Publié dans René Guénon (1886-1951). Colloque du Centenaire, Le Cercle de Lumière, 1993.
« Il y a plusieurs clefs pour Dante. René Guénon nous en fournit une: celle de l’ésotérisme, qui ferait de la “Divine Comédie” le poème par excellence, du point de vue des études traditionnelles. » (p. 93)
Parmi les études consacrés à Dante, les plus proches à l’esprit du poète sont:
a) celui de René Guénon;
b) celui de Luigi Valli, l’érudit italien;
c) celui de l’espagnol Asin Palacios, intitulé “Dante et l’Islam”.
« Avec le XIVe siècle, et surtout avec Pétrarque, le chemin prend des tournants différents, il essaie de monter, avec le retour du platonisme au pouvoir, le long de la première partie de la Renaissance tout au moins, mais il s’enfonce, après Marsilio Ficino, dans un paysage sans issue, ou à issue terminale, dont le XVIIIe siècle constitue une espèce d’erreur spirite, pour ainsi dire, en suivant l’enseignement que Guénon nous propose comme exemple de ce que nous ne devons pas faire, surtout à des moments où la poésie, comme la politique forment ensemble, comme du temps de Dante une tragique inséparabilité. Hölderlin déjà, au début du siècle dernier, mettait en relation “les temps de détresse” et la présence du poète. » (p. 94)
Notre temps est peut-être un des plus proches de l’exégèse dantesque.
« Dante a été surtout un poète fidèle à poiesis donc à la création, et, de la façon la plus logique, il s’est trouvé tenté par toutes les voies qui mènent à la source même de la création, qui est la Vérité. Pour l’atteindre il se laisse guider par les deux pôles de notre âme poétique: l’inspiration, qui procède en ligne droite du monde inconscient, et la raison, liée à la conscience, par dessus toute séparation partielle, classique dans un sens, romantique dans l’autre et quraient enlevé à son œuvre ce ton d’impartialité – je ne dirais pas d’objectivité, car ce mot n’a pas de sens dans ce contexte, - qui la caractérise, malgré les permanentes injonctions de son moi et des souffrances historiques qui l’inspirent et, souvent, le déterminent dans son action créatrice. Dante est un monde, dans l’acception la plus complète, et il arrive même à nous y englober, situés nous-mêmes à presque sept siècles de son aventure. » (p. 94)
Il existe une clef littéraire de “La Divine Comédie” et de Dante en géneral. Il existe ensuite une clef allégorique, qui est une première manière d’ajouter un voile au dessus du sens littéral. Ensuite une clef morale, proposée par Kierkegaard. La dernière, la clef anagogique, a été donnée par Guénon et Luigi Valli.
« Ce que Guénon fit pour moi, ainsi que, je m’imagine, pour la plupart de ceux qui trouvèrent en lui le même remède, ce fut de m’éloigner des vérités mineures ou partielles, pour me mettre en contact, tout au moins velléitaire, avec la Vérité, qui est une et qui, en suivant des sentiers chaque fois plus compliqués et plus cachés, me rapprochèrent de Platon et me firent comprendre les aspects les plus en vue, le plus spectaculaires de la physique actuelle, par exemple, à travers Heisenberg, pour citer une étape, comme des efforts s’inscrivant dans un effort plus vaste dont le but était celui de m’aider à avancer vers quelque chose, après avoir traversé l’enfer – les deux derniers siècles de l’Histoire occidentale forment, dans cette perspective, les neuf cercles d’un enfer et il est possible que nous soyons en train de traverser le dernier, celui des glaces éternelles et des traîtres, de ceux qui ont trahi l’homme – afin de nous approcher d’un Purgatoire indispensable pour réaliser le dernier saut, celui qui implique une fin et un commencement et qui est sûrement celui de la fin et d’un nouveau début, “pur et disposé à monter vers les étoiles”, qui est le dernier vers du Purgatoire de Dante. » (p. 97)
Le but métapolitique de “La Divine Comédie” a été de présenter à l’humanité malade le double remède de la Croix (l’Eglise catholique) et l’Aigle (l’Empire). La Croix a le rôle de guérir l’ignorantia, et l’Aigle – la difficultas. La concupiscence devait être annihilée par la victoire de la Croix, et l’injustice par la victoire de l’Aigle.
« N’est-ce donc pas à la séparation entre la Croix et l’Aigle que nous devons notre terrible entrance dans la nuit déterministe et entropique? La Croix seule voudrait en ce moment résoudre des problèmes qu’elle n’avait pas pu résoudre ni à la fin du Moyen Age, quand elle était forte et universelle, ni à l’âge de la Révolution, quand elle fut abandonnée par les poètes provocant cette fuite des dieux dont parle Hölderlin. L’Aigle planait lui aussi sur d’autres mondes, très loin de nous, imité par de faux aigles, impériaux dans l’espace mais pas dans le temps, qui appartient au règne de la Croix. Nous vivons sous l’oppresion d’empires invalides, non seulement parce que malades de tyrannie et de séparations inhumaines, destinés à protéger la chute et la déchéance ultimes, mais aussi parce qu’ils ne veulent pas de la Croix, leur ennemie la plus mystérieuse et la plus acharnée, solitaire mais survivante. Je pense que Dante et Guénon se complètent l’un l’autre sur le seuil de la perte catastrophique de la relation avec l’être et du retrouvement dans le sentier sauveur, phases complémetnaires qui expliquent l’Histoire de ce temps avec une clarté que d’autres disciplines dites spécialisées ne sont pas capables d’expliquer car empêchées de comprendre. Au delà de la fin du temps, de ce temps vieux déjà de plusieurs siècles, nous pourrons nous retrouver dans la plénitude de l’Etre, selon la voix pleine d’amertume et d’espoir des meilleurs prophètes. Tout ne sera qu’amas d’inutilités, orgueilleuses et vaines. Seule une voix des justes, c’est-à-dire de ceux qui se sont formés dans une autre lumière, nous accompagnera dans le grand changement alchimique du troisième millénaire. » (p. 100-101)
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