09 avril 2005

René Guénon, Extraits de lettres à Hillel

Parues dans René Guénon, Cahier de l’Herne, 1985.

Les Avenières par Cruseilles (Hte-Savoie), le 24 septembre 1929

[…] Tout ce que vous me dites sur la région des Alpes est bien curieux, et il doit y avoir quelque chose de vrai là-dedans. Je ne sais pas s’il y a encore quelque chose de vivant dans cette région, mais, en tout cas, voici des choses assez étranges: nous sommes ici sur le mont Salève, dont le nom semble être encore une forme de Montsalvat, et, tout à côté, il y a aussi un mont de Sion! Le nom de Cruseilles est assez remarquable également: c’est à la fois le «creuset», dont le sens est tout à fait hermétique, et la «creusille», c’est-à-dire la coquille des pélerins. […]

Le 29 septembre 1929

[…] Merci de votre prompte réponse et de vos indications sur le soleil de minuit que je vais transmettre à Charbonneau. Il en a besoin parce qu’il paraît que ce phénomène a servi à symboliser le Christ dans les pays septentrionaux, «la venue du Sauveur ayant éclairé la terre comme le soleil de minuit éclaire la nuit d’une douce lueur». – Il y a d’autre part dans sa dernière lettre quelque chose dont j’avais oublié de vous parler: c’est à propos des prêtres et évêques templiers, qui auraient été plus particulièrementaccusés de manichéisme, et dont il n’a pas été question du tout dans le numéro du Voile d’Isis; il a vu, mais il ne se rappele plus où, qu’il y avait neuf évêques templiers, qui, dit-il, semblent avoir passé à travers les mailles du filet en 1307. […]

[…] Depuis que je vous ai écrit, j’ai découvert un véritable gisement d’«œufs de serpent» sur un des versants de la montagne, dans une sorte de ravin qui descend directement sur une localité appelée Saint-Blaise (vous savez la signification celtique de ce nom); tout cela est vraiment bizarre.

Le Caire, le 11 avril 1930

Le personnage que je devais voir à Sohag est mort l’année dernière; je ne m’y suis donc pas arrêté en allant à Louqsor, ayant su cela ici avant mon départ.

J’ai vu des choses très intéressantes dans les tombeaux des rois; mais tout cela est d’ordre presque exclusivement cosmologique et magique; en tout cas, on a l’impression de quelque chose d’entièrement différent de tout ce que racontent les égyptologues. Dans certains endroits, il y a encore de singulières influences qui subsistent; certaines sont d’une nature assez dangereuse.

Le Sinaï est très intéressant aussi à d’autres points de vue.

Le 10 octobre 1930

Il y a ici, derrière El-Azhar, un vieux bonhomme qui ressemble étonnament aux portraits que l’on donne des anciens philosophes grecs, et qui fait d’étranges peintures. L’autre jour, il nous a montré une espèce de dragon avec une tête humaine barbue, coiffé d’un chapeau à la mode du XVIe siècle, et six petites têtes d’animaux divers sortant de la barbe. Ce qui est tout à fait curieux, c’est que cette figure ressemble, presque à s’y méprendre, à celle que la «R.I.S.S.» a donnée il y a un certain temps, à propos de la fameuse «Elue du Dragon», comme tirée d’un vieux livre qui n’était pas désigné, ce qui rendait son authenticité plutôt douteuse. Mais le plus fort, c’est que le bonhomme prétend avoir vu lui-même cette drôle de bête et l’avoir dessinée telle quelle!

Le 22 avril 1932

A ce propos, l’impression de Tamos [Rédacteur au Voile d’Isis et aux Etudes traditionnelles] dont vous me parlez n’est qu’en partie exacte: s’il y a eu dans ce qui vous est arrivé quelque chose de provenance égyptienne, cela n’a rien de musulman, mais est bien plutôt «pharaonique», comme on dit ici. En effet, la seule chose qui subsiste de l’ancienne Egypte est une magie fort dangereuse et d’ordre très inférieur; cela se rapporte d’ailleurs précisément aux mystères du fameux dieu à la tête d’âne, qui n’est autre que Set ou Typhon. Cela semble d’ailleurs s’être réfugié en grande partie dans certaines régions de Soudan, où il y a des choses vraiment peu ordinaires; ainsi, il paraît qu’il y a une région où tous les habitants, au nombre d’une vingtaine de mille, ont la faculté de prendre des formes animales pendant la nuit; on a été obligé d’établir des sortes de barrages pour les empêcher d’aller faire au-dehors des incursions pendant lesquelles il leur arrivait souvent de devorer des gens. Je tiens la chose de quelqu’un de très digne de foi, qui a été dans le pays et qui a eu même un domestique de cette espèce, qu’il s’est d’ailleurs empressé de congédier, dès qu’il s’en est aperçu. Pour en revenir au dieu à la tête d’âne, les histoires de Le Chartier et Cie s’y rattachent certainement; il est malheureusement difficile d’arriver à certaines précisions mais peut-être tout cela se découvrira-t-il tout de même peu à peu […] Il me paraît à peu près sûr que c’est bien là le vrai centre de toutes les choses malfaisantes que vous savez. J’ai pu me rendre compte qu’on emploi dans certains rites le sang d’animaux noirs; à ce propos, n’avez-vous jamais eu à constater chez vous des manifestations prenant la forme desdits animaux? Il serait intéressant que je sache cela […].

Le 12 mars 1933

La sorcellerie de l’Afrique du Nord n’est pas arabe, mais berbère, et peut-être en partie d’origine phénicienne, quoique l’élément le plus puissant (je veux parler de ce qui concerne la tête d’âne) soit égyptien et continue les mystères typhoniens; je pense même que c’est tout ce qui a survécu de l’ancienne civilisation égyptienne, et ce n’est pas ce qu’elle avait de mieux […] Il semble d’ailleurs que le côté «magique» y ait été très développé d’assez bonne heure, ce qui indique qu’il y avait eu déjà une dégénérescence; il y a, dans certains tombeaux, des influences qui sont vraiment épouvantables, et qui paraissent capables de se maintenir là indéfiniment.

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