13 novembre 2005

René Guénon, Saint Bernard, (note de lectura)

Paru chez Editions Traditionnelles, 1929.

“Parmi les grandes figures du moyen âge, il en est peu dont l’étude soit plus propre que celle de saint Bernard à dissiper certains préjugés chers à l’esprit moderne.” (p. 5)
Saint Bernard était un contemplatif appelé à jouer un rôle prépondérant dans la conduite des affaires de l’Eglise et de l’Etat. Il disait qu’il n’éprouve que du dédain pour «les arguties de Platon et les finesses d’Aristote».
“Toute la vie de saint Bernard pourrait sembler destinée à montrer, par un exemple éclatant, qu’il existe, pour résoudre les problèmes de l’ordre intellectuel et même de l’ordre pratique, des moyens tout autres que ceux qu’on s’est habitué depuis trop longtemps à considérer comme seuls efficaces, sans doute parce qu’ils sont seuls à la portée d’une sagesse purement humaine, qui n’est pas même l’ombre de la vraie sagesse.” (p. 5)
La vie de Saint Bernard apparaît comme une réfutation des erreurs du rationalisme et du pragmatisme.
Renan: “la négation du surnaturel forme l’essence même de la critique” – ce qui conduit à la condamnation de la «critique» même, et non point à celle du surnaturel, selon Guénon.
Bernard est ne en 1090 à Fontaines-lès-Dijon. Ses parents appartenaient à la haute noblesse de Bourgogne. Vers ving ans il projette de se retirer du monde. Il a une telle force de persuasion, qu’il se retire au monastère de Cîteaux accompagné d’une trentaine de jeunes gens, en 1112. Trois ans plus tard, ses supérieurs lui confient la conduite de douze religieux qui allaient fonder une nouvelle abbaye, celle de Clairvaux, qu’il devait gouverner jusqu’à la mort. Quand son fondateur mourut, l’abbaye de Clairvaux abritait environ sept cents moines et avait donné naissance à plus de soixante nouveaux monastères.
“Le soin que Bernard apporta à l’administration de Clairvaux, réglant lui-même jusqu’aux plus minutieux détails de la vie courante, la part qu’il prit à la direction de l’Ordre cistercien, comme chef d’une de ses premières abbayes, l’habileté et le succès de ses interventions pour aplanir les difficultés qui surgissaient fréquement avec des Ordres rivaux, tout cela eût déjà suffi à prouver que ce qu’on appelle le sens pratique peut fort bien s’allier parfois à la plus haute spiritualité.” (p. 7)
“Quel contraste entre notre temps et celui où un simple moine pouvait, par le seul rayonnement de ses vertus éminentes, devenir en quelque sorte le centre de l’Europe et de la Chrétienté, l’arbitre incontesté de tous les conflits où l’intérêt public était en jeu, tant dans l’ordre politique que dans l’ordre religieux, le juge des maîtres les plus réputés de la philosophie et de la théologie, le restaurateur de l’unité de l’Eglise, le médiateur entre la Papauté et l’Empire, et voir enfin des armées de plusieurs centaines de mille hommes se lever à sa prédication!” (p. 8)
Saint Bernard a dénoncé le luxe dans lequel vivaient alors la plupart des membres du clergé séculier, et même les moines de certaines abbayes.
Il s’est mêlé dans la schisme provoquée par l’antipape Anaclet II, qui mettait en péril toute l’Eglise. Grâce à sa clairvoyance le pape Innocent II a été remis dans ses droits.
Il a dû maintes fois intervenir pour préserver les droits de l’Eglise, auprès des monarchs soucieux uniquement des intérêts de l’Etat. Son activité peut être résumée comme ça: défendre le droit, combattre l’injustice, et, peut-être par-dessus tout, maintenir l’unité dans le monde chrétien.
L’abbaye de Clairvaux a condamné deux adversaires éminents: Abélard et Gilbert de la Porrée. Le premier était un dialectician des plus habiles (mais pour lequel la dialectique était dévenue un but, et non pas un moyen). Il ne distinguait pas entre la philosophie humaine et la sagesse sacrée, entre le savoir purement humain et la connaissance transcendante, et là est la racine de toutes les erreurs. La controverse entre Saint Bernard et Abélard a eu un grand retentissement.
L’évêque de Poitiers Gilbert de la Porrée avait fait une erreur concernant le mystère de la Trinité: il avait appliqué à Dieu la distinction réelle de l’essence et de l’existence, applicable uniquement aux être créés. Il a rétracté ses erreurs et sa doctrine a été en grand crédit dans les écoles pendant tout le moyen âge.
Bernard de Clairvaux a pris une large part dans la constitution de l’Ordre du Temple, le premier ordre de moine militaires. Il a été chargé de rédiger sa règle en 1128, et il n’en acheva la rédaction définitive qu’en 1131. Il l’a commentée dans le traité De laude novœ militiœ, où il a exposé la mission et l’idéal de la chevalerie chrétienne.
Saint Bernard a prêché la croisade, mais l’expédition a été du point de vue extérieur un échec. Du point de vue intérieur, elle a gardé l’unité de la civilisation chrétienne occidentale, ce qui a été un grand succès.
“La Chrétienté était identique à la civilisation occidentale, fondée alors sur des bases essentiellement traditionnelles, comme l’est toute civilisation normale, et qui allait atteindre son apogée au XIIIe siècle; la perte de ce caractère traditionnel devait nécessairement suivre la rupture de l’unité même de la Chrétienté. Cette rupture, qui fut accomplie dans le domaine religieux par la Réforme, le fut dans le domaine politique par l’instauration des nationalités, précédée de la destruction du régime féodal; et l’on peut dire, à ce dernier point de vue, que celui qui porta les premiers coups à l’édifice grandiose de la Chrétienté médiévale fut Philippe-le-Bel, celui-là même qui, par une coïncidence qui n’a assurément rien de fortuit, détruisit l’Ordre du Temple, s’attaquant par là directement à l’œuvre même de saint Bernard.” (p. 17-18)
Au cours de ses voyages, les prédications du saint Bernard ont été associées à de nombreuses guérisons miraculeuses.
Il a fait une distinction entre l’architecture épiscopale et l’architecture monastique. S’il était d’accord avec les formes de la première, comme moyen d’éducation pour les simples et les imparfaits, il considérait que ceux qui s’étaient dédiés à la perfection devaient s’interdire le «culte des idoles».
Sa doctrine a été essentiellement mystique, c’est-à-dire il a envisagé les choses divines surtout sous l’aspect de l’amour.
“Si l’abbé de Clairvaux voulut toujours demeurer étranger aux vaines subtilités de l’école, c’est qu’il n’avait nul besoin des laborieux artifices de la dialectique; il résolvait d’un seul coup les questions les plus ardues, parce qu’il ne procédait pas par une longue série d’opérations discursives; ce que les philosophes s’efforcent d’atteindre par une voie détournée et comme par tâtonnement, il y parvenait immédiatement, par l’intuition intellectuelle sans laquelle nulle métaphysique réelle n’est possible, et hors de laquelle on ne peut saisir qu’une ombre de la vérité.” (p. 19)
Dans sa vie, la Sainte Vierge joue un rôle important, comme support de l’amour. “Devenu moine, il demeura toujours chevalier comme l’étaient tous ceux de sa race; et, par là même, on peut dire qu’il était en quelque sorte prédestiné à jouer, comme il le fit en tant de circonstances, le rôle d’intermédiaire, de conciliateur et d’arbitre entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique, parce qu’il y avait dans sa personne comme une participation à la nature de l’un et de l’autre.” (p. 20)
Il a été considéré le dernier des Pères de l’Eglise, le prototype de Galaad, le chevalier idéal et sans tâche, le héros victorieux de la «queste du Saint Graal».

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