Paru dans le cahier René Guénon, Editions de l’Herne, 1985.
„Tandis qu’imperturbablement, dans une indifférence concertée, l’œuvre de René Guénon retournait de fond en comble les illusions et les mensonges de l’Occident, l’énorme majorité des Occidentaux, en dépit d’indices éloquents qui auraient dû tenir lieu d’avertissements, préféraient s’abandonner aux délices de Capoue de la contre-initiation, assurés qu’ils étaient d’une incontestable suprématie matérielle dans le monde de l’entre-deux-guerres. Au milieu de ces orgies d’inconscience, Guénon l’In-ouï se voyait condamné pour excès de lucidité, en guise de tout salaire, à la peine de la solitude capitale.” (p. 29)
Guénon avait été entouré d’une conjuration du silence systématique. Il dénonce plus qu’il n’élabore, il énonce plus de principes qu’il n’apporte de solutions.
Première hypothèse de Guénon: à l’instar d’autres civilisations, l’Occident peut succomber dans la pire barbarie et disparaître.
Guénon assure que l’humanité est entrée dans l’âge le plus sombre, Kali-yuga. Pour illustrer la gravité du moment, il a exposé la doctrine des cycles.
Message d’espoir guénonien: „C’est quand tout semblera perdu que tout sera sauvé.” (p. 30)
Deuxième hypothèse: le retour spontané de l’Occident vers la Tradition, sous l’autorité spirituelle de l’Eglise catholique.
La scolastique tomiste gardait pour lui une part importante de «métaphysique vraie».
Esotérismes:
Grégoire de Nysse – le caractère inconaissable de l’Essence;
Grégoire Palamas – les Energies divines;
Isaac de Ninive – la miséricorde cosmique;
Clément d’Alexandrie – l’identification de l’amour et de la connaissance transmise par une tradition secrète;
Origène – les éons de la vie posthume;
Eckhart – la Déité surressentielle;
Bonaventure – l’omniprésence divine lue dans le livre de la Création.
Des nouveaux chrétiens ouverts vers les autres religions:
Louis Massignon;
Olivier Lacombe;
Henri Le Saux;
Thomas Merton;
abbé Stéphane.
L’Eglise catholique a rejeté le message de Guénon, en préférant le soupçonner le messager d’une secte occultiste. “Le parti «intégriste», fidèle à la maxime qu’il n’est point de salut hors de Rome – une Rome qui n’a pas laissé de l’inquiéter depuis Vatican II – a préféré se replier sur lui-même, ou s’y est vu contraint, en considérant tout le reste comme subversion luciférienne et négligeant la dénonciation clinique qu’en fait Guénon lui-même dans le Régne de la quantité. Le parti «moderniste» s’est de plus en plus séparé des principes sur lesquels repose la doctrina christiana, dont il brade ou mine les vestiges en servant de courroie de transmission aux forces antichrétiennes.” (p. 32)
L’Eglise catholique a été hostile aux notions de «Tradition primordiale», de cyclicité, de «descentes divines», de symbolisme. Elle a misé sur le quantitatif, sur l’adaptation démagogique, sur la désacralisation, sur l’ingérance en des domaines qui ne relèvent pas de ses instances.
On ne peut que regretter le fait que les connaissances de Guénon concernant le christianisme oriental ont été assez peu étendues.
L’Europe vit maintenant l’avènement philocalique. Beaucoup de guénoniens se sont tournés vers l’Orient sans quitter le christianisme.
L’existence de l’hésychasme montre que l’Occident est en possession de son propre moyen de libération, d’un «Yoga chrétien». “Même privé de toute église, le chrétien ne sera jamais privé de l’invocation du Nom. Celle-ci le rend en quelque sorte autonome; elle lui permet déjà de traverser en «adulte» la désertification spirituelle à laquelle il est condamné.” (p. 34)
L’hésychasme est sans doute un aspect ésotérique du christianisme. „Ce n’est assurément point hasard si la «prière du cœur» est sortie des monastères pour se répandre aujourd’hui dans le monde. Même privé de toute église, le chrétien ne sera jamais privé de l’invocation du Nom. Celle-ci le rend en quelque sorte autonome; elle lui permet déjà de traverser «en adulte» la désertification spirituelle à laquelle il est condamné.” (p. 34)
Troisième hypothèse: l’Orient sauverait l’Occident par assimilation. L’islam est une place privilégiée de contact entre l’Occident et l’Orient.
La Science Traditionnelle – Philosophia perennis.
Tout homme qui désire une formation doctrinale devrait commencer par l’étude du contenu de l’enseignement traditionnel, pour préparer la mentalité initiatique qu’a détruit l’éducation profane. „Ces assises doctrinales permettent au contraire de prendre une plus juste mesure de l’époque et de soi-même, à travers les désagréments qu’elle suscite; et, par là, de s’en mieux préserver. Elles enseignent à éviter l’inutile dialectique, source de confusion sans fin, à rompre avec le système philosophique qui ne font qu’engendrer la «maladie de l’angoisse» en multipliant les questions sans fournir les réponses.” (p. 35)
Sur l’élite, telle que l’envisageait René Guénon: “L’élite se constituera d’individualités issues de différents milieux dont elles se seront affranchies pour constituer une race mentale différenciée, indépendante des conditions sociologiques et idéologiques de l’heure. Ceux qui n’auront pas les qualifications requises s’excluront d’eux-mêmes, mus par leur «parti pris d’incompréhension» et leur peur d’affronter la «grande solitude». Les plus éminents universitaires, savants, philosophes, ont peu de chance, en raison de leurs habitudes mentales et de leur «myopie intellectuelle», d’appartenir à cette élite. Ses éléments, éparpillés, apparemment non agissants, sont néanmoins plus nombreux qu’on ne serait tenté de le croire. Le nombre ne fait de toute manière rien à l’affaire pour que l’influence transformante puisse s’exercer de façon effective; et il doit s’entourer de discrétion. L’élite aura pour principale fonction de préserver et de transmettre le dépôt de la connaissance métaphysique, et de préparer les conditions de naissance du nouveau cycle: on ne doit pas attendre que la «descente» soit achevée pour préparer la «remontée». Mais si l’effort ne débouchait sur rien au plan du macrocosme, il ne serait point perdu au niveau individuel: ceux qui auront pris part au travail – formation doctrinale et pratique spirituelle – en retireront forcément des bienfaits personnels.” (p. 35)
L’élite véritable ne doit pas se contenter du savoir théorique; elle doit tendre à la réalisation métaphysique des états supra-humains. Tout être vraiment qualifié rencontrera toujours les moyens de sa réalisation intérieure.
Guénon insiste sur le respect des rites, auquels s’ajoutent l’ésotérisme correspondant.
Dernière hypothèse: un ensemble de possibilités imprévisibles ou indéterminées.
Quelques superstitions occidentales:
la „déification” de la raison;
la „superstition” de la vie;
la primauté de l’action sur la contemplation;
le progrès continu de l’humanité.
Dans les quelques lignes que Guénon a consacré à Jung, il l’a critiqué sévèrement. Selon Jean Biès, certains détails de l’œuvre du psychanalyste ont échappé à Guénon.
Selon Guénon, l’œuvre de Shrî Aurobindo n’est pas vraiment “moderniste”, en dépit de certains aspects. Elle est plutôt conforme à la pensée traditionnelle. Celle-ci peut apporter à l’œuvre de Guénon une suite indispensable.
„Les différents dénonciations et prédictions faites par René Guénon dans la première moitié du XXe siècle se sont vues confirmées en d’énormes proportions, au cours de sa seconde moitié: le règne de la quantité s’est multiplié comme une hydre dévoratrice. Depuis la bombe d’Hiroshima, à laquelle ont succédé des armes plus radicalement meurtrières, une odeur de suicide colle à la peau de l’humanité, imprègne ses discours vides et ses actes manqués. Les signes d’angoisse s’ajoutent les uns aux autres en architectures dérisoires; les cris d’alarme se perdent dans le tourbillon des informations déformantes, dans la clameur des jeux, dans les râles planifiés de l’orgasme collectif. Les solutions s’avouent incapables d’enrayer les dissolutions.” (p. 40)
Evaluation globale de l’œuvre de René Guénon: „Son lecteur ne tardera pas à s’apercevoir qu’une telle œuvre, plus imposante par sa densité que par son volume, sans contradiction ni compromis, d’un style marmoréen, éclaire des feux du plus haut passé les possibilités d’un lointain avenir. Après les premières impressions de «difficultés» - mais pénètre-t-on au centre sans passer par une mise à l’épreuve, et qui jamais a prétendu que tout devait nous être gratuitement apporté? – cette œuvre apparaîtra porteuse d’une lumière d’espérance; elle n’offrira pas seulement une aide indispensable ou une certitude exemplaire, mais aussi et surtout, une chance à ne pas manquer, car il est à penser que c’est bien la dernière.” (p. 41)
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