06 novembre 2005

René Guénon, Le chaos social, (fragment)

Une élite véritable, nous l’avons déjà dit, ne peut être qu’intellectuelle; c’est pourquoi la « démocratie » ne peut s’instaurer que là où la pure intellectualité n’existe plus, ce qui est effectivement le cas du monde moderne. Seulement, comme l’égalité est impossible en fait, et comme on ne peut supprimer pratiquement toute différence entre les hommes, en dépit de tous les efforts de nivellement, on en arrive, par un curieux illogisme, à inventer de fausses élites, d’ailleurs multiples, qui prétendent se substituer à la seule élite réelle; et ces fausses élites sont basées sur la considération de supériorités quelconques, éminemment relatives et contingentes, et toujours d’ordre purement matériel. On peut s’en apercevoir aisément en remarquant que la distinction sociale qui compte le plus, dans le présent état de choses, est celle qui se fonde sur la fortune, c’est-à-dire sur une supériorité tout extérieure et d’ordre exclusivement quantitatif, la seule en somme qui soit conciliable avec la « démocratie », parce qu’elle procède du même point de vue. Nous ajouterons du reste que ceux mêmes qui se posent actuellement en adversaires de cet état de choses, ne faisant intervenir non plus aucun principe d’ordre supérieur, sont incapables de remédier efficacement à un tel désordre, si même ils ne risquent de l’aggraver encore en allant toujours plus loin dans le même sens; la lutte est seulement entre des variétés de la « démocratie », accentuant plus ou moins la tendance « égalitaire », comme elle est, ainsi que nous l’avons dit, entre des variétés de l’individualisme, ce qui, d’ailleurs, revient exactement au même.

(fragment du livre La crise du Monde Moderne, Gallimard).

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