Paru chez Editions Louis Lesne, Lyon, 1844.
Exergue au commencement de l’ouvrage: « Tous les grands hommes on été intolérants, et il faut l'être. Si l'on rencontre sur son chemin un prince débonnaire, il faut lui prêcher la tolérance, afin qu'il donne dans le piège, et que le parti écrasé ait le temps de se relever par la tolérance qu'on lui accorde, et d'écraser son adversaire à son tour. Ainsi le sermon de Voltaire, qui rabâche sur la tolérance, est un sermon fait aux sots ou aux gens dupes, où à des gens qui n'ont aucun intérêt à la chose. » (Correspondance de Grimm, 1er juin 1779, Ire partie, tome II, page 242 et 243)
Lettre première
« [...] le monument le plus honorable pour l'Inquisition était précisément le rapport officiel en vertu duquel ce tribunal fut supprimé, en l'année 1812, par ces Cortès, de philosophique mémoire, qui, dans l'exercice passager de leur puissance absolue, n'ont su contenter qu'eux-mêmes. » Il s’agit précisément du document Informe sobre el Tribunal de la Inquisiciòn con el proyecto de decreto acerca de los tribunales protectores de la religiòn, presentado a las Cortes generales y extraordinarias por la comisiòn de constituciòn: mandado imprimir de orden de S.M.
L’origine de l’Inquisition remonte au concile de Vérone, tenu en 1184, et ne fut confiée aux Dominicains qu’en 1233, c’est-à-dire douze ans après la mort de Saint Dominique (en dépit des allégations qu’il a été le fondateur de ce tribunal).
L’hérésie des Manichéens, connus sous le nom d’Albigeois, menaçait l’Eglise et l’Etat.
Pour les Dominicains, appelés également Frères Prêcheurs, l’Inquisition n’était qu’un appendice de leur activite.
Comme toutes les institutions destinées à produire de grands effets, l’Inquisition ne commença point par être ce qu’elle devint. Si ses commencements sont impossible à établir précisement, l’Inquisition fut établie légalement par la bulle Ille humani generis, de Grégoire IX, le 24 avril 1233.
Les premiers inquisiteurs, et Saint Dominique surtout, n’opposèrent jamais à l’hérésie d’autres armes que la prière, la patience et l’instruction.
Il n’est pas bien de confondre le génie primitif d’une institution avec les variations que les besoins ou les passions des hommes la forcent à subir dans la suite du temps. « L'inquisition est, de sa nature, bonne, douce et conservatrice: c'est le caractère universel et ineffaçable de toute institution ecclésiastique [...]. »
L’inquisition a été d’abord dressée contre le judaïsme et l’islam, en Espagne.
Axiome politique: « Jamais les grands maux politiques, jamais surtout les attaques violentes portées contre le corps de l'état, ne peuvent être prévenues ou repoussées que par des moyens pareillement violents. »
L’Inquisition fut, dans son principe, une institution demandée et établie par les rois d’Espagne, dans des circonstances difficiles et extraordinaires.
Les recherches faites par l’Inquisition pour vérifier si les accusés avaient un aïeul ou un bisaïeul juif ou musulman avaient comme but d’effrayer tous les membres de ces deux religions. « Il fallait donc effrayer l'imagination, en montrant sans cesse l'anathème attaché au seul soupçon de Judaïsme et de Mahométisme. C'est une grande erreur de croire que, pour se défaire d'un ennemi puissant, il suffit de l'arrêter: on n'a rien fait si on ne l'oblige de reculer. »
Trois erreurs capitales sont plantées dans les esprits des gens quant à l’Inquisition:
1) la croyance que l’Inquisition est un tribunal purement ecclésiastique;
2) la croyance que les ecclésiastiques qui siègent dans ce tribunal condamnent certains accusés à la mort;
3) la croyance que les condamnations avaient comme base les simples opinions.
D’abord, le tribunal de l’Inquisition est purement royal. C’était le roi qui désignait le grand inquisiteur, et celui-ci désignait les inquisiteurs particuliers.
Etablis par la bulle du pape, mais validés par l’autorité du roi, les tribunaux de l’Inquisition étaient à la fois ecclésiastiques et royaux. Apparemment il s’agit d’un équilibre entre deux pouvoirs, mais en vérité, l’autorité papale n’est que de principe, pendant que l’autorité royale est effective.
Quand les modernes parlent contre l’Inquisition, ils ne disent rien sur le caractère de ce tribunal.
Suite à une propagande forcenée, on est arrivé « insensiblement à regarder l'Inquisition comme un club de moines stupides et féroces, qui font rôtir des hommes pour se divertir ».
« Parmi les innombrables erreurs que le dix-huitième siècle a propagées et enracinées dans les esprits, avec un déplorable succès, aucune, je vous l'avoue, ne m'a jamais surpris autant que celle qui a supposé, soutenu, et fait croire enfin à l'ignorante multitude que des prêtres pouvaient condamner un homme à mort. »
Axiome du Christianisme: L’Eglise abhorre le sang!
Sur le prêtre: “Qui ne sait qu'il est défendu au prêtre d'être chirurgien, de peur que sa main consacrée ne verse le sang de l'homme, même pour le guérir? Qui ne sait que dans les pays d'obédience, le prêtre est dispensé de déposer comme témoin dans les procédures de mort et que, dans les pays où l'on a cru devoir lui refuser cette condescendance, on lui donne acte au moins de la protestation qu'il fait, de ne déposer que pour obéir à justice et de ne demander que miséricorde. Jamais le prêtre n'éleva d'échafaud; il y monte seulement comme martyr ou consolateur: il ne prêche que miséricorde et clémence; et, sur tous les points du globe, il n'a versé d'autre sang que le sien. »
A cause du fait que beaucoup de prêtres ont exercé en Allemagne des souverainetés ecclésiastiques, il y a un proverbe: « Il est bon de vivre sous la crosse. » (Unterm Krummstabe is gut wohnen.) C’est l’expérience du peuple, encore une fois, qui ne trompe jamais.
Sous le régime des pontifes, Rome est la seule place de l’Europe où les Juifs ne connurent aucune persécution. Un autre proverbe appelait Rome le paradis des Juifs.
Tout ce que l’Inquisition montre de sévère et d’effrayant, surtout la peine de mort, appartient au gouvernement. Toute la clémence est l’action de l’Eglise. Les prêtres ne peuvent prononcer des jugement de mort.
Un exemple important est celui des Templiers. Ils demandèrent d’être jugés par l’Inquisition, car ils savaient bien que s’ils obtenaient de tels juges, ils ne pouvaient plus être condamnés. Le roi de France a refusé cette requête.
Les inquisiteurs n’ont prononcé, même pas en Espagne, de peine plus sévère que celle de la confiscation des biens, et même celle-ci était remise à celui qui abjurait ses erreurs dans le terme appelé de grâce.
L’Inquisition a commencé à prononcer la peine de mort en devenant royale, parce que tout jugement de mort demeure par sa nature étranger au sacerdoce.
Le tribunal de l'Inquisition est composé d'un chef suprême, nommé grand inquisiteur, qui est toujours archevêque ou évêque; de huit conseillers ecclésiastiques, dont six sont toujours séculiers, et de deux réguliers, dont l'un est toujours Dominicain, en vertu d'un privilège accordé par le roi Philippe III.
Voltaire a parlé de « pouvoir monacal ». Il se trompait, parce que sur onze juges, seulement deux sont religieux.
Sur les sources de cet ouvrage, Joseph de Maistre dit: « Je ne cite, autant que je le puis, que des ouvrages contraires à l'Inquisition, pour être sûr de ne pas me tromper dans tout ce qui leur échappe de favorable à ce tribunal. »
Exemple de condamnation: « Nous avons déclaré et déclarons l'accusé N. N. convaincu d'être hérétique-apostat (1), fauteur et receleur d'hérétiques, faux et simulé confessant (2), et impénitent relaps; par lesquels crimes il a encouru les peines de l'excommunication majeure et de la confiscation de tous ses biens au profit de la chambre royale et du fisc de sa majesté (3). Déclarons de plus que l'accusé doit être abandonné, ainsi que nous l'abandonnons, à la justice et au bras séculier que nous prions et chargeons très affectueusement, de la meilleure et de la plus forte manière que nous le pouvons, d'en agir à l'égard du coupable avec bonté et commisération. »
(1) Il ne s'agit donc pas de l'hérétique simple, mais de l'hérétique apostat, c'est-à-dire du sujet espagnol convaincu d'avoir apostasié et d'en avoir donné des preuves extérieures, sans lesquelles il n'y aurait pas de procès.
(2) Ceci est pour le relaps, et l'on y voit que le coupable qui confesse son crime, qui dit: J'ai péché, je m'en repens, est toujours absous au tribunal de l'Inquisition (ce qui n'a pas d'exemple dans aucun autre tribunal de l'univers). S'il retourne aux mêmes erreurs après le pardon reçu, il est déclaré faux et simulé confessant et impénitent relaps.
(3) Ainsi le tribunal est purement royal, malgré la fiction ecclésiastique, et toutes les belles phrases sur l'avidité sacerdotale tombent à terre.
Une expression favorite de tous les écrivains qui ont parlé contre l’Inquisition consiste à nommer tous les coupables condamnés par ce tribunal « des victimes de l’Inquisition ». Cependant, ceux jugés par cette institution ne sont pas plus victimes que les autres coupables du monde.
Les rois ont exercé un contrôle total sur les tribunaux ecclésiastiques, parce qu’aucune ordonnance de l’inquisition n’a pas été ni exécutée, ni publiée, sans le consentement préalable du roi.
Thèse de l’ouvrage: l’Inquisition religieuse n’était qu’une Inquisition politique.
Fin de la lettre: « Soyons donc toujours disposés à pardonner ces sortes d'aberrations; mais ne nous laissons pas séduire. L'indulgence n'est permise que jusqu'au moment où elle devient complicité. »
Lettre II
On a dit aussi, par ignorance malveillante, que l’Inquisition condamnait à mort pour de simples opinions, et qu’un Juif était condamné sans autre délit que celui d’être Juif.
Sur une allégation de Montesquieu: « Une jeune fille innocente, brûlée dans une grande capitale d'Europe, sans autre crime que celui de croire à sa religion, serait un forfait national si horrible, qu'il suffirait pour flétrir un peuple et peut-être un siècle entier. Heureusement cette supposition est une calomnie absurde, déshonorable seulement pour celui qui se l'est permise. »
En réalité, en Espagne et en Portugal, ceux qui ont souffert sont ceux qui ont prêché dans le public, qui ont porté atteinte contre la religion officiale, chose commune partout dans le monde. « Si donc la loi espagnole, écrite pour tout le monde, porte la peine de l'exil, de la prison, de la mort même contre l'ennemi déclaré et public d'un dogme espagnol, personne ne doit plaindre le coupable qui aura mérité ces peines, et lui-même n'a pas droit de se plaindre, car il y avait pour lui un moyen bien simple de les éviter: celui de se taire. »
En ce qui concerne les Juifs, l’Inquisition ne poursuivait que le relaps, c’est-à-dire le Juif qui retournait au Judaïsme après avoir solennellement adopté la religion Chrétienne, et le prédicateur du Judaïsme.
Les inquisiteurs ordonnaient la torture en vertu des lois espagnoles, et parce qu’elle était ordonnée par tous les tribunals espagnols. La torture n’appartient pas plus au tribunal de l’Inquisition qu’à tous les autres. C’est le comble de l’injustice de repprocher aux inquisiteurs une pratique admise dans tous les temps et dans tous les lieux.
Quant à la peine du feu, c’était un autre usage universel. Dans toute l’Europe, on a brûle le sacrilège, le parricide, le criminel de lèse-majesté (divine ou humaine), ont été toujours brûlés, longtemps avant l’Inquisition.
Réflexion: « Pour que l'Inquisition soit irréprochable, il suffit qu'elle juge comme les autres tribunaux, qu'elle n'envoie à la mort que les grands coupables, et ne soit jamais que l'instrument de la volonté législatrice et écrite du souverain. »
L’hérésiarque, l’hérétique obstiné et le propagateur d’hérésie, doivent être rangés incontestablement au rang des plus grands criminels. « Ce qui nous trompe sur ce point, c'est que nous ne pouvons nous empêcher de juger d'après l'indifférence de notre siècle en matière de religion, tandis que nous devrions prendre pour mesure le zèle antique, qu'on est bien le maître d'appeler fanatisme, le mot ne faisant rien du tout à la chose. »
Le sophiste moderne, qui utilise les arguments de Luther, ne s’embarrasse guère du fait que ceux-ci ont produit la guerre de trente ans.
Le tribunal de l’Inquisition aurait certainement prévenu la révolution française de 1789.
Si un tribunal séculier exerce la justice, les tribunaux de l’Inquisition ont exercé la justice et la miséricorde. « [...] l'accusé traduit devant ce tribunal est libre de confesser sa faute, d'en demander pardon, et de se soumettre à des expiations religieuses. Dès ce moment le délit se change en péché, et le supplice en pénitence. Le coupable jeûne, prie, se mortifie. Au lieu de marcher au supplice, il récite des psaumes, il confesse ses péchés, il entend la messe, on l'exerce, on l'absout, on le rend à sa famille et à la société. Si le crime est énorme, si le coupable s'obstine, s'il faut verser du sang, le prêtre se retire, et ne reparaît que pour consoler la victime sur l'échafaud. »
Un ministre de la république française, M. Bourgoing, dans Nouveau voyage en Espagne, ouvrage paru au commencement du XVIII siècle, témoigne: « J'avouerai, pour rendre hommage à la vérité, que l'Inquisition pourrait être citée de nos jours comme un modèle d'équité. »
Il n’y a pas de puissance qui, pour de grands et justes motifs, n’ait établi de temps en temps certains tribunaux extraordinaires presque entièrement affranchis des formes usitées. L’ancienne justice prévôtale des Français, concernant uniquement la sûreté des voyageurs, punissait les voleurs en vingt-quatre heures, par le rouage à vif. Ce fut, à l’époque, la méthode qui a rendu les grandes routes parfaitement sûres. « Cette jurisprudence n'était pas tendre, sans doute: mais il était notoirement libre à tout Français de ne pas voler sur les grandes routes, et le roi voulait qu'on pût les parcourir en tout sens, et même s'y endormir impunément: chacun a ses idées. »
L’Inquisition n’a pas été une invention des papes, mais ceux-ci l’ont accordée aux instances des souverains, parfois à contre-cœur.
Lettre III
Sur l’utilisation presque exclusive, comme sources du présent ouvrage, des documents qui sont contre l’Inquisition: « Lorsque, pour défendre un coupable, le défenseur ne tire ses moyens que de l'acte d'accusation, j'espère que l'accusateur n'a point à se plaindre. »
Une autre source, utilisée pour examiner les méthodes de l’Inquisition, est celle d’un protestant, membre de l’Eglise anglicaine: Joseph Townsend, Voyage en Espagne, pendant les années 1786 et 1787, Londres, 1792, 2-ème édition.
Dans certaines contrées d’Europe, l’incendiaire d’une maison était brûlé vif, sans que quelqu’un y voit un inconvénient. Pourquoi ceux qui sont coupables d’infamies théoriques et pratiques soient meritait moins qu’un incendiaire?
Grotius a ainsi défini l’équité: « C'est le remède inventé pour le cas où la loi est en défaut à cause de son universalité. » (De Jure belli et pacis)
Les lois générales sont injustes en partie, parce qu’elles ne sauraient jamais saisir tous les cas. L’exception à la règle est aussi juste que la règle même, et partout où il n’y aura point de dispense, il y aura nécessairement violation. Le pouvoir de l’équité est réservé, dans l’ordre criminel, au souverain, qui doit en user sobrement.
L’Inquisition a été à la fois: cour d’équité, moyen de haute police et censure.
Lettre IV
Les meilleures institutions ne sont pas celles qui donnent aux hommes le plus grand degré de bonheur à tel ou tel moment donné, mais celles qui donnent la plus grande somme de bonheur possible au plus grand nombre de générations possibles. C’est le bonheur possible.
L’Inquisition a été le moyen politique employé pour maintenir l’unité religieuse et prévenir les guerres de religion.
Les méfaits attirés par le protestantisme:
- la guerre de trente ans allumée par les arguments de Luther;
- les excès inouïs des Anabaptistes et des paysans;
- les guerres civiles de France, d'Angleterre et de Flandre;
-le massacre de la Saint-Barthélémy, le massacre de Mérindol, le massacre des Cévennes; - l'assassinat de Marie-Stuart, de Henri III, de Henri IV, de Charles Ier, du prince d'Orange, etc.
« Un vaisseau flotterait sur le sang que vos novateurs ont fait répandre; l'Inquisition n'aurait versé que le leur. »
La question n’est pas si l’Inquisition a produit tel ou tel abus, mais si, pendant les trois derniers siècles, il y a eu, en vertu de cette institution, plus de paix et de bonheur en Espagne qu’en autres contrées de l’Europe.
Voltaire sur l’Inquisition: « Il n'y eut, dit-il, en Espagne, pendant le XVIe et le XVIIe siècle, aucune de ces révolutions sanglantes, de ces conspirations, de ces châtiments cruels, qu'on voyait dans les autres cours de l'Europe. Ni le duc de Lerme, ni le comte Olivarès ne répandirent le sang de leurs ennemis sur les échafauds. Les rois n'y furent point assassinés comme en France, et n'y périrent point par la main du bourreau comme en Angleterre. Enfin, sans les horreurs de l'Inquisition, on n'aurait eu alors rien à reprocher à l'Espagne. » (Voltaire, Essai sur l'Histoire générale, tome IV, chap. CLXXVII, pag. 135, Œuvres complètes, in-8o, tome XIX)
C’est illogique de reprocher à un peuple que sans les horreurs de l’Inquisition, on n’aurait rien reproché à cette nation qui n’a échappé que par l’Inquisition aux horreurs qui ont déshonnoré toutes les autres.
Réflexion sur la situation de la France: « Le Saint-Office, avec une soixantaine de procès dans un siècle, nous aurait épargné le spectacle d'un monceau de cadavres qui surpasserait la hauteur des Alpes, et arrêterait le cours du Rhin et du Pô. »
De toutes les nations européennes, l’Espagne n’a pas été complice de la révolution française.
Il existe une influence indéniable de l’Inquisition sur le caractère espagnol.
« Voulez-vous éteindre cet enthousiasme qui inspire les grandes pensées et les grandes entreprises, glacer les coeurs, et mettre l'égoïsme à la place de l'ardent amour de la patrie, ôtez à un peuple sa croyance, et rendez-le philosophe. »
Lettre V
L’Angleterre tolère toutes les sectes et ne proscrit que la religion. L’Espagne, au contraire, proscrit toutes les sectes et n’admet que la religion.
« Les Anglais font un singulier raisonnement: ils établissent, sous le nom spécieux de tolérance, une indifférence absolue en fait de religion; puis ils partent de là pour juger des nations aux yeux desquelles cette indifférence est le plus grand des malheurs et le plus grand des crimes. »
La vérité étant intolérante par sa nature, professer la tolérance religieuse c’est professer le doute.
Les Anglais ont eu eux aussi une Inquisition, mais débarassée des formes prises par l’Inquisition catholique. Ils prêchent la tolérance aux autres nations, sans l’avoir pratiqué chez eux. Les lois contre les catholiques de l’Irlande de Nord représentent un abus dans leur genre.
Sur la coutume qui dit que le roi d’Angleterre ne doit pas être catholique: « Je trouve étrange, en vérité, que le parlement d'Angleterre ait le droit incontestable de chasser le meilleur de ses rois, qui s'aviserait d'être catholique, et que le roi catholique n'ait pas le droit de chasser le dernier de ses sujets qui s'aviserait d'être protestant. »
Pleins de contradictions, les Anglais sont le peuple de la terre qui ont le moins le droit de reprocher aux Espagnols leur législation religieuse.
Voltaire disait que lorsqu’on a une maison de verre, il ne faut pas jeter des pierres dans celle de son voisin.
La tolérance dont se vante l’Angleterre n’est que de l’indifférence parfait quant à la vérité.
Une autre preuve de l'indifférence anglaise, en matière de religion, se tire de l'indifférence des tribunaux anglais pour tous les attentats commis contre la foi présumée du pays.
Il est superflu d’observer que, dans le dictionnaire moderne, l’action des tribunaux que défendent la religion de l’état contre ses ennemis s’appele « persécution ».
Joseph de Maistre fait une incursion documentée dans les croyances de plusieurs noms importants de l’Eglise anglicane. Il démontre, tour à tour, des hérésies qui n’ont rien en commun avec la foi chrétienne.
L’Angleterre n’est réellement tolérante que pour les sectes, mais nullement pour l’Eglise dont elle se sent détachée. « L'Anglais ne veut point du système qui lui propose de croire plus; mais tout homme qui vient lui proposer de croire moins est sûr d'être bien reçu. »
« Comme établissement religieux, comme puissance spirituelle, l'Église anglicane n'existe déjà plus. Deux siècles ont suffi pour réduire en poussière le tronc de cet arbre vermoulu; l'écorce subsiste seule, parce que l'autorité civile trouve son compte à la conserver. »
Lettre VI
Le XVIIIe siècle n’a pas produit un plus grand ennemi de la religion que David Hume. « Son venin glacé est bien plus dangereux que la rage écumante de Voltaire. »
Sur David Hume: « Quel appareil dialectique n'a-t-il pas déployé pour renverser toute idée de liberté, c'est-à-dire pour anéantir la morale par sa base? L'esprit le plus exercé à ces sortes de méditations chancelle plus d'une fois au milieu des sophismes accumulés par ce dangereux écrivain. On sent que Hume a tort avant de savoir dire pourquoi. Si jamais, parmi les hommes qui ont pu entendre la prédication évangélique, il a existé un véritable athée (ce que je ne m'avise point de décider), c'est lui. Jamais je n'ai lu ses ouvrages anti-religieux sans une sorte d'effroi, sans me demander à moi-même comment il était possible qu'un homme, à qui rien n'avait manqué pour connaître la vérité, avait pu néanmoins descendre jusqu'à ce point de dégradation? Toujours il m'a semblé que l'endurcissement de Hume, et son calme insolent, ne pouvaient être que la dernière peine d'une certaine révolte de l'intelligence, qui exclut la miséricorde, et que Dieu ne châtie plus qu'en se retirant. »
L’Inquisition a été dressée comme une barrière « contre les novateurs de toute espèce ».
Thèse: « l'Inquisition est en soi une institution salutaire, qui a rendu les services les plus importants à l'Espagne, et qui a été ridiculement et honteusement calomniée par le fanatisme sectaire et philosophiques. »
Prophéties: « La moitié de l'Europe changera de religion pour donner une femme à un prêtre libertin, ou de l'argent à des princes dissipateurs; et cependant le monde ne retentira que des abus de l'Église, de la nécessité d'une réforme et de la pure parole de Dieu. On fera de même des phrases magnifiques contre l'Inquisition, mais cependant les avocats de l'humanité, de la liberté, de la science, de la perfectibilité, etc., ne demandent, dans le fond, pour eux et leurs amis, que la liberté de faire et d'écrire ce qui leur plaît. Des nobles, des riches, des hommes sages de toutes les classes, qui ont tout à perdre et rien à gagner au renversement de l'ordre, séduits par les enchanteurs modernes, s'allient avec ceux dont le plus grand intérêt est de le renverser. Inexplicables complices d'une conjuration dirigée contre eux-mêmes, ils demandent à grands cris pour les coupables la liberté dont ceux-ci ont besoin pour réussir. On les entendra hurler contre les lois pénales, eux en faveur de qui elles sont faites, et qui abhorrent jusqu'à l'ombre des crimes qu'elles menacent. C'est un délire dont il faut être témoin pour le croire, et qu'on voit encore sans le comprendre. »
Les lettres sont signées: Philomathe de Civarron.
10 mars 2006
Joseph de Maistre, Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition spaniole, (note de lectura)
Publicat de Radu Iliescu la 9:58 AM
Etichete: Maistre Joseph de
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