03 mai 2005

Jean Hani, René Guénon et le christianisme: à propos du Symbolisme de la croix, (note de lectura)

Paru dans René Guénon, Cahiers de l’Herne, 1985.

La diffusion croissante de l’œuvre de René Guénon est en liaison croissante avec la vitesse accélérée avec laquelle s’effondrent les bases idéologiques de notre monde. Elle est en relation aussi avec l’épuisement des horizons de la science moderne.

Pourtant, les milieux chrétiens, qui devraient être les plus attentifs au message de Guénon, sont les plus fermés, sinon les plus hostiles. Plus son œuvre gagne d’audience, plus elle est en proie de leurs critiques les plus violentes, injustes et parfois odieuses. “[…] ce que nous lisons en ce genre est à la fois affligeant et révoltant. Affligeant, par ce que les auteurs semblent bien n’avoir rien compris à l’œuvre de Guénon et faire perpétuellement des contresens dans l’interprétation de ce qu’il écrit; révoltant, parce que ces censeurs sont animés par un parti pris fanatique qui se manifeste par une hargne mal contenue. Au surplus, lorsqu’on considère ces libelles, en les collationnant, comme disent les érudits, on est frappé par la convergence et, souvent, l’identité des argumentations chez leurs auteurs, même à des dizaines d’années distance et jusqu’au livre récent de Marie-France James; de sorte qu’on peut se demander s’il n’existe pas, derrière tous ces gens, une inspiration unique qui orchestre, en quelque sorte, leurs élucubrations.” (p. 273-274)

Cet état de choses est bien navrant, parce que la religion chrétienne a grand besoin d’une renovation, et que ses représentants religieux sont plus ou moins imprégnés par l’esprit antitraditionnel, scientiste et rationaliste, qui commande toute leur pensée et toute leur vie. Les théologiens sont incapables de provoquer la renaissance d’une tradition sacrée intégrale embrassant, comme c’est nécessaire, toute la vie, y compris la vie sociale et politique.

Une des erreurs courantes faites sur l’œuvre de Guénon: lui attribuer l’intention de détruire le catholicisme pour créer une illusoire «super-religion». La simple lecture de son œuvre aurait évite le malentendu. “Bien loin de nourrir le dessein machiavélique qu’on lui prête de détruire la religion, en la travestissant, René Guénon n’a eu d’autre intention que de rappeler la nécessité de l’approfondir selon des voies qui sont parfaitement traditionnelles dans le christianisme, mais que l’immense majorité des catholiques d’aujourd’hui, y compris les membres de la hiérarchie, ne savent plus reconnaître parce qu’ils ont oublié toute une part – malheureusement la plus riche – de l’héritage antique.” (p. 275-276)

Le symbolisme de la Croix est celui de la Rédemption.

La formule: «Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit» est l’équivalent chrétien du Bismillah musulman.

Certains critiques catholiques considèrent que le sens historique de la croix est supérieur au sens métaphysique, tout comme l’histoire serait supérieure à la métaphysique.

Guénon a utilisé pour décrire l’Homme Universel un langage rationnel en sa forme, mais non en son fond.

La doctrine de l’Homme Universel a été exposée par Saint Paul (Col. I, 15-18), par la tradition hébraïque, dans laquelle il est appelé l’Homme principal (Adam-Qadmon) et l’Homme d’En-Haut (Adam ilaa). Le cardinal Nicolas de Cues l’expose dans une forme équivalente. Maxime le Confesseur parle lui aussi de l’Adam cosmique.

La Croix en christianisme a été assimilée à l’arbre. L’arbre est une croix à trois dimensions mesurant l’espace.

La Croix est la mesure du monde, nécessairement volumétrique, inscrite obligatoirement dans la sphère de ce même monde qu’elle génère par son expansion.

Le symbole du chrisme, le plus ancien symbole graphique du Christ, est en fait une croix tridimensionnelle. Le plus connu et le plus répandu est le chrisme dit constantinien, constitué par les deux initiales du mot Christ en grec: X P; l’autre, qui est le plus ancien, est formé des initiales de Iesous Christos: I X. La figure résultée, en deux variantes, est la projection plane de la croix volumétrique. La plupart des temps le chrisme est inscrit dans un cercle.

“[…] le chrisme est un symbole surdéterminé offrant une synthèse complète de la croix cosmique et de sa signification métaphysique comme représentation de l’Homme universel assimilé au Christ.” (p. 283) Elle est identique aussi à la roue cosmique, au signe de l’univers envisagé sous son aspect dynamique.

Il n’existe aucun conflit entre le fait historique et la perspective métaphysique: la dernière fortifie le premier.

En Occident, l’habitude de juger les faits selon les deux côtés (historique et symbolique) s’est perdu. Le symbolisme de la croix de Jésus n’a plus été considéré que dans la perspective réaliste du drame de Golgotha, et le mystère de la Rédemption que du point de vue historique: “[…] l’homme «déchu» de l’état primordial du Paradis terrestre est devenu, par le péché, esclave du démon, et il est «racheté» (c’est le sens du mot «rédemption») à la manière d’un esclave qu’on rachète, par le sang du Christ, lequel, dans cette perspective, pourrait apparaître comme une espèce de rançon payée au diable. Sans doute, tout ne se forme-t-il pas là, car on insiste aussi, et à juste titre, sur l’amour de Dieu qui a pu inspirer un tel sacrifice rédempteur pour opérer le salut. Mais le concept même de salut, ce en quoi il consiste profondément, est rarement mis en lumière aujourd’hui.” (p. 283) Or, saint Paul et les textes patristiques nous invitent à ne pas séparer création et rédemption, point de vue cosmique et point de vue surnaturel ou métaphysique.

Le drama de la «chute» est la rupture avec l’unité et la perte dans la multiplicité.

Conclusion (qui est aussi reprise de la thèse): “Nous pensons, encore une fois, qu’il faudrait entreprendre sérieusement, à la lumière de l’œuvre guénonienne, une étude en profondeur des symboles chrétiens, étude qui nous ferait rejoindre la tradition patristique et permettrait, comme conséquence, un renouvellement de la présentation et de la compréhension des différents aspects des mystères chrétiens dans le sens d’une véritable ré-authentification et d’une redécouverte de sa dimension métaphysique.” (p. 285)

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