Traduit du grec par Léon Robin et M.J. Moreau. Editions Gallimard, 1950.
Préface (signée François Châtelet, octobre 1972)
La date de la composition du Banquet semble 385 avant notre ère.
L’atmosphère du Banquet ne semble pas favoriser l’échange intellectuelle: une présentation singulièrement confuse, une circonstance exceptionnelle – une beuverie systématique, des événements qui, en apparence encore, viennent rompre la continuité du récit: la mauvaise humeur de celui-là, le hoquet de celui-ci, l’arrivée inattendue d’autres convives plus ivres encore…
Par structure, le Banquet est rapproché de Phédon, le dialogue qui raconte les circonstances de la mort de Socrate.
Introduction ou dialogue raconté
Apollodore de Phalère parle avec Glaucon sur la réunion d’Agathon, de Socrate, d’Alcibiade.
Le récit du banquet est fait par Aristodème de Kydathènéon, “un petit homme, toujours nu-pieds” (p. 23).
“Quelle bonne affaire ce serait, Agathon, dit Socrate en s’asseyant, si la sagesse était chose de telle sorte que de celui de nous qui est plus plein elle coulât dans celui qui est plus vide, à condition que nous soyons en contact l’un avec l’autre: comme l’eau que contiennent les coupes coule, par le moyen du brin de laine, de celle qui est plus pleine dans celle qui est plus vide!” (p. 30)
Eryximaque, le fils d’Acoumène.
Pausanias.
Phèdre de Myrrhinonte.
Eryximaque: “l’ivresse est funeste aux hommes” (p. 33)
En quelque sorte le sujet des discours: “[…] n’est-ce pas un scandale que tels ou tesl d’entre les Dieux aient inspiré aux poètes la composition d’hymnes et de péans, tandis que pour l’Amour, qui est un dieu si ancien, si important, il ne s’est jamais trouvé un seul poète, entre ceux qui se sont fait une place importante, pour composer aucun hommage à sa gloire.” (p. 34-35)
Première partie
1. Discours de Phèdre
L’Amour est, parmi les dieux, le plus ancien. Il est sans parents.
Selon Hésiode, le premier né est le Chaos, puis Terre, puis Amour. Selon Parménide, Amour est le premier dieu auquel ait pensé la déesse.
Note: “Le thème dominateur des cinq premiers éloges est la conception, mi-admise, mi-réprouvée, de l’amour masculin. Tous visent à le justifier à des points de vue divers, et même en le déguisant, comme fera Pausanias, sous des intentions moralisatrices. Avec Socrate au contraire, cet amour est totalement épuré de ses motifs sensuels et transposé, sans équivoque, sur le plan éducatif et spirituel.”
Phèdre évoque:
♥ Alceste, la fille de Pélias, celle qui a accepté de mourir à la place de son époux;
♥ Achille, qui a vengé Patrocle, tout en sachant que de cette manière il perdra sa vie;
♥ Orphée, fils d’Œagre, renvoyé de chez Hadès sans avoir rien obtenu.
Conclusion de son discours (et réaffirmation de la thèse): “Ainsi, je prétends donc, quant à moi, qu’Amour est, des Dieux, le plus ancien, le plus vénérable, le plus puissant pour conduire les hommes, à l’acquisition de la vertu et du bonheur, aussi bien pendant leur vie qu’après leur mort.” (p. 43)
2. Discours de Pausanias
L’Amour n’est pas unique.
Il existe deux Aphrodites: Céleste, fille de Ciel, et la fille de Zeus et de Diônê. A chaque Aphrodite correspond son Amour.
Sur Aphrodite la Populaire: “est moins ancienne que l’autre et […] dans son origine, participe de la femelle et du mâle.” (p. 46)
Dans l’Ionie et en nombre d’autres pays “soumis à la domination des Barbares” (p. 49), l’homosexualité est une vilaine chose.
Conclusion, après l’exposé de plusieurs manières d’envisager l’homosexualité: “Ainsi donc, là où il a été institué que c’est une vilaine chose de céder aux vœux d’un amant, il y a là une conséquence de la dépravation de ceux qui cela est institué: d’une part, de l’ambition avide des détenteurs du pouvoir. Mais, où la règle a été posée d’une manière absolue qu’au contraire cela est bien, il y a là une conséquence de la paresse d’âme de ceux chez qui cela a été institué.” (p. 49-50)
Il est plus beau d’aimer ouvertement que d’aimer en cachette.
Il est préférable d’aimer les plus nobles et les meilleurs, même s’ils sont plus laids que les autres.
C’est une bonne chose de faire une conquête, tout comme c’est une vilaine chose de la rater.
Dans l’amour sont permises des choses qui ne sont pas tolérées dans d’autres domaines. “[…] un serment d’amour, dit le proverbe, ce n’est point un serment!” (p. 52) Celui qui aime dispose à Athenes d’une complète liberté.
Presque une conclusion: “Ainsi que je l’ai dit dès le commencement, la chose comporte des distinctions; elle n’est en soi-même et par soi-même ni belle, ni laide. Mais elle est belle si c’est de la belle façon qu’on la fait, vilaine, au contraire, si c’est de la vilaine façon; et de la vilaine façon maintenant, c’est quand perversement on cède aux désirs d’un pervers; de la belle, c’est quand on cède bellement et à un homme de mérite.” (p. 53)
La constance et la stabilité sont considérées supérieures au changement.
3. Discours d’Eryximaque
Eryximaque est d’accord avec le double amour, exposé par Pausanias.
Définition: “La médecine est en effet, pour le dire sommairement, la science des phénomènes d’amour dont le corps est le siège […]” (p. 60-61) Dans le corps, le sain et le morbide sont distincts et dissemblables.
Héraclite dit que “l’unité se compose en s’opposant elle-même à elle-même, tout comme l’accord de l’arc ou celui de la lyre.” (p. 62) Réfutation: “Or il est d’une complète inconséquence de dire qu’un accord est une opposition, ou qu’il est consitutué par des oppositions qui n’ont pas disparu. Ce que sans doute il voulait dire cependant, c’est que, d’une opposition antérieure de l’aigu et du grave, puis de leur conciliation ultérieure, l’art musical a fait un accord; car il serait impossible assurément que l’accord pût exister, si subsistaient encore et l’aigu et le grave! L’accord musical est en effet une consonance, et la consonance est une sorte de conciliation; mais la conciliation ne peut résulter de l’opposition, tant que subsiste éventuellement cette opposition: encore une fois, ce qui s’oppose, et qui n’est point concilié, ne peut constituer un accord.” (p. 62-63)
“[…] la musique est, à son tour, dans le domaine de l’accord et du rythme, science des phénomènes d’amour.” (p. 63)
Le bel amour tient de la muse de l’astronomie, Ourania. Le mauvais amour tient de Polymnie, la muse de la passion. Parfois, les deux amours sont difficiles a séparer.
Les sacrifices aux dieux ont pour but de préserver et de guérir l’amour.
“Toute impiété, en effet, naît de ce que, au lieu de céder aux vœux de l’amour bien réglé, au lieu de l’honorer, de le vénérer en tout ce qu’on fait, c’est ainsi qu’au contraire on se comporte envers l’autre, et en ce qui concerne les parents, aussi bien vivants que défunts, et en ce qui concerne les Dieux.” (p. 66)
4. Discours d’Aristophane
Thèse d’Aristophane: “A mon avis, en effet, les hommes n’ont absolument pas conscience du pouvoir d’Amour, car, s’ils en avaient conscience, ils lui auraient élevé les temples les plus imposants, dressé des autels, offert les plus riches sacrifices; et non, comme aujourd’hui, où rien de tel n’existe à son sujet, tandis que l’existence en est tout ce qu’il y a de plus nécessaire!” (p. 69)
Le discours se veut une initiation au pouvoir de l’Amour.
Autrefois la nature de l’homme n’était pas celle d’aujourd’hui. “Premièrement, l’espèce humaine comportait en effet trois genres; non pas deux comme à présent, mais, en outre de mâle et femelle, il y en avait un troisième, qui participait de ces deux autres ensemble, et dont le nom subsiste de nos jours bien qu’on ne voie plus bien qu’on ne voit plus la chose elle-même: il existait alors en effet un genre distinct, l’androgyne qui, pour la forme comme pour le nom, participait des deux autres ensemble, du mâle comme de la femelle; ce qui en reste à présent, ce n’est qu’une dénomination, tenue pour infamante.” (p. 70) Platon note bien qu’entre la nature primordiale et le présent il existe un processus de dégénérescence. Hélas, la description de l’androgyne est impregnée de l’antromorphisme grec: “[…] chacun de ces hommes était, quant à sa forme, une boule d’une seule pièce, et avec un dos et des flancs en cercle; il avait quatre mains et des jambes en nombre égal à celui des mains; puis, sur un cou tout rond, deux visages absolument pareils entre eux, mais une tête unique pour l’ensemble de ces deux visages, opposés l’un à l’autre; quatre oreilles; parties honteuses en double; et tout le reste comme cet aperçu permet de le conjecturer!” (p. 70-71)
Le mâle était un rejeton du soleil [yang], la femelle, de la terre [yin]. L’androgyne tenait de la lune, parce qu’elle participe des deux [principes].
L’avancement de l’androgyne se fait en tournant en boule, comme une roue.
L’androgyne avait beaucoup d’orgueil, ce qui le poussa à attaquer Dieu. Zeus décide de le couper en deux, pour le faire plus faible.
L’androgyne n’avait besoin de personne, il pouvait s’accoupler lui-même.
L’amour guérit la nature humaine, en refaisant l’androgyne primordial.
Forte tendance d’expliquer les déviations en utilisant des “mythes”.
Définition de l’amour: “[…] au désir et à la recherche de cette nature d’une seule pièce, qu’on donne le nom d’amour.” (p. 79)
De nouveau, sur la chute: “[…] auparavant […] c’est ce que je dis, nous étions un être unique; mais maintenant, à cause de notre injuste conduite, notre unité à été dissoute par le Dieu, de la même façon que, par les Lacédémoniens, l’unité arcadienne.” (p. 79-80)
La menace de Zeus de couper les hommes encore une fois en deux – prophétie du rétrecissement moderne (hyperspécialisation)?!?
Conseil pour le bonheur: “[…] le moyen pour notre espèce de parvenir au bonheur, ce serait, pour nous, de donner à l’amour son achèvement, c’est-à-dire que chacun eût commerce avec un aimé qui soit proprement le sien; ce qui est pour chacun revenir à son antique nature.” (p. 81)
Somme tout, l’Amour chéri par Aristophane est une voie de reconstitution de l’androgyne primordial.
5. Discours d’Agathon
Agathon se propose de faire une description de l’Amour.
L’amour est le plus jeune, parce qu’il cherche toujours la jeunesse et fuit la vieillesse. “[…] car il dit vrai, l’antique adage, que le semblable se rapproche toujours de son semblable!” (p. 86)
L’amour est délicat. C’est dans les âmes des dieux et des hommes qu’il établit sa résistence.
Sa nature est souple.
Entre Laideur et Amour il y a un perpétuel conflit.
L’Amour ne commet pas d’injustice, ni n’est victime d’injustice.
Force ne se saisit point d’Amour, c’est de bon gré que tout homme se met au service d’Amour.
L’Amour participe de la justice, tout comme de la tempérance.
Il n’y a pas de volupté qui soit plus forte que l’Amour.
Arès ne peut pas rivaliser avec Amour.
Il existe dans l’Amour un savoir grâce auquel naissent et croissent tous les vivants.
“Or, jusque-là, ainsi que je l’ai dit en commençant, quantité de choses affreuses, d’après la légende, avaient lieu parmi les Dieux, parce que régnait Nécessité; mais, après la naissance de notre Dieu, l’amour des belles choses a engendré tous les biens, pour les Dieux aussi bien que pour les hommes.” (p. 92)
L’intervention est trop poétique par ailleurs.
Trosième intermède: la parole passe à la philosophie. Socrate
Sur la méthode à suive dans le dialogue: “Dans ma sottise, je m’imaginais en effet qu’on doit dire des choses vraies sur le comte de chaque objet dont on célèbre la louange, et que cela est fondamental; que, d’autre part, entre ces choses vraies ont fait un choix des plus belles et qu’on les dispose de la manière la meilleure et la plus convenable.” (p. 96) J’ai du mal à comprendre pourquoi la Vérité devrait être corompue par l’intrusion du beau et du convenable. A vrai dire, je ne comprends guère.
Deuxième partie
Préparation dialectique: Socrate et Agathon
On a envie de ce dont on est dépourvu.
Amour est amour de quelque chose indéterminé.
Continuation fictive du dialogue: diotime
Les informations de Socrate viennent de Diotime, “une femme qui était aussi savante là-dessus que sur quantité d’autres sujets et à laquelle les Athéniens ont dû, grâce à un sacrifice fait à un certain moment avant la peste, un répit de dix années” (p. 104-105)
Il faut d’abord expliquer la nature de l’Amour, puis ses œuvres.
Selon Diotime, l’Amour n’est ni bon, ni beau. Or, il se fait qu’il n’est pas non plus mauvais et laid. Il est “quelque chose d’intermédiaire entre les deux contraires.” (p. 106)
Il existe un intermédiaire entre le savant et l’ignorant: “Juger droit et sans être en état de rendre raison de ce jugement, […] cela n’est, ni posséder le savoir, car comment une chose dont on ne rend pas raison pourrait-elle constituer un savoir? ni ignorance, car comment ce à quoi il arrive de rencontrer la réalité constituerait-il une ignorance? C’est en quelque chose de tel que consiste l’opinion droite: un intermédiaire entre sagesse et ignorance.” (p. 106)
L’Amour n’est pas un dieu, tout comme il n’est pas un mortel. Il est “[…] un intermédiaire entre ce qui est mortel et ce qui est immortel.” (p. 108)
L’Amour est: “Un grand démon […] et, de fait, tout ce qui est démonique est intermédiaire entre ce qui est mortel et ce qui est immortel.” (p. 108) Sa fonction est “[…] de faire connaître et de transmettre aux Dieux ce qui vient des hommes, et aux hommes de qui vient des Dieux: les prières et les sacrifices des premiers, les injonctions des seconds et leurs faveurs, en échange des sacrifices; et, d’un autre côté, étant intermédiaire entre les uns et les autres, ce qui est démonique en est complémentaire, de façon à mettre le Tout en liaison avec lui-même.” (p. 108-109)
Le savant est un homme démonique (s’est-il fait le frère du diable, comme dit un proverbe roumain?). “Enfin, celui qui est savant là-dessus [sacrifices, initiations, incantations, prédiction, magie] est un homme démonique, tandis que celui qui est savant en tout autre domaine, en rapport, soit à une science spéciale, soit à un métier manuel, celui-là n’est qu’un artisan!” (p. 109)
L’Amour est fils de l’Expédient, et de Pénia (Pauvreté).
Nature de l’Amour: “En premier lieu, toujours il est pauvre, et il s’en faut de beaucoup qu’il soit délicat et beau comme la plupart des gens se l’imaginent; mais, bien plutôt, il est rude, malpropre; un va-nu-pieds qui n’a point de domicile, toujours couchant à même la terre et sans couvertures, dormant à la belle étoile sur le pas des portes ou dans la rue; tout cela parce que, ayant la nature de sa mère, il fait ménage avec l’indigence! Mais, en revanche, conformément à la nature de son père, il guette, embusqué, les choses qui sont belles et celles qui sont bonnes, car il est vaillant, aventureux, tendant toutes ses forces; chasseur habille, ourdissant sans cesse quelque ruse; curieux de pensée et riche d’idées expédientes, passant toute sa vie à philosopher; habile comme sorcier, comme inventeur de philtres magiques, comme sophiste. De plus, sa nature n’est ni d’un immortel, ni d’un mortel, mais, le même jour, tantôt, quand ses expédients ont réussi, il est en fleur, il a de la vie; tantôt au contraire il est mourant; puis, derechef, il revient à la vie grâce au naturel de son père, tandis que, d’autre part, coule de ses mains le fruit de ses expédients! Ainsi, ni jamais Amour n’est indigent, ni jamais il n’est riche!” (p. 110-111)
Sur l’ignorance et l’autosuffisance: “[…] car ce qu’il y a précisément de fâcheux dans l’ignorance, c’est que quelqu’un, qui n’est pas un homme accompli et qui n’est pas non plus intelligent, se figure l’être dans la mesure voulue: c’est que celui qui ne croit pas être dépourvu n’a point envie de ce dont il ne croit pas avoir besoin d’être pourvu.” (p. 112)
Ceux qui philosophent ne sont ni les sages, ni les ignorants, mais ceux qui se trouvent entre les deux, intermédiaires [ce qui nous poussent à prendre la philosophie pour ce qu’elle est, une préparation pour quelque chose de nettement supérieur].
Par la possession des bonnes choses les gens sont heureux.
Le passage de la non-existence à l’existence est une création.
Définition de l’Amour: “D’une façon générale, tout ce qui est désir des choses bonnes et du bonheur, c’est cela qu’est Amour, aussi tout-puissant que rusé en toute chose.” (p. 116)
Il y a un doctrine d’après laquelle ceux qui cherchent la moitié d’eux-mêmes, ce sont eux qui aiment. [l’amour = recherche de ce qui manque, de l’équilibre absolu]
“En conséquence, conclut-elle, l’objet de l’amour, c’est, dans l’ensemble, la possession perpétuelle de ce qui est bon.” (p. 118)
Ceux qui vivent selon l’Amour arrivent à “un enfantement dans la beauté, et selon le corps, et selon l’âme.” (p. 118-119)
L’objet de l’amour est l’immortalité. La procréation est ce que comporte d’éternel et d’impérissable un être mortel.
Sur l’identité: “En effet, même dans ce qu’on appelle la vie individuelle de chaque vivant dans son identité (c’est ainsi que, depuis sa petite enfance jusqu’à ce qu’il soit devenu vieux, on dit qu’il est la même personne), oui, cet être-là, quoiqu’en lui il n’ait jamais les mêmes choses, on l’appelle néanmoins le même, et cependant, tout en faisant des pertes, il se renouvelle incessamment, dans sa chevelure, dans sa chair, dans ses os, dans son sang et, d’une façon générale, dans tout son corps. Et ce n’est pas seulement dans son corps, mais ce sont aussi, selon l’âme, ses manières d’être, son caractère, ses opinions, ses désirs, ses joies et ses peines, ses craintes, c’est chacun de ces éléments qui, pour chacun de nous, ne se présente jamais identique à ce qu’il était; il y en a, au contraire, qui vienennt à l’existence; il y en a d’autres qui se perdent.” (p. 122-123)
Etudier implique une évasion de la connaissance.
L’amour de la renommée est “le désir de se ménager pour l’éternité du temps une gloire immortelle.” (p. 125)
Les hommes féconds selon le corps se tournent vers les femmes, les hommes féconds selon l’âme se tournent vers la pensée.
Sur l’initiation à l’amour: “Or ces mystères d’amour, Socrate, ce sont ceux auxquels, sans doute, tu pourrais être toi-même initié. Quant aux derniers mystères et à la révélation, qui, à condition qu’on en suive droitement les degrés, sont le but de ces premières démarches, je ne sais si tu es capable de les recevoir.” (p. 128)
Quand on est jeune on cherche la beauté résidant dans les corps. Ensuite on cherche la beauté résidant dans les âmes, le beau dans les occupations et les maximes de conduite.
Le but final de la connaissance est apercevoir “une certaine connaissance unique” (p. 130). La révélation suprême est le Beau absolu: “Celui qui en effet, sur la voie de l’instruction amoureuse, aura été par son guide mené jusque-là, contemplant les beaux objets dans l’ordre correct de leur gradation, celui-là aura la soudaine vision d’une beauté dont la nature est merveilleuse; beauté en vue justement de laquelle s’étaient déployés, Socrate, tous nos efforts antérieurs; beauté dont, premièrement, l’existence est éternelle, étrangère à la génération comme à la corruption, à l’accroissement comme au décroissement; qui, en second lieu, n’est pas belle à ce point de vue et laide à cet autre, pas davantage à tel moment et non à tel autre, ni non plus belle en comparaison avec ceci, laide en comparaison avec cela, ni non plus belle en tel lieu, laide en tel autre, en tant que belle pour certains hommes, laide pour certains autres; pas davantage encore cette beauté ne se montrera à lui pourvue par exemple d’un visage, ni de mains, ni de quoi que ce soit d’autre qui soit une partie du corps; ni non plus sous l’aspect de quelque raisonnement ou encore de quelque connaissance; pas davantage comme ayant en quelque être distinct quelque part son existence, en un vivant par exemple, qu’il soit de la terre ou du ciel, ou bien en quoi que ce soit d’autre; mais bien plutôt elle se montrera à lui en elle-même et par elle-même, éternellement unie à elle-même dans l’unicité de sa nature formelle, tandis que les autres beaux objets participent tous de la nature dont il s’agit en une telle façon que, ces autres objets venant à l’existence ou cessant d’exister, il n’en résulte dans la réalité dont il s’agit aucune augmentation, aucune diminution, ni non plus aucune sorte d’altération.” (p. 131-132) [belle description du Non-Etre indescriptible]
L’initiation à la Beauté: “[…] partant d’un seul beau corps de s’élever à deux, et, partant de deux de s’élever à la beauté des corps universellement; puis, partant des beaux corps, de s’élever aux belles occupations, de s’élever aux belles sciences, jusqu’à ce que, partant des sciences, on parvienne, pour finir, à cette science sublime, qui n’est science de rien d’autre que de ce beau surnaturel tout seul, et qu’ainsi, à la fin, on connaisse, isolément, l’essence même du beau.” (p. 133)
La vie de celui qui “contemple le beau en lui-même” (p. 133) ne peut être comparée avec rien, ni ne mérite être changé avec un autre état.
Le beau divin n’a pas de commune mesure avec ce qui on lui attribue ici-bas: “Comment donc concevoir dès lors, poursuivit-elle, l’état d’un homme qui aurait réussi à voir le beau en lui-même, dans son intégrité, dans sa pureté, sans mélange; qui, au lieu d’un beau que souillent des chairs, des couleurs humaines, une foule d’autres balivernes mortelles, serait au contraire capable d’apercevoir, en lui-même, le beau divin dans l’unicité de sa nature formelle?” (p. 134)
Tout beau est simulacre par rapport au Beau absolu: “Ne réfléchis-tu pas, ajouta-t-elle, que c’est là seulement qu’il réussira, en voyant le beau au moyen de ce par quoi il est visible, à enfanter, non pas des simulacres de vertu, car ce n’est pas avec un simulacre qu’il est en contact, mais une vertu authentique, puisque ce contact existe avec le réel authentique?” (p. 134)
III. Troisième partie
L’entrée d’Alcibiade, ivrogne, qui veut accorder à Agathon la couronne du plus savant et du plus beau.
Socrate témoigne son amour pour Agathon.
Alcibiade décide de faire l’éloge de Socrate. Il avertit que ce n’est pas la caricature qui l’intéresse, même si son éloge pourait y ressembler. Après quoi affirme que Socrate ressemble à Silènes, au satyre Marsyas. Il compare Socrate à un flûtiste sans instrument, qui charme les hommes. Il compare plusieurs orateurs: “Or, en écoutant Périclès et d’autres bons orateurs, je les estimais sans doute éloquents, mais je ne ressentais rien de semblable; mon âme n’en éprouvait point de trouble non plus; elle ne s’irritait pas non plus de penser à la servitude de ma condition. Au contraire, le Marsyas que voici, maintes fois même, m’a mis en de tels états que l’existence, je la jugeais impossible si je me comportais comme je me comporte.” (p. 146)
Apparemment Alcibiade est homme politique: “[…] il y a une foule de choses dont personnellement je manque, et pourtant je continue à n’avoir pas souci de moi-même, tandis que je m’occupe des affaires des Athéniens!” (p. 146)
Alcibiade témoigne éviter les discours de Socrate de la même manière qu’il faut éviter les chants des Sirènes. Il dit aussi avoir honte de Socrate, et que celui-ci est le seul au monde qui l’a fait sentir ce sentiment. “En conséquence, tel un esclave qui s’échappe, loin de lui je m’enfuis, et, quand il m’arrive de le voir, j’ai honte de ce dont j’ai convenu! Maintes fois même, c’est avec joie que j’aurais vu sa disparition du nombre des hommes; mais je sais fort bien en revanche que, si cela arrivait, j’en serais encore bien davantage peiné. Bref, je ne suis pas à même de savoir comment m’y prendre avec ce diable d’homme!” (p. 147)
Alcibiade appelle Platon – “le satyre que voici avec ses airs de flûte” (p. 147) Il dit lui avoir voulu céder pour apprendre de lui “absolument tout ce qu’il savait” (p. 149). Il est désenchenté parce que “[…] rien absolument de tout cela [contact homosexuel – n.n.] n’arriva, mais, après m’avoir tenu des propos semblables à ceux qu’il pouvait d’habitude me tenir, au bout de cette journée passée avec moi, il sortit et s’en alla.” (p. 150)
Dicton: “dans le vin c’est la vérité”.
La tentation d’Alcibiade est déjouée par Socrate, avec “cet air parfaitement naïf qui est tout à fait à lui” (p. 154) Alcibiade témoigne: “Oui, sachez-le, j’en atteste les Dieux, j’en atteste les Déesses: après avoir ainsi dormi avec Socrate, il n’y avait, quand je me levai, rien de plus extraordinaire que si j’avais passé la nuit près de mon père ou d’un frère plus âgé!” (p. 156)
Socrate est “de toutes parts beaucoup plus invulnérable à la séduction de la richesse qu’Ajax ne l’était au fer” (p. 156). Encore: “pour ce qui est de supporter les fatigues, […] supérieur, […] à tous les autres, sans exception.” (p. 157) Encore: “pour la résistance, les autres n’existaient pas comparés à lui.” (p. 157) Il boit plus que tout le monde, mais “jamais personne n’a vu Socrate ivre” (p. 156-157). Encore: “pour l’endurace par rapport aux rigueurs de l’hiver […] il réalisait des prodiges” (p. 158).
Une anectode sur la contemplation: “Ayant en effet concentré ses pensées dès l’aurore sur quelque problème, planté tout droit, il le considérait, et, comme la solution tardait à lui venir, il ne renonçait pas, mais restait ainsi planté, à chercher; c’était déjà midi, les hommes en faisaient la remarque, et, pleins d’étonnement, ils se disaient l’un à l’autre: «Depuis le petit jour, Socrate est là debout, en train de méditer quelque chose!» Finalement, le soir venu, quelques-uns de ceux qui l’observaient, ayant, après leur dîner, transporté dehors (car on était alors en été) leur couchage, joignaient ainsi à l’agrément de dormir au frais la possibilité de surveiller Socrate, pour voir si, toute la nuit, il demeurerait ainsi, en plant. Or, il resta planté de la sorte jusqu’à l’aurore et au lever du soleil. Ensuite, il s’en alla de là, après avoir fait au Soleil sa prière.” (p. 158-159)
Socrate avait sauvé Alcibiade, quand celui-ci était blessé.
Jugement de synthèse: “Or, que Socrate ne ressemble à aucun homme, ni parmi ceux de l’Antiquité, ni parmi nos contemporains, voilà qui mérite de pleinement nous émerveiller.” (p. 161)
Sur le discours de Socrate, qui ressemble à celui dex Silènes: “[…] car, si l’on veut bien écouter les propos de Socrate, on les trouvera sans doute, à première impression, complètement grotesques.” (p. 162) – cela est pour les dehors. Encore: “[…] il donne toujours l’impression de dire les mêmes choses sous la même forme, si bien que quiconque est ignorant ou irréfléchi doit tourner ses propos en dérision.” (p. 162-163) Mais, après avoir passé le seuil de l’indigénce extérieure du discours: “on découvrira, premièrement qu’ils sont les seuls à avoir dans le fond quelque intelligence; ensuite, qu’ils sont tout ce qu’il y a de plus divin, qu’ils contiennent en eux le plus grand nombre possible d’images divines de vertu, avec le plus large champ d’application, bien mieux avec tout celui qu’il convient d’avoir en vue quand on se propose de devenir un homme accompli!” (p. 163)
Epilogue
“Voilà bien, dit Alcibiade, ce qui se passe d’habitude! Quand Socrate est quelque part, il n’y a, pour un autre, rien à faire du côté des beaux garçons! A présent encore, voyez comme il lui fut expédient de découvrir un motif plausible de faire installer celui que voici auprès de lui-même!” (p. 166)
La fin: “Là-dessus, Socrate, les ayant endormis comme des enfants, se leva et partit; comme à son habitude, Aristodème le suivit. Il se dirigea vers le Lycée, et, après s’être débarbouillé, il passa, comme n’importe quelle autre fois, le reste de la journée, et, quand il l’eut ainsi passée, vers le soir il alla chez lui se reposer.” (p. 167).
19 mai 2005
Platon, Le Banquet ou de l’Amour, (note de lectura)
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