17 avril 2005

Jean-Pierre Laurant, Repères biographiques et bibliographiques sur René Guénon, (note de lectura)

Paru dans René Guénon, Cahier de l’Herne, 1985.

La vie de Guénon est difficile à raconter en termes de journal, de roman, de notices. Dans une dispute avec la Revue internationale des Sociétés secrètes de Mgr Jouin, il avait déclaré que si on l’ennuyait trop avec la personnalité de René Guénon, il la supprimerait purement et simplement. Il détestait aussi les photographies.

Il a été aussi Palingénius, évêque gnostique d’Alexandrie, et surtout Abdel-Wahid-Yahia en Islam, dont les initiatives servirent à signer des articles dans le Speculative Mason.

La monografie de Paul Chacornac, La vie simple de René Guénon, a été rédigée dans l’entourage de la revue qu’il inspirait (Le Voile d’Isis, devenu en 1936 Etudes traditionnelles et dirigée à sa mort par Jean Reyor jusqu’en 1960). Son but était de couper court aux spéculations sur des contradictions possibles entre son intérêt de jeunesse pour l’occultisme, ses orientations chrétiennes puis islamiques, sa vie maçonnique et son antimaçonnisme en montrant l’unité profonde de la démarche depuis la rencontre d’un ou de maîtres jusqu’à la réalisation finale au Caire. Michel Vâlsan continuera cette attitude.

Les démarches de Paul Sérant et Lucien Méroz seront centrées sur le placement de la personne et de son œuvre dans la catégorie de l’hérésie gnostique.

M.-F. James, au terme d’une enquête dans les milieux catholiques, risque quelques pas du côté de la psychanalyse.

A. Thirion esquisse une interprétation marxiste du rejet du monde moderne chez René Guénon.

“Les repères biographiques suivants visent à délimiter le champ et à éclairer le paysage où s’est déroulée l’action intérieure et extérieure qu’il nous faut raconter à nos enfants et à nos petits-enfants. Repères sans valeur par eux-mêmes, ils n’ont d’autre but que de montrer comment le héros est allé voir ailleurs.” (p. 16)

[Les dates et les commentaires biographiques sont reproduits en totalité.]


1886-1906: les années difficiles

Le 15 novembre 1886 René, Jean-Marie, Joseph naît à Blois, enfant unique du remariage entre Jean-Baptiste Guénon, architecte-expert et quinquagénaire et Anna Jolly. A douze ans René a fait sa première communion et, de santé trop fragile pour aller à l’école, avait appris à lire et à écrire grâce aux soins de sa tante, Mme Duru, dans la belle maison de la rue du Foix en bord de Loire.

1898 – Elève de l’école secondaire catholique Notre-Dame des Aydes, il est fréquemment malade.

1901 – Son père, le jugeant victime de jalousies, l’envoie au collège Augustin-Thierry à Blois.

1903 – Année de philosophie exaltante avec Albert Leclère spécialiste des présocratiques, il est également en relation avec le chanoine Gombault professant un thomisme un peu étroit et intéressé par les phénomènes praeternaturels. René est reçu au baccalauréat, série philosophie.

1904 – Seconde année de classe terminale, il obtient son baccalauréat, série mathématiques élémentaires avec la mention «assez bien».

1905 – Inscrit au collège Rollin à Paris en mathématiques spéciales en vue de préparer les grandes écoles.

1906 – L’échec dû, en partie au moins, à sa santé chancelante qui lui vaut d’être réformé, le détourne des concours; il s’installe alors au 51 de la rue Saint-Louis-en-l’Ile et porte son attention vers l’occultisme. Une ébauche de roman, la Frontière de l’autre monde et des poèmes témoignent de ses préoccupations.

1906-1912: à travers l’occultisme

Il fréquenta tout d’abord l’Ecole hermétique de Papus où Sédir et Barlet, avec qui il se lia, enseignaient. Admis dans l’Ordre Martiniste, bientôt «Supérieur Inconnu» il participa également à la vie d’organisations maçonniques parallèles: la Loge Humanidad, rattachée peu après au rite de Memphis et Misraïm et au Chapitre et Temple INRI du rite primitif et originel swédemborgien.

1908 – Secrétaire éphémère du Congrès spiritualiste et maçonnique, il y rencontra Albert de Pouvourville (Matgioi) avec qui il aborda les traditions extrême-orientales, Fabre des Essarts, patriarchea de l’Eglise gnostique de France et Théodor Reuss, grand maître de l’O.T.O.

1909 – Premiers travaux écrits avec la publication de deux comptes rendus de l’Ecole hermétique dans l’Initiation de Papus, une polémique dans la revue maçonnique l’Acacia à propos de la régularité du rite de Memphis et Misraïm, et une mise au point dans la France chrétienne. Dans le même temps, il prenait la tête d’un énigmatique ordre du Temple rénové à la suite d’une communication obtenue par écriture automatique; cette affaire lui valut d’être exclu avec ses amis de l’Ordre Martiniste et des organisations cotrôlées par Papus. Sacré évêque gnostique d’Alexandrie sous le nom de Palingénius, il commence la publication de la revue la Gnose, et l’article «Le Démiurge», de décembre 1909, montre une réelle maîtrise chez un jeune homme qui put fair supposer d’autres «contacts traditionnels». Il est également inscrit à l’Ecole pratique des hautes-études en compagnei de quelques amis gnostiques.

1910 – Une quinzaine d’articles paraissent dans la Gnose, notamment des «Remarques sur la production des Nombres», divers articles sur la Maçonnerie et des notes à l’Archéomètre de Saint-Yves d’Alveydre, texte transmis par Barlet. Il fait alors la connaissance du peintre suédois Ivan Aguéli, islamisé sous le nom d’Abdul Hadi et Soufi, admirateur d’Ibn Arabi; Aguéli, de retour après sept ans passés au Caire où il avait publié la revue islamisante Il Convito avec Enrico Insabato, collabore à la Gnose.

1911 – Vingt articles dans la Gnose, parmi eux: «La constitution de l’être humain selon le Védânta» et «Le Symbolisme de la Croix». Notons également «Un côté peu connu de l’œuvre de Dante». La revue cessa de paraître quelques mois plus tard, son directeur avait rompu peu à peu ses liens avec les milieux occultisants.

1912-1921: Regards vers l’Eglise catholique et l’Université

1912 – Mariage catholique avec Berthe Loury, assistante de sa tante, Mme Duru; il appartient alors à la Loge Thebah de la Grande-Loge de France, travaillant au Rite Ecossais Ancien et Accepté, et reçoit la même année l’initiation soufie par l’entremise d’Aguéli sous le nom d’Abdel Wahid Yahia.

1913 – Abel Clarin de la Rive, directeur de la France anti-maçonnique ouvre les colonnes de son journal à Guénon qui procède à quelques mises au point à propos de Maçonnerie et de «pouvoir occulte». Celui-ci y rencontre Olivier de Frémond, catholique antisémite et antimaçon, avec qui il échangera une importante correspondance élargie à l’iconographe chrétien L.A. Charbonneau-Lassay sur la question de la tradition.

1914 – Les mêmes thèmes sont développés, il faut y ajouter un article sur «L’ésotérisme de Dante» et, dans la Revue bleue, «Les doctrines hindoues». Il entreprend une licence de philosophie à la Sorbonne.

1915 – Licencié ès Lettres avec mention «bien» en juillet, il prend un poste de suppléant au collège de Saint-Germain-en-Laye et prépare un D.E.S. en philosophie des sciences avec le professeur Milhaud en compagnie de Noële Maurice-Denis, fille du peintre nabi, qui l’amène à l’Institut catholique de Paris.

1916 – Reçu à son D.E.S.: «Leibniz et le calcul infinitésimal»: N. Maurice-Denis lui a fait connaître Jacques Maritain, le père Peillaube et le milieu où se renouvelait le thomisme.

1917 – Une année d’enseignement à Sétif.

1918 – Retour à Blois, préparation de l’agrégation de philosophie.

1919 – Echec à l’oral de l’agrégation; rédaction de comptes rendus dans la Revue philosophique où le fait entrer Gonzague Truc.

1921 – Le professeur Sylvain Lévi refuse L’introduction générale à l’étude des doctrines hindoues comme doctorat d’Etat après en avoir initialement accepté le projet. Un ouvrage paraît sous le même titre chez Rivière. En même temps, Guénon rédige une série d’articles pour la Revue de Philosophie (néo-thomiste) du père Peillaube et publie le Théosophisme, Histoire d’une pseudo-religion. Par les soins de la Nouvelle Librairie nationale dans une collection dirigée par Jacques Maritain: Enquête sur un groupe para-religieux menée rigoureusement selon les règles de la critique historique.

1922-1929: l’ésotérisme en Occident

1923 – Des comptes rendus paraissent encore dans la Revue de Philosophie mais les liens se relâchent avec les amis de N. Maurice-Denis; Guénon, qui a abandonné l’enseignement, reçoit beaucoup de monde rue Saint-Louis-en-l’Ile, Occidentaux et Orientaux. Son ami F. Vreede affirmera en 1973 qu’il lui avait alors fait confidence de son appartenance à une association de «Maîtres à tous grades», héritière de l’ancien compagnonnage. Des réunions hebdomadaires qui dureront jusqu’en 1928 débutent chez les docteurs Winter et T. Grangier, fréquentées par Mario Meunier, J. Bruno, F. Bonjean, Marc-Haven. Publication chez Rivière de l’Erreur spirite.

1924 – A la suite du livre de F. Ossendowski, Bêtes, Hommes et Dieux, une table ronde organisée par les Nouvelles littéraires réunit sur le thème d’un centre initiatique ou siégerait le Roi du Monde Maritain, Grousset, F. Lefèvre, Ossendowski et Guénon. Orient et Occident paraît chez Payot, un chapitre est consacré aux conditions de la reconstitution d’une véritable élite.

1925 – Début de la collaboration au Voile d’Isis de Paul Chacornac, revue qui perdra peu à peu son caractère occultiste et à Regnabit, revue universelle du Sacré-Cœur du père Félix Anizan, o.m.i. et de L.A. Charbonneau-Lassay; c’est par ce dernier que Guénon aura connaissance de la survivance de groupes d’hermétisme chrétien. L’éditeur Charles Bosse publie l’Esotérisme de Dante, le chapitre II traite d’une société ésotérico-religieuse, la Fede santa. L’Homme et son devenir selon le Védânta paraît chez Bossard. Une conférence est donnée en Sorbonne sur la métaphysique orientale.

1926 – Poursuite de sa collaboration à Regnabit avec notamment: Terre sainte et cœur du monde. Il travaille également pour le Voile d’Isis et dans diverses revues: Vers l’Unité (organe de la droite nouvelle), la Revue bleue, Vient de paraître (d’inspiration catholique), Au Christ Roi (organe du Hieron de Paray-le-Monial). Il aurait inspiré la même année la formation d’un groupe d’amis: Union intellectuelle pour l’entente entre les peuples. En fait, il fréquente alors des milieux bien divers, parfois très parisiens comme le salon de Juliette et Albert Gleizes.

1927 – Suite et fin de sa participation à Regnabit, le père Anizan est accusé d’hétérodoxie. Contacts avec le groupe des Polaires. Publications du Roi du Monde et de la Crise du monde moderne chez Bossard; attaques de la Revue internationale des sociétés secrètes contre lui.

1928 – Année de deuil, sa femme, puis sa tante, meurent tour à tour. Rencontre de Jean Reyor qui prendra de plus en plus d’influence à la rédaction du Voile d’Isis et l’aidera à mener à bien la transformation en Etudes traditionnelles.

1929 – Voyages et projets d’édition en compagnie de Mme Dina; il réside quelques temps aux Avenières en Savoie. Pendant ce temps paraissent Autorité spirituelle et Pouvoir temporel chez Vrin, ce qui le brouille avec Daudet et Massis frappés par l’excommunication de l’Action française et qui avaient bien accueilli sa critique du monde occidental moderne ainsi qu’une plaquette sur Saint Bernard. Quelques articles très importants de symbolisme sont rédigés pour le Voile d’Isis.

1930-1950: en Islam

1930 – Départ pour le Caire, en compagnie de Mme Dina, à la recherche de textes soufis; celle-ci rentra seule trois mois plus tard. Guénon, pratiquement sans ressources vécut quelques mois fort pauvrement dans le vieux Caire autour de la mosquée Seyidna el Hussein, faisant la connaissance du sheikh Salâma Radi de la branche shadilite à laquelle il avait été rattaché en 1912. Une série d’articles du Voile d’Isis a trait à l’ésotérisme islamique.

1931 – Après plusieurs déménagements, il se fixe près de l’université Al-Ahzar adoptant en tous points les us et coutumes locaux, émaillant sa conversation en arabe de dictons populaires. Le Voile d’Isis va donner régulièrement deux articles de sa main à chaque livraison, une très importante série sur l’initiation durera jusqu’en 1937. En préparation depuis fort longtemps, le Symbolisme de la croix paraît chez Véga, dédié à la mémoire du sheikh Elish.

1932 – Se lie avec le sheikh Mohammed Ibrahim et voit souvent Valentine de Saint-Point (Rawheya Nour-Eddine). Publication des Etats multiples de l’être (Véga), suite de l’Homme et son devenir…, dont les matériaux étaient également rassemblés depuis près de vingt ans.

1933 – Les questions relatives à l’initiation occupent en quasi-totalité sa collaboration au Voile d’Isis; un certain nombre de ses lecteurs cherchant pour eux-mêmes la lumière et refusant la Franc-Maçonnerie, il vit d’un bon œil la constitution d’un groupe soufi en France. F. Schuon fit deux voyages à Mostaganem auprès de la Tariqah Alioua et exerça la fonction de Moqaddem à son retour.

1934 – Il épouse la fille aînée de Mohammed Ibrahim, Fatma Hanem, s’installe chez son beau-père et liquide son appartement de Paris peu après tout en conservant avec la France une abondante correspondance: son information des problèmes intellectuelles parisiens étaient remarquables et il entretint plusieurs polémiques.

1935 – Vacances à Alexandrie, treize articles dans le Voile d’Isis, quatre dans la Speculative Mason, signés A.W.Y.

1936 – Le Voile d’Isis devient Etudes traditionnelles, une longue série sur des symboles fondamentaux double la précédente.

1937 – S’installe au faubourg de Doki, la maison lui est offerte par un admirateur anglais. Sa correspondance est considérable, citons, parmi tant d’autres, René Allar, André Préau et A.K. Coomaraswamy.

1938 – Intense activité pour les Etudes traditionnelles, et maladie.

1939-1940 – Rétablissement et rechutes, les visites se succèdent: F. Schuon, Titus Burckhardt, J.A. Cuttat; il voit fréquement Martin Lings; Anglais islamisé.

1940-1943 – La guerre interrompt le courrier, préparation de plusieurs ouvrages. Luc Benoist travaille avec Jean Paulhan à la création d’une collection traditionnelle chez Gallimard. Michel Vâlsan, diplomate roumain qui a rejoint le milieu des Etudes traditionnelles, peut servir d’intermédiaire avec le Caire.

1944 – Naissance de Khadija.

1945 – La revue reprend vie; publication du Règne de la quantité et les Signes des temps chez Gallimard.

1946 – Retour au centre du Caire avec toute sa famille. Sortie des Principes du calcul infinitésimal chez Gallimard et de la Grande Triade (la Table ronde). Un recueil d’articles paraît chez Chacornac, sous le titre Aperçus sur l’initiation.

1947 – Naissance de Leila, sa seconde fille. Les articles des Etudes traditionnelles reviennent sur des problèmes soulevés par les définitions d’ésotérisme et exotérisme, de mystique et de connaissance, de pratique religieuse, «Nécessité de l’exotérisme traditionnel» clôt l’année. Visite de Marco Pallis et du fils de Coomaraswamy. Nadjn oud-Dine Bammate, jeune étudiant, est son pensionnaire; des correspondances importantes sont échangées avec Julius Evola ou des Maçons comme Marius Lepage ou Denys Roman. Les rapports Eglise-Franc-Maçonnerie sont largement développés dans les lettres à Jean Tourniac publiées par celui-ci dans Propos sur René Guénon. Création par des «guénoniens» de la Loge la Grande Triade, Rite Ecossais Ancien et Accepté à la Grande Loge de France.

1948 – Nouvelle difficulté de santé; douze articles rédigés.

1949 – Naissance de son fils Ahmed. Naturalisation égyptienne. Création d’une Loge «sauvage», en dehors de toute obédience: «Les Trois Anneaux». Trois articles successifs dans les Etudes traditionnelles sur christianisme et initiation.

1951 – Meurt le 7 janvier 1951 à 23 heures. Le 17 mai, naissance d’un fils posthume, Abdel Wahid.

1952 – Initiation et Réalisation spirituelle, Paris, Editions traditionnelles, avant-propos de Jean Reyor.

1954 – Aperçus sur l’ésotérisme chrétien, Paris, Editions traditionnelles, avant-propos de Jean Reyor.

1962 – Symboles fondamentaux de la science sacrée, Paris, Gallimard, N.R.F., «Tradition», introduction de Michel Vâlsan.

1964 et 1973 – Etudes sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, 2 vol.

1968 – Etudes sur l’hindouisme, Paris, Editions traditionnelles.

1970 – Formes traditionnelles et cycles cosmiques, Paris, Gallimard, N.R.F., avant-propos de Roger Maridort.

1973 – Aperçus sur l’ésotérisme islamique et le taoïsme, Paris, Gallimard, N.R.F., Les Essais, avant-propos de Roger Maridort. Comptes rendus.

1976 – Mélanges. La revue Etudes traditionnelles a poursuivi régulièrement ses publications. Rivista di Studi tradizionali est éditée à Turin et, depuis 1982, Tradition à Châlons-sur-Marne.

Aucun commentaire: