musulmane, comptait dans sa population une majorité de non-musulmans, principalement des Grecs, des Arméniens et des Juifs. Imaginerait-on à la même époque une bonne moitié de non-chrétiens, musulmans ou juifs, à Paris, à Londres, à Vienne ou à Berlin? Aujourd’hui encore, bien des Européens seraient choqués d’entendre dans leurs villes l’appel du muezzin. » (p. 67-68)

Sur la relation entre la modernité et l’Occident: « La question n’est pas tellement de savoir pourquoi la civilisation aztèque ou islamique ou chinoise n’a pas réussi à devenir la civilisation dominante – chacune avait ses pesanteurs, ses infirmités, ses malchances. C’est plutôt de savoir pourquoi, lorsque la civilisation de l’Europe chrétienne eut pris l’avantage, toutes les autres se sont-elles mises à décliner, pourquoi ont-elles toutes été marginalisées, d’une manière qui paraît aujourd’hui irréversible? […]
Si bien qu’aujourd’hui – regardons autour de nous! – l’Occident est partout. A Vladivostok comme à Singapour, à Boston, Dakar, Tachkent, São Paolo, Nouméa, Jérusalem et Alger. Depuis un demi-millénaire, tout ce qui influence durablement les idées des hommes, ou leur santé, ou leur paysage, ou leur vie quotidienne est l’œuvre de l’Occident. Le capitalisme, le communisme, le fascisme, la psychanalyse, l’écologie, l’électricité, l’avion, l’automobile, la bombe atomique, le téléphone, la télévision, l’informatique, la pénicilline, la pilule, les droits de l’homme, et aussi les chambres à gaz… Oui, tout cela, le bonheur du monde et son malheur, tout cela est venu d’Occident.
Où l’on vive sur cette planète, toute modernisation est désormais occidentalisation. Une tendance que les progrès techniques ne font qu’accentuer et accélérer. Un peu partout on trouve, certes, des monuments et des ouvrages qui portent l’empreinte de civilisations spécifiques. Mais tout ce qui se crée de neuf – qu’il s’agisse des bâtiments, des institutions, des instruments de connaissance, ou du mode de vie – est à l’image de l’Occident. » (p. 83-84)

Une des thèses d’Amin Maalouf est que la montée de l’islamise comme force politique a commencée au moment où les solutions politiques importées de l’Occident ont fait faillite dans les pays arabes. L’échec du président égyptien Nasser (à laquelle s’ajoute celui de Sadam Hussein) en est un exemple: « Le plus important de ces dirigeants était Nasser. « Le plus important », j’ai dit? C’est un plat euphémisme. On a du mal à imaginer aujourd’hui ce que fut le prestige du président égyptien à partir de 1956. D’Aden jusqu’à Casablanca, ses photos étaient partout, les jeunes et aussi les moins jeunes ne juraient que par lui, les haut-parleurs diffusaient des chansons à sa gloire, et lorsqu’il prononçait l’un de ses discours-fleuves, les gens étaient agglutinés par grappes autour des transistors, deux heures, trois heures, quatre heures sans se laisser. Nasser était pour les gens une idole, une divinité. J’ai beau chercher dans l’histoire récente des phénomènes semblables, je n’en trouve aucun. Aucun qui s’étende sur tant de pays à la fois, avec une telle intensité. Pour ce qui concerne le monde arabo-musulman, en tout cas, il n’y a jamais rien eu qui ressemble, même de loin, à ce phénomène. » (p. 95)

Trait de notre temps: « Méfiance est sans doute l’un des mots-clés de notre temps. Méfiance à l’égard des idéologies, des lendemains qui chantent, méfiance à l’égard de la politique, de la science, de la raison, de la modernité. Méfiance à l’égard de l’idée de progrès, et de pratiquement tout ce à quoi nous avons pu croire tout au long du XXe siècle – un siècle de grandes réalisations, sans aucun précédent depuis l’aube des temps, mais un siècle de crimes impardonnables et d’espérances déçues. Méfiance, aussi, à l’égard de tout ce qui apparaît comme global, mondial ou planétaire. » (p. 111)

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