17 avril 2005

Jean Borella, Du symbole selon René Guénon, (note de lectura)





Paru dans René Guénon, Cahier de l’Herne, 1985.

Il existe dans l’œuvre de René Guénon cinq éléments polaires: la critique du monde moderne, la tradition, la métaphysique, la symbolique, la réalisation spirituelle. Elle vise la réalisation spirituelle comme une fin qui la dépasse. Les quatre premières étapes sont des degrés de préparation vers le but final.

La métaphysique relève de l’intellect, la symbolique du corps et la tradition de l’âme.

La métaphysique unifie tradition et symbolique, parce qu’elle en exprime le contenu informel.

La tradition unifie métaphysique et symbolique, puisqu’elle exprime la vérité universelle du Principe à l’aide d’une forme particulière.

La symbolique réalise l’union de l’universel métaphysique et de la contingence de la tradition.

“[…] unité par la métaphysique, unification par la tradition, union par le symbole. Telle est la situation du symbole chez Guénon, et l’on conviendra que cette synthèse doctrinale frappe autant par son ampleur que par sa clarté et sa précision.” (p. 208)

Guénon nie l’existence d’une conception guénonienne du symbolisme. La doctrine qu’il expose s’identifie à ses yeux à la vérité pure et simple du symbolisme sacré. Opinion de Borella: “Une telle prétention peut sembler exorbitante. Nous la croyons cependant justifiée […]” (p. 208)

Jean Borella, qui a accordé une thèse d’Etat aux théories du symbole, est formel: “cette doctrine [celle de Guénon – n.n.] est la seule qui soit parfaitement et rigoureusement accordée à son objet, c’est-à-dire aux symboles sacrés eux-mêmes.” (p. 208)

Selon Borella, l’important ouvrage de Gérard de Champeaux, Le Monde des symboles, Editions du Zodiaque, ne cite jamais René Guénon, son inspirateur. Père Bro, dans Fait-il encore pratiquer? (éditions du Cerf, coll. «Foi vivante», 1967), ose parler de la «somme singulière de René Guénon, Symboles fondamentaux de la science sacrée», p. 194.

Le structuralisme de Claude Lévi-Strauss arrive à reconnaître la cohérence parfaite du langage mythique, mais nie la possibilité d’interprèter les mythes (décomposés en mythèmes alléatoires).

La doctrine freudienne se veut expressément herméneutique, elle a des visées de déchiffrement du sens. Le freudisme concurence la doctrine traditionnelle sur son propre terrain, en présentant une inversion radicale. Son caractère est de se constituer en contre-religion. L’herméneutique freudienne assigne aux symboles culturels ou individuels une signification purement sexuelle; elle fait encore symboliser l’inférieur par le supérieur. Sur la vision de Freud sur les symboles: “Cette herméneutique, que Ricœur a justement nommée «herméneutique du soupçon» parce qu’elle consiste d’abord à refuser d’écouter ce que profère le symbole et à le soupçonner d’être essentiellement déguisement, déclare donc en réalité la guerre aux symboles. Loin d’être une redécouverte du monde des symboles comme le répètent à l’envie, avec les meilleures intentions, bien des spécialistes, la psychanalyse est la plus redoutable machine de guerre antisymbolique. Au reste, puisque cela est nécessaire, nous rappellerons à tous ceux qui préfèrent parler de Freud plutôt que de le lire, cette déclaration non équivoque: «Puisse un jour l’intellect – l’esprit scientifique, la raison – accéder à la dictature dans la vie psychique des humains! Tel est notre vœu le plus ardent.» Les amoureux de l’«imaginaire» n’ont qu’à bien se tenir!” (p. 210)

Chez Guénon, la nécessité du symbole ne dérive pas d’une volonté ou d’un travail inconscient. Les réalités supérieures se manifestent d’une façon symbolique parce que c’est la seule possibilité qu’elles ont dans les conditions limitatives de notre plan d’existence. L’être du symbole (de réalité seconde et inférieure) et sa fonction (de symbole d’une réalité supérieure) ne font qu’un. Borella qualifié l’herméneutique que Guénon fait au symbole de “obédientielle” (p. 210), parce que Guénon suit les indication du symbole.

A la différence de l’approche freudienne, ou marxiste, ou structuraliste, “il n’existe aucune herméneutique autre que l’herméneutique traditionnelle qui prenne en compte la totalité des éléments d’un texte ou d’un rite symbolique.” (p. 211) Autrement dit, la capacité des herméneutiques modernes de parler est si faible que l’on comprend qu’il s’agit d’impostures. R. Reyer observait quelque part que le nombre de rêves sur lesquelles Freud avait bâti sa théorie était très réduit.

L’intention première du symbole, niée par les herméneutiques modernes sans exception, est de nous parler du Transcendent. Avec la théorie des symboles exposée par Guénon toutes les formes de toutes les traditions deviennent compréhensibles. Grâce à Guénon le symbolisme religieux devient “radicalement crédible” (p. 211)

La relation qui existe entre le symbolisme (figuration de la doctrine métaphysique) et la métaphysique (qui fonde le symbolisme et se presente comme un commentaire du symbole) est illustrée par Guénon dans Symbolisme de la croix.

Le fondement de tout symbolisme et la loi des correspondances: toute chose est une expression des réalités qui lui sont supérieures. Le symbole, conformément à sa signification étymologique, unifie le multiple. Un même symbole contient une multiplicité essentielle de sens, qui résulte de la multiplicité hiérarchique des degrés de réalité auxquels il peut se rapporter. La fonction «résomptive» du symbole réside dans sa capacité de concentrer toute l’hiérarchie de degrés qui lui sont supérieurs.

La doctrine des états multiples de l’être est la traduction «microcosmique» de la doctrine des correspondances. Le point de vue des correspondance est celui d’une multiplicité hiérarchique de plans parallèles, l’unité de cette multiplicité est assurée par leur correspondance et n’exclue pas la discontinuité apparente d’un plan à l’autre. L’être, du point de vue de cette ontologie scalaire, est une verticale émanant du Principe et traversant chacun de ces plans horizontaux. Ainsi, le microcosme humaine exerce un ministère d’unification à l’égard du cosmos.

Dans l’état actuel l’homme n’a plus conscience des états non individuels de son être. C’est à sa réalisation spirituelle de l’amener à une prise de conscience des «états supérieurs de l’être». Ascendant le long de la verticale de sûtrâtmâ, il réalise l’intégralité des degrés du réel, non point analytiquement mais synthétiquement et dans leur centre quintessentiel. “Une telle réalisation équivaut donc à une universalisation du microcosme humain, et c’est à elle que Guénon donne le nom d’«Homme universel», selon une expression empruntée à l’ésotérisme de l’Islam.” (p. 214)

Le symbolisme relève de la cosmologie, du point de vue cosmologique. L’homme est lui-même le symbole du macrocosme. “Mais le symbolisme est fondamentalement ordonné à la réalisation métaphysique de l’être, à son salut et à sa délivrance, faute de quoi il n’est qu’un divertissement et un jeu gratuit. Au surplus, nous n’avons pas le choix. N’est réel, pour nous, que ce que nous avons «réalisé», c’est-à-dire ce dont nous avons pris une conscience effective, puisque la conscience est le sens immédiat du réel.” (p. 215)

Les divers degrés d’être «se réalisent» dans l’acte même par lequel les divers degrés de la connaissance en prennent une conscience effective et immédiate.

L’«analogie» et la «correspondance» sont la même chose dans le discours guénonien. Il illustre parfois la notion d’analogie par l’image d’un arbre à la surface des eaux (Symboles fondamentaux…, p. 324) Cette image contient la similitude (dans l’ordre intrinsèque) et l’inversion (dans l’ordre des parties).

Le symbolisme direct est cataphatique et implique le risque de l’idolâtrie. L’analogie inverse est apophatique.

Une réalité sensible soutient toujours une relation avec les autres réalités du même ordre, relation qui définit précisément cet ordre. Aucun être n’est simplement un être, il est aussi un nœud de relations.

“Le sens inverse de l’ana-logia, parce qu’il fait intervenir nécessairement la considération du plan réfléchissant d’un ordre d’existence déterminé, et non seulement de l’image reflétée, nous éveille à la conscience de notre condition icônique.” (p. 218)

L’homme individuel s’approprie égoïstement la nature théophanique dont il est constitué.

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