14 janvier 2006

J. P. Laurant, René Guénon, maître spirituel?, (note de lectura)

Publié dans René Guénon (1886-1951). Colloque du Centenaire, Le Cercle de Lumière, 1993.

Un maître pour transmettre quoi?
La formule supporte d’une part une fonction de communication avec un disciple, d’autre part qu’il y ait quelque chose à transmettre. Ces choses ne sont pas évidentes dans le monde moderne, qui souffre d’excomunication.

La réduction abusive du livre
Sur certaines critiques apportées à Guénon: « Evaluer le sens au nom des erreurs de documentation est aussi contestable que de dissocier la doctrine métaphysique de la transformation de l’être qu’elle s’est assigné comme but. Dans un cas comme dans l’autre on jette l’enfant avec l’eau du bain. Son aptitude à provoquer l’éveil, le retournement intérieur, importe seule et le mépris de toute culture livresque est devenu aussi suspect que l’érudition. » (p. 154)
L’œuvre et la vie de Guénon illustrent la nécessité pour l’homme occidental tel qu’il est d’utiliser les livres pour retrouver le Livre et le livre pour revenir à la vie.

Le rôle du maître spirituel, du Guru, exposé dans ses livres
Nul ne parvient à la connaissance s’il n’est initié et l’on ne s’initie pas dans un livre, même initiatique. Un contact humain personnel et une transmission orale authentiquement traditionnelle sont nécessaires.
Le transmetteur peut être totalement inconscient du rôle qu’il remplit, l’influence transmise reste réelle mais risque de devenir virtuelle.

Le Guru dans sa vie
La préoccupation de trouver un Guru a été ancienne et profonde chez Guénon.
Parlant au nom de la Tradition, Guénon devait tenir son savoir de quelqu’un. Ses premiers articles, comme “Le demiurge”, dans la Gnose en 1909 (quand il avait 23 ans), montrent une pensée déjà constituée et des connaissances très étendues.
« Ayant reçu une transmission spirituelle d’un Maître indien (entre autres, puisqu’il manifesta après un goût prononcé pour les cumuls d’initiation) Guénon est donc, à son tour, régulièrement un Maître. Il s’en est toujours défendu, se prétendant investi uniquement de la mission de faire connaître la vérité, de témoigner au nom de la Tradition par ses ouvrages. » (p. 157)

La conscience du Guru intérieur
La présence extérieure, visible d’un Maître ayant une existence historique et tehant un discours qui s’adresse à une conscience logique de son disciple ne représente que la manifestation d’un besoin spirituel intérieur de celui qui va en bénéficier et qui n’aurait pu être sans son reflet.
Guénon a longuement développé dans ses livres l’opposition du Moi individuel au “Soi”, principe inaltérable de l’Etre.
Les livres de Guénon ne sont pas des textes sacrés, ils se situent au-dessous, au niveau du commentaire.
Un poème hindou du XVIIe siècle de Thayumanavar: “Le mystère de l’acheminement vers la pure conscience”:
« Quand s’éveille le “je” individuel, celui qui se fait connaître à chacun, celui qui tourmente chacun, alors, le suivant telle son ombre, surgit l’universelle Mâyâ, la force et le règne du Multiple; quel homme pourrait jamais décrire l’océan de misères qui en découle? Elle est chair, elle est corps, elle est sens, elle est l’intérieur et l’extérieur, elle est l’éther pénétrant tout, elle est l’air, le feu, l’eau et la terre, physiquement, elle est colline, bois, montagne gigantesque, dans l’âme elle est souvenir, oubli et bien d’autres choses encore; vague par vague, elle s’attaque à l’homme et lui apporte plaisir et peine, conséquence de ses actes passés, elle lui apporte aussi plaisir et peine, conséquence de ses actes passés, elle lui apporte aussi le baume guérisseur, croyances et religions, chercheurs de Dieu, les affirmations, les preuves de la Science si grandiose et logiquement construite pullulent comme les sables de mer.
Au gré du hasard d’innombrables difficultés nous assaillent sans cesse. Comment les déraciner et les détruire une fois pour toutes tel un morceau de camphre qui flambe dans un grand feu et se consume sans laisser de résidu? Pour accomplir ce miracle et pour m’éclairer, la Grâce a pris forme. Elle parut, Guru silencieux, pareil à moi en tout (il mangeait, dormait, souffrait et jouissait, il avait un nom et il était né quelque part), tel un cerf dont le chasseur fait un appât pour capturer un autre de sa race, tel apparut le Guru.
Il me demanda mon corps, tout mes biens et même ma vie et m’enseigna l’antique processus de dépouillement: “Tu n’es pas les cinq sens, ni les cinq éléments, ni tes membres, ni ta pensée, ni leurs propriétés, ni toutes ces choses prises ensembles, tu n’es point le corps, ni la connaissance, ni la non-connaissance, tu es la Pure Conscience, celle qui est sans lien, semblable au cristal, lequel n’est que transparence pour qui le contemple. Alors que nous, le Guru, sommes l’Etre Intérieur manifestant la vérité quand nous te sentons capable de la recevoir.
Ainsi parla le Guru et il dispensa la connaissance vraie, unique, du silence originel qui détruit tout lien, dans lequel il n’existe ni méditation, ni égo, ni espace, ni temps, ni direction, ni lieu, ni extension, ni discrimination, ni forme d’expression, ni jour, ni nuit, ni commencement, ni fin, ni milieu, ni intérieur, ni extérieur, ni combinaison de toutes ces choses.
Ainsi parla le Guru. Lorsque l’on parle de “Cela” surgit la question: qu’est-ce? Mais n’est-il pas illogique de poser une telle question à propos du Un sans second? C’est pourquoi le roi de Janaka et Suka et d’autres sages arrivés à ce stade au-delà de toute interrogation demeurèrent silencieux, comme des abeilles étourdies par le miel… Et la bénédiction du Guru vient à mon aide car la grâce est inépuisable pour qui désire atteindre la pure connaissance et obtenir la félicité absolue. Je ne prendrai aucun repos; je ne me laisserai pas absorber par les nécessités de la vie quotidienne avant d’avoir atteint ce but. » (p. 159-160, tiré de la Revue Etre no 2 – 1974).

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