03 mai 2005

Pierre Alibert, Albert Gleizes - René Guénon, (note de lectura)





Paru dans René Guénon, Cahiers de l’Herne, 1985.

Gleizes a été un peintre cubiste qui a évolué vers un certain intellectualisme en peinture. Certains ont souligné que sa peinture a été influencée par les idées de Guénon. Très peu de gens savent que Gleizes a été aussi écrivain (huit livres édités et quelques inédits).

“Le privilège en effet des grandes œuvres est d’être axées sur la réponse à une seule question inlassablement posée. Ce n’est pas la constance de l’interrogation ou des réponses fournies qui font la grandeur de l’œuvre mais la profondeur et la validité de la question et aussi son universalité.” (p. 391)

En 1929 Gleizes et Guénon se sont rencontrés. Ils avaient 46 et respectivement 41 ans. Le premier était sur le point de publier Vie et Mort de l’Occident chrétien. Le deuxième – La Crise du monde moderne. Même si ayant chacun un parcours différent, ils parviennent au même rejet du principe même de la civilisation occidentale.

Guénon a été un des dénonciateurs du vice mortel de l’individualisme, tout comme il a rejeté le positivisme sclérosant et l’idéalisme autiste. Selon Jean-Pierre Laurant, René Guénon a eu dès l’adolescence «l’intuition d’un sens».

Après une incursion spirite (due à l’abbé Gombault), Guénon s’est intéressé naturellement à l’hinduisme. La découverte de la métaphysique orientale a été le terme du voyage intellectuel.

“C’est une interrogation sur la métaphysique qui est à la racine du rejet de Guénon.” (p. 393)

Guénon a eu l’intuition qu’il ne faut pas combattre le mal par le mal: il ne faut pas opposer à la civilisation occidentale une critique basée sur un discours construit par elle-même. Si une alternative à la civilisation occidentale existe, tout doit commencer dès le niveau de l’argumentation. Le processus de convinction a été le suivant: Guénon prend un point quelconque de l’histoire d’avant la Renaissance comme point de départ. Il montre qu’on peut le lire d’une manière toute différente que par les méthodes habituelles. En partant de ce point il prouve avec force l’évolution qui a conduit à la dégradation actuelle.

La pire perversion de cette civilisation combattue par Guénon est celle de croire que tous les êtres sont capables de se construire par la raison. “C’est pourquoi, s’il ne fallait retenir qu’un seul titre de gloire pour Guénon, on pourrait dire, sans crainte de se tromper, que sa grandeur et son rôle spécifiques furent d’être un thérapeute, un guérisseur de l’esprit, de l’âme plus exactement.” (p. 394)

La notion clef de l’œuvre de Guénon est celle de «civilisation». “L’histoire fournit, dans un contexte parallèle, une situation semblable qui peut aider à comprendre son attitude. Lorsque au XIIIe siècle la civilisation en Occident entra définitivement dans la rationalité, deux attitudes étaient possibles. Ou suivre la pente du temps, ou tenter de valoriser ces principes que l’évolution allait éclipser. Jean Fidenza, qu’une intuition très franciscaine avait fait appele Bonaventure, choisit cette voie.” (p. 394)

Saint Bonaventure continue la démarche de Jean Scot Erigène et Saint Anselme. Son itinéraire a été de démontrer que la raison discursive est incapable de connaître Dieu.

“On a parlé de «mysticisme théorique» à propos de saint Bonaventure. Même si le propos est faux, l’image est juste dans la mesure où l’on reconnaît qu’en s’adaptant à son temps, «la théorie», il s’efforçait d’en restaurer le contraire, «la mystique». Il suffit de changer les termes pour retrouver le parcours de René Guénon: à une époque qui cherchait à renouer avec «la tradition», il offrit une voie qui paraissait «scientifique» pour y atteindre.” (p. 395)

Si pour Guénon l’hindouisme a permis la rupture avec l’Occident, pour Gleizes c’est une expérience manuelle, une vie de métier, qui lui permet de rompre avec la civilisation occidentale.

Gleizes a atteint cette «métaphysique totale» dont parle Guénon.

Selon Pierre Alibert, Guénon donne l’impression ne pas avoir compris Aristote et se trompe quand dit que la métaphysique occidentale, fondée par saint Thomas, alors qu’une tradition du thomisme continue jusqu’à Cajetan (note 3 de l’essai, page 399).

“Albert Gleizes, René Guénon, deux pôles de l’esprit disait-on. L’un thérapeute s’occupant de guérir les êtres, l’autre… trop novateur pour que sa proximité permette de le classer. Tous deux ayant la même visée, renouer avec la tradition, et pourtant incompatibles l’un avec l’autre. L’un, Guénon, admis sans difficulté par toutes les instances officielles de la société: l’édition, l’université, les centres intellectuels. A l’opposé, Albert Gleizes, bénéficiant du seul fait qu’actuellement un procès comme celui conduit par Etienne Tempier n’est plus possible, voilé dans le silence épais du refus de l’incompréhension et de la peur des novations radicales. Et pourtant l’un, bûcheron, ouvrant de nouveaux chemins pour sortir de la forêt séculaire en abattant les arbres de sa seule hache, l’autre, paysan obstiné devenant maître de la terre, des plantes et des bêtes pour aménager un nouvel espace du monde, se sont reconnus compagnons du même combat. Et de fait peut-être est-ce cela le plus important dans la confusion et la fastidieuse tautologie actuelle: savoir qu’une autre réalité existe. Gleizes et Guénon, bien que par des voies radicalement différentes, en ont témoigné.” (p. 398)

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