Exerçant avec une souveraine lucidité cet art de l'Universel qu'est la métaphysique, René Guénon sut convier notre intelligence à se déprendre de toute partialité et de tout assujétissement aux absurdes débats du monde moderne. Dès lors que l'on se situe à la hauteur des Principes, le paysage apparaît dans son ensemble et nous comprenons, par exemple, en quoi et pourquoi des forces politiques, qui paraissent s'opposer, conspirent en réalité au même but, fut-ce en toute ignorance de cause.
Voici longtemps que la terrible rivalité des fascismes et des communismes ne dissimule plus davantage leur identité que celle-ci ne se distingue de l'identité démocratique et bourgeoise.
La définition guénonienne du monde moderne en tant que Règne de la Quantité nous donne à comprendre, dans sa sereine et lumineuse démonstration, les mêmes précises raisons d'être des fulgurantes intuitions de Bernanos. Il existe ainsi des moments de grâce ou le langage du coeur entre en parfaite concordance avec le langage de l'lntellect. Cette concordance est pure musique, langue des oiseaux, comme disent les Alchimistes, dont le secret appartient aux poètes.
L'ldée Royale, au regard de la primordialité de la Tradition dont l'oeuvre de René Guénon porte témoignage s'amplifie et s'approfondit pour trouver enfin sa véritable dimension qui n'est plus d'ordre politique. La vérité et la vertu du Symbole dépassent toute interprétation pragmatique. Le roi n'est pas seulement celui dont l'intéret personnel se confond avec l'intéret de la nation, il est d'abord le trés-obéissant Serviteur de l'Unique souveraineté de l'Esprit, l'auguste et principal témoin de la sainteté de l'Esprit vers laquelle toute oeuvre politique et artistique doit s'orienter.
Dans cette perspective, l'ldée Royale est la clef de voute du principe d'apesanteur des sociétés humaines dont la vocation primordiale fut toujours de s'arracher à la matière et au temps.
La Tradition Primordiale dont nous entretient l'oeuvre de René Guénon ne se situe pas à l'origine de l'Histoire mais en son coeur qui est hors du temps. La diversité des formes symboliques et religieuses n'est autre que cette périphérie dont chaque point détermine un rayon dont la juste méditation peut nous reporter vers le centre pour peu que nous en pressentions l'existence.
On peut dire, à cet égard, de l'oeuvre de René Guénon, qu'elle nous délivre à tout jamais de ce piège, - de grande malignité, - qui consiste à opposer les traditions les unes aux autres et à faire ainsi l'oeuvre du Diviseur. La division précède l'uniformité de même que le sens de l'unité sauve, du syncrétisme et de la confusion moderniste, la légitime beauté singulière de la forme et du style.
Oeuvre française, l'oeuvre de René Guénon serait ainsi, de par les actes et les constitutions d'une chevalerie française, I'exaucement de l'intelligence et la délivrance de ce feu royal qui glorifie de ses chatoyements l'unificence des traditions dans le creuset de la France Aurélienne.
L'ésotérisme de René Guénon, sa gnose, dont certains feignent de s'inquiéter, si, de fait, elle abolit le particularisme qui absurdement préconcoit un "salut" différent selon les religions, ne fut jamais que la recherche éminemment traditionnelle de la vérité intérieuredes religions, qui n'est autre que la sophia perennis.
Loin de rejoindre les amalgames formalistes de l'oecuménisme moderne, - contre lequel les intégristes auraient raison de nous alarmer s'ils ne le faisaient avec des arguments aussi pauvres et une morale aussi misérable, - cette recherche ésotérique n'est pas sans analogie avec les réflexions de Saint Augustin sur la "religion vraie" laquelle, je cite: "n'a jamais cessé d'exister depuis l'origine du genre humain ". De même pour le Cardinal Nicolas de Cuse: " Il y a donc une seule religion et un seul culte pour tous les êtres doués d'entendement et cette religion est présupposée à travers la variété des rites." Chacun se souvient également de la phrase fameuse de Joseph de Maistre: "La vraie religion a bien plus de dix-huit siècles, elle naquit le jour ou naquirent les jours."
Semblablement, la vérité de l'ldée Royale échappe à tout particularisme. Sa splendeur même, dans la mémoire francaise, est le miroir d'une vérité qui dépasse toute mémoire et tout pays et, par cela même, donne à cette mémoire et à ce pays une légitimité et une mission qui ne se réduisent pas au coup de force ou à l'ambition personnelle ou collective.
En établissant la distinction primordiale entre l'Autorité et le pouvoir, l'oeuvre de René Guénon nous établit au coeur de ce dessein limpide qui nous éveille au retour vers le centre, vers l'Unité, qui est cette Norme métaphysique, véritablement sacrée et royale qui seule peut nous délivrer de l'esprit de secte et de division que le moderne a favorisé au-dela de toute mesure: " L'esprit, écrit René Guénon, est unité, la matière est multiplicité et division et plus on s'éloigne de la spiritualité, plus les antagonismes s'accentuent et s'amplifient."
Qu'elle parlât au nom du "progrès" ou de la "tradition", la bourgeoisie fut toujours, avant toute chose, soucieuse de ses intérêts. Le progrès n'est jamais pour elle que celui de ses affaires et jamais la tradition, selon son propos, n'eut d'autre but que de conserver ses biens. Usant de la vieille stratégie qui consiste à diviser pour régner, la bourgeoisie inventa des appartenances et des identités afin de tirer profit de leurs antagonismes.
Or, on ne saurait concevoir oeuvre plus étrangere aux sinistres stratégies de la bourgeoisie, et donc promesse plus royale, que l'oeuvre de René Guénon dont le centre de gravité est radicalement ailleurs. La culture elle-même, - telle que la bourgeoisie s'en délecte, une culture d'objets, susceptible d'être analysée, expliquée et vendue, - est dans l'oeuvre de René Guénon tout simplement hors de propos, comme désormais elle est devenue hors de propos pour tout auteur digne de ce nom. Comment nommer un écrivain qui ne voit dans son oeuvre qu'un travail? Comment oeuvrer avec le langage si l'on méconnait ses vertus de divine spéculation. Notre génie n'est autre que notre confiance et notre transparence.
L'oeuvre de René Guénon, qui dépasse magnifiquement la politique et la littérature tout en les éclairant, peut se lire comme une oeuvre de purification. Afin de recevoir et d'être reçu, et d'être au vrai sens le récipiendaire de l'Ordre de l'Esprit-Saint, l'âme doit conquérir, par l'ardent désir de ne rien posséder, la diaphanéité de l'aube première, véritable primordialité de la Tradition.
Extrait du numéro 25 de La Place Royale © 1994
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