Fragment en guise d’introduction: « Il n’y a guère de sujet qui prête mieux à discussion que la peine de mort. Elle constitue pour les débats philosophiques un thème de choix, où chacun pense avoir quelque chose à dire parce que ce thème ne requiert aucune connaissance particulière, ce dont la pensée a en général horreur. Devant la peine de mort, l’esprit de spécialité perd sa compétence. Elle fait de tout discoureur un homme habilité à se prononcer. Les avis n’ont d’autre poids que celui de leur pertinence. Un deuxième trait favorise ce genre de discussion. Le parti étant pris en général avant tout examen, on y jouit d’une grande liberté. On n’a plus le souci de rechercher une vérité qui risque de nous échapper faute de rigueur, mais seulement le plaisir de justifier son choix, la joie de plaider une cause. D’ordinaire, cette cause est celle de l’abolition de la peine de mort. »
I. La peine de mort est injuste, inutile, illicite.
Le titre de ce chapitre groupe les arguments de abolitionnistes. Ainsi, l’injustice de la peine de mort a à la base la considération que le criminel n’est pas un coupable, mais une victime (de la biologie, de la psychologie, de la sociologie).
Le coupable apparaît aux yeux des abolitionnistes comme un instrument aveugle du déterminisme biologique ou collectif.
La peine de mort est inutile, le montre le fait que la criminalité n’a pas augmenté dans les pays qui l’ont supprimée.
On peut se poser la question si on a le droit de répondre à un crime par un autre crime (ce qui serait la peine de mort).
La peine de mort est illicite. La règle absolue dit qu’il ne faut pas tuer.
Tous les arguments énumérés semblent conduire à la réfutation de la peine de mort.
II. Signification morale et métaphysique de la peine de mort
Si nous admettons que l’homme n’est pas entièrement responsible du mal qu’il fait (ce qui est un argument des abolitionnistes), alors il faudrait admettre aussi qu’il n’est pas responsoble non plus du bien qu’il fait. Conformément à cette logique, le criminel est un malade, pendant que le héros est simplement bien portant.
Si tout acte criminel implique nécessairement l’irresponsabilité de son auteur, c’est soutenir qu’il n’y a pas de question de principe et de droit, mais uniquement des questions de fait qui relèvent d’une thérapeutique de fait. Sinon, c’est poser que tout homme est toujours libre et en état de responsabilité.
Thèse en faveur de l’abolition de la peine capitale: « Si le crime est un produit de déterminations pathologiques, il doit nécessairement être considéré comme une maladie. Mais alors il ne serait plus un crime. » Le problème est que ce thèse est négatrice de la liberté humaine.
Thèse de Borella: « la peine de mort peut ne pas présenter d’utilité sociale, encore qu’on ait parfois éprouvé le besoin de la rétablir là où elle avait été abolie. Mais elle constitue une garantie métaphysique, savoir, que la société continue de regarder la liberté de l’homme comme un absolu. Seule en effet une sanction absolue « prouve » la dimension d’absolu de l’acte qu’elle sanctionne. » Ainsi, même si la peine de mort est parfaitement inutile, sa dimension métaphysique justifie son existence.
Dans la peine capitale, un absolu de fait, qui est la vie humaine, répond à un absolu de droit, qui est la liberté.
Une société qui abolit le principe de la peine de mort prouve ainsi qu’elle ne croit plus à la valeur absolue de la liberté, parce que la valeur que l’on attribue à un principe moral est la valeur de ce qu’on accepte ultimement d’y sacrifier. « lorsque cette société, dans son ensemble, par sensibilité et humanitarisme, refuse d’instinct la peine de mort, elle témoigne qu’elle ne croit plus vraiment que l’homme soit l’auteur de ses actes. »
La peine capitale n’est pas une peine comme les autres, c’est une peine métaphysique qui exprime la reconnaissance sociale de la nature métaphysique de la liberté et de la personne humaine.
La société, supérieure à l’individu, doit être l’instrument du bien commun. Lorsque elle ne se sent plus le droit d’ôter la vie à un de ses membres reconnu coupable, ce n’est plus une société mais une simple collection d’individus.
En refusant d’infliger la mort, une société prend l’engagement d’éliminer toutes les causes de la « maladie » criminelle. Cette chose n’est possible que dans la société moderne, qui se propose de rationaliser ses traits.
Une société qui a peur de la mort a aussi peur de la vie. « En condamnant le criminel à mort la société lui rend en fait un ultime hommage. Elle honore en lui l’agent libre qui a agi en toute connaissance de cause, elle le reconnaît comme l’un des siens, comme une personne capable de répondre sur sa vie de son acte, capable de payer le prix de sa liberté. »
Si, pour la sensibilité moderne l’idée du châtiment suprême est insoutenable ou injustifiable, c’est qu’au fond, l’homme d’aujourd’hui ne croit plus à la personne immortelle. La peine de mort est d’essence religieuse, et n’a de signification que dans la perspective d’un destin posthume de l’être.
En guise de conclusion: « Ce n’est pas par goût de la difficulté que nous avons choisi de rappeler la véritable signification de la peine de mort. Nous n’ignorons pas que notre société la comprend de moins en moins et que notre sensibilité en supporte l’idée de plus en plus difficilement. Fallait-il rappeler qu’il y a aussi des crimes calmement accomplis, qui témoignent d’une cruauté, d’un sang-froid et d’un égoïsme non moins insoutenables ? Mais sans doute est-ce un fort instinct qui parle aujourd’hui, celui d’un monde qui ne croit plus ni à lui-même, ni à l’homme, ni à Dieu, et peut-être en effet fallait-il supprimer la peine de mort, puisqu’il ne se sent plus digne de l’appliquer. Pourtant, nous ne saurions oublier, à l’aube de la philosophie occidentale, l’exemple d’un autre condamné à mort. D’entre les Grecs, aucun ne fut plus sage que lui, nulle condamnation sous le ciel athénien ne fut plus injuste. Mais pendant que ses disciples pleuraient sur lui, dans sa prison, Socrate leur enseignait le chemin de l’immortalité. »
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