Publié chez Plon, 1966.
Ce livre est dédié aux jeunes d’Afrique.
Conakry
Retour au pays après six ans d’études en France, au Paris. “[…] la terre natale – quoi que l’on fasse et en dépit de la générosité ou de l’hospitalité qu’on trouve en d’autres pays – sera toujours plus qu’une simple terre: c’est toute la Terre!” (p. 9)
Conakry est la ville dans laquelle le narrateur-personnage (Fatoman) revient, en Basse-Guinée.
Le départ du pays s’est produit en 1947.
Les retrouvailles avec Mimie, sa petite amie.
L’oncle Mamadou approuve le mariage de Fatoman avec Mimie: “Fatoman, si nous avons consenti à votre union, si personnellement j’y ai donné mon accord, c’est parce que je sais que Mimie est une fille simple, issue d’une famille simple.” (p. 30)
“Dans la pensée de mon oncle, qui était très religieux, la réussite d’un homme ne dépendait pas uniquement de ses efforts, il fallait surtout que ces efforts fussent soutenues par Dieu. Selon lui, Dieu donne toujours à manger à toutes les bouches qu’il a créées. Ainsi donc, selon lui, satisfaire les besoins de Mimie était plus l’affaire de Dieu que la mienne.” (p. 31)
Visite à Aminâ, ou les deux, Fatoman et Mimie voyent le village des Blancs (Français et Canadiens). L’exploitation de bauxite.
Au moment des retrouvailles avec la familles de Fatoman: “La tradition exigeait que nous répondions à chacune [des questions – n.n.], dans l’ordre même des questions posées […].” (p. 52)
La mère de Fatoman envers mimie, sa belle-fille: “Si tu ne te dévoues pas, comment tes enfants auront-ils de la chance dans la vie? Tu le sais, la chance des enfants dépend, d’après nos traditions, du dévouement de la femme envers son mari.” (p. 56-57)
Fatoman témoigne avoir reçu en France: “[…] un enseignement théorique et pratique, destiné à faire de moi un bon technicien des moteurs.” (p. 72)
Petit dialogue quand Fatoman est touché par un homosexuel: “- Ah ça, non! protestai-je. Il n’y a pas de cela dans mon pays. Là-bas, un homme est fait pour vivre avec une femme. Un homme est fait pour se marier et pour avoir des enfants. – Tu ne nous connaîtras jamais assez, toi! Nous avons des vices, ici! Vous êtes purs, vous, les Africains. Vous ignorez les artifices et les perversions. C’est mieux ainsi.” (p. 82)
Les périodes de misère en Paris. L’embauchement comme technicien chez Simca.
Globalisation avant la lettre dans le discours de son père: “Que veux-tu, notre métier se dévalorise tout à fait. Les cordonniers, et nous, les bijoutiers, sommes condamnés presque au chômage. Les Libanais apportent maintenant de la camelote, dont les boutiques sont pleines. A cause de la différence de prix, les femmes la préfèrent à nos bijoux en or, aux sacs en peau tanné des cordonniers. Aussi me suis-je consacré entièrement à la sculpture. Les Toubabs de passage ici achètent beaucoup mes statuettes. Ils en raffolent.” (p. 114)
Un peu à la manière des fables: “Il y avait un homme très riche, mais qui avait un seul et grand ennemi. – Lequel? Demanda Bilali, inconscient. – Sa bouche! répondis-je. L’homme dont il s’agit se vantait trop.” (p. 116)
Bilali a une voiture dont il est trop fier, qui constitue et impose son prestige social. C’est l’homme à moitié moderne, qui valorise plus les apparences que l’essence: “Ce n’est pas comme propriétaire de villa que je pourrais prouver à mes concitoyens que je suis riche, immensément riche. Une villa ne peut être vue de tout le monde: elle ne roule pas. Tandis qu’une voiture!…” (p. 117)
Le griot: “Mais le griot qui, après le repas, avait pénétré dans ma case, connaissait tout le monde. Une fièvre, en effet, s’était emparé de lui le matin, quand on lui avait annoncé mon arrivée. Apporter sa cora, pour en jouer dans ma case, c’était sa façon, la meilleure façon de me souhaiter la bienvenue. Il préluda sur son instrument; puis il se mit à chanter des luanges de chacun de nous: de Konaté d’abord, de Bilali ensuite, et enfin de chacun des visiteurs et visiteuses qui, cette nuit-là, peuplaient ma case. A tour de rôle, chacun de nous entendait rappeler les hauts faits de ses ancêtres. Au fur et à mesure que les arbres généralogiques se dressaient, la chéchia du griot, posée par terre, à ses pieds, se remplissait de pièces de monnaie, que nous y lancions chaque fois que son récit flattait notre orgueil. La cora soutenait sa voix, accompagnait ses chroniques, les truffait de notes, tantôt sourdes, tantôt aigrelletes. Mimie, couchée sur le divan-lit, dans un coin de la case, avait entendu se dévider des couplets; elle avait savouré, comme nous, les belles histoires que contait le griot. Mais cela ne lui suffisait pas. Elle désirait que fût contée son histoire à elle.” (p. 126)
Toujours cette globalisation avant la lettre, quand Fatoman cherche des vieux objets traditionnels qui ne se fabriquent plus: “C’est pourquoi vous êtes si exigeant. Je vous ai entendu parler à mon maître… Non, monsieur, il n’y a rien ici pour le moment. Nous ne fabriquons plus de sacs en croco, plus de ceintures ni d’étuis en peau de serpent. Il n’y a plus rien, ici! Mais ces Libanais, nos ennemis, ont beau nous faire tort (ils ont beaucoup d’argent et de moyens), ils ont beau boycotter notre travail, nous tiendrons jusqu’au bout. Ces gens sont comme des cyclones qui arrachent les arbres géants. Mais nous, les artisans, nous ne sommes pas des arbres: nous sommes des lianes… Que peut la force d’un cyclone contre des lianes? Elle ne peut que jouer avec elle, les agiter, les tordre. Malgré sa force extraordinaire, le cyclone ne peut arracher ni briser les lianes…” (p. 160)
Le discours de son père sur l’art traditionnel: “Tu ce que tu as vu là-bas a été sculpté par nos aînés, par des artisans qui n’avaient pas été à l’école et qui cependant avaient plus d’habileté qu’on ne pourrait le croire. Il est bien certain que les hommes du peuple ont la puissance de contemplation et de création beaucoup plus développée, beaucoup plus proche de la réalité, de la vérité. Chacun de ces artistes anonymes dont les œuvres reposent dans des musées avait plus de savoir-faire dans le petit doigt que nous, leurs descendants, n’en avons dans la main entière. Je connais bien ces formes, mais je n’en fais pas. Cela se fait rarement, maintenant. Ces formes datent d’une époque lointaine, du temps de nos pères. C’était un temps où la biche qui surgissait sous l’herminette servait au culte, à la magie. Un temps où le forgeron-sculpteur était sorcier, était prêtre, et où il exerçait plus qu’une pure activité artisanale, par le fait d’un art qui était constamment en relation avec le feu, pour la fusion du minerai, d’abord, pour le travail du métal, ensuite. L’arme qui sortait de ses mains était une arme qui blessait non pas seulement parce qu’elle est tranchante et bien maniée, mais parce que le pouvoir lui avait été accordé de blesser et de trancher. La houe du paysan n’était pas seulement l’outil qui remuait la terre, mais le talisman qui commandait à la terre et à la moisson. En ces temps, l’art du forgeron passait de loin les autres, était très réellement un art noble, un art de magicien, un art en vérité, qui requérait plus de connaissance et d’habileté que les autres arts. Et il allait de soi qu’on s’adressât au forgeron, non pour sculpter une biche, que chacun de nous dans cette ville peut dégrossir, mais pour modeler les images des ancêtres (et l’image du plus lointain d’entre eux: le totem), les masques pour les danses rituelles, tous les objets cultuels, que ses pouvoirs lui permettaient de consacrer. Si de tels pouvoirs n’ont jamais cessé, fils, je ne peux pourtant te dissimuler qu’ils se sont généralement affaiblis, et qu’ils ne pouvait en être autrement au sein de notre société, qui quand même elle ne rompait pas totalement avec ses anciennes croyances, n’en acceptait pas moins d’être islamisée. Si notre caste demeure une caste toujours puissante, il semble bien que nous, forgerons, sculptons de plus en plus en dehors de toute préoccupation religieuse. Et ce n’est pas que la notion de pouvoir ou de mystère ait cessé, ait disparu; c’est que le mystère et le pouvoir ne sont plus où ils étaient; c’est qu’ils commencent à se dissiper au contact des idées nouvelles. Et c’est bien pourquoi la biche que tu vas emporter ne sera rien d’autre qu’un ornement, un bibelot.” (p. 165-167)
Toujours sur l’art traditionnel: “Nos aînés, […] ne copiaient pas la réalité; ils la transposaient. Parfois même, ils la transposaient à tel point qu’il se glissait quelque chose d’abstrait dans la figure qu’ils en donnaient. Mais c’est une abstraction non systématique, et une abstraction qui apparaît plutôt comme un moyen d’expression tendu à la limite, incertain de sa limite. Mais non aînés mettaient généralement moins de calcul dans leur transposition de la réalité; ils lassaient parler leur cœur avec plus de naturel; et ainsi leur transposition les conduisait à une déformation qui, d’abord, accuse et accentue l’expression, la spiritualité, et qui, ensuite et par voie de conséquence, commande d’autres déformations, purement plastiques celles-ci, qui font équilibre à la première et l’accomplissent.” (p. 167)
Conseil du père: “N’oublie jamais, fils, que l’insecte se fait manger par la grenouille, et la grenouille par le serpent. […] L’insecte, c’est l’homme riche. La grenouille, c’est l’intellectuel. Et le serpent, c’est le roi.” (p. 169)
Auto-analyse, et peut-être le seul moment de lucidité quant à soi, de l’auteur qui naît dans une civilisation traditionnelle, qu’il ne comprend plus sans la détester, amoureux de la modernité qu’il voit quand même comme un danger pour la vie telle qu’il l’avait connue pendant son enfance. “Chose étrange, jamais, autant que ce soir-là, je n’avais senti et compris combien j’étais un homme divisé. Mon être, je m’en rendais compte, était la somme de deux «moi» intimes: le premier, plus proche de mon sens de la vie, façonné par mon existence traditionnelle d’animiste faiblement teinté d’islamisme, enrichi par la culture française, combattait le second, personnage qui, par amour pour la terre natale, allait trahir sa pensée, en revenant vivre au sein de ce régime [politique – n.n.].” (p. 186)
Dans les conversations privées, son père appelle les Toubabs – “les hyénes”, pendant que les Africains – “les singes”.
Le rêve de Fatoman (qui ressemble beaucoup à un univers orwelien). Le comble de la prison, le tableau avec l’inscription: “Sur la terre, l’homme ne fait rien pour personne, ni rien contre personne; il fait tout pour lui-même et tout contre lui-même.” (p. 227) Anticipation de la modernité?
Après le cauchemar, Fatoman se réveille avec la case en feux. Son père explique, en s’excusant: “Quand je t’ai confié la «boule blanche», j’ai omis de te dire que tu devais coucher à part, que tu ne devais pas passer la nuit auprès de ta femme.” (p. 136) Dramouss, la djinne qui a facilité le rêve, a mis feu à la case à cause de la jalousie pour la femme de Fatoman.
Fatoman est perçu comme étranger à la tradition même par sa mère: “Ne t’amuse pas à faire pénétrer Fatoman dans tes mystères! Il ne peut pas les comprendre. Il est toubab, lui!” (p. 237)
Résumé du rêve: “J’ai vu un peuple en guenilles, un peuple affamé, un peuple qui vivait dans une immense cour entourée par une haute muraille, aussi haute que le ciel. Dans cette prison, la force primait le droit; mais c’est peu dire: il n’y avait pas de loi. On abattait et condamnait les citoyens sans jugement. C’était terrible, car ce peuple, c’était le nôtre! […] Mais j’ai rêvé aussi d’un Lion très noir, qui nous sauvait, qui faisait renaître la prospérité, et qui faisait de tous les peuples ses amis.” (p. 237)
Un épervier vole un poulet, et le père de Fatoman dit la formule: “Sala moûne awlan mine Rabine Rahimine, adjib ly yâ Kachafa ya ilou, Wal Djini Alga Atou Bintou Maïmouna.” = “Dieu, je t’appelle par l’intermédiaire de la fille Bintou du Djin Maïmouna et par son chef le Rouhania Yâ Kachafa Ya ilou.” (p. 243) L’oiseau revient et retourne le poulet. Le père explique: “Ces mots ont beaucoup de force. Quand on a parlé pour Dieu, agi pour Dieu, et vécu seul dans la brousse pour Dieu, comme moi, dans la contemplation, tout cela pour Dieu, Dieu alors vous écoute quand vous lui parlez.” (p. 244)
Le dialogue de la fin du livre: “- Si tous ces hommes et toutes ces femmes, au lieu de passer leur journée à prononcer des discours puérils, consacraient le même temps à l’adoration du Très-Haut, notre pays serait loin de cette misère. A présent, le Très-Haut les punira, pendant des années, avant de faire descendre sa pitié et sa bénédiction. – La bénédiction, Père, dis-tu? – Oui, sa bénédiction sur ce pays qui est en train de s’égarer. Quand viendra le Lion Noir, je ne serai plus là. – Le Lion Noi? fis-je. – Oui, l’héroïque et sage Lion Noir, que tu connais tout autant que moi. La légalité reviendra aussi. Et alors vous serez réconciliés avec vous-même et avec les autres. Même avec ce pays dont vous parlez la langue. Je le dis: si telle est la volonté d’Allah, béni soit son nom! – Aminâ! Aminâ! répondis-je.” (p. 244-245)
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