30 octobre 2005

Jean Tourniac, Contre-initiation et règne des confusions (Eglise et Franc-Maçonnerie), (note de lectura)

Publié dans René Guénon (1886-1951). Colloque du Centenaire, Le Cercle de Lumière, 1993.

Denys Roman, continuateur de Guénon à la tête des Etudes Traditionnelles, avait dit: « René Guénon a écrit: “la meilleure façon de faire le silence sur une œuvre c’est de la plagier”. Depuis la mort de ce maître, pillards et démarqueurs jusqu’alors un peu réservés, peuvent enfin s’en donner à cœur joie. Jamais on n’a tant parlé de tradition, de symbolisme, d’ésotérisme et d’initiation. Mais une chose nous frappe: parmi les thèmes traités par Guénon, avec une incomparable maîtrise, il en est un qui n’est jamais abordé par ses pâles imitateurs: c’est celui de la contre-initiation. C’est-à-dire de cette puissance à l’œuvre dans le monde, depuis de longs siècles, mais dont l’activité n’a jamais été aussi manifeste que de nos jours. » (p. 105-106)

La contre-initiation est présente de nos jours aussi bien dans l’occultisme que dans les sectes religieuses fondamentalistes. Elle est présente dans les déviations d’une certaine Franc-Maçonnerie soumise, par recherche des pouvoirs, à l’attraction politique, aux séductions du standing social, aux ivresses du quantitatif et d’un élitisme inversé.

La contre-initiation s’en prend en premier à tout ce qui touche aux concepts vrais d’initiation spirituelle, d’ésotérisme authentique et, par voie de conséquence, à tout ce qui relève de l’universalité traditionnelle liée tant à la doctrine métaphysique qu’à l’ouverture du cœur, cœur de l’intellect et cœur de chair à l’imitation de celui du Crucifié.

La contre-initiation utilise la déformation et excelle dans l’art de la confusion.

« A la limite, oui à la limite, le risque est presque moindre du côté du progressisme, car là on ne peut donner le change, on ne peut prétendre incarner la Tradition, puisque ce terme même est évacué du vocabulaire progressisant. Il peut y avoir méprise sur le contenu. Et nous voici confrontés au binaire classique et artificiel de l’intégrisme et du progressisme, ce qui est bien encore une source de confusion! » (p. 106)

L’intégrisme, tout comme le progressisme, sont organisés en fonction d’une certitude: celle de détenir la vérité. Ils agissent en fonction d’un dualisme simpliste: tout le bien est ici, tout le mal est là…

La contre-initiation est un jeu mené par l’Adversaire, l’Opposant, le Diviseur ou, dans le livre de Job, l’Accusateur.

L’étymologie du nom diable est diabolos (dualité).

Dans la contre-initiation: « on appellera religion ce qui n’est que religiosité dépourvue de doctrine intellective et de repères de foi, rectitude ce qui n’est que caporalisme intolérant, piété ce qui n’est que bon ton et attitude de “bien pensant”, rite ce qui n’est que coutume linguistique ou vestimentaire, sacré ce qui n’est que clinquant ou pompes théâtrales. » (p. 107)

Le pire est ce qui a trait aux déformations du corpus doctrinal et méthodique, répadu par les pseudo-maîtres qui méprisent l’enseignement et les transmissions traditionnelles multi-séculaires.

Dans le dossier “Eglise et Franc-Maçonnerie” fourmillent les confusions de la pensée.

La situation de la Franc-Maçonnerie est complexe, vu le fait qu’il n’existe pas d’uniformité ou de hiérachie commune, centrale et guvernatrice.

Plus les définitions théologiques d’un Rite maçonnique sont poussées, plus sont grands les risques de divergence avec l’optique ecclésiale, en vertu de l’adage spinozien, rappelé par Guénon: “omnis determination negation est”.

« […] Guénon a profondément marqué l’intellectualité maçonniqu depuis une quarantaine d’années, ce n’est pas contestable. Il a donné à cette Organisation qui s’interrogeait peut-être sur sa propre identité au milieu du bric-à-brac politique, philosophique et “occultard” du siècle, une raison d’être irréfutable, une cohérence intellectuelle et des lettres de noblesse la distinguant radicalement des groupes sociaux les plus divers, du “rotarisme” de salon, d’Académie, ou de “Business”. » (p. 109)

Le milieu guénonien de la Franc-Maçonnerie paraît être celui qui est le plus proche de l’Eglise par la foi religieuse, la valeur accordée aux signes, aux symboles, aux rites, la rencontre historique sur le chantier des cathédrales.

Pour Guénon, les différences entre l’Eglise et la Maçonnerie n’ont aucun caractère d’opposition, de négation ou de rejet, mais se justifient plutôt par la nécessaire complémentarité de l’art royal et de l’art sacerdotal au sein d’une structure traditionnelle, cohérente, homogène et sans faille.

« […] les maçons guénoniens sont à la fois les plus proches de l’Eglise, au regard de la croyance, de la structure et de l’armature symbolique, de l’appui vétéro et néo-testamentaire, de l’intelligence sacramentelle, de l’eschatologie, du but de la vie humaine, de la nécessité de la prière, de l’éthique même, et à la fois… les plus “suspects” pour l’autorité religieuse, dans la mesure où ils expriment un point de vue confortant la distinction “exotérisme-ésotérisme”, tout en limitant le premier terme à l’Eglise, ou pire encore, au christianisme. » (p. 110)

Pour l’Eglise, il existe un texte récent, la Déclaration de la “Sacrée Congrégation pour la doctrine de la Foi” du 26 novembre 1983, qui condamne tous les chrétiens maçons et les empêchent à accéder à la Sainte Communion.

Les cercles catholiques intégristes ont qualifié les thèses de Guénon (concernant l’Unité transcendante des différentes traditions) au syncrétisme et au relativisme. Par une ironie particulière, le fondamentalisme protestant est aussi anti-guénonien et anti-maçonique.

Les deux sources principales d’où la Maçonnerie a tiré son enseignement sont la tradition monothéiste, c’est-à-dire abrahamique et la tradition gréco-latine dont l’expression la plus achevée est la pythagorisme.

Guénon range l’”exotérisme” dans la religion en général et les détracteurs de Guénon entendent par “ésotérisme” tout un bric-à-brac de falsifications religieuses, des syncrétistes, des pseudo-spiritualités d’extraction souvent suspecte et parfois contre-initiatique, d’élitisme inversé à coloration politique et de sombre mémoire.

L’Eglise catholique reproche aux Francmaçons:

a) de pratiquer des rites qu’ils disent opérer dans le récipiendaire une transformation non-matérielle analogue à celle opérée par les sacrements;
b) d’admettre parmi eux des membres appartenant à des religions non-chrétiennes;
c) de dispenser un enseignement particulier qu’ils disent remonter à la fois au Christ (par Saint-Jean) et aussi aux religions “païennes”.

Un disciple d’Alisteir Crowley (le sataniste qui n’hésitait pas d’utiliser le nombre 666 pour sa signature), Kenneth Anger, dans des films comme “Scorpio Rising” et “Custom Car Commando”, annonçait déjà le “Hell’s Angels Terror”. Son film principal, inachevé, “Lucifer Rising”, a été considéré comme le chef-d’œuvre du nouveau satanisme.

Formation pop sataniste: Rolling Stones (avec les chansons “Sympathy for the Devil”).
Le monde satanique apparu au grand jour vers la fin des années 60 est à la base de nombreuses “sectes” parfois célébrant des messes noires et sanglantes.

« Plus nous avançons dans cette fin de cycle et de siècle, plus notre monde passe sous l’influence et la domination du “Prince de ce monde”. Avec le règne des médias, leur concentration presque planétaire, l’usage des techniques audio-visuelles et du subliminal, le viol des consciences, tout s’accélère, et s’accélère même “diablement”, si j’ose dire. » (p. 129-130)

« […] à chaque période correspondent une intensité et des modalités différentes. Comme je comprends les angoisses et les tentatives de nos Papes! Car eux “savent”. C’est pourquoi leurs initiatives, en avance sur la saisie des peuples, et parfois des clercs, surprennent, déconcertent et même scandalisent les “figés” et les “sépulcres blanchis”. Ceux qui ne voient pas l’heure à l’horloge de l’histoire et que leur confort mental et passéiste ne rendent pas perméables aux motions de l’Esprit-Saint. » (p. 130)

2 commentaires:

Nibelung a dit…

Bonjour,

Je vais utiliser les commentaires pour vous demander la permission d'utiliser cette article sur notre site, avec citation de la source, et de l'auteur

http://www.objetvolant.org/

Il me semble qu'à notre époque, il est important d'insister sur cet aspect de l'oeuvre de Guénon qui est trop ignoré

ringnibelung@gmail.com

Je vous remercie de l'attention apporter à cette requète. Quelque soit votre décision je continuerai de vous lire

Radu Iliescu a dit…

Cher Nibelung,

Je ne suis pas Jean Tourniac, mais un modeste blogmaster. Tout comme vous, je suis désire étudier et approfondir la Tradition à partir des meilleures sources. Je ne vois pas comment refuserais-je votre petite requête...

Cordialement,
Radu Iliesco